
Après de longues méditations, Thérèse d’Avila a fini par découvrir que son « château intérieur » comportait sept demeures, et que chacune d’entre elles disposait de nombreux appartements et de multiples dépendancesi.
On ne pouvait visiter ces lieux intimes, innombrables, que par l’imagination. Il serait vain de tenter de les concevoir par l’entendement, car celui-ci reste toujours environné d’une sorte de « tintamarre »ii.
Les « bruits » de la pensée sont un obstacle à la perception de ce qu’elle appelait les « goûts », lesquels ne peuvent sourdre que d’une source tranquille, paisible, à la « suavité inexprimable », ressentie seulement au plus profond de l’âme.iii
Le cœur lui-même n’est ni assez intérieur, ni assez profond pour cette source-là, selon Thérèse. Elle en voulait pour preuve les paroles du psalmiste : « Car tu élargis mon cœur »iv.
Ces paroles étaient l’indice qu’il y a un lieu autre que le cœur, un centre véritable de l’âme, dans lequel se trouvent des « secrets » dont Thérèse dit qu’ils la plongeaient dans l’étonnement. Plus étonnant encore, constatait-elle, ce lieu central n’était pas le seul ; à l’évidence, il y en avait beaucoup d’autres, plus secrets encore, et qui lui demeuraient inconnus.v
Malgré tout son étonnement, et même sa stupéfaction, de découvrir en son âme ces lieux secrets, elle savait aussi qu’ils n’étaient que l’occasion d’une ivresse passagère, et que rien du mystère ne lui était encore révélé.vi
Elle chercha dans la littérature des auteurs qui pourraient la mettre sur la piste, lui offrir un début d’explication. L’âme rentrait-elle en elle-même ? S’élevait-elle au-dessus d’elle-même ? Aucune de ces formules ne la satisfaisait. Elle préféra donc s’en tenir à la métaphore du « château intérieur », un château dont les « habitants » sont les « puissances de l’âme ».vii
Les puissances de l’âme, – l’entendement, la mémoire, la volonté -, vivent dans ce château intérieur. Il ne faut pas chercher à guider leur activité, ou suspendre leurs mouvements propres. Elles ont leur rôle à jouer. Il ne faut surtout pas que l’entendement cherche à comprendre ce qu’il s’y passe. Le mieux, pour l’âme, est de rester en silence dans le château, en la présence de son Seigneurviii…
A l’un de ces lieux plus intérieurs que les précédents, Thérèse donnait le nom pluriel de « quatrièmes demeures ». L’âme-châtelaine y avait accès, mais seulement dans une sorte d’« assoupissement ». Il lui fallait donc, par le moyen d’une oraison plus poussée, aller plus loin, vers les « cinquièmes demeures », non pas pour s’y « réveiller », mais au contraire pour s’y « endormir pleinement », pour s’endormir complètement à toutes les choses du monde, et pour s’endormir vis-à-vis de soi.ix
Dans cette dormition profonde, l’âme était comme privée de tout sentiment. Mais c’était là la condition pour parvenir à l’« union ».x Dans cet étrange état d’endormissement, l’âme était complètement « hébétée ». Paradoxalement, elle ne devait plus jamais oublier ces quelques instants de torpeur totale, et dès lors elle ne cessait plus de se rappeler la réalité de cette « sagesse véritable » enfin rencontrée.xi
Thérèse n’était pas naïve. Elle savait bien que ce genre d’expérience, une fois divulguée, pouvait susciter les doutes, les suspicions, et même les moqueries. Elle tenait sa réponse prête.
« Mais, me direz-vous, comment l’âme a-t-elle vu, compris, qu’elle a été en Dieu et Dieu en elle, si durant cet état elle est hors d’état de comprendre et de voir ? Je réponds qu’elle ne le voit point alors, mais qu’elle le voit clairement ensuite, non par une vision, mais par une certitude qui lui reste et que Dieu seul peut lui donner. »xii
Une certitude. Faisons-en lui crédit. Je sais, moi aussi, ce qu’est une certitude, pour moi du moins. J’imagine que le lecteur aussi, a des certitudes, et sait donc ce que, pour lui, représente une certitude. C’est pourquoi je pense que ce que Thérèse pouvait trouver certain devait, en un sens, être d’un niveau de certitude analogue avec le niveau de certitude de ce que je trouve moi-même certain.
Ce raisonnement est un peu lourd, j’en suis conscient, quoique non totalement sans mérite, j’espère. Mais Thérèse avait, quant à elle, de bien meilleures ressources d’expression, dont un usage stimulant de la métaphore. Elle compara par exemple l’âme à un ver à soie. Longtemps les vers à soie, encore à l’état de « semence » sous la forme de « petits grains », restent inactifs sur les feuilles de murier. Mais aux premières chaleurs de l’été, ils éclosent, ils commencent à vivre, ils s’alimentent, ils grandissent, ils tissent leurs cocons de soie, dans lesquels ils se renferment. Puis vient la fin de l’insecte. « Au lieu du ver gros et hideux, il sort de chacun des cocons un petit papillon blanc, d’une beauté charmante. »xiii
Il y a là une image de ce qui arrive à l’âmexiv. Dès que le ver se développe, il commence à filer la soie, et à construire le cocon où il doit mourir, et dont il devra éclore sous une forme entièrement nouvelle. De même, il nous faudra mourir quand nous aurons terminé le cocon pour lequel nous avons été créés. Alors nous verrons Dieu, et nous nous abîmerons en lui, dans sa grandeur, de même que le ver s’abîme dans l’étroitesse soyeuse du cocon.xv
Une telle métamorphose, on s’en doute, ne va pas sans conséquence. Que devient le « soi » quand il sort de sa « soie » ? Peu importe à l’âme, en réalité, la seule chose qui compte, c’est de continuer d’aller de l’avant.xvi D’ailleurs, comme au papillon éclos, il lui vient soudainement des « ailes ». Comment continuer à ramper, ou à n’avancer que pas à pas, alors que l’on peut enfin librement voler ?xvii
Jusqu’où volera ce papillon neuf ? Voudra-t-il revenir se blottir dans son cocon ?
D’autres étonnantes métaphores l’attendent.
Thérèse dit que l’âme arrive alors à la « véritable union » ; elle propose l’image des « fiançailles spirituelles » (image qu’elle qualifie aussitôt de « grossière »)xviii. De plus, cette « union » ne dure que le temps d’un regard.xix
Il est maintenant temps que l’âme, qui a seulement porté un bref regard sur Dieu, sorte de son sommeil.xx
Il est temps qu’elle entre dans les « sixièmes demeures », et qu’elle s’y « réveille ».xxi
Alors, d’autres métaphores viennent décrire ce qui se passe. L’âme se sent « blessée d’une manière très suave »xxii. Son « Époux céleste » l’a « transpercée » d’une « flèche »xxiii.
« Elle sent tout à coup un embrassement délicieux, comme si soudain on répandait en abondance un parfum dont l’odeur pénétrerait tous les sens. »xxiv Elle désire « jouir de Dieu »xxv.
Comme on peut s’y attendre, ce genre d’expérience, rapportée ainsi, suscita « les railleries des confesseurs »xxvi. Comme peut-être celles du lecteur ?
Mais Thérèse ne s’en émut guère. Il s’agissait, précisa-t-elle, essentiellement de « visions intellectuelles ».
« L’oreille intérieure perçoit les paroles de Dieu en des profondeurs de l’âme, si intimes et si secrètes »xxvii.
Ces paroles viennent à l’improviste. Elles ont pour objet des choses auxquelles on n’a jamais pensé. Le sens qu’elles expriment est parfaitement distinct, et « l’âme n’en perd pas une syllabe ».
« Une seule de ces paroles comprend en peu de mots ce que notre esprit ne saurait composer en plusieurs. »xxviii
Les ravissements qui emportent l’âme sont de plusieurs sortes. Thérèse les décrit avec des métaphores conjugales, faute d’en trouver de meilleures : il y a le « désir de posséder l’Époux », « le courage de s’unir à un Souverain tel que lui et le prendre pour époux », d’« épouser le Roi », d’« accepter l’union divine », et de « conclure ces fiançailles ».xxix
Que les esprits sarcastiques ne s’y méprennent pas : « Je parle de ravissements, qui soient bien des ravissements et non des faiblesses de femme. »xxx
Ils ne sont en rien comparables à un « évanouissement » ou une « perte de connaissance », mais ils sont un « éveil » aux choses divines.xxxi
Là encore, Thérèse avait dû affronter ses confesseurs, souvent pieux, parfois doctes, mais vraisemblablement sceptiques ou ironiques. Elle évoqua par avance les objections qui pourraient lui être faites par des lecteurs dubitatifs. Elle s’en tira par une pirouette, dont on ne peut pas dire qu’elle n’était pas sincère.
« Mais, me direz-vous, si les facultés et les sens sont tellement absorbés qu’on peut les dire morts, comment l’âme peut-elle comprendre cette faveur ? Je n’en sais rien, vous répondrai-je ; et peut-être personne n’en sait-il plus que moi. »xxxii
Elle pouvait cependant raconter certaines des visions dont elle eut la faveur. Pour d’autres, les plus élevées et les plus « intellectuelles », les mots lui manquaient.xxxiii
Ceci n’était pas très étonnant. Moïse lui-même ne raconta de sa vision du buisson ardent que ce que l’Éternel voulut bien qu’il en rapportât.xxxiv
Après tout, nous ne sommes que des « vers de terre »xxxv. Comment pourrions-nous entrer dans la connaissance de ces grandeurs ?
Tout ce que l’on peut dire, c’est que Dieu habite en nous, et qu’il a dans notre âme son appartement secret.xxxvi On est parfois admis à y jeter un regard, mais après coup on n’en pourra rien dire de précis, exceptée l’absolue assurance de l’avoir entrevu.xxxvii
On peut aussi affirmer que c’est là, dans cet appartement secret, que Dieu attire toute l’âme à lui et la « traite comme son épouse »xxxviii.
Ajoutons que, quelle que soit sa force, sa puissance, ce ravissement dure peuxxxix.
Il faut aussi savoir que s’il y a de « véritables » ravissements, il y en a aussi de « faux » et de « feints »xl.
Quant aux « véritables ravissements », il en est de plusieurs natures, très différentes.
L’un de ces genres de ravissement, Thérèse l’appelle le « vol de l’esprit »xli.
Alors, c’est Dieu lui-même qui opère le rapt. Il enlève l’âme, et parfois le corps avec l’âmexlii.
Ce ravissement paraît séparer l’âme du corps, et l’on peut avoir le sentiment de la mort proche, mais on ne meurt pas.xliii D’ailleurs, l’âme est-elle vraiment séparée du corps ? Cela même on ne peut le savoir. Ce qui est certain, c’est que l’âme a le sentiment d’être entièrement hors d’elle-même.xliv
L’important est que, par là, on obtient un genre de connaissance qui est au-delà de toute expression.xlv
Que retient-on d’une expérience si haute, si ineffable ?
Trois choses essentielles, semble-t-il.
D’abord, une connaissance de Dieu et une idée de sa grandeur. Ensuite une connaissance de nous-mêmes et un sentiment d’humilité. Enfin, un souverain mépris pour toutes les choses de la terre.xlvi
Ces savoirs, une fois acquis, sont indestructibles. Ils ne passeront plus. On ne les oubliera plus jamaisxlvii
Fondatrice d’un ordre religieux, dans des temps difficiles, Thérèse d’Avila était sans aucun doute une femme forte. Elle était même une femme dure. C’est du moins ce qu’elle dit d’elle-même : « Je ne suis point tendre, et j’ai au contraire le cœur si dur que cela me cause quelquefois de la peine. »xlviii Mais, dans l’extase, cette dureté fondait comme au feu d’un alambic.xlix
Ailleurs, Thérèse compare l’extase à une « suspension » de tous les puissances de l’âme.l Et selon une autre métaphore encore, Thérèse dit que l’extase vient « tout à coup »li, et qu’elle lui vient comme « un coup », et « comme une flèche de feu »lii. Aussitôt ces mots employés (« coup », « flèche de feu »), elle semble regretter leur inexactitude, leur imprécision. Ces expressions s’appuient encore trop sur des comparaisons corporelles, charnelles, alors que tout se passe « au plus profond et au plus intime de l’âme ».
L’extase dure peu, on l’a déjà dit, mais Thérèse le répète. Cette durée éphémère suffit pourtant pour que tout le corps en soit « disloqué », et l’âme totalement « embrasée ».liii
Aussitôt après, l’âme « sent une solitude extraordinaire »liv, et « se meurt du désir de mourir »lv.
Malgré tout ce que l’âme a déjà vu et ressenti, et les extrémités qu’elle semble avoir atteint, il lui reste encore à entrer dans les « septièmes demeures ». Plus elle y pénètre, plus elle comprend qu’elle ne comprend pas tous les secrets qu’elle enferme en elle-même.lvi
Ces « septièmes demeures » sont, dans l’âme, celles où réside Dieu. De fait, il ne réside pas seulement dans ses Cieux, semble-t-il. On pourrait dire que ces « septièmes demeures » de l’âme sont en quelque sorte un « autre ciel ».lvii
Thérèse souligne la profondeur et l’élévation de cette métaphore. L’âme n’est pas simplement un petit « coin du monde, étroit et resserré ». L’âme est elle-même un « monde », un monde si vaste qu’il contient toutes les demeures déjà décrites, et qu’il contient même le lieu où Dieu lui-même se tient.lviii L’âme sait alors que Dieu veut l’introduire dans sa propre demeure.lix
A quoi ressemble cette divine demeure ?
Thérèse ne peut en dire que ceci : c’est « un abîme très profond »lx.
Que s’y passe-t-il alors ? – Il s’y célèbre le mariage spirituel de l’âme et de Dieu.lxi
Dans le centre le plus intérieur de l’âme, cet endroit où Dieu lui-même habite, s’opère une « mystérieuse union ».lxii
Comment la décrire ? Ce n’est pas chose facile. Une formule, peut-être, en donne une idée : « L’esprit de l’âme devient une même chose avec Dieu ».lxiii
Une autre métaphore est celle de l’eau de pluie qui, en tombant, se confond avec l’eau de la rivière, l’eau du ciel se mêlant intimement à l’eau de la terre.lxiv
Désormais, Dieu vit dans l’âme, sans qu’on puisse les séparer. Le plus étonnant, c’est que l’âme n’a désormais même plus le désir de sortir du corps, de s’élever en extase, pour jouir de la vue de Dieu, comme elle le faisait auparavantlxv. Elle jouit déjà de Dieu, et Dieu d’elle, en silence.
Dans cette jouissance profonde et silencieuse, dans ce colloque singulier de l’âme et de Dieu, l’entendement humain n’a aucune part. Mais il n’est pas totalement évincé, absent. Si haute est la capacité de la conscience, ou plutôt de la conscience de la conscience, qu’elle est admise à « voir » ce qui se passe entre Dieu et l’âme, « comme par une petite fente »lxvi.
Thérèse elle-même en était surprise. Elle qui avait connu nombre d’extases sans pareilles, n’en a plus le goût, ni le besoin.lxvii A la place, elle ressent tout autre chose. Dans cette « septième demeure », son âme est pénétrée en permanence d’une « force surnaturelle », qui se communique à toutes ses « puissances », c’est-à-dire à son intelligence, à sa mémoire et à sa volonté, – bref, à tout son « château intérieur »lxviii.
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i« Je n’ai parlé que de sept demeures ; mais chacune d’elles a comme divers appartements, très nombreux, les uns en bas, les autres en haut, et d’autres aux côtés, avec des beaux jardins, des fontaines et tant d’objets si ravissants. » Thérèse d’Avila. Le Château intérieur. Traduit de l’espagnol par Marcel Bouix. Ed. Payot et Rivages, Paris, 1998, p.384
ii« J’ai eu quelquefois bien à souffrir de ce tintamarre de l’esprit ; il n’y a guère plus de quatre ans, je connus par expérience que la pensée (ou mieux l’imagination) n’est pas la même chose que l’entendement (…) Confondant jusque-là l’un avec l’autre, je ne pouvais concevoir que l’entendement eût quelquefois tant de peine à prendre son essor, tandis que d’ordinaire l’imagination prend si soudainement son vol, que Dieu seul peut l’arrêter, comme il le fait lorsque nous croyons être en quelque sorte dégagés de notre corps. Je ne m’expliquai pas ce qui se passait en moi : d’un côté, les puissances de mon âme me paraissaient occupées de Dieu et recueillies en lui, et, de l’autre, mon imagination était si troublée, que j’en étais hors de moi. » Thérèse d’Avila. Le Château intérieur. Traduit de l’espagnol par Marcel Bouix. Ed. Payot et Rivages, Paris, 1998, p.117-118
iii« Je dirai que les contentements ressemblent à l’eau que l’on fait venir par des aqueducs. En effet, c’est par nos pensées, c’est en fatiguant l’entendement dans la considération des créatures, que nous les obtenons. Enfin, ils sont l’ouvrage de notre industrie, de nos efforts, et de là procède le bruit dont j’ai parlé, qui accompagne le profit qu’ils apportent à l’âme. Les goûts, au contraire, ressemblent à l’eau qui jaillit de la source même. Dieu est la source, et quand il lui plaît de nous accorder une faveur surnaturelle, c’est au milieu d’une paix, d’une tranquillité, d’une suavité inexprimable qu’il produit ses goûts au plus intime de notre âme. Jusqu’à quelle profondeur, et comment Dieu opère-t-il ? Je ne le sais point. » Thérèse d’Avila. Le Château intérieur. Traduit de l’espagnol par Marcel Bouix. Ed. Payot et Rivages, Paris, 1998, p.126
ivPs. 119,32. כִּי תַרְחִיב לִבִּי (Ki tarḥiv libbi).
v« Dans ce verset Dilatasti cor meum, le prophète dit que Dieu a dilaté son cœur. Cependant je ne vois pas, comme je l’ai remarqué, que ce plaisir prenne naissance dans le cœur ; il vient d’un lieu encore plus intérieur, et comme d’un endroit profond. Je pense que ce lieu doit être comme le centre de l’âme, comme je l’ai compris depuis et le dirai dans la suite. En vérité, ce que je découvre de secrets au-dedans de nous me jette souvent dans l’étonnement ; et combien doit-il en avoir d’autres qui me sont inconnus ! » Thérèse d’Avila. Le Château intérieur. Traduit de l’espagnol par Marcel Bouix. Ed. Payot et Rivages, Paris, 1998, p.127
vi« Il ne me paraît pas qu’alors les puissances de l’âme soient unies à Dieu ; il me semble seulement qu’elles sont comme enivrées et stupéfaites des merveilles qu’elles découvrent. (…) Car l’âme, je le répète, ne peut comprendre ni les grâces dont Dieu la favorise alors, ni l’amour avec lequel il l’approche de lui.» Ibid. p.129 et p.130
vii« Les auteurs qui traitent de cette matière disent tantôt que l’âme rentre en elle-même, tantôt que parfois elle s’élève au-dessus d’elle. Avec ces termes, j’avoue que je ne saurais rien expliquer. (…) Le château intérieur, dont l’image me sert à expliquer ma pensée, a des habitants qui sont les sens et les puissances de l’âme. » Ibid. p.133 et p.134
viii« A mon avis, ce qui convient le mieux à l’âme, que Notre Seigneur a daigné placer dans cette demeure, c’est ce que j’ai dit. Sans violence, sans bruit, elle doit tâcher d’arrêter l’activité de l’entendement ; mais qu’elle n’essaye point de le suspendre, non plus que la mémoire, car il est bon qu’il se rappelle et que Dieu est présent et quel est ce grand Dieu. Si ce qu’il éprouve à l’intérieur le ravit, qu’il se laisse faire ; mais qu’il ne cherche point à comprendre ce qui le ravit. » Ibid. p.140
ix« N’imaginez pas que cette nouvelle oraison soit, comme la précédente, une sorte d’assoupissement ; je dis bien un assoupissement, parce que, dans l’oraison des goûts divins ou de quiétude, il semble bien que l’âme n’est ni bien endormie ni bien éveillée, mais qu’elle sommeille. Ici, au contraire, l’âme est endormie, pleinement endormie à toutes les choses du monde et à elle-même. » Ibid. p.153-154
x« Durant le peu de temps que l’union dure, elle est comme privée de tout sentiment et,, quand elle le voudrait, elle ne pourrait penser à rien.(…) Elle est comme absolument morte aux choses du monde, pour mieux vivre en Dieu. (…) L’âme, sans être encore détachée de ce poids terrestre, semble s’en dégager pour s’unir plus intimement à Dieu. » Ibid. p.154
xi« Quoi que l’on vous dise des grandeurs de Dieu, croyez qu’elles vont encore infiniment au-delà. (…) Dieu rend l’âme comme hébétée, afin de mieux imprimer en elle la véritable sagesse. Elle ne voit, ni n’entend, ni ne comprend, pendant qu’elle demeure unie à Dieu. (…) Quand elle revient à elle, il lui est impossible de douter qu’elle n’ait été en Dieu et Dieu en elle ; et cette vérité lui a laissé une telle impression, que, dût-elle passer plusieurs années sans être de nouveau élevée à cet état, elle ne pourrait ni oublier la faveur qu’elle a reçue, ni douter de sa réalité. » Ibid. p.159
xiiIbid. p.160
xiiiIbid. p.164
xiv« Ce qui arrive à ce ver est l’image de ce qui arrive à l’âme ». Ibid. p.165
xv« Meure ensuite, meure notre ver à soie, comme l’autre, quand il a terminé l’ouvrage pour lequel il a été créé. Alors nous verrons Dieu, et nous nous trouverons aussi abîmées dans sa grandeur, que ce ver l’est dans sa coque. (…) Il meurt entièrement au monde , et se convertit en un beau papillon blanc.» Ibid. p.167
xvi« Cette âme ne se connaît plus elle-même. Entre ce qu’elle était et ce qu’elle est, il y a autant de différences qu’entre un vilain ver et un papillon blanc. (…) L’âme que Dieu a daigné élever à cet état verra de grandes choses, si elle s’efforce d’aller plus avant. » Ibid. p.168
xvii« Comment ne pas bénir le Seigneur en voyant l’inquiétude de ce papillon, qui n’a pourtant jamais goûté dans sa vie plus de calme et de repos ? Il ne sait où aller ni où s’arrêter. (…) Il méprise maintenant son travail d’autrefois, lorsque, simple ver, il formait peu à peu le tissu de sa coque. Des ailles lui sont venues : comment, pouvant voler, se contenterait-il d’aller pas à pas ! » Ibid. p.169
xviii« Vous avez souvent entendu dire que Dieu contracte avec les âmes des fiançailles spirituelles. (…) Cette comparaison, je l’avoue, est grossière. Mais je n’en sais point qui exprime mieux ma pensée que le sacrement de mariage. (…) Ici c’est l’amour qui s’unit à l’amour, et toutes ses opérations sont ineffablement pures, délicates, suaves. (…) Or, selon moi, l’union ne s’élève point jusqu’aux fiançailles spirituelles. » Ibid. p.189
xix« Tout se passe très vite, parce qu’il n’y a pas là à donner et à recevoir. Ce n’est qu’une vue de l’âme ; l’âme ne fait que voir d’une manière mystérieuse qui est son futur époux. Ce que les sens et l’intelligence ne lui apprendraient pas en des années et des siècles, elle le voit d’un regard. » Ibid. p.190
xx« Une âme qui prétend à être l’épouse d’un Dieu, et à qui ce Dieu s’st déjà communiqué par de si grandes faveurs, ne saurait, sans infidélité, s’abandonner au sommeil. » Ibid. p.195
xxi« Notre-Seigneur la réveille tout à coup comme par un éclair ou par un coup de tonnerre. » Ibid. p.216
xxiiIbid. p.216
xxiiiIbid. p.218
xxivIbid. p.221
xxvIbid. p.222
xxviIbid. p.229
xxviiIbid. p.232
xxviiiIbid. p.233
xxixIbid. p.238
xxxIbid. p.239
xxxi« Ceci n’est pas comme un évanouissement où l’on est privé de toute connaissance, tant intérieure qu’extérieure. Ce que je sais, moi, des âmes ainsi ravies, c’est que jamais elles ne furent plus éveillées aux choses de Dieu. » Ibid. p.240
xxxii Ibid. p.240
xxxiii« Quand l’âme est ainsi enlevée, Notre-Seigneur lui découvre, en des visions imaginaires, quelques-uns de ses secrets, des choses du ciel, par exemple ; ces visions-là, on peut les raconter, et elles demeurent tellement gravées dans la mémoire qu’on ne saurait jamais les oublier. Quand les visions sont intellectuelles, l’objet en est quelquefois si élevé, que les mots manquent pour le traduire. » Ibid. p.241
xxxiv« Moïse ne put pas dire tout ce qu’il avait vu dans le Buisson ; il dit seulement ce que Dieu lui permit d’en rapporter » Ibid. p.242
xxxvIbid. p.243
xxxvi« Dieu habite en nous et il doit y avoir quelque appartement privé. Malgré l’extase, Notre-Seigneur ne permet pas toujours que l’âme voie les secrets de cet appartement. » Ibid. p.244
xxxvii« Quelquefois pourtant il plaît à Dieu de la tirer de l’ivresse extatique pour lui montrer rapidement les merveilles du lieu ; et lorsqu’elle revient à elles, elle se souvient qu’elle les a vues. Mais elle ne peut rien dire de précis. » Ibid. p.245
xxxviii« Lorsque le ravissement se produit, Notre-Seigneur attire toute l’âme à lui, et la traite comme sa chose propre et son épouse. » Ibid. p.246
xxxix« En somme, cette grande extase passe vite. Après le ravissement, durant le reste du jour et quelquefois durant plusieurs jours, la volonté reste saisie, et l’entendement hors de soi ; l’âme est, ce semble, incapable de s’appliquer à autre chose qu’à aimer Dieu. » Ibid. p.249
xl« Je ne sais si j’ai donné quelque intelligence de ce qu’est un ravissement. Je dis quelque intelligence, car la donner pleine et entière est impossible. (…) A l’aide de ce que j’ai dit on pourra discerner les véritables ravissements de ceux qui sont faux et connaître la différence de leurs effets. Je dis ravissements faux, et non pas feints, parce que ceux qui les ont n’ont pas dessein de tromper, mais sont trompés. Comme, chez eux, les effets ne répondent pas à la faveur qu’ils croient avoir reçue, leurs prétendus ravissements deviennent un objet de risée. » Ibid. p.251
xli« Il y a une autre sorte de ravissement, que j’appelle, moi, le vol de l’esprit.(…) L’âme est emportée d’un mouvement si soudain et si rapide, l’esprit est enlevé à lui-même avec une telle vitesse qu’on éprouve, surtout dans les commencements un grand effroi. (…) Pensez-vous qu’une personne, dans le plein usage de sa raison, n’éprouve qu’un léger trouble, lorsqu’elle se sent ainsi enlever l’âme, et le corps quelquefois avec l’âme ? » Ibid. p.253
xlii« Avec la même facilité qu’un géant enlève une paille, le Fort des forts, notre grand Dieu, enlève l’esprit. (…) Ce grand Dieu supprime soudain toutes les digues. (…) Une vague se forme, énorme, impétueuse, qui soulève la petite nacelle de notre âme-papillon. » Ibid. p.254-255
xliii« Ce ravissement impétueux de l’esprit paraît véritablement séparer l’esprit du corps. Néanmoins la personne n’en meurt pas. » Ibid. p.257
xliv« Pendant que tout cela se passe, l’âme est-elle unie au corps ou en est-elle séparée ? Je ne sais ; du moins je en jugerais de rien. (…) L’âme, qui n’est pas plus distincte de l’esprit que le soleil de ses rayons, peut, en restant où elle est, pourvu seulement que le vrai soleil de Justice l’échauffe, lancer le meilleur de sa substance au-dessus d’elle-même. Je ne sais ce que je dis ; ce qui est vrai, c’est qu’avec la rapidité d’une balle de mousquet, il se produit dans l’âme un mouvement, que j’appelle un vol de l’esprit, faute d’un nom meilleur. Ce vol est sans bruit, mais il se fait sentir à l’âme d’une manière si manifeste que l’illusion sur ce point est absolument impossible. Autant que je puis en juger, l’âme est entièrement hors d’elle-même, et Dieu lui découvre alors des choses admirables. » Ibid. p.259
xlv« Il lui semble être tout entière dans une autre région, complètement différente de celle où nous sommes ; elle y voit une lumière si supérieure à la nôtre que, dût-elle passer sa vie à combiner divers éléments pour l’obtenir, elle n’y arriverait pas ; enfin elle se trouve en un instant instruite de tant de choses merveilleuses qu’elle n’aurait pu, avec tous ses efforts, s’en imaginer, en plusieurs années,, la millième partie. Cela n’est point une vision intellectuelle, mais imaginaire, dans laquelle on voit plus clairement des yeux de l’âme que nous ne voyons à présent des yeux du corps. On n’entend pas de paroles ; on comprend toutefois beaucoup de choses. » Ibid. p.258
xlviIbid. p.260
xlviiIbid. p.265
xlviiiIbid. p.268
xlix« Sa dureté n’empêche pas néanmoins que, lorsque Dieu l’embrase de son amour, il ne distille comme un alambic. » Ibid. p.268
l« Le divin Maître suspend toutes les puissances de l’âme, aidant ainsi sa faiblesse, afin que, ravie hors d’elle-même, elle puisse s’unir à son Dieu. » Ibid. p.304
li« L’âme est en oraison, elle jouit d’une entière liberté de ses sens, et tout à coup Notre-Seigneur la fait entrer dans une extase, où il lui découvre de grands secrets qu’elle croit voir en Dieu même. C’est une vision intellectuelle, qui fait connaître à l’âme de quelle manière toutes les choses se voient en Dieu, et comment elles sont toutes en lui. » Ibid. p.316
lii« A la moindre parole qui lui rappelle que la mort tarde à venir, soudain, sans savoir ni d’où ni comment, il lui vient un coup , et comme une flèche de feu. Je ne dis pas que ce soit une flèche ; mais quoi que ce puisse être, il est évident que notre nature n’y est pour rien. Ce n’est pas non plus un coup, bien que j’emploie le mot ; car la blessure qu’on reçoit est pénétrante. Et cette blessure n’est point faite à l’endroit où nous ressentons les blessures ordinaires, mais au plus profond et au plus intime de l’âme. » Ibid. p.322
liii« Quoique cette extase dure peu, les os du corps en demeurent disloqués. Le pouls est aussi faible que si l’on était sur le point de rendre l’âme, mais tandis que la chaleur naturelle manque et s’éteint, l’âme, au contraire, se sent tellement embrasée par le feu de son amour, qu’avec quelques degrés de plus, elle irait, selon ses désirs, se jeter dans les bras de Dieu. » Ibid. p.324
livIbid. p.325
lvIbid. p.329
lvi« Bien que chacun de nous ait une âme (…) nous ne comprenons point les admirables secrets qu’elle renferme. » Ibid. p.336
lvii« Lorsqu’il plaît à Notre-Seigneur d’avoir compassion d’une âme qu’il s’est choisie pour épouse et qui souffre si fort du désir de le posséder, il veut, avant le mariage spirituel, la faire entrer dans cette septième demeure qui est la sienne. Car le ciel n’est pas son seul séjour ; il en a aussi un dans l’âme, séjour où il demeure lui seul et que l’on peut nomme un autre ciel. » Ibid. p.337
lviii« Nous devons nous représenter l’âme, non pas comme un coin du monde étroit et resserré, mais comme un monde intérieur, où se trouvent ces nombreuses et resplendissantes demeures que je vous ai fait voir ; il le faut bien, puisqu’il y a dans cette âme une demeure pour Dieu lui-même. » Ibid. p.339
lix« Dieu fait tomber les écailles des yeux de l’âme et il veut, dans sa bonté, que l’âme, d’une manière étrange mais réelle, voie et comprenne quelque chose de la grâce dont il daigne l’honorer. Dieu l’introduit donc dans sa propre demeure par une vision intellectuelle. » Ibid. p.340
lx« [Ces divines Personnes] sont dans l’intérieur de son âme, dans l’endroit le plus intérieur, et comme dans un abîme très profond ; cette personne, étrangère à la science, ne saurait dire ce qu’est cet abîme si profond, mais c’est là qu’elle sent en elle-même cette divine compagnie. » Ibid. p.341
lxi« Elle n’avait jamais vu le divin Maître se montrer ainsi dans l’intérieur de son âme. Il faut savoir que les visions des demeures précédentes diffèrent beaucoup de celles de cette dernière demeure ; de plus, entre les fiançailles et le mariage spirituel, il y a la même différence qu’ici-bas entre de simples fiancés et de vrais époux. » Ibid. p.346
lxii« Cette mystérieuse union se fait au centre le plus intérieur de l’âme, qui doit être l’endroit où Dieu lui-même habite. » Ibid. p.346
lxiii« Ce que Dieu communique à l’âme en un instant, est un secret de grâce si élevé, si délicieux aussi, que je ne sais à quoi le comparer. Il semble que Notre-Seigneur veuille en ce moment lui révéler la gloire du ciel par un mode sublime, dont n’approche aucune vision ni aucun goût spirituel. Tout ce que j’en puis dire, et tout ce que j’en comprends, c’est que l’âme, ou mieux l’esprit de l’âme, devient une même chose avec Dieu. » Ibid. p.347
lxiv« L’union est comme la flamme, la mèche et la cire qui ne forment qu’un seul cierge, mais qui peuvent également se diviser et subsister séparément. L’union du mariage spirituel est plus intime : c’est comme l’eau qui, tombant du ciel dans une rivière ou une fontaine, s’y confond tellement avec l’autre eau qu’on ne peut plus ni séparer ni distinguer l’eau de la terre et l’eau du ciel. » Ibid. p.348
lxv« Quand même elles auraient la certitude d’aller, au sortir de la prison du corps, jouir de la vue de Dieu, elles n’en seraient pas touchées ; la pensée de la gloire des saints ne leur dit rien, parce qu’elles ne désirent plus ni cette vue, ni cette gloire. Leur gloire à elles, c’est d’aider en quelque manière le divin Crucifié. » Ibid. p.359
lxvi« Dieu seul et l’âme jouissent l’un de l’autre dans un très profond silence. Il n’y a ici ni acte ni recherche de la part de l’entendement. Le Maître qui l’a créé le tient en repos ; mais il lui permet de voir, comme par une petite fente, ce qui se passe. » Ibid. p.363
lxvii« Ce qui me surprend, c’est que l’âme arrivée à cet état n’a presque plus de ces ravissements impétueux dont j’ai parlé ; les extases mêmes et les vols d’esprit deviennent très rares, et ne lui arrivent presque jamais en public, ce qui auparavant était très ordinaire. » Ibid. p.363
lxviii« La force surnaturelle, dont l’âme est pénétrée dans cette septième demeure, se communique aux puissances, aux sens, à tout ce château intérieur. » Ibid. p.376
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