The Extasie, de John Donne (1573-1631), est l’un de ses plus célèbres « poèmes métaphysiques ». J’en ai tenté une traduction, l’adaptant quelque peu. J’ai gardé la structure de quatrains de neuf pieds, mais j’ai renoncé à la contrainte de la rime, sauf exception.
–
Comme un oreiller sur un lit,
La rive enceinte arrondit sa courbe,
Pour le repos des violettes et des mauves,
Et le plaisir de nos deux corps.
–
Nos mains s’étaient cimentées, d’une glu
D’onguent. S’y miraient en jaillissant
Les rayons de nos yeux fusionnés,
Liés en un nœud triple et torse.
–
Si étreintes et unies nos mains,
Qu’elles furent notre unique effusion
Et leurs images en nos yeux
Notre seule reproduction.
–
Comme marchent des armées ennemies,
S’avançant et se mêlant à la mort,
Nos âmes s’exilèrent au-dehors,
Elles nous emmêlèrent, elle et moi.
–
Tant qu’elles négocièrent leurs accords
Nous restâmes, deux statues sépulcrales,
Tout le jour, sans nous mouvoir d’un poil,
En grand silence, tout au long du jour.
–
Si quelqu’un, affûté par l’amour,
Et comprenant la langue de l’âme,
Devenu esprit pur, fine amour,
Se fut lors placé non loin de nous,
–
Il eût pu se ravir d’éloquence,
Ignorant les lèvres et l’origine,
Et repartir plus pur qu’il ne vînt,
Tant nous fûmes à l’unisson des sens.
–
L’Extase, nous le sûmes, peut exclure
De l’amour les âmes plus perplexes,
Ou dénouer leurs fils complexes,
Dans l’obscur, il n’est pas question de sexe.
–
Plusieurs d’entre les âmes contiennent
Des mélanges ignorés et des lieux
Où l’amour s’entremêle sans cesse,
Deux se font une, ou celle-ci celle-là.
–
Replantez la violette en autre terre,
Sa force, sa nuance et sa taille,
Jadis grêle, mièvre ou mince,
Soudain se doublent et se multiplient.
–
Quand l’amour, avec l’une, ou bien l’autre,
Inter-anime et s’unit les âmes,
Il en naît une nouvelle, plus apte,
Elle comble seule les failles et les manques.
–
Nous qui sommes cette âme née nouvellement,
Savons bien d’où vient cette simple essence.
Les atomes, d’où l’on croît, sont aussi
Des âmes seules n’acceptant nul change.
–
Mais hélas, trop longtemps tenons-nous
Nos corps las, à distance, dans l’oubli.
Ils sont nôtres, quoique n’étant pas nous,
Ils sont sphères, et nous sommes l’esprit.
–
Grâces leur soient rendues pour leurs dons,
Tant du lieu de notre présence,
Que pour tous leurs sens et leur puissance,
Jamais rejetés, toujours ralliés.
–
Sur les hommes, les cieux jettent des sorts,
Par les courants de l’air et l’ombre des nues.
De même, l’âme en l’âme s’écoule
En soignant s’il le faut d’abord les corps.
–
Comme le sang laboure les esprits
Pour exprimer un peu de leur âme,
Le soc est nécessaire au sillon
Qui de l’Homme fait mûrir la moisson.
–
L’âme des amants doit descendre
Au fin fond de la pure affection,
Atteindre l’abîme des sens, pour enfin
Libérer le Roi de sa prison.
–
Retournons à nos corps. Il faut que
Les hommes faibles voient l’amour dévoilé.
Les mystères d’amour croissent en toute âme,
Seuls les corps en consignent les progrès.
–
Si un amant à notre ressemblance,
Entendait un jour ces vers composés,
Qu’il nous épie de près, il verra
Peu de change en nos corps en allés.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.