Mort au voile


Il y a un rapport certain entre mystère et dévoilement. Un mystère sans voile n’en serait pas un. Un voile sans mystère, que voilerait-il ? D’autres voiles ?

Dans les profonds mystères, le dévoilement n’est qu’une petite indication, un simple signe, et non une révélation.

Lisant le journal de Tolstoï à la date du 26-27 novembre 1906, je trouve cette description de la mort de sa fille Macha, qui donne une piste intéressante: « Macha est décédée tout à l’heure. Chose étrange. Je n’ai éprouvé ni effroi ni peur, ni conscience que s’accomplit quelque chose d’exceptionnel (…) Je l’ai regardé tout le temps qu’elle se mourait: avec une étonnante tranquillité. Pour moi – elle était un être qui se dévoile devant mon propre dévoilement. Je suivais ce dévoilement, et il était joyeux pour moi. Mais voilà que ce dévoilement a cessé dans le domaine qui m’est accessible (la vie), c’est-à-dire que ce dévoilement a cessé de m’être visible ; mais ce qui se dévoilait, cela est. »

Le dévoilement de la mort commence dans la vie. Ses signes appartiennent encore à la vie, jusqu’au moment où ce dévoilement singulier n’est plus visible pour ceux qui ne meurent pas, pour ceux qui sont restent dans le dévoilement de la vie.

Leur vie leur voile la mort. Et la mort continue de dévoiler ce qui ne peut être dévoilé à ceux qui ne meurent pas.

C’est cela qui peut parfois être dévoilé à la mort d’un être cher, qu’il y a un dévoilement de la mort, qui continue dans la mort. Tolstoï l’atteste. Information capitale, mais impondérable. On peut avoir des raisons de douter d’un témoignage aussi fragile, basé sur des indices ténus. Pourtant je crois que Tolstoï est un témoin précieux, sensible, crédible.

La mort de ceux que l’on aime n’est pas de l’ordre du visible. Mais elle fait signe, elle montre un chemin possible. Neuf mois avant la mort de Macha, en février 1906, il avait déjà noté dans ses carnets: « Quelle est l’affaire qui m’attend ? La plus importante : une bonne mort », et aussi : « Tu grandis jusqu’à la mort ».

Grandir de cette façon est certainement une métamorphose, un mouvement. Un mouvement vers quoi ? Le 31 décembre 1906, il apporte cette réponse: « Le mouvement est la conscience de notre caractère divin. »

Ce mouvement vers la mort peut être bref ou long, vif ou languide, confus ou soutenu. Seul le tempo varie, non la fin.

Tolstoï note assez bizarrement une « formule », en Newton de la vie et de la mort, en homme qui en a fait l’expérience: « La valeur de la vie est inversement proportionnelle au carré de la distance de la mort. » Attraction fatale des corps par l’astre sombre. Trou noir de la pensée.

Platon a dit que la mort est pour l’âme la délivrance du corps. Tout le but de la philosophie est de méditer sur elle.

Le dragon et le lézard


Le Grand Mystère (Taixuan, 太玄 ) a été écrit par l’un des plus célèbres représentants du confucianisme Han, Yang Xiong (53 av. J.-C., 18 ap. J.-C.). C’est un traité divinatoire composé sur la base du Classique des Mutations, mais augmenté des nouvelles connaissances de l’époque Han. Pour le rédiger Yang Xiong s’était retiré délibérément des affaires politiques, et s’était réfugié dans une certaine obscurité sociale. Nombreux furent les mandarins et les lettrés brillants se moquant de son travail inutile, effectué en pure perte. Il leur répondit dans son Éclaircissement adressé aux railleurs : « Comme dans une île couverte d’oiseaux, quatre oies peuvent arriver ou deux canards peuvent s’en aller, nul n’y verra la différence. Autrefois, trois sages d’humanité quittèrent Yin et Yin fut fini, deux vénérables revinrent à Zhou, et Zhou prit son essor. »

Yang Xiong a aussi écrit un des ouvrages les plus célèbres de la littérature chinoise, le Fayan (« Maîtres Mots »). Son chapitre 5, intitulé « Questions sur le divin », commence ainsi :

« La question porte sur le divin.

– Le cœur.

– Que voulez-vous dire ?

– S’immergeant dans le ciel, il se fait ciel. S’immergeant dans la terre, il se fait terre. Le ciel et la terre sont clarté divine, insondables, et pourtant le cœur s’y plonge comme s’il allait les sonder. »

Le « cœur »? Le commentaire du dernier tétragramme (« Nourrir ») du Taixuan apporte un éclairage complémentaire sur ce mot. « Le cœur caché dans les profondeurs, beauté de la racine sacrée. Divination : le cœur caché dans les profondeurs, le divin n’est pas ailleurs. »

Style compact,  incomparable ! Le mot « divin » se dit shén, 神, en chinois. Il signifie déité, âme, esprit, mystérieux, vivant, Dieu. Le mot « cœur » se dit xīn 心. L’un est la profondeur de l’autre. Le cœur se cache dans le divin. Le divin se cache dans le cœur.

Mais ce n’est pas tout. Yang Xiong cite ensuite un extrait du Mengzi, reprenant une expression de Confucius :

« Le divin au cœur de l’homme ! Convoquez-le, il existe, abandonnez-le, il disparaît. »

On peut faire exister le divin. On peut se tenir à la frontière entre le ciel et la terre, et en annuler l’écart..

« Le dragon se tord dans la boue. Le lézard y lézarde. Lézard, lézard, comment pourrais-tu comprendre l’aspiration du dragon ?»

 

Que faut-il faire avec Daech ?


Que faut-il faire avec Daech ? Quelle stratégie choisir ? L’annihilation ? La négociation ?

Tony Blair, cet ancien premier ministre fameux pour avoir délibérément menti au Parlement britannique en prétendant disposer de preuves irréfutables de la présence d’armes de destruction massives dans l’Irak de Saddam Hussein, vient de livrer son point de vue, lors des 7èmes Conférences « Kissinger ». Le soutien pour l’État islamique, la croyance dans le « Califat » et dans la venue de l’Apocalypse, « s’enracinent profondément dans les sociétés musulmanes », affirme-t-il. Il prévoit de futures attaques de Daech, bien plus massives et bien plus dévastatrices que les attentats de Paris. La seule façon d’empêcher le carnage est d’éradiquer définitivement Daech et son idéologie.

Tony Blair assure aussi que « dans de nombreux pays musulmans, de grands nombres de personnes croient que la CIA ou les Juifs étaient derrière le 11 septembre. Des imams qui proclament que les incroyants et les apostats doivent être tués, ou qui appellent au jihad contre les Juifs ont des comptes Twitter qui sont suivis par des millions de personnes… Cette idéologie a des racines profondes. Nous devons trouver le moyen de l’éradiquer.»

(“However, in many Muslim countries large numbers also believe that the CIA or Jews were behind 9/11. Clerics who proclaim that non-believers and apostates must be killed or call for jihad against Jews have Twitter followings running into millions … The ideology has deep roots. We have to reach right the way down and uproot it.”)

Il ajoute que Daech doit nécessairement être défait en Syrie, en Irak, en Libye, dans le Sinaï et dans plusieurs régions d’Afrique sub-saharienne. Mais une victoire militaire sur Daech ne suffira pas. « La force seule ne pourra prévaloir. Il faut se confronter à l’idéologie islamiste », assène Blair.

Sur ce point, Blair a peu de conseils précis à apporter. Apparemment il n’a pas la moindre idée de la manière dont l’Occident peut se « confronter » à cette idéologie. En attendant il se contente de se réjouir que les attaques des avions britanniques vont pouvoir commencer après le vote du Parlement.

D’un autre côté, il est peut-être utile de présenter le point de vue (sans doute minoritaire) du journaliste français Nicolas Hénin, retenu en otage pendant dix mois en Syrie par Daech, jusqu’en avril 2014. Il vient de déclarer dans une entrevue sur YouTube, reprise par The Independant, The Guardian, et plusieurs autres médias qu’il fallait immédiatement cesser tous les bombardements sur Daech. Bombarder la Syrie, c’est faire le jeu de Daech, dit-il : « C’est un piège tendu à la communauté internationale. »

En revanche, il faut continuer d’accueillir les réfugiés syriens en Europe, car c’est la meilleure manière de déstabiliser la propagande de Daech qui est basée sur la haine supposée des Occidentaux pour les musulmans, et qui a par conséquent bien du mal à expliquer pourquoi ils fuient en masse une « terre de rêve » pour aller se réfugier chez les apostats, les infidèles et tous ceux qui sont engagés en Occident dans un combat apocalyptique contre l’islam.

Les militants de Daech croient en effet que le moment est venu de la confrontation finale entre l’armée musulmane composée de soldats venus du monde entier et les « 80 armées » d’incroyants qui ont juré sa perte.

La meilleure manière de procéder , selon Hénin, serait l’interdiction de tous les vols, quels qu’ils soient, dans le ciel syrien. Ce serait la seule façon d’assurer la sécurité des populations, et par là même un moyen d’affaiblir substantiellement Daech.

Alors, qui a raison ? Blair ? Hénin ? Poutine ? Erdogan ? Hollande ? Obama ?

Voilà comment je vois les choses. Cette guerre est faite pour durer. Longtemps. Il y a bien d’autres conflits dans la région proche qui se sont installés pour ce qui ressemble à l’éternité, c’est-à-dire disons cent ans. Pourquoi ce conflit-ci, qui bénéficie de leurs dynamiques entremêlées échapperait-il à la règle ? Gardons à l’esprit que nous subirons les stress directement ou indirectement liés pendant deux, trois, quatre générations. Il faut donc mettre les politiques généralement décidées à court terme en perspectives longues. Et voir si elles tiennent la route.

Deuxièmement, tous les acteurs présents et absents ont des objectifs fondamentalement différents. Daech et les Syriens « modérés », les Sunnites et les Chiites, Al-Nusra et les Alaouites, les Kurdes et les Turcs, l’OTAN et les Russes, les Américains et les Européens, etc…

Tous ces intérêts, pourquoi se mettraient-ils à converger ? Donc, ils ne convergeront pas, sauf si des faits radicalement nouveaux apparaissent, qui obligent un changement dirimant des agendas politiques.

Troisièmement, quels sont les bénéficiaires objectifs de la guerre ? Les tyrannies, les extrémismes, les maffias. Quelles sont les victimes ? Les peuples, les modérés, les démocraties.Tant que ceux qui ont intérêt à voir croître leurs bénéfices seront plus forts que ceux qui en ont à payer le coût, la situation empirera.

Quatrièmement, il y a de nombreux éléments idéologiques et religieux menteurs, trompeurs, hypocrites, dans la propagande intense et les divers narratifs déversés par les médias et les « parties prenantes ». Une critique, une déconstruction de ces idéologies, de ces narratifs, ne suffira pas. Il faudrait pouvoir penser et bâtir des contre-idéologies, moins menteuses, moins trompeuses, moins hypocrites que celles répandues dans les médias, dans les écoles, dans les lieux de culte, dans les partis, dans les esprits. Et pouvoir, en réaction, les répandre dans les médias, dans les écoles, dans les lieux de culte, dans les partis, dans les esprits.

Courage ! C’est peut-être possible, d’atteindre ces objectifs, en quelques générations.

Mettons-nous au travail.

Ilu, El, Ilah


Oui, le monde est bien plus profond que toute la mémoire. Les nations sont des gouttes de pluie au soleil, les peuples disparus forment des monceaux de poussière, et toutes les religions, oui, toutes, sans exception, ne sont jamais que des instants vibrants dans la lumière des premiers matins. Alors un peu de modestie s’il vous plaît. Arrêtez les arrogantes assertions. Apprenez plutôt à mesurer l’incommensurable. Visitez un instant le haut parfum de chacune des langues de la terre. Calculez la fin des prophéties. Alors, vous n’aurez jamais fait que quelques pas sur la route d’un long voyage, plus long que le scintillement originaire des bosons, plus obscur que le creux des temps.

Il y a bien plus de choses dans la mémoire que n’en contiennent toutes les philosophies et les sagesses. Mais il y a aussi plus de choses cachées dans le temps que n’en contient la mémoire des dieux mêmes. Et il y a plus de choses dans le noir néant d’avant le temps que dans les temps tout entiers. En témoigne humblement la leçon du silence, zigourat dressée sur la plaine des mots.

Il y a si peu longtemps, vers la fin du 3ème millénaire avant notre ère, un poème sumérien fut composé pour célébrer Enlil, le Dieu souverain des dieux.

Comme je suis fatigué de notre temps sans mémoire, sans profondeur, et sans vision, je voudrais le citer ici, comme une première pièce du dossier à charge.

Dossier ? Oui, dans le procès contre les bigots, contre les extrémistes de l’appropriation divine, contre les terroristes de la Lettre, contre les haineux, contre la calotte et le goupillon, contre la gorge tranchée de l’agneau, contre la psalmodie automatique, contre la prosternation plate, la génuflexion écrasée, contre le dandinement vertébral, contre tous les corps sans esprit, contre tous les esprits sans âme, contre toutes les âmes aveugles, contre les lumières qui ne sont que des ombres.

Voici ces mots de plus de quatre mille ans :

« Enlil ! Son autorité porte loin,

Sa parole est sublime et sainte !

Ce qu’il décide est imprescriptible.

Il assigne à jamais la destinée des êtres !

Ses yeux scrutent la terre entière.

Et son éclat pénètre au fin fond du pays.

Lorsque le vénérable Enlil s’installe en majesté,

Sur son trône sacré et sublime,

Lorsqu’il exerce à la perfection ses pouvoir de Seigneur et de Roi,

Spontanément les autres dieux se prosternent devant lui et obéissent sans discuter à ses ordres.

Il est le grand et puissant souverain qui domine le Ciel et la Terre,

Qui sait tout et comprend tout. »

(Source : A. Kalkenstein, Sumerischr Götterlieder)

Comme deuxième pièce à charge, voici une prière en langue akkadienne de la fin du 2ème millénaire.

« Seigneur Marduk, ô Dieu suprême, à l’intelligence insurpassable,

Lorsque tu pars en guerre, les Cieux chancellent,

Lorsque tu hausses la voix, la Mer est perturbée.

Quant tu brandis ton épée, les dieux font volte-face.

Pas un seul ne résiste à ton choc furieux.

Seigneur terrifiant, en l’Assemblée des dieux, nul ne t’égale !

(Source : E. Ebeling, Die Akkadische Gebetserie « Handerhebung »)

Les Sumériens étaient un peuple dont la langue ne se rapportait à aucune famille linguistique connue. Par contraste, les Akkadiens correspondaient à un ensemble de peuples sémites (hébreux, araméens, arabes). Ces deux populations si différentes par l’esprit (les deux prières évoquées ci-dessus résument, on l’aura compris, cette différence) se sont mêlées en Mésopotamie à partir du 4ème millénaire avant notre ère. Jean Bottéro (Mésopotamie. L’écriture, la raison et les dieux) note que les Sémites (les « Akkadiens ») arrivèrent au Nord et au Centre de la Mésopotamie à cette époque, alors que les Sumériens étaient déjà présents au Sud. Le mélange est progressif, et un capital culturel commun se forme. Mais ce sont les Sumériens qui sont « les plus actifs et les plus inventifs » dit Bottéro. La naissance de l’écriture remonte aux environs de ~3000. Elle a été inventée pour les besoins de la langue sumérienne. A partir du 2ème millénaire, les Sumériens sont « absorbés » par les Sémites. L’Akkadien reste alors la seule langue parlée, mais le Sumérien ne disparaît pas pour autant. Il reste la langue de culture, liturgique, savante.

Nous disposons à propos de cette période d’une énorme documentation écrite, de plus de 500.000 documents en sumérien, particulièrement précieuse pour étudier l’univers religieux de ces peuples, leurs prières, leurs hymnes, leurs rituels, leurs mythes. Mais dans cette masse de documents, on ne trouve aucun texte dogmatique, normatif. Il n’y a pas de « saintes écritures », pas de « texte révélé ».

La religion imbibait la vie. Le sacré pénétrait le quotidien. Mais dans cette multitude de peuples assemblés, personne ne revendiquait le monopole d’une élection cognitive, la suprématie d’un savoir. Ces peuples, ces myriades, d’origines si diverses, partageaient le sens du sacré, l’intuition du mystère. Leurs grands prêtres restaient extrêmement modestes dans leurs formulations.

« Les pensées des dieux sont aussi loin de nous que le tréfonds du ciel.

Les pénétrer nous est impossible,

Nul ne peut les comprendre ! »

(Source : W.G. Lambert. Babylonian Wisdom Literature)

Pour représenter l’idée du divin en langue sumérienne, le signe cunéiforme utilisé était une étoile à huit branches : (prononciation dingir).

En akkadien, cette représentation se stylise ainsi : (prononciation ilu).

Il y a évidemment un lien de filiation entre cet Ilu originaire, le El (Dieu) des Hébreux et le Ilah (divinité) des Arabes (conduisant au nom d’Allah, littéralement al Ilah : « le Dieu ».

Que faut-il faire avec Daech ?


Que faut-il faire avec Daech ? Quelle stratégie choisir ? L’annihilation ? La négociation ?

Tony Blair, cet ancien premier ministre fameux pour avoir délibérément menti au Parlement britannique en prétendant disposer de preuves irréfutables de la présence d’armes de destruction massives dans l’Irak de Saddam Hussein, vient de livrer son point de vue, lors des 7èmes Conférences « Kissinger ». Le soutien pour l’État islamique, la croyance dans le « Califat » et dans la venue de l’Apocalypse, « s’enracinent profondément dans les sociétés musulmanes », affirme-t-il. Il prévoit de futures attaques de Daech, bien plus massives et bien plus dévastatrices que les attentats de Paris. La seule façon d’empêcher le carnage est d’éradiquer définitivement Daech et son idéologie.

Tony Blair assure aussi que « dans de nombreux pays musulmans, de grands nombres de personnes croient que la CIA ou les Juifs étaient derrière le 11 septembre. Des imams qui proclament que les incroyants et les apostats doivent être tués, ou qui appellent au jihad contre les Juifs ont des comptes Twitter qui sont suivis par des millions de personnes… Cette idéologie a des racines profondes. Nous devons trouver le moyen de l’éradiquer.»

(“However, in many Muslim countries large numbers also believe that the CIA or Jews were behind 9/11. Clerics who proclaim that non-believers and apostates must be killed or call for jihad against Jews have Twitter followings running into millions … The ideology has deep roots. We have to reach right the way down and uproot it.”)

Il ajoute que Daech doit nécessairement être défait en Syrie, en Irak, en Libye, dans le Sinaï et dans plusieurs régions d’Afrique sub-saharienne. Mais une victoire militaire sur Daech ne suffira pas. « La force seule ne pourra prévaloir. Il faut se confronter à l’idéologie islamiste », assène Blair.

Sur ce point, Blair a peu de conseils précis à apporter. Apparemment il n’a pas la moindre idée de la manière dont l’Occident peut se « confronter » à cette idéologie. En attendant il se contente de se réjouir que les attaques des avions britanniques vont pouvoir commencer après le vote du Parlement.

D’un autre côté, il est peut-être utile de présenter le point de vue (sans doute minoritaire) du journaliste français Nicolas Hénin, retenu en otage pendant dix mois en Syrie par Daech, jusqu’en avril 2014. Il vient de déclarer dans une entrevue sur YouTube, reprise par The Independant, The Guardian, et plusieurs autres médias qu’il fallait immédiatement cesser tous les bombardements sur Daech. Bombarder la Syrie, c’est faire le jeu de Daech, dit-il : « C’est un piège tendu à la communauté internationale. »

En revanche, il faut continuer d’accueillir les réfugiés syriens en Europe, car c’est la meilleure manière de déstabiliser la propagande de Daech qui est basée sur la haine supposée des Occidentaux pour les musulmans, et qui a par conséquent bien du mal à expliquer pourquoi ils fuient en masse une « terre de rêve » pour aller se réfugier chez les apostats, les infidèles et tous ceux qui sont engagés en Occident dans un combat apocalyptique contre l’islam.

Les militants de Daech croient en effet que le moment est venu de la confrontation finale entre l’armée musulmane composée de soldats venus du monde entier et les « 80 armées » d’incroyants qui ont juré sa perte.

La meilleure manière de procéder , selon Hénin, serait l’interdiction de tous les vols, quels qu’ils soient, dans le ciel syrien. Ce serait la seule façon d’assurer la sécurité des populations, et par là même un moyen d’affaiblir substantiellement Daech.

Alors, qui a raison ? Blair ? Hénin ? Poutine ? Erdogan ? Hollande ? Obama ?

Voilà comment je vois les choses. Cette guerre est faite pour durer. Longtemps. Il y a bien d’autres conflits dans la région proche qui se sont installés pour ce qui ressemble à l’éternité, c’est-à-dire disons cent ans. Pourquoi ce conflit-ci, qui bénéficie de leurs dynamiques entremêlées échapperait-il à la règle ? Gardons à l’esprit que nous subirons les stress directement ou indirectement liés pendant deux, trois, quatre générations. Il faut donc mettre les politiques généralement décidées à court terme en perspectives longues. Et voir si elles tiennent la route.

Deuxièmement, tous les acteurs présents et absents ont des objectifs fondamentalement différents. Daech et les Syriens « modérés », les Sunnites et les Chiites, Al-Nusra et les Alaouites, les Kurdes et les Turcs, l’OTAN et les Russes, les Américains et les Européens, etc…

Tous ces intérêts, pourquoi se mettraient-ils à converger ? Donc, ils ne convergeront pas, sauf si des faits radicalement nouveaux apparaissent, qui obligent un changement dirimant des agendas politiques.

Troisièmement, quels sont les bénéficiaires objectifs de la guerre ? Les tyrannies, les extrémismes, les maffias. Quelles sont les victimes ? Les peuples, les modérés, les démocraties.Tant que ceux qui ont intérêt à voir croître leurs bénéfices seront plus forts que ceux qui en ont à payer le coût, la situation empirera.

Quatrièmement, il y a de nombreux éléments idéologiques et religieux menteurs, trompeurs, hypocrites, dans la propagande intense et les divers narratifs déversés par les médias et les « parties prenantes ». Une critique, une déconstruction de ces idéologies, de ces narratifs, ne suffira pas. Il faudrait pouvoir penser et bâtir des contre-idéologies, moins menteuses, moins trompeuses, moins hypocrites que celles répandues dans les médias, dans les écoles, dans les lieux de culte, dans les partis, dans les esprits. Et pouvoir, en réaction, les répandre dans les médias, dans les écoles, dans les lieux de culte, dans les partis, dans les esprits.

Courage ! C’est peut-être possible, d’atteindre ces objectifs, en quelques générations.

Mettons-nous au travail.

On n’a pas su comprendre ce que cela voulait dire


Athanasius Kircher n’est pas n’importe qui. Allemand, jésuite, savant encyclopédique et orientaliste, il a la réputation d’être l’un des plus brillants esprits du 17ème siècle européen.

Cela ne l’empêche pas d’avoir de sérieuses faiblesses dans le traitement d’un sujet, la Chine, que les Jésuites pourtant ont été les premiers à explorer intellectuellement. Il est fort intéressant, me semble-t-il, de revenir sur la perception que les Européens pouvaient avoir en ce temps sur la Chine, pour se faire une idée du fossé intellectuel qui pouvait alors prévaloir. Peut-être cela pourrait-il être une source d’inspiration à notre époque dite « mondialisée » ?

J’ai consulté l’ouvrage de Kircher publié en 1670 à Amsterdam et intitulé « Chine illustrée ». Il y écrit par exemple: « Les premiers Chinois estant descendus des Égyptiens ont suivi leurs façons de faire pour leurs écritures. » Il en veut pour preuve « la ressemblance qu’il y a des anciens caractères chinois avec les Hiéroglyphiques ». Puis il propose une classification des idéogrammes chinois selon seize « formes », dont je vais donner une description d’après quelques extraits du livre de Kircher, dans l’orthographe un peu décalée utilisée alors.

Forme I : « Vous voyés icy des serpents merveilleusement entrelassés les uns avec les autres, et qui ont diverses figures selon la diversité des clases qu’ils signifient. »

Forme II : « La Iième forme des anciennes lettres se prend des choses de l’agriculture. »

Forme III : « La 3ème forme des lettres est composée de quantités d’oiseaux, qu’on appelle Fum Hoam, et qu’on dit être la plus belle de toutes celles que les yeux peuvent voir : parce qu’elle est faite de plusieurs plumes, & de plusieurs ailes.

Forme IV : « La 4ème forme des caractères anciens (…) est tirée des huitres et des vers. »

Forme V : « La V. forme est composée des racines des herbes. »

Forme VI : « La VI. forme est composée des restes d’oiseaux. »

Forme VII : « La VII. Forme, faites de tortues. »

Forme VIII : « La VIII forme – faites d’oyseaux & de paons. »

Forme IX : « Faite d’herbes, d’aisles & de faisseaux. »

Forme X : « Leur signification est quai ço xi ho ki ven ou bien autrement, ço autheur de certains tables pour n’oublier pas ce qu’il sçavait, a composé ces lettres. »

Forme XI : « Prend la figure des étoiles et des plantes. »

Forme XII : « Lettres des édits anciennement utilisés. »

Forme XII : « Yeu çau chi eyen tao. »

Forme XII : « Lettres du repos, de la joye, de la science, des entretiens, des ténèbres et de la clarté. »

Forme XV : « Composée de poissons. »

Forme XVI : « N’a pas à être lue : c’est pourquoi on n’a pas su comprendre ce que cela voulait dire. »

C’est le cas de le dire, voilà une encyclopédie à la chinoise qui aurait pu ravir l’auteur de « Les mots et les choses. » Mais au-delà de l’indéniable poésie qui ressort de ce catalogue décousu, répétitif et plein de fantaisies, on est frappé par l’absolue incompréhension de l’un des esprits les plus brillants d’une époque et d’une région donnée pour une autre culture. Que cela nous serve de leçon !

Kircher 1 Kircher 2 Kircher 3

Pour une anthropologie du Djihad, de la décapitation et de la castration.


Metaxu. Le blog de Philippe Quéau

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Un paradoxe qui donne à penser: depuis que la philosophie moderne a décrété la mort de la métaphysique, elle s’est mise hors jeu du monde réel, ce monde où l’on fait des guerres interminables et sans merci, où l’on égorge les hommes, où l’on réduit les femmes à l’esclavage et où on enrôle les enfants pour en faire des assassins. La philosophie moderne (et occidentale?) se trouve désormais incapable de penser, de faire valoir sa pensée dans la grande bataille théologico-politique contre le fanatisme religieux. Elle a démontré que la raison n’a vraiment plus rien à dire à propos de la foi, ni non plus de légitimité pour s’exprimer à ce sujet. Son scepticisme proclamé a donné le champ libre à tous les fanatismes religieux, qui se trouvent en quelque sorte libérés de toute prétention critique, la critique ayant elle-même reconnu son incapacité à dire quoi que ce soit…

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L’art de toutes les images possibles


Metaxu. Le blog de Philippe Quéau

On sentait qu’un espace de possibles s’ouvrait, malgré de fortes contraintes techniques et stylistiques. Très vite des court-métrages comme celui de Ed Emshwiller, Sunstone (1979) produit au New York Institute of Technology offraient à l’imagination des pistes nouvelles. A l’INA, le département de la Recherche prospective que je venais d’intégrer continuait des recherches dans le domaine de ce que nous avions appelé les « nouvelles images », sur la lancée du fameux Service de la recherche de l’ORTF dirigé par Pierre Schaeffer.

En 1980 j’ai organisé à Arc et Senans un premier séminaire sur le traitement et la synthèse d’image appliqués à la création audiovisuelle. L’année suivante, en 1981, André Martin et moi-même lançons la première édition du Forum des Nouvelles Images de Monte-Carlo, qui sera plus tard renommé « IMAGINA ». En 1983 nous co-réalisons Maison Vole, le premier court métrage français entièrement synthétique (images 3D et musique), coproduit par l’INA et…

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La décapitation d’ISIS


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Douzième jour

Je voudrais aujourd’hui parler d’Isis et de sa décapitation. Isis, cette déesse, sœur-épouse d’Osiris, qui fut aussi tué et décapité avant elle. Plutarque rapporte cette inscription trouvée à Saïs et qui se réfère à Isis: « Je suis tout ce qui est, qui fut et qui sera, et nul mortel n’a soulevé mon voile ».

Les anciens Égyptiens croyaient qu’ils pouvaient recevoir les dieux dans leur cœur, ils croyaient pouvoir le leur offrir comme lieu permanent de résidence. La proximité intime avec la divinité convenait à un peuple dont le rêve était pour chacun de devenir le dieu Osiris lui-même. En témoigne le Livre des morts, qui décrit en détail les tribulations de l’âme du trépassé, et le moment de la prise du nom générique d’Osiris N. Voilà un dieu, Osiris, fils de Dieu, tué et ressuscité, qui rendait possible la vie éternelle, et auquel on pouvait s’identifier. C’était une…

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Israël, l’Iran et Qumran


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Des ministres d’importance (dit-on) se réunissent en ces jours à Lausanne autour du cas de l’Iran et de sa bombe, atomique et putative. Je voudrais revenir à cette occasion sur certains aspects de l’antique culture iranienne (perse), qui n’ont (certes) absolument aucun rapport avec les centrifugeuses, mais qui me paraissent néanmoins pertinents, du point de vue de la grande image, de l’arrière-plan profond.

Henry Corbin, orientaliste français, qu’il n’est pas besoin de présenter, a écrit il y a plus de cinquante ans un vibrant hommage à l’islam iranien, en particulier du point de vue de ses aspects spirituels et philosophiques. Dans un livre, consacré à Sohravardî et aux platoniciens de Perse, il prend notamment et directement parti pour les shî’ites contre les sunnites.

Je ne sais si c’est ‘politiquement correct’, et à vrai dire, je me sens très loin de cette notion assez périssable, mais voici la manière partisane…

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Les nouvelles lignes globales


Metaxu. Le blog de Philippe Quéau

Carl Schmitt, juriste et philosophe nazi a théorisé  la notion de « lignes globales »,  permettant de penser politiquement et de justifier juridiquement les partages du monde, selon diverses logiques. Il s’agissait d’appuyer par exemple l’appropriation des terres vierges, la Terra nullius, ou bien de justifier d’autres partages de terres non vierges, au nom du Lebensraum.

Il y a une seule planète, mais plusieurs idées du monde et plusieurs manières de mondialisation. L’unité intrinsèque de la planète Terre est perçue symboliquement (la planète bleue vue de l’espace) mais elle peine à être reconnue politiquement (sur des sujets comme les menaces globales sur l’environnement, ou sur les « biens publics mondiaux »). S’il y a bien une conscience accrue de la mondialisation des problèmes liés au réchauffement de la planète, il y a en revanche une nette divergence d’appréciation sur ses conséquences politiques. Il y a divergence entre les diverses manières d’analyser la…

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Qui a tué Osiris?


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Les chaînes humaines, les passages de relais qui permettent la transmission d’un savoir acquis au-delà des âges, sont fascinants. De l’un à l’autre, on remonte alors toujours plus haut, aussi loin que possible, comme le saumon le torrent. Pour prendre un exemple, partons de Clément d’Alexandrie, mon auteur favori du 2ème siècle. Grand écrivain, profonde culture, sagesse large. C’est grâce à lui que l’on a pu sauver de l’oubli vingt-deux fragments de Héraclite (les fragments 14 à 36 selon la numérotation de Diels-Kranz). C’est beaucoup : vingt-deux sur un total de cent trente-huit… Merci Clément.

Voici le fragment N° 14 : « Rôdeurs dans la nuit, les Mages, les prêtres de Bakkhos, les prêtresses des pressoirs, les trafiquants de mystères pratiqués parmi les hommes. » On est en plein dans le sujet : la nuit, la Magie, les bacchantes, les lènes, les mystes, et bien sûr le dieu Bakkhos.

Le fragment N°15 décrit brièvement…

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L’homme est un jardin


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L’idée de jardin est tout entière dans cette contradiction : c’est un clos ouvert. En témoigne le « Haha ! ». Un certain William Kent inventa la clôture des jardins par des fossés – et non par des murs. Le promeneur parvenu aux limites du jardin, découvrait alors un vaste paysage, non fermé aux regards, et heureusement surpris par cette perspective, se disait : « Haha ! ». La nature tout entière se liait virtuellement au jardin privé.

Le jardin possède une forte affinité avec le virtuel, à un triple titre. Il est le lieu de trois mystères, de trois puissances – la croissance, la fertilisation, la métamorphose. Ou, pour faire image, le germen, le pollen, et l’Eden.

Au germen, nous associerons le concept de simulation. Au pollen, nous lierons l’idée de navigation. A l’Eden, nous attacherons la notion d’interaction.

Le germen.

La caractéristique essentielle des systèmes de production numérique d’images possède une certaine analogie…

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Le miel et le fiel


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En arabe, le mot نَفْس, nafs, a pour racine trilitère: N F S, ce qui correspond à la racine du mot hébreu נֶּפֶש néfêsh (N F SH). Si les racines sont identiques, les univers sémantiques varient de façon significative.

Commençons par l’hébreu.
נֶּפֶש néfêsh, peut signifier : « souffle, haleine, odeur, parfum ; vie, principe de vie, âme ; cœur, sentiment, désir, volonté, pensée ; être animé, personne, individu, corps vivant, cadavre ; moi-même, toi-même, moi, toi.
Voici quelques exemples d’utilisation dans différents contextes : « En lui est un néfêsh de vie » (Gen. 1, 30). « Son néfêsh allume des charbons » (Job, 41, 13). « Car le sang c’est le néfêsh » (Deut. 12, 23). « Lorsqu’ils rendaient le néfêsh dans le sein de leurs mères. » (Lament. 2, 12). « Son néfêsh est vide de nourriture (il a faim) » (Is. 29, 8). « Le néfêsh…

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Béances brûlantes


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Dans le dernier chant du Purgatoire, Béatrice s’adresse ainsi à Dante:

« De peur et de vergogne je veux désormais que tu te libères; ne parle plus comme un homme qui rêve. »

Suivent alors des vers qui composent un « récit obscur » et une « énigme difficile », selon les termes mêmes de Béatrice. Ce n’est pas mon intention d’en faire le commentaire. Mais pour donner une idée du certain degré de sophistication qui y est déployé, Béatrice parle par exemple d’un « cinq cent dix et cinq envoyé de Dieu ». Qui est ce 515? Transcrit en chiffres romains cela donne DXV, ce qui équivaut par permutation à DVX, et donc à DUX, soit le « chef », et sans doute une allusion à Henri VII du Saint Empire, révélant ainsi de façon cryptique le soutien de Dante à la cause des Gibelins, alors qu’il était censé soutenir les Guelfes et le pape contre les Hohenstauffen et…

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La mort de Macha


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7ème jour

Il y a un rapport évident entre le mystère et le dévoilement. Un mystère sans voile n’en est pas un, et réciproquement. Mais que voile le voile ? La révélation? Ou d’autres voiles ? Dans les profonds mystères, le dévoilement n’est jamais qu’une indication, un signe, une piste possible. Lisant le journal de Tolstoï à la date du 26-27 novembre 1906, je trouve cette description de la mort de sa fille Macha, qui donne une idée intéressante: « Macha est décédée tout à l’heure. Chose étrange. Je n’ai éprouvé ni effroi ni peur, ni conscience que s’accomplit quelque chose d’exceptionnel (…) Je l’ai regardée tout le temps qu’elle se mourait: avec une étonnante tranquillité. Pour moi – elle était un être qui se dévoile devant mon propre dévoilement. Je suivais ce dévoilement, et il était joyeux pour moi. Mais voilà que ce dévoilement a cessé dans le domaine qui m’est accessible…

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Les testicules de Job


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Vingt-quatrième jour

M’efforçant d’être un étudiant assidu, et désirant acquérir un peu de vocabulaire, je me suis plongé dans la Kabbale Denudata. Liber Sohar restitutus, dont l’auteur est Joannis Davidis Zunneri, qui l’a publiée à Francfort en 1684. Ce livre fort savant fournit entre autre un glossaire de termes techniques permettant de mieux se repérer dans les arcanes de la Kabbale.

Un mot a retenu mon attention : כליות (khiliot) que Zunneri traduit (en latin) par renes(testiculis). Le mot renes, les « reins » avaient en effet comme autre sens « testicules », suivant les contextes. Zunneri cite d’ailleurs en appui de sa définition Job 38,36 : « Quis posuis in renibus (testiculis) sapientiam » (« Qui a mis la sagesse dans les reins (testicules)? »). Vérification faite, Zunneri s’est légèrement trompé. Le mot כליות (khiliot) ne figure pas dans ce verset. On y trouve en fait à sa place le mot

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Descendre dans l’immanence


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Trente-troisième jour

Le verbe ירד, yarada, est l’un de ces mots paradoxaux, surprenants, mystérieux, de la littérature des Hekhalot (« les Palais »), laquelle traite des ascensions et des descentes célestes. Ce verbe a pour premier sens « descendre », et plusieurs sens dérivés : « tomber, déchoir, périr, être ruiné », ou encore « abattre, humilier, précipiter ». Il s’emploie principalement pour décrire les différentes « descentes », « chutes », « déchéances » ou « humiliations » relevant de la condition humaine. Le paradoxe apparaît parce que le même verbe sert aussi pour décrire les théophanies, qui sont donc en quelque sorte assimilées, par contiguïté, à leur exact opposé : la chute.

Voici une petite collection d’usages du mot, afin d’en faire miroiter le spectre. « Abram descendit en Egypte » (Gen 12,10). « Elle descendit à la fontaine » (Gen. 24,16). « Moïse descendit de la montagne » (Ex. 19,14 ou Ex. 34,29). « Mon bien-aimé est descendu dans son jardin » (Cant. 6,2). « Il descendra comme la pluie sur l’herbe coupée »…

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« Je suis la fin du judaïsme »


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Trente-huitième jour

Le philosophe Jacques Derrida a écrit dans ses Carnets cette phrase pour le moins curieuse : « Je suis la fin du judaïsme ». Dans quel contexte ? Il est parti d’une citation de saint Augustin : « Quid ergo amo, cum Deum meum amo ? », qu’il traduit et développe à sa manière, et qu’il adapte à sa propre réflexion de cette façon: « Qu’est ce que j’aime, qui j’aime, que j’aime par-dessus tout ? […] Je suis la fin du judaïsme.»

Qu’est-ce que Derrida aime ? Le judaïsme. Qui aime-t-il ? Sa mère, qui est alors agonisante. Mais qu’est-ce qu’il aime par-dessus tout ? Dieu ? « Quel Dieu j’aime ? » se demande Derrida, plus de quinze siècles après saint Augustin. Il aime par-dessus tout ce Dieu unique, unique comme un événement peut être unique. Comme la naissance est unique, ou comme la mort est unique.

La mort de sa mère représente pour Derrida la fin d’un judaïsme. Après ce judaïsme…

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خَيْر Une manière inouïe en Occident


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En arabe, le mot خَيْر , (Khaïr), bien, bon, a la même racine que le mot خِيار  (Khiyara), choix, liberté. Cette même racine forme aussi le verbe خَارَ   (Khara) qui veut dire : obtenir quelque chose de bon, mais aussi : préférer, donner la préférence à l’un sur l’autre, choisir quelque chose.

Cette grande proximité sémantique entre le bon et le libre me paraît riche.

Elle pourrait servir d’argument dans le fameux débat sur le libre arbitre.

Notons qu’on ne la trouve ni en grec, ni en latin, ni en français, ni en anglais, ni en russe.

Le grec, par exemple, est très sensible au rapport  entre le bien, le bon et la beauté extérieure : c’est le kalos kagathos. Il n’y a pas de place pour la liberté dans ce bien-là.

En latin, le bonum, et en français, le bien, ne connotent nullement la liberté.

Le…

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De jeunes Juifs se convertissent à l’islam et partent en Syrie se battre pour ISIS


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Les grands récits qui font vivre et ceux qui tuent. 1

On peut s’étonner que de jeunes Juifs se convertissent à l’islam, et partent faire la guerre en Syrie avec ISIS, en compagnie de nombreux autres jeunes européens.

Je propose d’interpréter ces faits sous l’angle du retour des « grands récits », et de l’affirmation de la prééminence de l’idéologie dans un monde matérialiste, dénué d’idéal, profondément corrompu, et dont le pourrissement, comme pour les poissons, a commencé par la tête. Dans un monde privé de sens, tout ce qui ressemble à une explication et une vision prend une force magnétique, attractive. On ne se convertit pas et on ne part pas se faire tuer par hasard. Ce serait une tragique cécité de ne pas voir ce qui saute aux yeux. La guerre en cours est d’abord et surtout une guerre des idées, une guerre des visions du monde, et pour…

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Les Noms secrets


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La littérature apocalyptique arbore un goût affirmé pour les noms secrets de Dieu et ceux des entités divines. Ce goût des noms secrets est partagé par les ésotérismes. Pour sa part, Philon d’Alexandrie a consacré un livre entier (le De mutatione nominum) à la question des noms dans la Bible. Il donne une attention particulière aux noms qui ont été « changés », comme Abram en Abraham ou Saraï en Sarah. Mais il s’interroge aussi sur les variations des noms de Dieu dans divers contextes. Il interprète le célèbre verset « Je suis celui qui est » (Ex. 3, 14) de la façon suivante : « Cela équivaut à : ma nature est d’être, non d’être dit ».

Mais il faudrait entrer un peu dans l’hébreu original du texte pour goûter la saveur de ce nom qui se dit ainsi « Ehieh asher ehieh ». La grammaire française rechigne à accepter une traduction qui sonnerait comme : « Je…

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Mers et forêts


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On compare souvent le cyberespace à un océan. On parle de « surfer » sur des « mers » d’information, et sur des « vagues » incessantes de nouvelles technologies…

Pourquoi cette omniprésence de la mer, et cette relative absence de la forêt dans les métaphores de la société de l’information ?

Sans doute cela vient-il du rôle historique joué par les océans : ils séparent les continents mais les relient aussi. Dans l’imaginaire collectif, la forêt reste un lieu sombre et profond, peu propice aux échanges entre les hommes.

Il est à noter que, mer ou forêt, la simulation virtuelle de la nature, de ses formes, de ses volumes, de ses lieux, reste une pierre d’achoppement pour les techniques de l’image de synthèse. Certes on obtient de beaux effets de simulation, mais sont-ils satisfaisants ?

Je ne sais si un arbre virtuel pourrait tenir son rang, face à l’arbre chanté par Rainer Maria Rilke dans ses Poèmes français

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L’I-Pad et la religion


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Les temps changent, on le sait. Le monde se transforme rapidement. Des sociétés hier bloquées se fissurent sous nos yeux, et se polarisent autrement. Des questions que l’on croyait réglées, closes par consensus ou conformisme, s’y rouvrent inopinément. Parmi elles, il y a la question de la religion dans l’espace public. Ignorée ici ou là, elle agite ailleurs, aujourd’hui, des régions entières. Cette résurgence du fait religieux dans l’espace politique effraie certains. D’autres s’en réjouissent.

L’esprit laïc « à la française », défendu par une certaine vision de la démocratie est, notons-le, une invention relativement récente. En France cela a pris des siècles avant qu’une loi proclame la séparation des Églises et de l’État, en décembre 1905, mais non sans avoir frôlé la guerre civile, tant gauche et droite étaient divisés.

D’où vient cette loi ? En 1903, le gouvernement d’Émile Combes expulsait encore les Chartreux de leurs couvents. Les religieux étaient tirés

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Jeunesse et transformations mondiales


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Le mot français « jeunesse » remonte en dernière analyse au sanscrit yauvana, mot qui a pour racine yu, पु ,« unir, attacher, lier », mais aussi « attirer à soi, prendre possession de », ou encore « désirer ». Le latin juventus ou l’anglais youth viennent de cette même racine. En grec, jeune se dit neos. C’est le même mot que « nouveau ». Par extension neos peut dire aussi: « ce qui cause un changement », et aussi « prendre des mesures nouvelles » ou même « faire une révolution ».

Dans les langues sémitiques, on observe d’autres nuances. Le mot arabe shabab, شَباب ,signifie « jeunesse, commencement » mais aussi « tout ce qui sert à allumer le feu » (شِباب). Une forme dérivée, mashboub, مَشْبوب, a le sens de « ce qui brûle », « ce qui flambe », mais aussi « ce qui enflamme d’amour, ce qui inspire une violente passion ». Dans l’hébreu biblique, jeunesse se dit בָּחוּר , bahour. La racine en est בָּחַר,

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Cicéron, Herzl et Hitler


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Les hommes se targuent de laisser des traces, des héritages, des souvenirs. Qu’en restera-t-il ? Bien peu. Ou rien du tout. L’histoire est pleine de disconvenues a posteriori pour tel ou tel, qui pouvait prétendre laisser un souvenir digne, et dont la mémoire est mâchonnée avec dureté, ironie ou indifférence par de lointains ou d’assez proches successeurs.

En appui de cette thèse, je voudrais citer quelques jugements à l’emporte pièce légués par leurs contemporains, à propos de personnages passés dans l’histoire.

« Calvus paraissait à Cicéron exsangue et limé à l’excès, et Brutus oiseux et heurté ; inversement Cicéron était critiqué par Calvus, qui le trouvait relâché et sans muscles, et par Brutus, d’autre part, pour user de ses propres mots « mou et sans rien dans les reins ». Si tu me demandes, tous me semblent avoir eu raison. » Ces paroles de Tacite (Dialogue des orateurs, XVIII,5-6) sonnent durement. Ces hommes glorieux, réduits…

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Pourquoi les âmes sont-elles enfermées?


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Pourquoi les âmes sont-elles enfermées dans des corps terrestres ? Cette ancienne question a reçu de nombreuses réponses au long des âges. Après tant de siècles de questionnements, il n’y a certes pas de consensus à ce sujet. La question même n’aurait aucun sens pour les uns, puisqu’elle suppose un dualisme de l’esprit et de la matière, de l’âme et du corps, selon les idées de Platon. Mais les idées platoniciennes ne sont pas partagées par les matérialistes, qui estiment que l’âme n’est qu’une sorte d’épiphénomène du corps, une excroissance générée par épigenèse. Dans l’approche matérialiste, l’âme n’est pas « enfermée », puisqu’elle est consubstantielle à la chair : elle s’épanouit pleinement en elle et la vivifie, et reçoit réciproquement d’elle toute sa sève. Mais il faut reconnaître qu’il y a aussi beaucoup d’indices qui permettent de révoquer en doute l’approche strictement matérialiste. Le principe spirituel ne se laisse pas évacuer si facilement…

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Maghreb مغرب


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L’un des mots de la langue arabe que je préfère est le verbe  غرب, qui forme le radical du mot Maghreb, مغرب .

Ce verbe riche signifie partir, s’en aller. Mais aussi disparaître, se cacher. Ou encore se coucher (se dit du soleil ou de la lune). Ou encore être long à venir. Et aussi être dans l’allégresse. Parfois il signifie venir de l’étranger, arriver du côté de l’occident.

Dans une autre série de variations (basées sur un autre « nom d’action ») il signifie être très noir, ou être atteint de maladie, ou être mince, ou encore quitter son pays. Et aussi être étrange, ou obscur et difficile à comprendre.

Dans ses formes dérivées (obtenues par de légères modifications du radical trilittère), il signifie entre autres, se rendre dans les pays situés à l’occident, vivre à l’étranger…

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La baleine, le cafard et le lapin


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L’esprit est toujours en retard sur la matière et sur l’événement. Mais l’art, qui a partie liée avec l’inconscient, a parfois su prophétiser les émergences. Ce qui est propre à notre temps ce n’est pas tant l’intensité de la collaboration entre l’art et l’argent, que la passivité apparente de l’esprit de création, et la faiblesse intellectuelle et morale des maîtres du jour.

Il suffit de penser aux temps où des princes éclairés, visionnaires, fréquentaient des artistes comme Vinci, Michelangelo ou El Greco. Aujourd’hui les plus grands Etats semblent être dirigés par des forces anonymes, les « mains invisibles » de la spéculation mathématico-financière. Le pouvoir méprise l’art – sauf bien sûr l’art des coffres forts et des banques, l’art des commissaires priseurs et des salles de marché, l’art béni par l’argent. L’art dort ou se berce d’illusions, au moment où le monde vit une mutation sans précédent.

On ne peut manquer de…

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