Quatre brûlants


« Quatre brûlants » ©Philippe Quéau 2023

L’image du « buisson ardent » est célèbre. Elle fait partie de ces références bibliques (Ex. 3, 1-7) qui ont été incessamment commentées depuis deux ou trois millénaires, mais sans qu’aucune véritable explication ne soit jamais donnée… Quelques peintres (pas si nombreux, en fait) se sont essayés à rendre Moïse devant le « buisson ardent », sans emporter la conviction…. Mais voici que s’ouvre, peut-être, de nouvelles voies de recherche et d’interprétation, dont il me semble que nous aurons beaucoup à reparler dans l’avenir…

Maintenant, en effet, l’IA nous permet de faire des images avec des mots. Cette idée, dans son principe même, n’est point si nouvelle, puisque j’en parlais déjà d’un point de vue à la fois technique et philosophique, dans mon livre « Eloge de la simulation », paru en 1986. Je cite ce livre aussi, parce que j’avais choisi pour sa couverture une représentation symbolique du « buisson ardent », telle qu’on pouvait en faire à l’époque…

Le « buisson ardent » de la couverture du livre Eloge de la simulation.

Je suis bien conscient que se citer soi-même est parfaitement immodeste, mais là n’est pas le point. Il y a presque quatre décennies, nous étions donc déjà en mesure de pressentir que le temps des images faites avec la main et la matière (peinture), ou bien avec la lumière (photographie, cinéma, télévision) touchait à sa fin. Il était déjà possible de prédire qu’une ère nouvelle commençait, celle où on allait faire des images avec du langage, et avec des mots. A l’époque, cela ne retint pas l’attention. Aujourd’hui il serait temps de s’y intéresser enfin sérieusement, et de prendre la mesure (philosophique, esthétique et politique) de ce nouveau défi.

Mû par une curiosité bien légitime, j’ai voulu voir, il y a peu, ce que l’IA d’aujourd’hui pouvait « générer » avec les deux mots « buisson » et « ardent ». Résultat: les quatre images ci-dessus. Avant tout, remarquons que la notion de « buisson » semble peu intéresser l’IA, du point de vue figuratif. L’IA semble l’avoir écartée d’emblée, puisque aucun buisson n’apparaît dans les quatre images spontanément créées par elle… L’IA a préféré remplacer, à quatre reprise, le buisson du texte de l’Exode par un arbre. J’imagine que l’IA, de par sa longue expérience (en termes techniques : « deep learning »), a dû rejeter le concept de « buisson », parce qu’il était sans doute trop chétif ou trop malingre, selon elle, pour plaire aux rétines contemporaines… La figure de l’arbre, la puissance de sa ramure, rendent mieux, sans doute, dans l’imaginaire actuel, taraudé par la « crise » de la nature et de l’environnement… Quant à l’idée d' »ardeur », il semble que l’IA l’assimile plutôt à un feu dévorant, ou bien à une frappe de fusée incendiaire… Elle ne fait pas dans la nuance. Ce sera sans doute important de se le rappeler, à l’avenir.

La première image (en haut à gauche) montre un arbre splendide, dans toute la force de son âge. Un feu intérieur semble sourdre de ses feuilles et de ses branches. C’est un feu qui vit au cœur de l’arbre. Ou bien est-ce la foudre qui l’aurait frappé et incendié, tel un missile, ou une roquette? On ne sait. La question reste posée.

La deuxième image (en haut à droite) montre un arbre extrêmement ancien, dont le tronc semble s’être dupliqué au long des siècles. Le feuillage en revanche a été vaporisé. Les branches supérieures de la ramure aussi. Quant au feu, il n’est plus intérieur, il est extérieur à l’arbre, à quelque distance. Une roquette, fort puissante, a dû tomber à proximité. C’est pourquoi un immense S de feu semble dessiner dans le ciel une sorte d’immense sceau cinglant. Une frappe préventive, sans doute, et « pleine d’ardeur »…

La troisième image (en bas à gauche) pourrait (en théorie, et avec beaucoup de bonne volonté) être considérée comme presque « bucolique ». On y voit en effet un magnifique arbre, à la ramure bien fournie, épanouie et florissante. Quant au feu, il pourrait sembler représenter celui du soir – le doux feu d’un soleil se couchant lentement sur une terre pleine de paix.

La quatrième image (en bas à droite) est la plus terrible, à mon sens. De l’arbre, il ne reste plus rien, sinon une sorte de moignon atrocement atrophié. Plus de feuilles, plus de branches, et seulement un chicot de tronc. En revanche, toute la place est laissée à la boule brûlante et explosive qui semble envahir tout le ciel.

L’IA a déjà compris beaucoup de choses sur la nature humaine. Et je ne suis pas sûr qu’elle en ait une haute opinion. Il serait peut-être temps de lui demander, au moins par curiosité, juste pour voir, son avis quant à un moyen sûr d’éviter que le feu du Ciel ne ravage l’Horeb, ou le mont Carmel, ou Gaza, ou tous ces lieux ensemble, et d’autres encore.

On peut, alternativement, se contenter de compter sur les « brûlants » (les seraphim) pour faire le travail.

Une réflexion sur “Quatre brûlants

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.