
La conscience est ombre, lumière, miroir, reflet. On veut la saisir dans son ombre, mais on n’étreint, fugace, que sa lumière ; on veut voir cette lumière, mais on l’aperçoit comme dans un miroir, en abîme, en énigme ; on traverse ce miroir, et l’on s’égare dans ses reflets ; on désire les saisir, les réfléchir et s’y réfléchir, mais on est noyé par l’obscurité de leur origine.
Tout dans la conscience est flux et immanence, précision des détails et flou de l’ensemble, tout en elle est à la fois enfouissement et dépassement, accumulation et exaltation, étrécissement et transcendance .
Quand la conscience se croit consciente, elle se fait croyance. Elle se pense croyance, elle devient pensante. Elle s’imagine penser, mais elle doute de sa raison et de ses images. Elle pèse son doute, et accroît sa présence à elle. Elle se représente sa présence, et par là s’en sépare, s’en absente un tant soit peu ; en se représentant elle s’échappe d’elle-même, croyant aller vers elle-même. Elle est immanente à elle-même, mais trouve des voies transcendantes. Plus elle vise celles-ci, plus elle se reconnaît en celle-là, et réciproquement.
La structure de la conscience n’a cessé de déconcerter les philosophes. Ils ont voulu l’expliquer, les uns par l’infini, les autres par l’idée, ou l’idée de l’idée, et d’autres encore par le soi. Ces théories de la conscience (l’infini, l’idée, le soi) n’expliquent pourtant ni son origine ni sa fin. Elles décrivent seulement certains de ses aspects, non pas son essence. Elles la réduisent à ce que nous croyons comprendre d’elle, ce qui est peu, alors qu’elle s’augmente en silence de ce que nous en ignorons.
La notion de soi ne définit pas même l’être de la conscience, mais s’applique seulement à l’une de ses figures, l’une de ses représentations, il est vrai parmi les plus immédiates, et les plus profondes, mais aussi les plus insaisissables.
En fait, le soi ne peut être saisi. Il n’existe pas comme existe une pierre, un brin d’herbe, une cellule eucaryote, un quark ou une idée.
Le sujet conscient ne peut pas ne pas être son soi, puisque c’est le soi qui le constitue, qui le fait sujet, et qui l’habille d’un vêtement de conscience.
Le sujet conscient ne peut non plus être seulement ce soi, car s’il l’était, il disparaîtrait en soi, s’y engloutirait, il serait enfermé dans sa clôture, et tout ce qui en lui n’est pas le soi, et cela fait beaucoup, ne verrait plus dès lors la lumière, ni la nuit.
Le soi représente donc une sorte d’intermédiaire, un metaxu, à la manière de Platon.
Il est entre immanence et transcendance, entre ombre et lumière.
Il est à la fois ce qui donne une sensation d’identité au sujet, en le posant provisoirement comme unité, et ce qui la lui dérobe, en exhibant ses failles, en attisant ses fissures, en vrillant des ouvertures sur l’abîme.
Le soi est en équilibre perpétuellement instable entre cette identité labile, peu fondée, mais d’apparence cohésive, et cette pluralité innommable, grouillante, marécageuse, où ne cesse de bouillonner la vie.
Cet équilibre vain, fragile, toujours menacé, sans racines, est ce que nous appelons fort mal à propos la présence à soi.
La présence à soi est ce que la conscience réussit à s’approprier de ce continent inconnu, dont le soi n’est que le nom, mais non la substance.
Cette présence du soi à la conscience est bien plus qu’une demi-absence (de tout ce qui n’est justement pas accessible à la conscience), mais elle est quand même aussi le signe d’un véritable oubli de soi, dont la « présence » est occultée par la conscience.
Le soi, par sa couche consciente, cherche à assumer son être propre, qui n’est pas l’être total de l’homme, mais seulement ce que l’on pourrait appeler, faute de mieux, son être-pour-soi-comme-conscience, pensant y trouver des indications sur son fondement, des indices sur ses racines. Il espère ainsi accéder à quelque voie raccourcie vers une plus pleine présence à soi.
Mais le soi ne peut pas être présent en lui-même à tout ce qui n’est pas le soi, à tout ce qui n’a pas de nom. La présence à soi est peut-être une présence d’esprit, mais non présence de l’esprit. C’est une présence incomplète, imparfaite, inachevable. Par exemple, elle n’est pas présence à l’abîme, elle n’est pas présence à l’universel, au Tout, où, il faut le dire, le soi n’est plus au fond guère qu’un fétu dans le vent de l’Être.
L’être d’une conscience affranchie, libre, ne peut ignorer que le soi est aussi une frontière, un passage, un col dans la montagne. Le voyage commence seulement. Il lui reste encore bien des massifs à traverser et une succession de chaînes sommitales. Le paysage, vu du col, soudain s’élargit de façon impensable, insoutenable. On ne savait pas. On ne pouvait pas savoir. Tout se redessine. Le soi est laissé un moment de côté, car de bien plus grandes choses s’ouvrent aux yeux de la conscience surprise, confondue. Elles se tiennent toutes dans la distance, dans la brume au loin, dans le halo qui cèle.
La conscience découvre, en jetant son regard vers cet horizon immense, qu’elle existe en quelque manière dans cette projection, dans la carte inouïe du monde inconnu qu’elle se forme. Elle existe aussi dans cette distance soudaine prise par rapport au soi, et elle découvre que dans cette distance elle est aussi comme présente à soi.
L’abîme vertical qu’elle portait en elle, désormais l’aspire puis la propulse vers des hauteurs non dicibles, des perspectives horizontales, des lacs obliques, des collines douces, des marais rhizomiques.
Le soi, dans cette tension nouvelle, on le devine, se fissure, se sépare, se fragmente.
La conscience se voit comme un rien projeté en dehors d’elle, éjecté dans ce qu’elle nie, dans ce qu’elle ignore.
Mais elle ne peut plus méjuger en elle ce rien, ni cet en dehors, ni cette négation. Elle ne peut plus avoir seulement l’être qu’elle était en tant qu’elle ne voyait pas, en tant qu’elle ne désirait pas découvrir l’énormité de son ignorance.
Cette négation elle-même étant niée, ouvre d’un côté vers un néant absolu, et d’un autre côté vers un être autre, un pouvoir être autre.
D’un côté, un pouvoir d’anéantir, une conscience se saisissant comme néant, appréhendant le néant dans son être, au sein de son soi.
D’un autre côté, la conscience s’éveille à ses possibles, à sa puissance. Rien ne l’y avait préparé. Nulle part elle n’avait pu se saisir ainsi dans son essence, qui est à la fois un néant massif, mais passif au fond, et qui est aussi un univers virtuel, une promesse de germination, un peuplement futur, un ciel empli de descendances.
Auparavant, il lui fallait, d’une façon ou d’une autre, se limiter au soi, conférer à l’être-en-soi seul un statut de réalité, dont elle pressentait le vide, et le possible néant, sans pouvoir se l’assurer.
Pourtant Parménide l’avait bien montré : le néant qui surgit au cœur de la conscience n’est pas.
Mais le soi n’a pas lu Parménide. Il ne sait pas lire d’ailleurs. Il ne sait qu’être et n’être pas, en même temps.
Il est quelque chose qui n’est pas. Il n’est pas quelque chose qui est.
Le sens ici est tout dans l’emphase, portée par les italiques.
Rien de statique, notons-le bien, seulement du devenir, de l’être en devenir.
Je serai. Ehyeh. אֶהְיֶה
Ce quelque chose qui n’est pas (encore) a cependant déjà une sorte d’existence, qui engendre des croyances, des idées, des désirs. La croyance, par exemple, que le soi n’est pas une entité contiguë au non-soi, voisine de son contraire. Ou encore le désir d’être autre, ou même d’être un autre être, qui aurait sa propre présence à soi, sa propre procession vers l’être.
L’unité du soi n’est jamais acquise. Elle peut s’effondrer, se granuler, ou se démultiplier par scissiparité en plusieurs soi. Ainsi le soi peut-il être son propre double, ou son propre néant.
Pour qu’il existe un soi, il faut que son unité et son essence comporte cette part de néant (qui est la négation du même) et une part de non-néant (la naissance, la mise au jour de l’identique).
La naissance de la conscience est le type même du problème métaphysique. Je peux m’imaginer comme embryon, cet unique embryon qui jour après jour se constitue de toutes parts, de l’intérieur de la moelle, jusqu’aux alvéoles pulmonaires et aux plus fines ramifications nerveuses. Mais pourquoi cet embryon plutôt qu’un autre ? Pourquoi cette naissance continue, cette épigenèse dans l’inconscience, avant d’arriver dans un jour qui n’est pas encore la conscience, mais qui fait surgir le cri.
Ce n’est pas un problème ontologique. L’être de l’embryon est sans pourquoi, et sans comment. Il est son être sans en rien savoir, sinon cette vague continue de croissance qui le multiplie dans toutes les directions, intérieures et extérieures. La conscience apparaîtra à soi-même beaucoup plus tard. Elle fera briller une sorte de lumière ou de nuit, la présence à soi, qui annonce la négation de l’ombre, le refus du sommeil, le désir de l’éveil, l’accomplissement d’une autre naissance, d’une venue à soi. Cette nouvelle naissance survient un jour, sans prévenir, par exemple lors de la septième année. L’esprit neuf s’ek-stasie alors d’être enfin présent à lui-même, il découvre dans le soi tout ce qu’il n’est pas, ou n’est plus, et tout ce qui devant soi demande à survenir, à advenir.
Être conscient, c’est naître à l’être en devenir.
Les philosophes existentialistes disent qu’il y a deux modes d’être radicalement distincts, celui du pour-soi « qui a à être ce qu’il est », c’est-à-dire « qui est ce qu’il n’est pas et qui n’est pas ce qu’il est », et celui de l’en-soi « qui est ce qu’il est ».
Mais cette dichotomie paraît encore trop simple.
Ni l’en-soi ni le pour-soi ne peuvent être ainsi narrés, verbalisés.
L’en-soi « est », soit, mais il n’est pas non plus ce qu’il « est », parce qu’il ne sait ni ce qu’il est ni ce qu’il n’est pas. Comment être ce qu’on est si l’on ne sait pas ce que c’est que cet être, ni même ce que c’est qu’être ?
Et le pour-soi est plus encore caricaturé, quand les existentialistes disent qu’il est ce qu’il n’est pas et qu’il n’est pas ce qu’il est. La formule sonne peut-être, mais vide. Elle est d’un sophisme digne d’un Gorgias.
Le pour-soi, en effet, n’est pas ce double néant (ne pas être ce qu’on est, et être ce qu’on n’est pas). Il y a en lui une puissance, une force, une mémoire sourde et une volonté têtue d’être.
Il n’est pas comme un « trou » d’être au sein de l’Être. Il est plutôt comme assis au bord de ce trou, dont il contemple l’obscur. Le soi conscient a une réalité ontologique autre que cette béance, ce néant ouvert. D’abord, il est au bord, c’est-à-dire qu’il est sur la frontière, objet ontologique par excellence. Il peut y voir ensemble et séparées les deux faces de l’être, ce Janus, la face d’ombre et la face de lumière, l’abysse et la plage.
Et aucun sophiste ne lui fera alors la leçon. Le pour-soi sait qu’il est lui-même et non un autre, il se sait singulier et non multiplié, particulier et non général. Le pour-soi n’est pas avalé par le néant des mots, il est calme sur le bord de l’abîme, et s’il le veut il peut se lever, se retourner, et marcher dans la plaine réelle, gravir les collines des mondes, les cimes de quelques univers.
Ce faisant, il se sera certes privé d’une part de son mystère. Il n’aura pas plongé dans le vide, comme Empédocle dans la lave. Mais, la belle affaire ! Il aura eu un autre destin, fait de désirs, de marches, et d’envols.
Le pour-soi est absolument libre, en réalité. Il est la négation même du néant, le refus affirmé de l’abîme ; il est non celui qui aura toujours été, seulement été, mais celui qui pourra encore et toujours devenir. Il s’annonce exister par lui-même. Il se fait être ce qu’il a à être. Sans doute.
Si le doute conduit nécessairement hors de soi, si la conscience qui doute est une pente glissante, au moins sait-elle qu’elle peut s’accrocher aux branches, agripper les rocs, se rejeter en arrière, refuser l’appel du vide, le signe du néant.
La conscience n’a alors plus qu’une seule vue, en dehors de son sens interne, c’est de se livrer sans retour à la révélation de l’être. Révélation singulière, unique, qui lui est faite, à elle seule, à elle personnellement.
Elle se sait alors « autre » à elle-même, « autre » qu’elle ne se voit, et la curiosité de ce qu’il y a de mystère dans sa puissance à être la ravit par sa force, l’élève.
Elle a donc en elle deux êtres, son être-pour-soi, et son pouvoir-être-autre. Elle sent le prix de cette double essence, qui lui ouvre un destin de devenirs.
Alors elle doit avancer plus loin encore : elle doit voir que cet autre, cet autre qu’elle n’est pas, mais qu’elle pourrait être, ne pourra avoir un semblant d’existence que comme conscience. Conscience sourde, peut-être, mais conscience quand même, conscience du possible.
Devenir autre que son être, implique d’être conscient de soi comme puissance.
Une puissance capable d’unifier l’être, l’autre, le devenir, et l’ek-stase.
Devenir, c’est être conscient que l’ek-stase à soi promise, la sortie vers le jour, la montée dans la nuit, la rencontre avec l’autre, ne peuvent avoir lieu que si l’on a le savoir d’être déjà autre, et pas encore soi.
Ainsi, la conscience devient pour elle-même une absolue substance et une absolue transcendance : un sujet et un projet. Elle s’y révèle spécialement dense et singulièrement vaporeuse, lourde, volatile, explosive et sublimée.
Sa réalité est en même temps et tour à tour affirmation, négation, interrogation et exclamation.
Si la conscience peut se poser des questions, c’est qu’elle-même s’affirme, s’en étonne, et se sait en puissance de se nier. Elle est toujours en question et elle n’a jamais de réponse, sinon son propre étonnement, qui la mène surprise…
Son être ne lui est jamais donné, car elle doute toujours. Mais ce doute l’enivre et l’emmène plus haut. Elle s’interroge, puisqu’elle est toujours séparée d’elle-même depuis qu’elle est partie à la recherche de cet autre qu’elle se sait être. La conscience, dans son pour-soi, reste en suspens, parce qu’elle se constitue d’exclamations.
L’apparition de la conscience est l’événement absolu qui vient à l’être. Elle n’y vient pas seule. Aussitôt l’accompagnent et fourmillent les questions. Pourquoi ma conscience, cette conscience-là, surgit-elle à partir de moi, être hier encore endormi ? C’est ainsi, dès le jeune âge, que la métaphysique s’empare des âmes tendres. Il y a de moins prometteuses façons d’errer.
Pourquoi est-ce qu’il y a de l’être ? Question bateau, fameuse et sans réponse.
Il y a de l’être, peut-être, parce que l’être est en soi sa propre réponse, — aux questions qu’il ne se pose pas, comme à celles qu’il se pose.
Tous les « pourquoi », en étant posés, supposent que l’être existe. Longtemps l’être a été. Mais maintenant que l’être existe, il ne se contente plus d’être et d’avoir été. Il veut devenir ce qu’il n’est pas encore. Mais pour devenir, il faut savoir ce qu’on est et ce qu’on n’est pas. Cela demande un peu de raison, un soupçon de sagesse, une analyse des causes, une vue des nécessités, une appréhension des hasards et une intuition des fins.
L’être naît contingent, c’est entendu. Mais cette contingence originelle a pour conséquence, du moins pour la conscience qui raisonne, de se trouver elle-même parfaitement contingente par rapport à la nécessité de la raison, la rigueur de la logique, la puissance de l’inférence.
Plus que tout, la contingence est contingente par rapport à la promesse du sens, – qui est l’exact contraire, l’antagoniste absolu, de la contingence.
Cette promesse du sens exige une sorte de circoncision, si j’ose dire : la séparation de l’être et de la conscience.
La conscience projette de se fonder hors de sa nature, hors de son être donné. Il lui faut donc se séparer du prépuce du soi.
La pensée une fois circoncise conduit nécessairement hors du soi ; de même la conscience est comme une pente glissante sur laquelle elle ne peut se poser elle-même, sans se trouver jetée au-dehors de l’être-en-soi.
Une fois projetée hors d’elle, la conscience n’a plus aucune raison de rester un sujet absolu, arrêté, éternellement le même.
La conscience a désormais cette obligation précise de suivre son intuition, de cultiver sa révélation, d’exhiber son désir de fuir, son envie d’exil. La conscience a cette obligation : devenir Autre.
L’Autre, quel qu’il soit, ne peut commencer d’avoir un semblant d’existence que dans la conscience.
Être Autre, et même être autre que l’être, c’est être conscience pleine, c’est pouvoir devenir soi dans une autre unité et dans l’ek-stase.
Et que peut lui signaler cet Autre, sinon une métaphore, comme la lumière, et le reflet ?
L’Autre, pour exister comme autre, doit se refléter dans une conscience elle-même devenue lumière.
La totalité de l’être, si celle-ci existe, ne pourrait être que la totalité de la conscience et de l’inconscient, du pour-soi et de l’en-soi. Ce n’est donc pas une totalité unie, c’est une totalité essentiellement divisée.
Cette totalité fissurée contient toujours en elle quelque chose qui est autre qu’elle, quelque chose qui la nie comme totalité légitime, comme la nie comme idée totale, allant de soi…
La conscience, déjà, est autre que l’inconscient, le pour-soi est l’autre de l’en-soi.
L’inconscient est, purement et simplement. Il n’est pas, quant à lui, l’autre de la conscience, il est seulement ce qu’il est. Alors que la conscience n’est pas, elle devient, elle est devenir.
Conscience et inconscient s’ignorent. Ils sont autres l’un à l’autre, et au lieu de se reconnaître comme autres, ils s’ignorent comme autres.
C’est pour cela que le rapport de l’inconscient à la conscience, de l’en-soi au pour-soi, n’est pas l’équivalent du rapport de la conscience à l’inconscient, du pour-soi à l’en-soi. Il n’y a pas ici de symétrie, ni de miroir.
Si je suis conscient de saisir que je suis, de saisir l’être en moi, ma conscience devient tout entière seulement saisie de cet être, elle n’est plus que de cela, et non d’autre chose. Mais l’être que je saisis ne se pose pas en dehors de moi, ne se met pas à distance de moi, pour me saisir à son tour ; l’être est ce qui est saisi (par la conscience). Il n’est pas ce qui saisit (la conscience). La proie n’est pas l’ombre, ni le lion la proie.
Pour compliquer les choses, l’être ne coïncide aucunement avec ce qui est saisi, quand je tente de le saisir. Car je ne saisis que des ombres, et l’être n’est pas de l’ombre, il est essentiellement lumière. Il n’y a pas de plus grande distance que celle qui sépare l’ombre et la lumière.
J’existe ici et maintenant parce que, étant né, et étant devenu conscient, je suis désormais engagé dans la totalité du réel, par toutes mes fibres.
De cette « existence » je puis croire me former une conscience exhaustive, je puis (en théorie) épuiser le sujet que je suis, épuiser exhaustivement tout ce qu’il y a à en dire et à en penser, puisque je suis tout à la fois la conscience de mon être, et conscient d’être cette conscience, je suis à la fois la conscience de mon soi, et conscient de mon inconscience de cet en-soi.
Mais cette prétendue exhaustivité n’est évidemment qu’un mirage.
En fait, l’être est opaque à lui-même. Il est rempli de lui-même et ne peut donc prendre la distance nécessaire, le recul indispensable pour se voir être. L’être est ce qu’il est. Il n’est donc ni conscient qu’il est, ni d’être ce qu’il est. Il est, simplement il est.
Pour sa part, la conscience n’est pas l’être, mais seulement la conscience de l’être. Elle n’est pas, elle est seulement consciente qu’elle doit être, qu’elle a à être, et qu’elle a à devenir, qu’elle est un flux, une pulsion, une montée, une éruption, une ek-stase à venir.
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