Le cerveau asservissant


« Fontenelle ».

Contrairement à ce que laisse entendre son titre, le Traité de la liberté de l’âmei, attribué à Fontenelle, affirme fortement la thèse d’un déterminisme lié à la « disposition matérielle » du cerveau. De cette disposition matérielle, on peut déduire que « l’âme n’a en elle-même aucun pouvoir de se déterminer, et ce sont les dispositions du cerveau qui la déterminent au vice ou à la vertu. Donc les pensées de l’âme ne sont jamais libres. »ii

Le cerveau est rempli de « nerfs » ou d’« esprits » qui sont plus ou moins « tendus », suivant que l’on est éveillé ou endormi. La tension différentielle entre ces nerfs et ces esprits se traduit par une disposition matérielle pilotant la volonté de l’âme. Réciproquement, toute pensée de l’âme provoque de nouvelles tensions dans le cerveau.

La volonté émerge de la disposition matérielle du cerveau, et l’âme, mue par le cerveau, ne fait qu’entériner ce que le cerveau produit. Puis elle permet à son tour le passage à l’acte en excitant le cerveau de manière appropriée. « Concevez donc que comme le cerveau meut l’âme, en sorte qu’à son mouvement répond une pensée de l’âme, l’âme meut le cerveau, en sorte qu’à sa pensée répond un mouvement du cerveau. L’âme est déterminée nécessairement par son cerveau à vouloir ce qu’elle veut, et sa volonté excite nécessairement dans son cerveau un mouvement par lequel elle l’exécute. Ainsi, si je n’avais point d’âme, je ne ferais point ce que je fais, et si je n’avais point un tel cerveau, je ne le voudrais point faire. »iii

Les hommes, dans leur crédule croyance à leur liberté, ignorent que toutes leurs pensées et toutes leurs volontés naissent de dispositions purement matérielles. L’âme croit se déterminer elle-même, alors que c’est le cerveau qui détermine les inclinations de l’âme.

Dans cette optique matérialiste, le vice n’est dû qu’à un arrangement malencontreux des nerfs, qu’il est possible de corriger. « À force d’exhortations et d’exemples, on peut mettre dans le cerveau les dispositions qui le déterminent à la vertu », explique Fontenelle. Si la correction ou l’exhortation ne donnent pas les résultats voulus, dans le cas de criminels endurcis, alors il faut les anéantir, froidement, sans haine, pour une meilleure efficacité sociale : « Les criminels sont des monstres qu’il faut étouffer en les plaignant ; leur supplice en délivre la société, et épouvante ceux qui seraient portés à leur ressembler. »

Après Luther, Calvin, Hobbes, Fontenelle admet lui aussi le danger politique de la publication des théories déterministes. Il voit clairement le risque de ruiner l’ordre social, par les conséquences que le peuple pourrait tirer de ce type de système. D’où sa conclusion : la vérité n’est bonne à dire qu’en bonne société ; il faut tenir le « commun » dans l’illusion du libre arbitre et de la religion.

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i Le Traité de la liberté de l’âme parut en 1700 pour être aussitôt interdit et brûlé par ordre du Parlement. Il reparut en 1743. En 1760, la paternité de cet opuscule fut attribuée à Bernard de Fontenelle, décédé trois ans auparavant.

iiFontenelle. Traité de la liberté de l’âme. Fontenelle précise : « Je suppose avec tous les métaphysiciens, 1° que l’âme pense selon que le cerveau est disposé, et qu’à de certaines dispositions matérielles du cerveau, et à de certains mouvements qui s’y font, répondent certaines pensées de l’âme, 2° que tous les objets, même spirituels, auxquels on pense, laissent des dispositions matérielles, c’est-à-dire des traces dans le cerveau ».

iiiIbid.

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