Les jeux des « Je »


« Yogin sous la pluie » ©Philippe Quéau (Art Κέω) 2024

A propos du Paramārthasāra d’Abhinavagupta

Le Śivaïsme du Kashmir est connu sous le nom de Trikai, ou encore comme la voie de la Pratyabhijñā (la « Reconnaissance », intuitive et directe du Dieu en nous)ii. Son plus célèbre représentant, Abhinavagupta (950-1020), désignait son école de pensée par le terme de svātantryavāda, c’est-à-dire « la doctrine (vāda) de la libre volonté, ou de la spontanéité (svātantrya) ». La spontanéité de quoi ? Celle de l’Énergie divine (śakti). Cette doctrine philosophique n’était pas seulement spéculative. Elle s’appuyait au premier chef sur une expérience personnelle de l’extase – laquelle avait été rendue possible par la « descente » de l’énergie divine. Abhinavagupta y avait trouvé la révélation de l’infinie liberté de sa conscience, qui est à l’image de la liberté du Soi. Dans cette liberté, la conscience se révèle par elle-même (svaprakāsa ) à elle-même. Elle y réalise immédiatement sa nature essentielle. Elle comprend qu’elle possède une existence propre, indépendante, et qu’elle est pour elle-même l’unique critère de la réalité. Elle s’éclaire elle-même en éclairant le monde qui l’entoure. Quand elle se dit ‘je suis’, ‘je vois’, ou ‘je sais’, elle se voit ‘être’ et elle se sait ‘vivante’, ‘active’, elle prend directement conscience de soi, de sa lumière, de sa raison et de son énergie. Cette prise de conscience est la racine de sa liberté, et définit sa nature, son essence.

D’un côté, on peut considérer que l’aboutissement le plus élevé d’une conscience menant une vie spirituelle est de s’identifier à la Divinité suprêmeiii. En en prenant conscience, elle peut alors jouir ici-bas d’une vie divinisée, et disposer d’une immense énergie, potentiellement infinie. Mais d’un autre côté, la conscience peut aussi se voiler et s’obscurcir au cours de ses multiples activités. Ses pensées et ses états internes la recouvrent d’une ombre, en quelque sorte, en la saturant d’objets divers, de constantes sensations et de pressantes différenciations. En démultipliant ses opérations, elle trouble sa vraie nature, qui se dissimule à elle-même. Le Soi s’oublie et devient pour ainsi dire étranger à lui-même. Mais, par des efforts d’intériorisation, une volonté affirmée de libération, et surtout par l’effet de la « grâce » divine (selon le témoignage direct d’Abhinavagupta), le Soi peut retrouver sa source, faire resurgir sa véritable essence et la déployer pleinement, chassant les illusions et les ténèbres. La « grâce », en effet, fait partie du système du Śivaïsme du Kashmir et y joue un rôle prééminentiv. Cette grâce peut fondre subitement sur l’âme et la révéler entièrement à elle-même, dans son essence la plus intime et dans toutes ses puissances. Elle réalise alors, effectivement, contre toute attente, contre toute idée préconçue, la divinisation de l’âme.

Le titre du Traité d’Abhinavagupta, le Paramārthasāra, révèle son intention d’exposer « l’essence profondément cachée », sāra-atigudha, de la doctrine la plus éminente (parama). Ce Traité, dont nous allons donner ici quelques brefs extraits, donne un rôle crucial à la bhāvanā, c’est-à-dire la puissance spirituelle et intellectuelle, l’imagination créatrice et libératrice de l’âme. C’est la bhāvanā qui l’illumine et la fait flamboyer dans le brasier du Soi. C’est par elle que l’âme peut réellement participer à la substance divine. D’ailleurs la bhāvanā est considérée par le Śivaïsme comme étant supérieure à l’extase elle-même (le samādhi), par nature fugace, éphémère. En revanche, la bhāvanā transforme l’âme en profondeur, et en métamorphose l’essence. Elle l’immergev dans la réalité ultime, et dès lors, la conscience de soi resplendit en toute liberté, et participe à la gloire divine. Elle atteint là le « Quatrième état » (turya) qui dépasse et parachève les trois états habituels de toute vie humaine : la veille, le rêve et le sommeil profond. Elle peut même, lorsqu’elle a pris conscience de son essentielle puissance et de son intrinsèque éternité, s’identifier alors au Seigneur Lui-même, et accéder à l’état turyātīta (litt. « ce qui est au-delà du quatrième état »vi).

Dans un monde ultra-matérialiste comme le nôtre, il est difficile d’entendre ce fait radical, massif, incontournable, à savoir que l’intuition mystique saisit réellement, profondément la nature même des choses, et qu’elle pénètre l’essence éternelle de la Conscience. Certes, cette saisie est improuvable, « scientifiquement ». Pourtant, ce phénomène (s’appuyant sur la réalité de la bhāvanā) repose sur une base absolument réelle, historiquement et culturellement irréfutable, au Kashmir et, de façon analogue, dans bien d’autres cultures et civilisations. L’intuition mystique vise et peut effectivement atteindre la réalité absolue, quittant le monde étroit et limité des phénomènes et des êtres particuliers. Il importe de souligner que cette suprême révélation ne peut survenir que de façon soudaine, imprévisible, instantanée. Elle surgit de la source de la Vérité même, de la fulguration de la Lumière qui baigne toutes choses.

Cette « révélation » porte le nom de pratyabhijñā, la « Reconnaissance » [de la Divinité en nous]. Elle consiste à reconnaître le Soi comme étant en réalité identique au Divin, avec tous ses pouvoirs de connaissance et d’action, avec son énergie et sa liberté. Il brille toujours en nous comme en notre Soi, et pourtant sa véritable nature, sa transcendance et sa puissance ne sont pas reconnues. Mais que l’on prenne seulement conscience de la liberté infinie du Soi et, dès cette vie, on peut atteindre effectivement cet état médiatisé par la bhāvanā. On peut accéder à la totalité universelle et à la félicité cosmique (jagadānanda). Surtout, l’âme atteint sa « déification », qui est appelée la bhairava. C’est cette aventure de l’esprit que décrit le Paramārthasāra, dont je donne ici quelques extraitsvii :

PARAMĀRTHASĀRA

1. Toi, le suprême, Toi qui transcendes l’abîmeviii, Toi l’unique, sans commencement, qui as pénétré de multiples manières le tréfonds, Toi qui reposes en toute chose, qui Te trouves en tout ce qui est mobile et immobile, en Toi, Śambhu [Béni], je prends refuge.

5. Là, en ton intérieur, réside cet univers, cette série de mondes. d’organes et de corps variés. C’est là où Śiva lui-mème s’incarne et revêt la condition d’âme individuelleix.

7. Comme le reflet de la lune se meut dans une eau mouvante et reste tranquille dans une eau tranquille, ainsi en est-il du Soi, ce grand Seigneur, à travers l’ensemble des mondes, des organes et des corps.

9. Tout comme un visage apparaît clairement dans un miroir sans tache, ainsi Lui (le Soi) resplendit de toute sa splendeur dans la pensée que purifie la chute de l’Énergie de Śivax.

10-11. Resplendissant, parfait, baigné d’une grande félicité puisqu’il repose en son propre Soi, abondamment pourvu de Conscience, de volonté, de moyens d’action, d’énergies illimitées, affranchi de toute division mentale, pur, paisible, exempt d’apparition et de disparition, c’est en Lui qu’apparaît ce monde diversxi.

33. En se concentrant sur la Révélation de la majesté propre à la Connaissance du Soi, Il dévoile le Soi inné. Ainsi le suprême Śiva déploie son jeu prodigieux de servitude et de délivrancexii.

34. C’est en Lui, le Quatrième état, qu’apparaissent création, conservation, destruction, veille, rêve, sommeil profond. Pourtant, Il ne se révèle plus lorsqu’Il est cachéxiii.

35. La veille c’est visva, le ‘tout’, illimité en raison de (sa) diversité. Le rêve, c’est tejas, la ‘splendeur’, due à la majesté de la lumière. Le sommeil profond est prājña, la ‘sapience’, parce qu’il est Connaissance massive. Et, les transcendant tous, il y a le Quatrièmexiv.

37. Quand l’espace que contient un vase est rempli de poussière, le contenu des autres vases n’en est pas souillè. Il en va de mème pour ces âmes individuelles soumises aux différenciations du plaisir et de la souffrance.

41. Cette trinité – terre, nature, illusion – qui accède à l’objectivité, se réduit, grâce à l’efficace de la réalisation mystique, à l’être purxv.

43. Cela [l’existant : sat] est le brahman, suprême, pur, paisible, indifférencié, éternellement identique à lui-mème, intégral, immortel, réel [satyam], qui se résorbe dans l’énergie dont l’essence est lumière.

45. Le Dieu des dieux, se servant de l’intelligence et de la réalité de l’Énergie, projette la totalité cosmique dans le Seigneur suprême appelé Śiva, qui est la Vérité absolue.

47. Et ainsi le Dieu qui par son jeu met en mouvement cette machine cosmique, cette roue de l’Énergie, est le Je, l’essence immaculée, celui qui conduit la grande roue de l’Énergie.

48. C’est en moi que l’univers se révèle, tout comme les vases et les autres objets dans un miroir sans tache. De moi le Tout émane comme du sommeil le rêve multiforme.

51. Quand les concepts de la dualité se sont évanouis et qu’on a surmonté l’illusion qui égare, on plonge dans le brahman comme le lait est plongé dans le lait et l’eau dans l’eau.

52. Grâce à la réalisation mystique on arrive à l’état d’identité avec Śiva, au sein du Tout. Quel malheur, quelle aberration peut-il y avoir pour celui qui perçoit tout comme le brahman.

58. Celui qui connaît le Soi ne craint plus rien de nulle part, car toute chose s’avère, en vérité, comme sa propre essence; et il ne désespère plus, puisque dans la Réalité ultime il n’y a pas de destruction.

60. Il n’y a pour la délivrance aucun lieu déterminé, et elle ne se meut pas non plus vers quelque ailleurs. La délivrance révèle au Soi ses énergies lorsque les noeuds de l’ignorance sont dénoués.

68. Ainsi réveillé par la stimulation de la réalité mystique, on sacrifie toutes les divisions mentales dans la flamme lumineuse du Soi et on devient identique à la lumière.

69. Se nourrissant de ce qu’il trouve, vêtu de n’importe quoi, paisible, demeurant n’importe où, il est délivré, lui, le Soi de tous les êtres.

71. Rejetant loin de lui infatuation, excitation, furie, passion, abattement, peur, cupidité et aberration, il circule sans louange ni exclamation rituelle, comme un insensé sans parole ni penséexvi.

73. Il n’existe plus rien qui soit distinct de lui et à qui il offrirait louange ou oblation. Se réjouira-t-il dans la louange, celui qui est délivré et se trouve au-delà de l’hommage et de l’exclamation rituellexvii ?

74. Son temple c’est son propre corps.

75. C’est là qu’il demeure, faisant l’offrande des biens immaculés de la pleine conscience de soi à la divinité bénéfique, le grand Bhairavaxviii, le Soi suprême qu’accompagnent ses propres énergies.

77. La méditation n’a pas de relâche, car le Seigneur crée des formes merveilleusement variées. La réalité fondamentale que dessine l’imagination, telle est précisément la méditationxix.

79-80. Son devoir religieux, qui est très malaisé mais aussi très facile, consiste à tout percevoir dans l’unité et à se représenter la Conscience comme reposant dans le cimetière de l’univers, portant l’emblème du squelette corporel. Il boit dans le crâne d’un mort, dans un fragment d’os qu’il tient à la main, et qui est plein de l’essence de l’univers.

83. Qu’il abandonne son corps (en mourant) dans un lieu saint ou impur, il a déjà été délivré au moment où il a acquis la Connaissance, même s’il a perdu la mémoire, et alors il accède à l’absolu, surmontant toute difficultéxx.

93. À l’instant de la Connaissance, son propre Soi se révèle à lui une fois pour toutes et tel il devient alors. À la mort du corps il ne changera plus.

94-95. Paralysie d’un groupe d’organes, perte de la mémoire, toux convulsive, halètement, rupture aux points vitaux, douleurs variées ; comment ces épreuves qui proviennent des dispositions corporelles ne se produiraient-elles pas tant que dure l’union au corps ? Mais bien qu’il demeure uni à lui, celui qui jouit de la Connaissance ne se départit pas au moment de la mort de la Réalité transcendante du Soixxi.

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iLe Śivaïsme Trika est un idéalisme moniste dont l’ontologie est « trinitaire » (trika). La réalité se présente sous trois aspects : l’unité (abheda), l’unité dans la différenciation (bhedābheda) et la différenciation (bheda).

iiSomānanda écrivit au 9e siècle le traité Śivadṛṣṭi sur la « Reconnaissance » intuitive et directe de Śiva en nous (Pratyabhijñā). La Réalité ultime est acte pur et liberté infinie. Elle peut être réalisée et « reconnue », même au cours de simples activités journalières. Un élève de Somānanda, Utpaladeva, qui vivait dans la première moitié du 10e siècle, fut l’auteur de l’ Īśvarapratyabhijñākārikā, un traité sur la « reconnaissance du Seigneur ».

iiiLe suprême Śiva, « Paramaśiva ».

ivL’équivalent de « grâce » en sanskrit est śaktipāta, littéralement la « chute de l’énergie divine », la grâce de Śiva. Śakti est la parèdre de Śiva.

vEn sanskrit, le mot samāveśa (pénétration, envahissement, coexistence) dénote la compénétration de l’âme et du Dieu.

viTuryātīta, तुर्यातीत , se réfère à l’état appelé « au-delà du quatrième », selon l’ Īśvarapratyabhijñākārikā III.2.12 : « Lorsque les couches du « moi » objectif, depuis le Vide jusqu’aux tissus profonds du corps, sont transmutées au moyen de l’’élixir alchimique’, c’est-à-dire par le « moi » [fondamental], qui est certainement associé aux qualités de puissance, d’éternité, de souveraineté, de cette nature, qui sont connues [comme des aspects de ce « moi »], alors dans cet état [appelé] ‘Au-delà du Quatrième’ (turyātīta-daśā), ils abandonnent (pour ainsi dire) leur objectivité ».

viiLe Paramārthasāra d’Abhinavagupta. Traduction de Lilian Silburn (légèrement modifiée et adaptée par moi). Édition du Collège de France. Institut de Civilisation Indienne, Paris, 1979

viiiGahana, la profondeur inaccessible, n’est autre que la mayà, l’universelle illusion. Ce mot signifie : « profond ; impénétrable ; inexplicable — n. cachette, endroit inaccessible ». La racine est GUH, couvrir | cacher, dissimuler. Cf. aussi guhā, « cachette, caverne ».

ixCommentaire de Lilian Silburn : « L’âme individuelle finie et limitée n’est autre que Śiva, libre et indifférencié en son essence, qui a voilé sa véritable nature, cette masse indivise de conscience et de béatitude. Comme un acteur, il entre spontanément en scène et assume les rôles de sujets conscients revêtus d’un corps afin d’éprouver les joies et les souffrances qu’il se crée pour objets. Ainsi, c’est Lui qui se révèle comme le sujet percevant dans le Soi de tous les êtres conscients. »

Commentaire du commentaire: Le fait que l’âme soit Śiva ou que Śiva assume le rôle du sujet, qu’il revête les corps et éprouve joies et souffrances n’est encore qu’un premier niveau d’interprétation. Il faut encore comprendre le pourquoi de cette « Roue des énergies », cette danse des « Je ». Il faut encore comprendre pourquoi le « je » des humains entre en synchronicité avec le « Je » divin, et à quelles fins. Il faut encore comprendre le pourquoi de la Création et la raison ultime de sa « fin » (qui est en fait sans fin, infinie). On trouvera dans ce Blog plusieurs pistes d’exploration possibles. Mais la recherche est en cours, inépuisable…

x« Ce n’est ni par le Veda, ni par l’ascèse (tapas), ni par le don, ni par le sacrifice » [qu’on obtient de voir le Dieu]. Bhagavad gita  XI. 53

xiCommentaire de Lilian Silburn : « Ceci est contraire à la doctrine des brahmavâdin qui sont partisans d’un absolu inactif, le brahman qui est dénué de toute énergie. Le principe ultime est pénétré d’énergies illimitées qui sont les noms et les formes des objets procédant des énergies du Verbe (vāk). Mais si la conscience de la parfaite intériorité qui appartient au suprême sujet conscient est le Verbe, elle demeure pourtant libre de toute bipartition ou polarisation conceptuelle (vikalpa), qui différencierait les objets les uns des autres. »

xiiCommentaire de Lilian Silburn : « La majesté ou souveraineté est la richesse de la liberté, l’extase de la plus haute ipséité dans la Conscience absolue. L’àme est illuminée et se dit ‘tout cet univers est ma propre gloire’. Ayant compris grâce à une pratique constante que l’univers repose en lui-même, le Soi se dénude des considérations erronées, comme le corps, le souffle, le corps subtil et le vide, auxquelles il s’identifiait illusoirement. Puis, lorsque fulgure l’intuition de sa nature authentique qui lui fait dire : ‘je suis pure conscience et liberté radicale’, le Seigneur le délivre des fausses considérations qui le rendaient esclave. Comment le Seigneur suprême se lie-t-il et se délivre-t-il? Śiva, masse indivise de félicité et de spiritualité absolues exerce son jeu, c’est-à-dire cache sa propre essence en se fragmentant en sujets conscients et en assignant à cette essence indivise l’asservissement du sujet percevant et de l’objet perçu. C’est Lui également qui se libère spontanément de cet asservissement corporel et autres lorsqu’il a recouvré la Connaissance de soi-même. Pourtant, bien qu’errant de conditions en conditions dans la transmigration, le Soi n’aliène pas, ce faisant, sa propre essence, parce qu’il se répand en tous lieux comme Sujet percevant. »

xiiiCommentaire de Lilian Silburn : « Les états variés de création et autres reposent dans le Seigneur, qui est pure félicité ou dans le Quatrième état, l’ipséité absolue, et ils y brillent. Le Quatrième se trouve tissé aux autres conditions de veille, de rêve et de sommeil profond. Selon les Śivasùtra III. 20 : ‘le Quatrième doit être versé comme de l’huile sur les (trois) autres.’ Mais ces états recouvrent le Soi, ils en cachent l’essence et l’empêchent de se manifester. Ils n’obnubilent pourtant pas sa nature absolue, qui partout se révèle comme transcendante (samuttīra) sous l’aspect du Sujet universel de perception. L’état de Śiva, le Quatrième, est éternellement parfait, quelles que soient les conditions recouvrantes. »

xivL’idée originale de ces quatre états se trouve dans la Māṇḍūkya Upaniad 9-12 :

« La Veille (l’universel, vaisvânara) est le son A . Il obtient tous les désirs, il devient le premier, celui qui sait ainsi.

Le rêve (le lumineux taijasa) est le son U [… ] Il est élévation et ambivalence (similarité de la veille et du rêve).

Le sommeil profond, le connaissant, prājña , est le son M.

Le Quatrième est sans mesure (amâtrâ). Il est ce en quoi le monde se résorbe. Il est bienveillant, non duel. Ce Soi est le son O. Il entre par le Soi dans le Soi (« il entre par son propre soi âtmanâ svena dans son propre Soi suprême svam pâramârthikam âtmânam » MaUB 12).

xvCommentaire de Lilian Silburn : « L’ètre pur est la seule chose qui demeure quand se sont évanouies toutes les formes définies de l’existence, celles qui sont à l’échelle des sens (terre), les formes subtiles (nature) et les formes supérieures (illusion). C’est par la réalisation de la non-dualité qu’on prend conscience que tous les êtres se réduisent à un seul être, l’universel Siva. […] L’univers est donc essentiellement connaissance. En Vérité aucun mode du devenir quel qu’il soit ne peut être appréhendé s’il ne fait l’objet d’une connaissance. C’est ainsi qu’est démontré que la connaissance forme l’essence (des choses). »

xviCommentaire de Lilian Silburn : « Ayant pénétré dans sa conscience, libre de polarisation (vikalpa), il erre à la manière d’un homme ivre ou d’un insensé parce qu’il baigne dans la plénitude et est libéré des doutes, soucis et controversces. Il se dit : « Je suis le brahman ». »

xviiJe suis personnellement (Ph.Q.) d’opinion qu’il peut continuer de se réjouir et de louer, par exemple, Yah (« Allélou Yah »). Celui qui sait vénère le Soi, et il peut aussi louer Yah – la divinité au libre jeu – dans son propre corps, le temple du divin Soi qui sert de fondement à la Conscience.

xviii« Bhairava s’analyse étymologiquement comme bharaa-ravaa : ‘celui qui protège, qui supporte (bh-) par sa réflexion (vimarśa), sa prise de conscience, rava, (concentration)’. Si on se concentre sur lui il vous protège et s’il vous protège on se concentre sur lui. C’est en ce sens qu’il y a écho. » Note de L. Silburn op.cit.

xixCommentaire de Lilian Silburn : « Le yogin contemple sans arrêt les formes variées de l’expérience que crée le Seigneur par son autonomie. Ces formes sont les concepts ou modalités du sens interne que le Seigneur dessine dans le miroir de l’intellect (du yogin); ou qu’il fait apparaître sur la paroi de sa conscience. Le yogin comprend alors que toute l’activité de sa pensée (manas) émane de l’Énergie suprême et que le monde entier qu’elle dessine sur la paroi de la conscience est réel (satya) et inséparable de la Lumière consciente qui le révèle (prakāsa), étant donné que la conscience est également répandue en quelque lieu où il se concentre. »

xxBhagavad Gita VIII. 5 « Si à l’heure dernière on pense à Moi quand on dépouille le corps et qu’on trépasse, on passe à mon être, cela n’est pas douteux » (dit le Seigneur). Cette délivrance, qui est au-delà du Quatrième état, est nommée turyatīta, masse indivise de conscience et de félicité, date précisément de l’instant où il a pris conscience de son identité au Soi universel.

xxiCommentaire de Lilian Silburn : « Quelles que soient les conditions physiologiques qui accompagnent la mort du jnānin elles ne touchent pas à l’intuition qu’il a du Soi. Sa Connaissance ne périt pas, bien qu’il souffre de stupeur, laquelle obscurcit momentanément à son heure dernière sa connaissance salvatrice. » Cf. aussi la Bhagavad Gita (XIV. 14) : « si le sattva est en pleine force quand le corporel vient à se dissoudre, alors il gagne les mondes immaculés du plus haut savoir. »

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