Maladie du Divin


La Parole (divine) est comparable à un virus.

Elle apparaît inopinément, se répand, se propage, s’insémine, enfièvre. Parfois elle affaiblit et tue, ou bien, elle guérit et renforce, c’est selon. Elle est chargée d’un patrimoine originaire, de gènes spécifiques, « messagers », qui ne cessent de se déployer, de s’exprimer, dans des conditions toujours nouvelles, comme un génome « s’exprime » différemment dans l’épigenèse. On n’a jamais fini d’en décoder les bases, après des millénaires de scrutation et d’interprétation, car toute interprétation n’est qu’une expression transitoire, s’ouvrant sans fin sur d’autres possibles, ne se refermant jamais.

Toute métaphore porte en elle une sorte de logique propre, qui a ses lois.

Si la Parole divine se compare à un virus, alors on peut en inférer analogiquement (ce qui est une autre logique) que Dieu est malade. Il est « infecté ». Et Il a, de façon répétée, refilé son virus à l’humanité, par le biais de plusieurs porteurs (saints ou non), « au commencement », et à de nombreuses reprises depuis lors, et peut-être pour longtemps encore.

De nombreux foyers d’infection sont apparus, ici et là, à travers les millénaires. La propagation virale s’est accélérée, un temps, dans une certaine indifférence de la majorité des hommes. Parfois elle a semblé stagner, et même reculer.

Puis la pandémie a donné des signes de reprise.

On ne sait pas ce qu’il en adviendra, dans l’avenir. Ce qui est sûr, c’est que désormais le virus fait partie du paysage. Il sera, même prétendument éradiqué, toujours présent à l’état endémique, latent, prêt à resurgir. Ou bien il reparaîtra sous d’autres formes, après avoir muté. Et d’ailleurs, chez tous ceux qu’il aura infectés, sans les tuer, il laissera une trace génétique durable.

Des crises éruptives, radicales, quoique longtemps localisées, ont alerté les « autorités », qui ont tenté des mesures, dans la précipitation. Le bâillon. Le confinement.

Mais de réflexion philosophique, point. Ou fort peu.

L’absence de mise en perspective, à l’échelle des temps longs, et aux dimensions de l’humanité entière, se fait cruellement sentir.

Le vrai remède serait de trouver le vaccin vainqueur. « L’an prochain », dit-on

Même si vient un vaccin, il faut savoir que le virus mutera. Et s’il ne mute pas, il faut présumer que d’autres virus sortiront des « réserves » inconnues que contient la Terre, et qui tous les jours sont bouleversées, disloquées, mises à sac, par le génie destructeur de l’Homme.

Car la Parole est vivante d’une vie propre, – tout comme un virus est aussi vivant d’une vie propre, qui n’est pas une vie animale, ou végétale, mais qui n’est pas non plus une non-vie, ou une inertie minérale. La Parole, comme le virus « vit » d’une vie dont nous n’avons pas une idée claire, parce que cette vie se nourrit de la vie et de la mort de ses hôtes, et qu’elle est donc une vie « intermédiaire » entre la vie et la mort, entre l’ani et le non-animé.

La Parole participerait donc de l’animé et du non-animé, comme le virus ?

La Parole n’est pas souffle seulement, elle est voix, gorge, trachée, poumon, cœur. Mais alors aussi elle est cellules, protéines, gènes, plasmides, acides aminés…

Tout l’être vivant, l’être entièrement, vit de la Parole, et toute la Parole, la Parole entière, ne vit pas sans la vie de l’être vivant.

Et sans cette vie, elle reste lettre morte.

La pandémie de la Parole n’est pas près de s’éteindre, malgré les nombreuses mesures de confinement prises par des hommes, siècles après siècles.

Le confinement de la Parole est toujours dépassé par les débordements de sa puissance virale, qui remettent en cause jour après jour les visions du monde les mieux établies, les plus conformistes, les plus arrêtées.

Quelle métaphore scandaleuse ! Un Dieu « malade », « infecté » et « infectieux », initiant une « pandémie » par le moyen d’une Parole « virale » !

Je prie les bien-pensants, les gens qui se pensent êtres de « foi » ou de « raison », de ne pas pousser de hauts cris devant cette image, de ne pas brandir d’emblée la pierre, ou le coutelas, pour punir ce putatif blasphème, lapider la réfexion en gésine, égorger une voix, seule, dans le désert.

La métaphore, comme son nom l’indique, est un ‘déplacement’.

Il s’agit d’approcher, obliquement, du mystère.

Si Dieu est malade c’est qu’Il souffre, et réciproquement. Sa souffrance est Sa maladie. Je dois cette idée dérangeante à Jung.

« Dieu est une souffrance qu’il importe à l’homme de guérir. C’est à cette fin que Dieu pénètre en l’homme. Pourquoi ferait-il cela, s’il possédait déjà tout ? Kether et Malkhuth sont séparés. C’est là la raison de la souffrance divine. »i

Le mot latin religio vient du verbe religere, « considérer, oberver avec soin ».

Je demande aux esprits intéressés par la ‘question religieuse’ de considérer avec soin cette hypothèse provocante: celle d’un Dieu malade, souffrant, et qui, faute de soins, postillonne depuis des millénaires son virus sous forme de Paroles révélées.

La Parole divine, un virus ? Scandale !

Oui, scandale, skandalon, pierre d’achoppement…

L’idée d’un Dieu souffrant est une idée qui scandalise les bien pensants, tout comme d’ailleurs les scandalise l’idée d’un Dieu « inconscient ».

J’entends le mot ‘inconscient’ comme dénotant un mystère, vêtu d’abîme...

« La sphère de l’inconscient est la sphère d’une psyché inconnue dont nous n’avons encore rien dit en la nommant inconscient. Nous ne disons pas qu’elle est en elle-même conscience ou inconscience, elle est seulement inconsciente pour nous. Ce qu’elle est en elle-même nous ne le savons pas, et ne prétendons pas le savoir.  (…) Si vous l’appelez la conscience universelle, alors c’est la conscience universelle de Dieu. »ii

Nous ne savons rien de notre propre inconscient. Nous ne savons pas s’il est illimité, c’est-à-dire infini, s’il est connecté à l’ensemble du cosmos, relié à tout ce qui est matière. Nous ne savons pas dans quelle mesure il est accessible à notre conscience (puisqu’il est l’inconscient), ou tout au moins à notre expérience (directe ou indirecte). Nous ne savons pas s’il est absolument inconnaissable, ou partiellement connaissable. Nous ne savons à son sujet que très peu de choses, voire rien du tout.

C.G. Jung osa une thèse hardie: « L’esprit ne vit que s’il est une aventure éternellement renouvelée. »iii

Cette idée est même potentiellement révolutionnaire si on la conçoit comme s’appliquant à la Divinité elle-même.

Si l’Esprit divin doit éternellement se renouveler, c’est qu’Il ne se connaît pas Lui-même entièrement. C’est qu’Il ne peut se connaître qu’en se déployant selon toutes les modalité qui paraissent convenir à sa nature ineffable, et à sa puissance infinie.

L’une de ces modalités semble être l’existence même du Cosmos, qui fut créé « au commencement », ou bien « par le Principe » (bé-réchit).

Le Cosmos incarne la modalité de l’immanence, laquelle est une forme d’inconscience, ou de conscience ténue, silencieuse, logée au cœur de la matière.

Une autre modalité paraît être le déploiement de l’Homme, dans lequel se multiplient diverses formes de Soi, l’inconscient personnel (Freud) et l’inconscient collectif (Jung).

J’aimerais ajouter à cette liste l’idée d’inconscient viral.

Par le biais des plasmides viraux, et en un temps infiniment court au regard des temps longs de l’évolution de la biosphère, la quasi-totalité de l’humanité va désormais partager des fragments génétiques absolument inédits. Nous les aurons hérités de la chauve souris Rhinolophus, de la civette Paguma larvata (qui, comme son nom l’indique, s’avance ‘masquée’), et du pangolin malais (Malis javanica).

Ironie d’une tour de Babel génétique mêlant confusément gènes animaux et humains.

Surtout, indication de l’unité profonde de la vie sur la Terre.

Et cela nous fait revenir à la Parole initiale.

Nous n’avons certes pas encore commencé de comprendre de quoi souffrait la Divinité. Mais en notre chair et en notre esprit, nous souffrons de notre in-compréhension, vraie maladie de l’âme.

Oui, le virus est là pour longtemps, — enkysté dans la vie, pour toujours. Et mutant toujours. Défi éternel, à la raison et à la foi.

Comme la Parole, il attend une réponse. Quelle réponse? Dieu est malade. Il nous incombe de Le placer en réanimation. L’Humanité aussi est malade. Il lui faut entrer sans tarder en réanimation. La Terre est malade, elle demande, à l’évidence, à être réanimée. De loin, le Cosmos regarde, et attend…

 

 

iC.G. Jung. Le Divin dans l’homme. Albin Michel, Paris, 1999, p.37

iiC.G. Jung. Le Divin dans l’homme. Albin Michel, Paris, 1999, p.89

iiiC.G. Jung. Le Divin dans l’homme. Albin Michel, Paris, 1999, p.53

Leaving aside Joy and Sorrow


All religions, all beliefs, play their part in this world.

They are all quite different in a sense, But they all play a role in the current global, political and moral crisis.

Whether Vedic, Egyptian, Zend, Chaldean, Jewish, Buddhist, Hinduist, Christian, Islamic, all religions have something essential in common: they all have some kind of responsibility for the misfortune of the world.

Whether they say they are « outside » the world, or « inside » the world, they are responsible for what they say or let say, for what they do or let do on their behalf.

They are part of the world, taking on the most eminent place, that of judge, master and sage.

How could they not be linked to the actions and speeches of their followers?

How can we not judge them as much on what they say as on what they don’t say?

How can we not bring their great witnesses to the public arena and ask their opinion on the state of the world, as we would on election night or on a day of disaster?

We don’t really know where the chain of prophets began or when it will end.

Is the seal of the word sealed for eternity? Who will tell?

Will the Messiah return? Who will see that day?

Will eschatology come to an end? Who will hear the final Word?

If ten thousand years is not enough to lower the pride of the presumptuous, let us give ourselves a hundred centuries or a million millennia, just to see what will remain of the dust of words once tables, once stones, once laws.

Lists of names can be listed, to stimulate memories. How far back do we go?

Agni, Osiris, Melchizedek, Zoroaster, Moses, Hermes, Buddha, Pythagoras, Isaiah, Jesus, Muhammad…

In a few million years, we will see that they all shared their differences, their aspirations, their visions, their breaths, their ends.

What does the « religion » of these prophets have to do with « entities » now called Palestine, Israel, Saudi Arabia, Kuwait, the United States, Afghanistan, Iraq, Iran, Syria, Egypt, India, Greece, China, France, Germany?

Will History teach us some day the essence of the difference between the « religion » of the Khârijites, the Zaydites, the Imâmites, the Ismaili Shi’ites and the Sunni ‘majority’ of Islam?

What was really the origin of the « religion » of the Nizarrians, and that of Hassan ibn al-Sabbah’s Assassiyoun?

What is the « religion » of the Taliban?

These questions are pointless, useless, apparently. There are better things to do, as it seems, such as fighting, killing people, bombing cities, beheading bodies, murdering children.

The religions of the past illuminate the wanderings of the present and those of the future with a special light, a premonitory aura.

Their slow epigenesis must be observed.

Their (implicit, slow) convergence must not be excluded, in the long run, beyond their differences.

Memory is necessary for understanding the present, as time takes its time.

But who still has time to remember?

Religions highlight, with words, curses and targeted blessings, much of the world’s misfortune.

They reveal the fragility, weakness, instability, irreducible fracture of Man.

They encourage us to take a long and global perspective, to observe the events of the day, to understand them, to anticipate their consequences, and to overcome pain, anxiety, fatigue and the desire for revenge, the drive for hatred.

For more than fifty-five centuries, several religions have been born and deployed in a limited geographical area, it is worth noting.

This privileged area, this node of beliefs and passions, extends from the Nile Valley to the Ganges basin, via the Tigris and Euphrates, the Oxus, and the Indus.

Geography changes more slowly than the hearts of mortals….

Between the Indus and the Oxus, which country best reflects today the past millennia, the erased glories?

Pakistan? Afghanistan?

How can we forget that Iran and Iraq (like Ireland) take their names from the ancient Aryas, attesting to the ancient Indo-European ties of Persia, Elam and Europe?

The Aryas, long before they even received their « Aryan » name, founded two major religions, the Veda in India, and the Zend Avesta in Iran.

Colossal forces! Immaculate memories!

Antoine Fabre d’Olivet reports that Diagoras de Melos (5th century BC), nicknamed « the atheist », a mocking and irreverent character, discredited the Mysteries by disclosing and ‘explaining’ them. He even went so far as to imitate them in public. He recited the Orphic Logos, he shamelessly revealed the Mysteries of Eleusis and those of the Cabires.

Who will dare to unveil today, like Diagoras, the actual mysteries of the world to the amazed crowds?

« Religion » is a prism, a magnifying glass, a telescope and a microscope at the same time.

« Religion » is above all an anthropological phenomenon.

Dogma bring nothing to this debate, or rather ignite it without benefit to the heart or the mind.

A global anthropology of « religion » could possibly reveal some constants of the human mind.

These constants do exist. Thus, the latent, impalpable or fleeting feeling of « mystery ».

This « mystery » is not defined. It escapes any categorization. But implicitly, indirectly, by multiplying approaches, by varying angles, by accumulating references, by evoking the memory of peoples, their sacredness, perhaps we sometimes manage to see the shadow of its trace, its attenuated effluvium.

There is also the idea of a unique, principal, creative divinity. It is found in various forms, in ancient times, long before Abraham’s time, before the Zend, even before the Veda.

Constant again is the question of origin and death, the question of knowledge of what we cannot know.

What breath then goes through the pages of the Book of the Dead, the manuscripts of Nag Hammadi, the hymns of Ṛg Véda or the Gāthās of Zend Avesta? What breath, even today, runs through the world, in a time so different from the origins?

This breath, it is still possible to perceive it, to breathe its smell.

A world of ideas and beliefs, distant, astonishing, serves as a foundation for today’s world, filled with violence and lies, populated by « saints » and murderers, wise men and prophets, fools and crooks, death cries and « divine winds » (kami-kaze).

Who, today, thinks the world’s destiny?

When reading the Upaniṣad, let us also think of the « masters of the world », the « gnomes » enslaved to the banks, the political « dwarves » governing the peoples, perched on the shoulders of centuries?

« Those who are agitated in ignorance consider themselves wise. They run wildly around like blind people, led by a blind man. »i

It is a fact that we often observe, at the highest level, hypocrisy, lies, baseness, cowardice, and much more rarely wisdom, courage, truth.

But it is also a fact that anything can happen, always., at any time.

Anything is possible, on principle. The worst. The best. The mediocre. The unspeakable. The unheard of.

The world is saturated with ideas from all ages. Sometimes, from nowhere, new forms are born, shimmering above the rubble and catacombs, relics and hypogoria, crypts and hidden treasures.

Who will see these incredible visions, yet to appear?

Those who will be able to « meditate on what is difficult to perceive, penetrate the secret that is deposited in the hidden place, that resides in the ancient abyss ».

Those who « leave aside the joy and sorrow. »ii

i KU. 2.5

iiKU. 2.12

The End of Judaism


« I am the end of Judaism »i.

Jacques Derrida wrote this sentence in his 1981 Notebooks.

The context? Starting from a question asked by Saint Augustine: « Quid ergo amo, cum Deum meum amo? », Derrida adapted it in his own way: « What do I love, who do I love, whom do I love above all? I am the end of Judaism. »ii

« What God do I love? « asks Derrida, fifteen centuries after Augustine.

Answer: He loves a « unique » God, – unique as birth, unique as death, unique as circumcision (because it only happens once).

What does Derrida like most of all? Answer: Judaism.

Who does he love above all? His mother, who is dying, and who no longer recognizes him.

His mother represents « the end of a Judaism, » adds Derrida (« la fin d’un judaïsme »).

As for him, he says he is « the end of Judaism » (« la fin du judaïsme »), of that Judaism that his mother embodied, to which his mother gave her face, and which he will not transmit.

The maternal face has now disappeared, although indelible.

« It’s over. »

His own face, disfigured by a viral facial paralysis, affects him, and opens up an unpredictable future for him.

Derrida claims that he is the end of this Judaism, that of his mother. But why does he generalize by saying: « I am the end of Judaism« ?

What allows him to make this assertion, this prophecy? His name Elijah?

After the end of this Judaism, Jacques Derrida wanted to found another one. He says that he will start a new Judaism, a « Judaism out of religion, inherited from his people but detached from them »iii.

He wants to found another religion, and even, through his philosophy, « to rebuild all religions »iv.

Colossal project, amazing idea. Questions quickly come to mind. Is there any analogy between Derrida’s new religion and Christianity?

Hadn’t Christianity already been a kind of first ‘exit’ from Judaism, and perhaps was it not even a project to « re-found » religion?

No and no. Derrida is categorical: « Christianity has abandoned the letter and circumcision ».

Is it worth starting a dispute? In Christian services, the letter is read. The Bible is a reference. The letter is there, literally. As for circumcision, it has not really been abandoned, either. Of course, it is not the foreskin (« orla », עָרְלָה), but rather the heart, eyes and ears that are recommended to be circumcised.

Derrida says he is faithful to the letter and circumcision. But since he wants to found another religion, which would be an « other Judaism » after the « end of Judaism », how will he go about innovating?

Let’s consult his program.

He says we must « re-found religions by playing with them, reinvent circumcision, re-circumcise what is uncircumcising, thwart the re-appropriation of languages by a God-Unity »v.

These formulas call for some comments.

« Re-founding religions by playing with them ».

The metaphor of « play » is curious, even surprising, in this charged context. « Playing » with religion is a dangerous game. Nowadays, a mortal one.

Moreover, where there is only one game, how can we judge what is at stake? What can be based on a game? When a foundation stone « plays », the temple trembles, religion falters.

« Reinventing circumcision. »

In what way is this idea new compared to what the Judeo-Christian Paul already said about circumcision, not of the foreskin, but of the heart?

What more can we invent to circumcise after the sex, the soul, the heart, the eyes, the ears? The fruits of the trees? Atoms? The stars? DNA? Eschatology? Or Judaism itself?

« Re-circumcise what is being uncircumcised. »

Derrida says that circumcision is a unique act, a founding event. How would flesh foreskins « uncircumcise »? Or would « uncircumcision » be only a metaphor, applying not to the flesh but to the spirit? But then isn’t this just Paul of Tarsus’ proposal?

« To defeat the re-appropriation of languages by a One God ».

Again a metaphor of a game. It is no longer a question of playing, however, but of « thwarting God ». Babel’s confusion had indicated a lead. The God « One » had then shown himself hostile to the idea of a « one » language among men.

Why would God – who once allowed the confusion of languages – have « re-appropriated » languages and unified them in the process?

What does Derrida want to thwart in God? Words, language? He plays them, he plays with them, he thwarts them. He is a poet of the word who opens, and who provokes.

« I am the last of the Jews. »vi

Here is Pierre Delain’s comment on the Derridex website: « This sentence, « I am the last of the Jews », Jacques Derrida signs it, and at the same time he mocks it (UTD p101). It must be put in quotation marks. It is the ironic sentence of the one who listens to himself speak, a stereotype, an outrageous statement. By quoting and reciting it, he staged the mockery, he laughed and cried too. From a certain angle where writing is put in abyss, it can be taken seriously. »

The philosopher Derrida wants to have the last word. This is his last card in the big game. The last one was a stunt. « Religious is a fighting sport (especially not for journalists!) ».vii

He is the last thinker, the thinker of eschatology.viii

« The most advanced is the one that keeps the future open. « Always open, even at the last minute…

« I am the last » means, really: « I am the one who opens, again, always. »

ihttp://www.idixa.net/Pixa/pagixa-0506201121.html

iihttp://www.idixa.net/Pixa/pagixa-0506201121.html

iiihttp://www.idixa.net/Pixa/pagixa-0505131252.html

iv Cf. Circonfession, p.206

vhttp://ww.idixa.net/Pixa/pagixa-0710201132.html

vihttp://www.idixa.net/Pixa/pagixa-0506190802.html « Cette formulation de Jacques Derrida, « Je suis le dernier des Juifs » [avec une majuscule], est reprise des carnets de 1976, non publiés mais cités dans Circonfession (1990). En septembre 1991, elle est rappelée dans une interview donnée à Elisabeth Weber, et enfin reprise le 3 décembre 2000 à l’occasion du colloque Judéités, qui s’est tenu au Centre communautaire de Paris. Elle est donc constamment réaffirmée sur plusieurs décennies. (…) dernier des Juifs, c’est aussi celui qui habite ce qui reste du judaïsme. Le dernier des eschatologistes maintient l’avenir ouvert. S’il annonce la fin du judaïsme, c’est pour en fonder un autre, qui ne serait plus le même. Tout se passe « comme si » le moins pouvait le plus (il insiste sur le « comme si ») : moins tu te montreras juif, plus tu le seras (c’est la formule du marrane). Le dernier des juifs peut être le pire des juifs, mais aussi celui qui garantit la série. Exclu-inclu, dehors-dedans, il n’appartient pas de fait à la culture juive, il est au bord de la série et la débordant. »

viihttps://diacritik.com/2016/03/25/jacques-derrida-le-religieux-est-un-sport-de-combat-surtout-pas-de-journalistes/

viiihttp://www.idixa.net/Pixa/pagixa-0506190808.html « Il n’est pas seulement le dernier des eschatologistes, il est aussi le plus avancé (p91) : « ils n’ont m’ont jamais pardonné d’être l’eschatologiste le plus avancé, la dernière avant-garde qui compte ». Le plus avancé, c’est celui qui maintient l’avenir ouvert, sans horizon. »

Une langue qui perd le nord


 

Partant de l’étymologie, Cicéron explique la différence entre religion et superstition.

« On a appelé superstitieux ceux qui pendant des journées entières font des prières et des sacrifices pour que leurs enfants leur survivent (superstites essent). Mais ceux qui examinent avec soin tout ce qui se rapporte au culte des dieux et pour ainsi dire le « relisent » (relegerent), ceux-là ont été appelés des religieux (…). Les termes « religieux » et « superstitieux » sont ainsi devenus l’un péjoratif, l’autre laudatif. » i

Aujourd’hui, ironiquement, cette différence s’inverse.

Rien de plus normal, de plus banal, sous toutes les latitudes, que d’afficher l’amour de ses enfants, et de vouloir faire de leur bonheur une sorte de religion familiale. Comment appeler cela de la « superstition » ? Ce comportement ne mérite-t-il pas tous les éloges ?

En revanche, ceux qui cherchent à « relire » de nos jours tout ce qui se rapporte au culte des dieux, anciens et nouveaux, ne sont-ils pas pour leurs contemporains des sortes de marginaux ayant perdu le contact avec la vraie vie ? Leur passion pour le « divin » n’est-il pas jugé péjorativement par le grand nombre ?

En vingt siècles, le sens des mots peut changer complètement.

C’est une leçon de grande portée.

On peut l’appliquer à bien d’autres contextes.

Imaginez un monde où le sens des mots « démocratie » et « tyrannie » s’inverseraient tous les mille ans ? Ou « raison » et « folie » ? « Spirituel » et « matériel » ? « Divin » et « humain » ?

Un jour, on prendra peut-être une vive conscience qu’un tel monde existe déjà.

Quelle boussole alors, quel Nord, dans des langues démagnétisées? Quel or, dans des mots démonétisés ?

iDe Natura Rerum. II, 71-72. (Cité par F. Hadjadj, Puisque tout est en voie de destruction)

Les parfums de l’Un


Alain Badiou détermine qu’il existait quatre « discours » sur l’Un – au 1er siècle de notre ère. Il y avait le discours du Juif, celui du Grec et celui du chrétien. Badiou y ajoute un quatrième discours, « qu’on pourrait appeler mystique »i.

Qu’est-ce que le discours juif ? C’est celui du prophète, qui réquisitionne les signes. C’est « un discours de l’exception, car le signe prophétique, le miracle, l’élection désignent la transcendance comme au-delà de la totalité naturelle »ii.

Qu’est-ce que le discours grec ? C’est celui du sage, en tant qu’il s’approprie « l’ordre fixe du monde », et qu’il apparie le logos à l’être. C’est un « discours cosmique » qui dispose le sujet dans « la raison d’une totalité naturelle »iii.

Ces deux discours semblent s’opposer. « Le discours grec argue de l’ordre cosmique pour s’y ajuster, tandis que le discours juif argue de l’exception à cet ordre pour faire signe de la transcendance divine. »iv

Mais en réalité, ils sont « les deux faces d’une même figure de maîtrise ». C’est cela « l’idée profonde » de Paul, interprété par Badiou. « Aux yeux du juif Paul, la faiblesse du discours juif est que sa logique du signe exceptionnel ne vaut que pour la totalité cosmique grecque. Le Juif est en exception du Grec. Il en résulte premièrement qu’aucun des deux discours ne peut être universel, puisque chacun suppose la persistance de l’autre. Et deuxièmement, que les deux discours ont en commun de supposer que nous est donnée dans l’univers la clé du salut, soit par la maîtrise directe de la totalité (sagesse grecque), soit par la maîtrise de la tradition littérale et du déchiffrement des signes (ritualisme et prophétisme juifs). »v

Ni le discours grec, ni le discours juif ne sont « universels ». L’un est réservé aux «sages», l’autre aux «élus». Or le projet de Paul est de « montrer qu’une logique universelle du salut ne peut s’accommoder d’aucune loi, ni celle qui lie la pensée au cosmos, ni celle qui règle les effets d’une exceptionnelle élection. Il est impossible que le point de départ soit le Tout, mais tout aussi impossible qu’il soit une exception au Tout. Ni la totalité ni le signe ne peuvent convenir. Il faut partir de l’événement comme tel, lequel est acosmique et illégal, ne s’intégrant à aucune totalité et n’étant signe de rien. »vi

Paul tranche. Il part seulement de l’événement, unique, improbable, inouï, incroyable, jamais vu. Cet événement sans hier et sans pair, n’a aucun rapport avec la loi, et aucun rapport avec la sagesse. Ce qu’il introduit dans le monde est absolument nouveau.

Paul casse les discours, le séculaire et le millénaire. « Aussi est-il écrit : « Je détruirai la sagesse des sages, et j’anéantirai l’intelligence des intelligents. » Où est le sage ? Où est le scribe ? Où est le disputeur du siècle ? (…) Mais Dieu a choisi les choses folles du monde pour confondre les sages ; Dieu a choisi les choses faibles du monde pour confondre les fortes ; Dieu a choisi les choses viles du monde et les plus méprisées, celles qui ne sont point, pour réduire à néant celles qui sont. » (Cor. 1, 1, 17sq.)

On ne peut nier que ces paroles soient révolutionnaires, « scandaleuses » pour les uns, « folles » pour les autres, indubitablement subversives.

Et puis il y a le quatrième discours, mystique. De celui-là on peut à peine dire que c’est un discours. L’allusion, chez Paul, est brève comme l’éclair, voilée, lapidaire : « Je connais un homme (…) qui entendit des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à un homme d’exprimer. » (Cor. 2, 12)

L’ineffable est cousin de l’inaudible.

Plutarque rapporte qu’il y avait en Crète une statue de Zeus sans oreilles. « Il ne sied point en effet au souverain Seigneur de toutes choses d’apprendre quoi que ce soit d’aucun homme », explique l’historien grec.

L’Un n’a pas d’oreilles pour les hommes. Aurait-il des yeux, une langue, un nez ?

Badiou apporte quatre réponses à cette question. Deux d’entre elles ne sont pas universelles. La troisième l’est, parce qu’elle inclut entre autres les fous, les faibles, les vils et les méprisés.

De la quatrième on ne peut rien dire.

Un point de vue spécial consisterait à les rendre compatibles, à raccorder ensemble ces opinions spécifiques, en retrouvant leur possible cohérence cachée. Ce point de vue serait le point de vue de l’Un, lui-même.

Comment représenter cette vue Unique ?

On peut changer de métaphore, passer de la vue à l’odorat. Des couleurs aux fragrances. De la contemplation à la respiration.

Les effluves subtiles des arômes divins, le parfum sacré élaboré par les prêtres égyptiens en donne une idée.

Ce parfum, appelé Kyphi, était composé de seize substances : miel, vin, raisins secs, souchet, résine, myrrhe, bois de rose, séséli, lentisque, bitume, jonc odorant, patience, petit et grand genévrier, cardamone, calame.

Il y avait d’autres recettes, que l’on trouve chez Galien, chez Dioscoride, dans le texte d’Edfou ou dans le texte de Philae.

Effluves. Effluences. Émanations. Exhalaisons. Il faut se laisser prendre par l’inspiration, porter par la respiration.

« Lecteur, as-tu quelquefois respiré
Avec ivresse et lente gourmandise
Ce grain d’encens qui remplit une église,
Ou d’un sachet le musc invétéré ?

Charme profond, magique, dont nous grise
Dans le présent le passé restauré !
Ainsi l’amant sur un corps adoré
Du souvenir cueille la fleur exquise. » vii

Mystique – des fleurs passées, et des fruits à venir.

iAlain Badiou. Saint Paul. La fondation de l’universalisme..PUF , 2014

iiIbid.

iiiIbid.

ivIbid.

vIbid.

viIbid.

viiCharles Baudelaire. Le parfum in Les Fleurs du mal.

La poésie cèle l’avenir du monde


 

« Les révolutions scientifiques sont en fait des révolutions métaphoriques. »

Cette assertion de Michael Arbib et Mary Hessei, l’un chercheur dans le domaine de l’intelligence artificielle et l’autre philosophe des sciences, pourrait être utilement généralisée, en l’inversant.

On en inférerait que toute réelle révolution métaphorique est potentiellement grosse de révolutions scientifiques, philosophiques ou politiques.

Toute métaphore, véritablement nouvelle, suffisamment puissante, est porteuse d’une vision, d’un autre regard imaginaire sur le monde, et partant, peut même engendrer, dans des circonstances favorables, un nouveau monde bien réel.

Toute métaphore visionnaire porte en germe l’établissement d’un « grand récit », dont elle est la première image. Et toute métaphore révolutionnaire est le premier signe d’un archipel de concepts en gésine, potentiellement disruptifs.

Par exemple, l’idée teilhardienne de « noosphère », cette métaphore d’une « enveloppe » de pensées baignant l’humanité entière de ses puissances, de ses flux et de ses énergies, a des implications fantastiques, pour peu qu’on prenne la peine d’en déduire les conséquences sociales et politiques.

Une autre métaphore, celle de « transhumain », utilisée jadis par Dante (trasumanar), est peut-être plus géniale encore, puisque elle pointe vers l’existence effective une « trans-sphère », ou plutôt, devrions-nous dire, pour éviter le barbarisme qui consiste à adjoindre une préposition latine à un mot grec, une « méta-sphère ».

La métaphore de la « méta-sphère » désigne le monde du « trans-humain », une humanité en état de perpétuelle transhumance, avec vocation à atteindre des mondes inouïs.

Mais attention de ne pas confondre le « trans-humain » dantesque et le « transhumanisme ». Le « transhumanisme », idéologie relativement récente, ne fait pas vraiment honneur à la métaphore initialement inventée par Dante, il y a plus de sept siècles, en proclamant l’idée que l’évolution technique et scientifique favorisera prochainement l’apparition d’une « singularité » (Vernor Vinge, Ray Kurzweil), laquelle incarnera un point de basculement vers une humanité intellectuellement et physiquement « augmentée ».

Ce « transhumanisme »-là est platement réducteur. La science et la technique sont certes porteurs d’ouvertures considérables, mais il est naïf de croire qu’elles détermineront à elles seules les conditions d’une transformation de l’humanité en trans-humanité.

Il y a plus de quarante mille ans, les grottes du Paléolithique étaient déjà des sanctuaires profonds, fréquentées par des artistes-chamanes. La religion paléolithique, dont les peintures pariétales témoignent, échappe encore aux analyses les mieux informées (voir le travail d’Alain Testart).

Mais ce qui est sûr c’est l’ensemble de ces peintures, dont la réalisation s’étale sans discontinuité sur une période de plus de tente mille ans, témoigne d’une transcendance assumée de l’Homme du Paléolithique, l’Homme de Cro-Magnon, homo sapiens indiscutable, plus sage peut-être d’une sagesse et d’une vision dont le monde moderne, technique, scientifique n’a absolument aucune idée.

Par contraste avec les Hommes de Cro-Magnon, le président François Hollande n’est pas un grand penseur de la transcendance. Mais il a voulu, dans une intervention récente dans une Loge franc-maçonne, se risquer à quelques hautes considérations sur le futur de l’humanité.

« Vous avez aussi voulu penser les mutations inouïes que les nouvelles technologies du vivant nous laissent deviner : c’est ce qu’on appelle le transhumanisme ou l’homme augmenté. C’est une question redoutable : jusqu’où permettre le progrès, car le progrès ne doit pas être suspecté, nous devons le favoriser. Comment faire pour que nous puissions maîtriser ces graves questions éthiques ? Ce qui est en jeu, c’est l’idée même d’humanité, de choix, de liberté.

Alors face à ces bouleversements que certains espèrent, que d’autres redoutent, le regard de la franc-maçonnerie est une boussole tout à fait précieuse dans cette période, et une lumière qui aide à saisir les enjeux et à y répondre. »

En matière de métaphores, on peut se permettre beaucoup de choses, mais à condition de conserver un minimum de structure, de cohérence.

Comparer le « regard » à une « boussole » et même à une « lumière » me paraît prodigieusement aventureux et même franchement révolutionnaire pour une homme aussi mesuré que François Hollande.

En effet, on s’attend généralement que le « regard » soit guidé dans la direction indiquée par la « boussole », aidée en cela par la « lumière » qui baigne le jour.

Il est fort étrange de proposer que le « regard » soit lui-même une boussole, comme si jeter un œil permettait de créer des Nords imaginaires, à volonté, et comme si le même coup d’œil pouvait engendrer ipso facto la lumière elle-même.

Même si Hollande n’est pas un maître en métaphores, il reste que l’idée ainsi surgie, presque par hasard, est porteuse d’une vision du monde : jeter un « regard » équivaut métaphoriquement à créer un Nord nouveau.

Jeter une métaphore dans le grand cirque du langage, c’est jeter des mots aux lions, et les empêcher, peut-être, pendant quelques instants, de continuer de dévorer les chrétiens livrés en pâture…

Plus sérieusement, je considère que la poésie, comme atelier de création de vraiment bonnes métaphores, est supérieure à l’arsenal transhumaniste des sciences et des techniques, pour ce qui est de penser l’avenir du monde.

iMichaël Arbib, Mary Hesse. The Constructions of Reality. 1986

Ceux qui se noient


Dis à la nuit qu’elle ne peut clamer le jour.

Aucune religion ne clame la sainteté de l’amour.

L’amour est un immense océan, sans rivage.

Ceux qui s’y noient, ils ne pleurent ni ne prient.

(Rûmî)

L’inversion des mots


Cicéron donne une bonne explication de la différence entre les « superstitieux » et les « religieux ». Elle est basée sur l’étymologie.

« On a appelé superstitieux ceux qui pendant des journées entières font des prières et des sacrifices pour que leurs enfants leur survivent (superstites essent). Mais ceux qui examinent avec soin tout ce qui se rapporte au culte des dieux et pour ainsi dire le « relisent » (relegerent), ceux-là ont été appelés des religieux (…). Les termes « religieux » et « superstitieux » sont ainsi devenus l’un péjoratif, l’autre laudatif. » i

Je constate qu’aujourd’hui, ironiquement, c’est exactement l’inverse qui se passe.

Rien de plus normal, de plus banal, que d’afficher le culte de l’amour de ses enfants, et de faire de leur bonheur une sorte de religion familiale. Qui verrait là de la « superstition » ?

Quant à ceux qui se préoccupent de « relire » tout ce qui se rapporte au culte des dieux, ils se font vite une réputation de marginaux ayant perdu le contact avec la vraie vie, l’esprit envahi par la « superstition».

Après quelques siècles, le sens de certains mots peut s’inverser complètement.

C’est une leçon de grande portée. On peut l’appliquer à bien d’autres contextes.

iDe Natura Rerum. II, 71-72. (Cité par F. Hadjadj, Puisque tout est en voie de destruction)