La guerre pour sauver sa peau


« Guerre de conscience » ©Philippe Quéau (Art Κέω) 2024

Un éditorial du Guardian daté de ce jour (14 avril 2024) me paraît bien refléter quelques-uns des enjeux de la situation actuelle au Proche-Orient – situation qui pourrait rapidement dégénérer. En voici un extrait significatif :

« On peut supposer que si les drones et les missiles iraniens atteignent des cibles sur le territoire israélien ou frappent des villes israéliennes, le gouvernement de Benjamin Netanyahu répondra, comme il a menacé de le faire. La semaine dernière, Joe Biden a indiqué que les États-Unis soutiendraient et se joindraient éventuellement à toute action militaire israélienne de représailles. Israël, a-t-il dit, bénéficie du soutien « indéfectible » des États-Unis. Dans une telle situation, la pression exercée sur les alliés de l’Amérique et d’Israël pour qu’ils apportent leur aide en cas d’affrontements ultérieurs sera considérable. […]
Ce qu’il faut avant tout, c’est garder son sang-froid. Netanyahou et ses alliés extrémistes ne sont pas réputés pour cette qualité. Il est donc d’autant plus important que les Américains et les Britanniques utilisent tous leurs pouvoirs de persuasion et tous les moyens diplomatiques disponibles pour tenter de modérer la réaction d’Israël et d’empêcher de nouvelles attaques de l’Iran. Le premier réflexe de Netanyahou, si Israël est durement touché, pourrait être d’attaquer les installations nucléaires iraniennes, ce qu’il a déjà menacé de faire par le passé, et peut-être aussi des cibles de la direction du régime à Téhéran. Agir de la sorte reviendrait à risquer un nouveau rebondissement dans la spirale de l’escalade, qui conduirait inexorablement à une guerre totale.
Il est essentiel que cette conflagration soit éteinte le plus rapidement possible, faute de quoi elle pourrait rapidement se propager dans la région, enflammant la Cisjordanie occupée, qui couve déjà, et au-delà. Une telle calamité prolongerait la misère de Gaza, ferait échouer les négociations sur les otages et étendrait l’instabilité au Liban et peut-être à l’Irak.

Une confrontation ouverte entre les États-Unis et l’Iran diviserait les démocraties occidentales, freinerait l’économie mondiale, déstabiliserait les États arabes pro-occidentaux, stimulerait les ambitions géopolitiques de la Chine et mettrait en veilleuse la lutte contre l’agression russe en Ukraine, qui s’intensifie. Plus encore, ce serait un cadeau pour Netanyahu et ses alliés d’extrême droite, dont la seule politique est la guerre perpétuelle.

Dans le tumulte actuel, il ne faut pas oublier que cette attaque iranienne a été provoquée, du moins selon les dirigeants iraniens, par le bombardement non reconnu par Israël, le 1er avril, d’une annexe de l’ambassade iranienne à Damas, qui a tué plusieurs commandants de haut rang. Téhéran estime, non sans raison, que cette attaque a franchi une ligne rouge en visant des locaux diplomatiques. Pour le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, il s’agissait d’une attaque contre le territoire iranien souverain. Elle ne pouvait rester sans réponse.
Une toile d’araignée complexe de calculs, d’ambiguïtés et de motifs cachés se cache derrière la confrontation de la nuit dernière. L’Iran a cherché à tirer parti de la guerre de Gaza en étendant son influence régionale par l’intermédiaire de forces supplétives en Syrie, en Irak, au Yémen et au Liban – l' »axe de la résistance ». Tout en niant avoir eu connaissance à l’avance des attaques du 7 octobre, il a maintenu son soutien au Hamas et applaudi les bombardements du Hezbollah sur le nord d’Israël qui ont suivi. Mais elle a évité, jusqu’à présent, toute confrontation directe avec Israël.
Sa décision d’attaquer, ignorant finalement les supplications des ministres des affaires étrangères européens et arabes et une intervention directe de David Cameron, le ministre des affaires étrangères, reflète la domination à Téhéran des partisans de la ligne dure qui détiennent les leviers du pouvoir. Leur haine idéologique d’Israël et des États-Unis est viscérale.
Pour eux, la confrontation avec l’Occident est la justification ultime, voire unique, des terribles sacrifices et des politiques désastreuses que la théocratie islamique, fondée après la révolution de 1979, a imposés au peuple iranien.
Une dynamique similaire est évidente en Israël, où la coalition d’extrême droite de M. Netanyahou est au pied du mur. Sa conduite honteuse de la guerre de Gaza a jeté l’opprobre international sur le gouvernement d’Israël tout en ne parvenant pas à vaincre le Hamas. Les opposants affirment que M. Netanyahou prolonge – et étend – la guerre pour sauver sa peau. Selon cette lecture, l’attaque de l’ambassade de Damas était une escalade délibérée destinée à renforcer sa position politique, à débusquer l’Iran et à ramener les Américains, aveuglés, dans son camp. »

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.