Délires bacchiques et orgies meurtrières


« La métamorphose de Cadmos et Hermione »

Dans l’antique religion dionysiaque, les Bacchanales étaient ce qu’il y avait de plus sauvage, de plus violent, de plus sanguinaire. Le délire bacchique menait à l’orgie puis au meurtre. Ivres de vin, ce nectar divin, les Bacchantes prenaient part à l’orgie générale. Toute la nature y participait. Les buissons (de thyrses) étaient trempés de miel gluant et gouttant, les mottes (de terre) étaient imprégnées de lait, des serpents furieux dressaient leurs têtes et dardaient une langue gonflée de venin. Métaphores indémodables, et si pérennes ! Dans une folie collective, exacerbée, on se précipitait sur des victimes ignorantes, abasourdies, que l’on égorgeait, ou que l’on déchirait à mains nues. On leur arrachait les membres, on fouaillait les organes internes, et les mains gluantes de sang, on les décapitait enfin, religieusement, en poussant des cris de hyène, au son du tambourin et des crécelles.

Philostrate l’Ancien raconte ces scènes d’horreur avec une sorte de fascination morbide. Mais surtout, il montre comment ces excès dionysiaques débouchaient ensuite sur des métamorphoses inimaginables. « Voici les chœurs des Bacchantes, les pierres ruisselant de vin, les grappes distillant le nectar, les mottes de terre toutes reluisantes de l’éclat du lait, voici le lierre à la tige rampante, les serpents dressant la tête, les thyrses et les arbres d’où le miel s’échappe goutte à goutte. Voici ce sapin étendu sur le sol, sa chute est l’œuvre de femmes violemment agitées par Dionysos ; en le secouant, les Bacchantes l’ont fait tomber avec Penthée qu’elles prennent pour un lion ; les voilà qui déchirent leur proie, les tantes détachent les mains, la mère traîne son fils par les cheveux […] Déjà les extrémités inférieures, depuis les cuisses, se transforment en serpents, tout disparaît sous les écailles depuis les pieds jusqu’aux hanches ; la métamorphose gagne les parties supérieures. Hermione et Cadmos sont frappés d’épouvante ; ils s’embrassent mutuellement, comme si, par cette étreinte, ils devaient arrêter leur corps dans sa fuite et sauver du moins ce qui leur reste encore de la forme humainei. »

Frappées de métamorphose, toutes les parties des corps humains se couvrent d’écailles puis prennent des formes ‘serpentines’. Les pieds d’abord, puis les jambes, ensuite les hanches, et enfin le sexe même se métamorphosent en hideux reptiles, en serpents sifflants. Peu après, le reste du corps, à son tour, est atteint de nouvelles et monstrueuses mutations. Ces métamorphoses, promises aux Bacchantes et aux Bacchants, représentent la phase terminale, essentielle, après le vin et l’ivresse des meurtres, la folie des dépeçages, et le partage des victimes sacrifiées. Ils annoncent l’ultime ‘communion’ – en Dionysos, dieu du Mystère.

Ces rites cruels et barbares n’ont sans doute pas été inventés seulement par ces Grecs, célébrant les cultes à mystère et les bacchanales sanglantes, au nom de Dionysos, en mémoire de sa naissance à la fois sanglante et brûlante. Rien n’est jamais totalement nouveau, en matière de cruauté. Depuis plusieurs dizaines de milliers d’années, des cérémonies comparables, ou bien plus sanglantes encore, devaient avoir eu lieu dans d’autres groupes d’Homo sapiens. Et sans doute y a-t-il, aujourd’hui encore, enfouies dans les profondeurs de la mémoire génétique, de lointaines souvenances de ces séries antiques de meurtres collectifs, engravées dans les cortex…

Si profondeur anthropologique il y a, il est alors permis de réfléchir à la manière dont ce paradigme des Bacchanales s’incarne aujourd’hui – transposé dans la guerre dite « moderne ».

Des massacres impunis d’innocents éviscérés par des fragments de haute technologie, nous ne voyons dans les médias que des images soigneusement calibrées par les services de presse des armées, et obséquieusement commentées par des journalistes aux ordres.

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iPhilostrate l’Ancien, Les Tableaux, XVII

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