L’âme livre


« L’âme livre » ©Philippe Quéau (Art Κέω) 2024

Toi, tu te tais. Du moins, ce me semble. A nous tous, il nous semble un même silence, tant nous ne sommes seuls à ne point t’entendre.

Toi, je te nomme au milieu du jour, mais n’es-tu pas déjà dans la nuit ? Cette nuit, est-ce Toi, est-ce Lui ? Nul ne peut le dire. Nul ne peut te dire. Nul ne peut rien dire. Ce jour n’est pas de Lui, ou en Lui. Ni ce jour, ni la nuit, ne luit. Ne luit que son absence. Cette voix n’est pas sienne, ni tienne, non plus. Tu te tus, il y a longtemps déjà. Ce visage n’est pas tien, ni sien. Évanescente est sa gloire et mon rêve.

Cette voie non plus n’est pas tienne. Nul chemin ne mène plus à Toi. Tous s’égarent en tous lieux tous les jours.

Les mots sont faits de tant de nuits anciennes –– ce sont de très vieilles nuits, des épaisseurs d’ombres voilées de nues. Leurs sens s’obscurcissent même dans la lumière. Les grammaires me comblent d’obscur. Que veut dire « cœur » ? Que signifie « profondeur » ? Qu’est-ce que la « voix » ? La « parole » est-elle « désert » ou « voix » ? Un soleil se love dans le délié des lettres. Quand tu parais, je biffe tous les mots.

Qui osera te dire Tu ? Qu’ils commencent par te dire Il ou Lui. Qu’ils te parlent de leur intime même. C’est du milieu de la parole, en quête, qu’ils te tairont. Beaucoup disent : Qu’il parle d’abord ! Qu’il apparaisse dans l’évidence ! Qu’il illumine notre esprit de solaires visions ! Ils ne veulent pas savoir quelle est leur nuit. Leur doute lance tant d’éclairs mous, nombre de fulgurances sourdes, et des astres morts.

J’ouvre les lèvres et ma langue se scelle. La douceur m’est un faucon, le cyprès est noir, et l’herbe tendre. Que ta forme n’est-elle élusive ! La jacinthe se tend. Le désir s’abstient. La raison dit les ronces, les roseaux, les résédas. Le musc et l’encens. Tu es glabre comme un marbre noir. Je jette des mots loin devant lui. Je courbe mon âme comme un âne bâté. La vérité pèse. Le faux allège. Ah ! Le léger Hallâj !

Tu m’as dit, va t’en ! Va t’en pour toi ! Mais je ne veux aller que pour toi. Tu m’as dit, sors ! Je ne suis pas ici ! Mais, là où tu es, je ne suis pas. Et ici, je ne suis pas, et tu n’es pas. La mer recouvre mon désir, mais je suis requin, je suis méduse, je suis aussi toute l’eau d’Oman, et les torrents de Canaan.

Mon désir est désert. La lumière visible m’est blessure. Mon âme est lourde et je suis las de l’origine. Dans une main, du vin. Dans l’autre un cimeterre. Ô danse des mots ! Ô l’étreinte du luth ! Je suis la huppe et l’Orient. Je selle mon cheval et le sel et le miel et la peine. Je suis son sillage. Qui saura le lire ? Ce safran est un chiffre et ce goût est mon secret. Chaque alphabet m’est un feu, et je ne sais le lire. Je ne suis pas ascète, mais néant, et je persiste à être. Le sommeil me sauve, un peu tous les soirs. Comme une eau de noria.

Dans l’outre vide, je trouve un souffle, de l’eau, mais de blé point. L’argile colle aux mains. Le grain rappelle mon chagrin. Il a eu sa pluie, en vain. Le vent n’est pas venu. Unie à lui, elle ne lui fut ni d’ambre, ni d’or.

Tout mon corps est lèvre et rire. Et mon âme est cri, gaie, nuit, livre.

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