Le rêve d’une ombre, voilà l’homme


« Rêve doux et dur » ©Philippe Quéau (Art Κέω) 2024

À traduire, Pindare est dur. Il peint son dire en vers nets, secs, drus, et, sans transition, le voilà qui délie soudain sa langue, lui donne des tons doux et melliflus, en y mêlant les mortels et les immortels, qu’il inonde d’une lumière crue, tamisée d’éternité. Force du grec ancien. Souple rhétorique, leçons antiques. Prenez ce vers célèbre de la 8e Pythique :

Ἐπάμεροι· τί δέ τις ; τί δ᾿ οὔ τις ; σκιᾶς ὄναρ / ἄνθρωπος […]

Epaméroï ! Ti dé tis ? Ti d’ou tis ? Skias onar / anthropos […]

(« Éphémères ! Qu’est-on ? Que n’est-on pas ? Un rêve d’ombre – l’homme […] » )

Difficile de faire plus ramassé. Les derniers vers de cette Pythique ajoutent en densité et en mystère. Je donne ici les vers 94-96 dans leur saveur authentique et originale :

« Ἐν δ’ ὀλίγῳ βροτῶν
Τὸ τερπνὸν αὔξεται· οὕτω δὲ καὶ πίτνει χαμαί,
Ἀποτρόπῳ γνώμᾳ σεσεισμένον.
Ἐπάμεροι· τί δέ τις ; τί δ’ οὔ τις ; σκιᾶς ὄναρ
Ἄνθρωπος. ἀλλ’ ὅταν αἴγλα διόσδοτος ἔλθῃ,
Λαμπρὸν φέγγος ἔπεστιν ἀνδρῶν καὶ μείλιχος αἰώνi. »

Nombre de savants lettrés ont exercé leurs talents à en rendre les nuances… Les traductions en français de ces vers, forgés il y a plus de vingt-cinq siècles, pullulent. Chacune a son charme discret, mais souvent datéii. J’ai donc pris un certain plaisir à ajouter une proposition de plus à la longue cohorte des essais anciens. J’ai eu grande joie à reprendre le Bailly de mes années de lycée, et j’ai tenté de donner un ton convenant mieux à mon attente…

Voici :

« En un instant, croît la joie des mortels. Ou alors, elle chute à terre, écrasée par des volontés contraires. Tous éphémères ! Que sommes-nous? Mais, que ne sommes-nous pas ? Le rêve d’une ombre, voilà l’homme. Quand survient l’éclat donné par Dieu (diosdotos), une lumière brillante et une tendre éternité enveloppent l’homme. »

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iPindare. Pythique VIII. 94-96.

iiPour donner quelque idée des variations possibles de traduction, voici deux des meilleures, parmi les plus classiques :

« En un moment s’élève le bonheur de l’homme. Il croule de même dans la poudre, ébranlé par une volonté ennemie. Nous vivons un jour. Que sommes-nous ? Que ne sommes-nous pas ? Le rêve d’une ombre, voilà l’homme. Mais quand survient la gloire, présent de Dieu, les hommes sont entourés d’une vive lumière et d’une douce existence. » (Traduction de Faustin Colin)

« La fortune des mortels grandit en un instant; un instant suffit pour qu’elle tombe à terre, renversée par le destin inflexible. Êtres éphémères ! Qu’est chacun de nous, que n’est-il pas ? L’homme est le rêve d’une ombre. Mais quand les dieux dirigent sur lui un rayon, un éclat brillant l’environne, et son existence est douce » (Traduction d’Aimé Puech)

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