
De ses phrases courtes, dures, gorgées
de sang, de sève et de clichés,
dressées sans façon, sans trêve,
vers des cieux de rimes-rêves,
et de cris étranglés,
de pleurs d’orages,
fulgurent des idées,
spermes et glus dans la nuit,
et de l’or par millions, dans la fosse aux lions.
Voilà Verlaine en son tombeau.
Son couteau de mots le blessent vers son aine,
et son âme zèbre son rein beau.
S’envolent-ils d’Arthur vers Paul ou au-delà,
ces « millions d’oiseaux d’or »?
Cet or, cet Ô, prometteur de « futures vigueurs » ?
Le poète dit vrai,
qui donne sa vie pour ses visions,
et distribue à tous son or et ses raisons.
Ah ! La lumière d’or ! Pure de mots, elle arrose toutes choses.
Ah ! La terre et la mer et le ciel, purs encor
Et jeunes, qu’arrosait une lumière d’or i
On la trouve en Hellas, dans son ciel.
– Et sous tes cieux dorés et clairs, Hellas antique,
De Sparte la sévère à la rieuse Attique ii
Et dans la bouche des poètes combattants.
……..Et le Laërtiade
Dompta, parole d’or qui charme et persuade,
Les esprits et les cœurs, et les âmes toujours iii.
Car l’or c’est le style,
Je suis l’Empire à la fin de la décadence,
Qui regarde passer les grands Barbares blancs
En composant des acrostiches indolents
D’un style d’or où la langueur du soleil danse.iv
L’or enferme des parfums, des harems, et couvre de son toit tout désir.
Mon désir créait sous des toits en or,
Parmi les parfums, au son des musiques,
Des harems sans fin, paradis physiques ! v
Il y a de l’or dans un nom même,
Nevermore.
Mais cet or de son seul est-il vrai ?
Redresse et peins à neuf tous les arcs triomphaux :
Brûle un encens ranci sur tes autels d’or faux ;vi
Ou seulement mordoré ?
Couvre-toi de tapis mordorés, mur jauni ;
Pousse à Dieu ton cantique, ô chantre rajeuni.vii
L’or n’est vrai que s’il est en vie.
Soudain, tournant vers moi son regard émouvant :
« Quel fut ton plus beau jour ? » fit sa voix d’or vivant.viii
Ou caché dans la caresse du cheveu,
Ah ! les oarystis ! les premières maîtresses !
L’or des cheveux, l’azur des yeux, la fleur des chairs ix
ou l’eau de la chevelure,
Et de toi j’aime toute chose
De la chevelure, fontaine
D’ébène ou d’or (et dis, ô pose-
Les sur mon cœur) aux pieds de reine.x
Car si le cheveu coule, il est aussi de feu.
Avec ses cheveux d’or épars comme du feu,
Assise, et ses grands yeux d’azur tristes un peu xi.
L’or est aussi dans les cils.
Et mon âme palpite au bout de tes cils d’or…
— A propos, croyez-vous que Chloris m’aime encor ? xii
Ou lové dans les yeux aimés.
Je chanterai tes yeux d’or et d’onyx
Purs de toutes ombres,
Puis le Léthé de ton sein, puis le Styx
De tes cheveux sombres. xiii
Ou sonnant dans son cœur.
Mais dans ton cher cœur d’or, me dis-tu, mon enfant,
La fauve passion va sonnant l’oliphant !… xiv
Même si c’est un parfait cliché, le poète n’en a curexv.
Cœur d’or, comme l’on dit, âme de diamant xvi
Car il le sait, l’or luit dans l’oeil des vagabonds,
(les amoureux de l’éternel, des vieux morts, et des dieux).
Leurs jambes pour toutes montures,
Pour tout bien l’or de leurs regards. xvii
L’or, c’est sûr, aime les pauvres et les poètes.
Et l’or fou qui sied aux pauvres glorieux,
Aux poètes fiers comme les gueux d’Espagne xviii.
Mais pour le Pauvre l’or est vain.
La sale vanité de l’or qu’on a, l’envie
D’en avoir mais pas pour le Pauvre, cette vie xix.
On trouve de l’or partout.
Dans le ciel du sommeil,
L’or dilaté d’un ciel sans bornes
Berce de parfums et de chants,
Chers endormis, vos sommeils mornes ! xx
Et dans les cieux tout court.
Emportant son trophée à travers les cieux d’or!xxi
Ou encore dans la mer,
L’atmosphère est de perle et la mer d’or fané.xxii
Ou dans les nuages.
Ces clochers, cette tour, ces autres, sur l’or blême
Des nuages à l’ouest réverbérant l’or dur xxiii
Et dans les étoiles.
Tournez, tournez ! Le ciel en velours
D’astres en or se vêt lentement.xxiv
Dans le soleil lui-même,
Que lui fait l’astre d’or, que lui fait la charmille xxv,
surtout lorsqu’il paraît,
Car voici le soleil d’or. — xxvi
Mais le soleil même peut être dépassé par l’aimée.
Le soleil luisait haut dans le ciel calme et lisse,
Et dans ses cheveux blonds c’étaient des rayons d’or. xxvii
Ou par le noir de son propre soir,
Les yeux noirs, les cheveux noirs et le velours noir
Vont contrastant, parmi l’or somptueux d’un soir. xxviii
quand il semble à l’agonie,
Et le soleil couchant, quand dans l’or il s’effondre,
Pleure du sang de n’ouïr plus, les soirs d’été,
Monter vers lui l’air sombre et gai répercuté.xxix
mais où il trouve enfin sa fin:
Le couchant d’or et d’améthyste
S’éteint et brunit par degré. xxx
Le plus bel or, c’est l’aurore.
De fauve l’Orient devient rose, et l’argent
Des astres va bleuir dans l’azur qui se dore
…
L’alouette a volé stridente : c’est l’aurore ! xxxi
L’or illumine et voile le lit du (futur) mort.
Des rideaux de draps d’or roides comme des murs xxxii
Il est le compagnon de l’Inspiration, comme
L’Ange des vieux tableaux avec des ors au fond. xxxiii
L’or est partout. Il faut le dire.
L’or sur les humbles abîmes. xxxiv
Il est aussi là où il n’est pas.
Monsieur, vous raillez mieux encor
Que vous n’aimez, et parlez d’or;
Mais taisons-nous, si bon vous semble ? xxxv
Ou dans l’envol frivole d’un
papillon de pourpre et d’or. xxxvi
Ou parmi la moisson.
L’or des pailles s’effondre au vol siffleur des faux xxxvii
Ou dans le bruit clair d’un cuivre,
La note d’or que fait entendre
Un cor dans le lointain des bois xxxviii
ou le son tendre d’une voix.
Mon oreille avide d’entendre
Les notes d’or de sa voix tendre. xxxix
L’or et le tendre aiment bien se marier ensemble.
Et de noces d’or et du tendre xl
On trouve l’or aussi sous le sang de la cuirasse.
Voix de l’Orgueil ; un cri puissant, comme d’un cor.
Des étoiles de sang sur des cuirasses d’or xli
L’or est souvent lié au sang,
Ton sang qui s’amasse
En une fleur d’or xlii,
à la myrrhe, à l’encens,
La myrrhe, l’or et l’encens
Sont des présents moins aimables
Que de plus humbles présents
Offerts aux Yeux adorables.xliii
et avec la soie
Dans un palais, soie et or, dans Ecbatane,
De beaux démons, des satans adolescents, xliv
Ainsi qu’avec l’ombre,
D’arbres au vent et de poussière d’ombre et d’or.xlv
avec le feu,
Avec de l’or, du bronze et du feu dans la voix xlvi
et la bataille,
C’est le contact, c’est le conflit
Dans le sens, pur alors, qu’on lit
Sur l’or lucide des batailles.
Fi des faciles compromis! xlvii
L’or est liquide.
L’or fond et coule à flots et le marbre éclate xlviii
Il coule dans le sexe,
Et tumultueuse et folle et sa bouche
Plonge sous l’or blond, dans les ombres grises; xlix
— ici évasive allusion, mais là nommé vase:
À ton étreinte, bras très frais, souple et dur flanc,
Et l’or mystérieux du vase pour l’extase. l
L’or est doux.
Son âme en blanc linceul, par l’espace éclairci
D’une douce clarté d’or blond qui flue et vibre
Monte au plafond ouvert désormais à l’air libre
Et d’une ascension lente va vers les cieux. li
L’or, l’or, toujours l’or, et encore de l’or.
La Gueule parle: « L’or, et puis encore l’or,
Toujours l’or, et la viande, et les vins, et la viande,
Et l’or pour les vins fins et la viande, on demande
Un trou sans fond pour l’or toujours et l’or encor ! »
La Panse dit : « À moi la chute du trésor !
La viande, et les vins fins, et l’or, toute provende,
A moi ! Dégringolez dans l’outre toute grande
Ouverte du seigneur Nabuchodonosor ! lii
Qu’est-ce que l’or, enfin?
C’est le temps.
A ce mien passé d’or vanné représenté
Par un Génie en l’air, misère et liberté liii
C’est l’âme.
On fut jeune et on l’est encor,
Cœur de diamant, âme d’or
Pur et dur, un trésor à prendre…liv
L’Or c’est l’Unique.
_______________________
iVerlaine. Poèmes saturniens. Prologue
iiVerlaine. Poèmes saturniens. Prologue
iiiVerlaine. Poèmes saturniens. Prologue
ivVerlaine. Jadis et naguère. Langueur
vVerlaine. Poèmes saturniens. Résignation
viVerlaine. Poèmes saturniens. Nevermore
viiVerlaine. Poèmes saturniens. Nevermore
viiiVerlaine. Poèmes saturniens. Nevermore
ixVerlaine. Poèmes saturniens. Voeu
xVerlaine, Chair, Chanson pour elle.
xiVerlaine. Cellulairement. Amoureuse du diable.
xiiVerlaine. Jadis et naguère. Les uns et les autres. Scène 8
xiiiVerlaine. Poèmes saturniens. Sérénade
xivVerlaine. Poèmes saturniens. Lassitude
xvVerlaine use à l’occasion de clichés, sans trop de modération, mais pour s’en détacher aussitôt, en une pirouette. Voici quelques exemples de clichés choisis (« franc comme l’or », « rouler sur l’or », « le veau d’or », « le silence d’or »), et de leurs envols ultérieurs:
» (…) franche
Comme l’or, comme un bel oiseau sur une branche ».
Bonheur, Œuvres complètes, Tome II.
« Tu nageais dans l’argent et tu roulais sur l’or,
Et, pour te faire heureuse et belle mieux encor,
Une passion vraie et forte t’avait prise,
Qui t’exalta longtemps comme un bon vin qui grise. »
Élégies, Œuvres complètes, Tome III.
« Vous voulez tuer le veau gras
Et qu’un sonnet signe la trêve.
Très bien, le voici, mais mon rêve
Serait, pour sortir d’embarras
Et nous bien décharger les bras
De la manière la plus brève,
— Tel un lourd fardeau qu’on enlève—
Que ce veau fût d’or et très gras. »
Dédicaces, A Léon Vanier, Œuvres complètes, Tome III.
« Le bruit de ton aiguille et celui de ma plume
Sont le silence d’or dont on parla d’argent.
Ah ! cessons de nous plaindre, insensés que nous fûmes,
Et travaillons tranquillement au nez des gens ! »
Vers sans rimes, Œuvres complètes, Tome III.
xviVerlaine. Cellulairement. Amoureuse du diable.
xviiVerlaine. Poèmes saturniens. Grotesques
xviiiVerlaine. Jadis et naguère. Sonnets et autres vers
xixVerlaine. Amour. Angélus de midi
xxVerlaine. Poèmes saturniens. Sub urbe
xxiVerlaine. Poèmes saturniens. Epilogue
xxiiVerlaine. Amour. Bournemouth
xxiiiVerlaine. Sagesse. XIX
xxivVerlaine. Romances sans paroles. Bruxelles. Chevaux de bois.
xxvVerlaine. Poèmes saturniens. Monsieur Prudhomme
xxviVerlaine. La bonne chanson. Avant que tu ne t’en ailles
xxviiVerlaine. Romances sans paroles. Beams
xxviiiVerlaine. Poèmes saturniens. César Borgia
xxixVerlaine, Épigrammes, 11, Œuvres complètes, Tome III.
xxxVerlaine. Jadis et naguère. Les loups
xxxiVerlaine. Jadis et naguère. Les vaincus
xxxiiVerlaine. Poèmes saturniens. La mort de Philippe II
xxxiiiVerlaine. Poèmes saturniens. Epilogue
xxxivVerlaine. Romances sans paroles. Bruxelles. Simples fresques.
xxxvVerlaine. Fêtes galantes. Les indolents.
xxxviVerlaine. Fêtes galantes. L’amour par terre
xxxviiVerlaine. Sagesse. XX
xxxviiiVerlaine. La bonne chanson. VIII
xxxixVerlaine. La bonne chanson. XI
xlVerlaine. Sagesse. Ecoutez la chanson bien douce.
xliVerlaine. Sagesse. XIX
xliiVerlaine. Sagesse. Du fond du grabat
xliiiVerlaine. Liturgies intimes. Rois
xlivVerlaine. Jadis et naguère. Crimen amoris
xlvVerlaine. Sagesse. Parisien, mon frère à jamais étonné
xlviVerlaine. Amour. Bournemouth
xlviiVerlaine. Épigrammes, 10, Œuvres complètes, Tome III.
xlviiiVerlaine. Jadis et naguère. Les vaincus
xlixVerlaine. Parallèlement. Pensionnaires
lVerlaine. Prologue supprimé à un livre « d’invectives ».Œuvres complètes, Tome II.
liVerlaine. Jadis et naguère. La grâce
liiVerlaine. Amour. Sonnet héroïque
liiiVerlaine. Dédicaces. A Armand Sinval, Œuvres complètes, Tome III.
livVerlaine. Épigrammes, Œuvres complètes, Tome III, p.236.
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