
Toute conscience veille, puis s’éveille. Elle vit alors d’une conscience nouvelle, elle vit de son éveil même.
Jadis Jérémie joua sur le mot « amandier » pour en faire la métaphore printanière de la veille et de l’éveil.
« La parole de YHVH me fut adressée en ces termes : ‘Que vois-tu, Jérémie ?’ Je répondis : ‘Je vois une branche d’amandier’. Alors YHVH me dit : ‘Tu as bien vu, car je veille sur ma parole, pour l’accomplir’. »i
Il y a là une allusion intraduisible. En hébreu, le mot שָׁקֵד, shaqed, « amandier », vient de la racine verbale שָׁקַד, « veiller », parce que, veillant sur l’arrivée du printemps, il fleurit le premier, avant les autres arbres.
Métaphoriquement, ce mot évoque aussi le Veilleur (שׁוֹקֵד, shôqed), qui est l’un des noms de Dieu, toujours en éveil, toujours vigilant.
Comme un amandier en hiver, la conscience veille à la venue du printemps qui la couvrira de fleurs. Elle rêve peut-être aussi de l’été qui les fera fructifier.
La conscience, plongée dans sa nuit, environnée d’hiver, veille. Elle attend son propre printemps, la venue de ce qui en elle est absent. Elle veille sur la révélation à venir.
Elle attend le moment de s’élever au-dessus de son essence, de son être de nature, et au-dessus de toute nature. Elle attend la manifestation de la sur-nature dans la nature.
Elle ne fuit pas l’expérience de la vie dans laquelle elle semble comme enfouie.
Elle veut plutôt la savourer dans son amplitude, la pressentir dans sa puissance, dans ses potentialités encore à paraître.
Dans l’obscur hiver, l’amandier sent-il en lui la sève montante ?
Sait-il le suc, lampe-t-il le lait de l’amande à venir?
Filons la métaphore de la sève, pour en savourer la saveur.
Il y a dans les plantes deux sortes de sèves, la sève « brute », qui « monte », et la sève « élaborée », qui « descend ».ii
La lumière est captée par des « antennes », elle est convertie en énergie, laquelle permet la synthèse des glucides, composant la sève « élaborée », nécessaire à la vie de la plante.iii En « descendant » cette sève prélève une partie de l’eau et des sels minéraux que contient la sève « montante ». Les deux sèves se croisent et collaborent pour nourrir la plante et la faire croître.
L’amandier, comme toutes les plantes, est une « antenne » arborescente, qui reçoit les signaux du ciel et de la terre, l’énergie de la lumière et de l’eau. En hiver, on l’a dit, il guette la venue du printemps. Dès qu’il en perçoit les signes annonciateurs, il en proclame la venue. Mobilisant la puissance de ses deux sèves, il bourgeonne, et se couvre de fleurs.
L’amandier « veilleur » est une métaphore de la conscience.
Tous deux, l’amandier et la conscience « veillent ».
Celui-là attend le printemps, la fleur et le fruit.
Celle-ci, l’élévation, la révélation et la transfiguration.
L’amandier a-t-il conscience de l’amande à venir ?
La conscience de l’homme, dès son origine, se lie au fœtus blotti dans l’amnios.
A-t-elle, dans sa nuit première, une subconscience qui veille sur elle ?
Après la naissance, elle vit comme un « enfant du monde »iv.
Rêve-t-elle dès lors à la venue présomptive d’une nouvelle mise au jour, d’une nouvelle venue à la vie ?
Comme l’amandier l’hiver, le philosophev, dans l’épochè, « suspend » la montée de sa conscience, la poussée de sa sève. La goûte-t-il alors dans cette attente ?
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iJr 1, 11-12
iiLa sève brute est une solution composée d’eau et de sels minéraux. Cette solution est absorbée au niveau des racines par les radicelles. Elle circule principalement dans le xylème, c’est-à-dire les vaisseaux du bois. Par le xylème, la plante faire monter la sève dans ses parties aériennes. Elle bénéficie pour ce faire d’un effet aspirant et de la pression racinaire.
L’effet aspirant est provoqué par les pertes d’eau (par transpiration et évaporation) au niveau des feuilles, ce qui entraîne une diminution de la pression. La baisse de pression attire alors l’eau du xylème vers le haut de la plante. La pression racinaire a lieu surtout la nuit. L’accumulation des sels minéraux dans la stèle de la racine provoque la venue de l’eau, une augmentation de la pression hydrique et l’ascension du liquide dans le xylème.
La sève élaborée est produite par la photosynthèse au niveau des feuilles, et se compose de saccharose. Elle descend pour être distribuée dans les divers organes de la plante, en empruntant un autre tissu conducteur, le phloème, à contre-courant de la sève brute, qui quant à elle monte dans le xylème. Cette double circulation permet aux molécules d’eau de passer du xylème vers le phloème. Cf. http://www.colvir.net/prof/chantal.proulx/BCB/circ-vegetaux.html#c-transport-de-la-sve-brute-
iii Les organismes qui utilisent la photosynthèse absorbent les photons lumineux dans des structures appelées « antennes ». Leur énergie excitent des électrons et provoquent leur migration sous forme d’excitons dont l’énergie sera ensuite convertie en énergie exploitable chimiquement. Ces « antennes » varient selon les organismes. Les bactéries utilisent des antennes en forme d’anneau, tandis que les plantes se servent des pigments de chlorophylle. Les études sur l’absorption des photons et le transfert d’électrons montrent une efficacité supérieure à 99 %, qui ne peut être expliquée par les modèles mécaniques classiques. On a donc théorisé que la cohérence quantique pouvait contribuer à l’efficacité exceptionnelle de la photosynthèse. Les recherches récentes sur la dynamique du transport suggèrent que les interactions entre les modes d’excitation électronique et vibratoire nécessitent une explication à la fois classique et quantique du transfert de l’énergie d’excitation. En d’autres termes, alors que la cohérence quantique domine initialement (et brièvement) le processus de transfert des excitons, une description classique est plus appropriée pour décrire leur comportement à long terme. Un autre processus de la photosynthèse qui a une efficacité de presque 100% est le transfert de charge, ce qui peut aussi justifier l’hypothèse que des phénomènes de mécanique quantique sont en jeu. Cf.Adriana Marais, Betony Adams, Andrew K. Ringsmuth et Marco Ferretti, « The Future of Quantum Biology », Journal of the Royal Society, Interface, vol. 15, no 148, 11 14, 2018.
ivSelon l’expression de E. Husserl. Philosophie première, t.II, Traduction de l’allemand par Arion Kelkel, PUF, 1972, p.173
vCf. E. Husserl. La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale. Gallimard, 1976, p.172
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