La conscience de soi est un rideau.


« G.W.F. Hegel »

Dans le premier chapitre de la première partie de la Phénoménologie de l’esprit, intitulée ‘Conscience’, Hegel commence par affirmer la certitude subjective du sensible, l’intuition ineffable du ‘ceci’.

Par contraste, les Upaniṣad concluent que l’ātman n’est ‘ni ceci ni cela’.i

Si l’on admet que le mot qu’emploie Hegel pour ‘conscience’, Bewusstsein, peut être mis en rapport avec l’ātman des textes védiques, il y a là deux points de vue contraires, deux intuitions opposées : la certitude du ceci, ou son refus.

Bewusstsein est défini dans les dictionnaires allemands comme une « connaissance claire », un « état de clarté mentale » ou encore comme « l’ensemble des processus psychiques par lesquels l’être humain devient conscient (bewußt) du monde extérieur et de lui-même »ii, cette dernière définition étant, d’ailleurs, quelque peu auto-référentielle…

Le mot ātman signifie le ‘Soi’, et aussi la ‘pure conscience d’être’. Il a une valeur bien plus métaphysique que psychologiqueiii.

Ces deux concepts, Bewusstsein et ātman, se recouvrent en une certaine mesure, mais divergent aussi notablement par leurs visées respectives, et par la façon dont la conscience semble apparaître à elle-même, soit progressivement, par l’activation de longs processus, soit se révélant d’emblée comme une totalité, comme une image microcosmique du macrocosme, comme image de l’Âme universelle ou comme essence de l’Être.

Pour Hegel, la conscience commence par se poser comme ‘être’ dans ce monde. Elle perçoit le monde à travers l’évidence du ‘ceci’, elle analyse cette évidence, puis la ‘dépasse’ par déhiscence (aufheben) pour accéder à un certain savoir d’elle-même, à ce qu’elle conçoit d’elle-même comme concept. Ce concept de la conscience ne se révèle que dans la ‘conscience de soi’ (Selbstbewusstsein), — une ‘conscience de soi’ qui est encore loin d’atteindre à la conscience du ‘Soi’.

En revanche, pour les Upaniad, l’ātman s’identifie d’emblée au ‘Soi’. Capable de lumière, d’éclairement et de discernement, l’ātman est cependant essentiellementvide’, tout comme est ‘vide’ le moyeu de la roue, qui lui permet de tourner, selon la célèbre analogie. L’ātman est vide, mais, par ce vide même, il peut comprendre virtuellement tous les êtres, il peut inclure en soi tous les niveaux de l’être. « Parce que [l’ātman] est sans mesure, il permet la mesure et c’est par lui que se fait la mesure. Étant sans mesure, il représente le mouvement d’élévation et de dépassement qui fait passer d’un état à un autre. »iv

On voit que la conscience hégélienne et l’ātman védique ont un point commun, la capacité de dépassement.

Mais le dépassement hégélien et le dépassement védique mènent-ils au même but ?

Pour Hegel, la certitude sensible, la perception immédiate du ‘ceci’, l’évidence intérieure d’avoir effectivement perçu l’existence et la réalité de ce ‘ceci’, paraît d’abord apporter à la conscience une connaissance riche, vraie, dense, ferme.

Mais cette connaissance se révèle en fait assez pauvre, abstraite, fallacieuse. Elle est en somme seulement faite de ce constat : ‘ceci est’. Il y a là une ‘chose qui est’. Que peut-on dire de plus? La conscience fait face au ‘ceci’, et voilà tout. Celle-ci perçoit ‘ceci’ et elle est certaine de cette perception. « Dans cette certitude, la conscience est seulement comme pur moi. »v La conscience du moi voit, purement et simplement, que ‘ceci est’. Le ‘pur moi’ a purement conscience de percevoir ‘ceci’, mais en fin de compte cette conscience ‘pure’ est encore simplement vide, — vide de tout concept sinon de tout percept.

Pour le Véda, en revanche, il n’y a ni ‘ceci’, ni ‘cela’, ni ‘pur moi’. Il y a l’ātman. Il n’y a d’ailleurs que l’ātman. Et il n’y a pas d’autre vérité au-delà de l’affirmation que l’ātman n’est ‘ni ceci ni cela’ (neti, neti)vi.

Il n’y a plus que ce ‘ni… ni…’, et ce que ce ‘ni’ répété révèle : l’ātman, impérissablevii, immortelviii, et qui est aussi le but suprême, le brahman.

« De là l’enseignement : ‘ni… ni…’ car il n’est rien qui soit au-delà de ce ‘ni’. Et son nom est ‘réalité de la réalité’, la réalité ce sont les souffles, il est leur réalité même. »ix

Le Veda nie tout ce qui dans le monde n’est pas l’ātman. L’esprit du chercheur védique nie toute expérience du monde, il nie tout, mais non le ‘ni’. Il nie tout jusqu’à ce qu’il ne reste plus en lui que le Soi, l’ātman. Il nie les corps, les noms et les formes, les sens et l’esprit, le moi lui-même, ce moi qui nie, qui, en fait, n’est pas un moi, mais qui est l’ātman, à savoir la réalité ultime, la réalité même, — le brahman.

Quelle est cette réalité, quel est ce brahman ?

Cela n’est rien de ce que l’on peut connaître. Cela se situe bien au-delà de ce que l’on ne peut même pas imaginer un jour connaître. On sait seulement que l’ātman est en réalité la réalité même, — l’ātman est le brahman…

Mais si le brahman est différent de tout ce qu’on l’on peut connaître et qu’il se situe bien au-delà de tout ce que l’on pourrait connaître, comment cette idée de l’ātman est-elle compatible avec celle de ‘conscience’ ?

Il faut s’en rapporter aux textes révélés qui livrent des éléments de réponse.

« Le brahman est en vérité différent du connu

et il est aussi au-delà du non-connu. »x

Śaṅkara, commentant ce versetxi, explique que tout ce qui est connu est par nature ‘limité’ et doit donc être ‘rejeté’. Or le brahman est différent du connu. Par conséquent, il n’y a pas de raison de le rejeter a priori. Comme le brahman se situe aussi ‘au-delà du non-connu’, le désir de le connaître est vain et n’a pas lieu d’être. Et ce, d’autant plus que l’ātman prend enfin conscience que le brahman n’est pas différent du Soi, c’est-à-dire de lui, l’ātman.

Mais comment le Soi (l’ātman) sait-il qu’il est aussi le brahman ?

Il le sait sur la foi des révélations védiques. Le Soi (ātman) est le brahman. Mais le brahman peut être bien autre chose encore… Il y a le brahman en tant qu’il est le Soi (ātman), il y a le brahman en tant qu’il est le Seigneur ou le Créateur de toutes choses, il y a le brahman en tant qu’il est le Souffle (prāņa), ou d’autres figures divines.

Le brahman recouvre toutes sortes de réalités, car il est la Réalité même. On conçoit qu’il soit, en soi, ineffable, indicible. Cependant le Véda peut au moins en dire ceci : c’est par lui que toute parole est révélée.

« Ce qui n’est pas dit par la parole,

ce par quoi la parole (vāk) est révélée,

cela seul est le brahman, sache-le,

non ce qu’on vénère ici comme tel. »xii

Le brahman n’est pas ce qui est dit par la parole, mais ce par quoi la parole peut être révélée.

Approfondissons. Qu’est-ce que ‘ce qui n’est pas dit par la parole’ ?

Śaṅkara répond que ‘ce qui n’est pas dit’, c’est « ce dont l’essence est faite de la seule conscience.»xiii

Le Véda dit que l’ātman est la conscience ; et il dit que c’est la conscience qui constitue l’essence même du brahman.

Si l’on veut continuer la comparaison entre Bewusstsein et ātman, il faut se demander ce que vise la conscience (‘das Bewusstsein’) pour Hegel, et quelle est sa substance ?

Dans la ‘Phénoménologie’ de Hegel, on l’a vu, la certitude initiale de la conscience se fonde seulement sur la visée du ceci, et de rien d’autre. Or le « ceci » se révèle plutôt vide. Au moins est-on certain de l’avoir perçu, même si on ne sait rien de plus à son propos que « ceci est », et que cette perception s’avère vide.

Cependant la faculté de perception porte en soi un principe d’universalité.xiv Tout ce qui existe dans le monde est susceptible d’être perçu, et le sentiment de certitude qui accompagne toute perception semble universel aussi.

Tout est, en principe, objet potentiel de perception. Mais, à l’évidence, les sens ne peuvent percevoir toutes choses. Plus précisément, tout ne se perçoit pas par les sens. Peut-on jeter un œil dans un trou noir? Peut-on pénétrer par les sens les neurones de l’ichtyosaure désormais disparu ? Peut-on regarder le regard même de Van Gogh ou de Phidias ?

Dans tout acte de perception, entrent en jeu un sujet et un objet. Le moi est un sujet à la fois universel et singulier, c’est-à-dire qu’il est capable en principe de percevoir tout ce qui est offert à la perception, et il perçoit de façon singulière. Chaque objet de la perception est, quant à lui, particulier, singulier.

Selon la terminologie de Descartes, le moi qui perçoit est la « chose pensante » (res cogitans) et l’objet perçu, puis pensé, est la « chose étendue » (res extensa).

Le moi pense à « ceci », et « ceci » est pensé ; l’un et l’autre sont des entités singulières.

Le moi est le symbole de tout ce qui perçoit et pense, et « ceci » est le symbole de tout ce qui est perceptible et pensable.

Pour le moi, percevoir le « ceci » puis le penser, revient à le « dépasser » en un sens. Le « ceci » était seulement « ceci » ; il est perçu dans ce qu’il est, et donc « dépassé » pour devenir un objet de pensée, une pensée propre au moi qui pense.xv

Dans le même temps, le moi se « dépasse » aussi, en tant qu’il pense qu’il perçoit, et en tant qu’il est conscient de penser et de percevoir.xvi

La conscience doit maintenant reconnaître l’unité de la chose perçue, pénétrer son essence et l’intégrer, ou se l’assimiler. La chose perçue présente en effet une multitude de propriétés indépendantes qu’il s’agit de subsumer sous une même unité de pensée. La conscience doit pouvoir « poser » ces diverses propriétés, les rassembler en une unité, une chose « une » (« Ineinsetzen »).xvii

Ce faisant, la conscience s’assume aussi comme « une », elle est « une » conscience placée face à la chose, qui, elle, est essentiellement diverse (et inconsciente). Elle perçoit cette chose diverse et la fait sienne, elle l’absorbe dans son unité de conscience. Elle l’élève dans sa propre vérité. Elle transforme ce qui n’était qu’une chose inconsciente en un objet unifié de la conscience.

La chose, matière pure, inconsciente de l’acte que la conscience opère à son sujet, est ainsi « dépassée » par la conscience qui la transcende, en effet.

La conscience fait participer la chose à sa propre unité. Elle perçoit sa diversité, puis l’unifie, et, par là, elle fait de la chose une entité une, comme elle-même est une.

« Elle fait alternativement, aussi bien de la chose que de soi-même, tantôt le pur Un sans multiplicité, tantôt le Aussi résolu en matières indépendantes les unes des autres. »xviii

Constituée en une unité, la chose est alors considérée comme entièrement entourée d’elle-même, comme réfléchie en elle-même par toutes ses parties ; elle est une unité intriquée avec ses parties; elle se focalise en ce foyer unifié qu’elle est pour elle-même. Elle est ainsi une unité pour soi, mais elle l’est aussi pour le sujet qui la considère et qui la constitue comme objet. Elle est une, à la fois pour soi et pour ce sujet, pour cet autre.

En étant ainsi une, elle est doublement double. Elle est d’abord double parce qu’elle est une entité pour soi, et une entité pour le sujet autre. Elle est double d’une deuxième manière, parce qu’elle est diverse et multiple, et qu’elle est aussi une.xix

L’objet n’y est pour rien, mais il se trouve dans une situation contradictoire. D’un côté, en tant qu’objet, il doit peut-être avoir une propriété essentielle, qui constituerait son véritable être-pour-soi. D’un autre côté, il doit avoir aussi en lui-même cette diversité, cette multiplicité, qui est inessentielle, mais qui le constitue en tant qu’objet pour un autre, un autre qui l’observe comme un sujet observe un objet.

D’un point de vue supérieur, d’un point de vue qui transcenderait celui du sujet et de l’objet (à supposer qu’un objet puisse avoir un point de vue), une sorte de contradiction phénoménologique émerge, qui fait de l’objet une entité à ‘supprimer’, au sens hégélien, aufheben, c’est-à-dire une entité à ‘dépasser’, aufheben, parce que fondamentalement ‘inessentielle’.xx

L’objet est en soi ‘inessentiel’ parce que c’est la conscience du sujet qui fait son unité, et qui détermine non son essence propre (en a-t-il une?), mais seulement l’essence que le sujet lui attribue. C’est la conscience du sujet qui, par l’opération de l’entendement, conçoit l’unité de l’être-pour-soi et de l’être-pour-un-autre de l’objet.

La distinction des points de vue du sujet et de l’objet, la considération de l’inessentiel et de l’essence dans l’objet, les abstractions de la singularité et de l’universalité, peuvent sembler n’être que des ‘sophistiqueries’xxi, censées surmonter l’illusion intrinsèque à toute perception et permettre de sortir de la contradiction phénoménologique évoquée plus haut.

Ces distinctions et ces considérations montrent surtout les limites de l’entendement humain, et particulièrement celles du ‘bon sens’ lorsqu’il est confronté aux abstractions que l’entendement engendre. Il est vite égaré par les sophismes.

Le bon sens se prend toujours pour « la conscience réelle et solide », mais il est vite le jouet de ces abstractions, quand il y tombe. « Il est en général toujours le plus pauvre là où, à son avis, il est le plus riche. Balloté çà et là par ces essences de néant, il est rejeté des bras de l’une dans les bras de l’autre. »xxii

Si le bon sens s’égare dans le néant des sophismes et tombe dans les abstractions, que doit faire la conscience ?

Il reste à la conscience une voie : chercher à se donner un objet qui soit ‘vrai’ par essence, un ‘universel inconditionné’, un concept pur, détaché de toute perception et de toute illusion.

Or il y a effectivement un tel concept pur, le seul concept qui vaille vraiment, à savoir le concept même de conscience, le pur concept d’une « pure conscience », le concept de la conscience qui se représente elle-même seulement pour elle-même.

Que recouvre ce ‘concept pur’ d’une ‘pure conscience’? — Sa capacité d’entendement, de compréhension, d’intelligence.

Mais qu’entend-on par cet ‘entendement’ ou cette ‘intelligence’ de la conscience ?

L’entendement est la capacité à ‘atteindre le fond véritable des choses’ xxiii, à regarder leur ‘essence véritable’xxiv, à plonger dans leur ‘Intérieur’ (« das Innere »), où se déploie le ‘jeu des forces’.

Dans ce ‘Vrai intérieur’ (« In diesem inneren Wahren ») s’ouvre devant la conscience un monde supra-sensible (« eine übersinnliche Welt »), qui se révèle être le ‘vrai monde’ (« die wahre Welt »). Ainsi, pour la conscience qui atteint ‘le fond véritable des choses’, s’ouvre un monde ‘de l’au-delà permanent’ (« das bleibende Jenseits »), bien au-dessus du monde de l’en-deça, qui est le monde sensible, éphémère.

L’Intérieur se révèle être ‘un pur au-delà pour la conscience’ (« Noch ist das Innere reines Jenseits für das Bewußtsein »), ‘puisqu’elle ne se retrouve pas encore en lui’xxv.

Est-ce à dire que l’Intérieur est à jamais inconnaissable pour la conscience ?

On pourrait le penser, puisque l’Intérieur se définit comme ce qui est ‘l’au-delà de la conscience’ (« als das Jenseits des Bewußtseins »)xxvi.

Comment la conscience pourrait-elle être consciente de ce qui est ‘au-delà’ d’elle ?

La conscience a, cependant, un moyen d’accès à l’Intérieur, à cet ‘au-delà supra-sensible’. Ce moyen, c’est le phénomène.xxvii Car l’Intérieur prend naissance dans le phénomène, il en provient, et il en est nourri. Puis il le dépasse.

On pourrait même dire que le phénomène est l’essence de l’Intérieur (« die Erscheinung ist sein Wesen »).

La vérité du sensible, l’essence du perçu, est d’être un ‘phénomène’ pour une conscience. Mais alors, la conscience de ce phénomène (sensible) induit une nouvelle prise de conscience, un nouveau niveau de conscience : la conscience prend conscience qu’elle est un étant ‘supra-sensible’.

La vérité du sensible est d’être essentiellement un ‘phénomène’ pour la conscience, pour cet Intérieur. De cela il s’ensuit qu’un nouvel état de conscience émerge, celui d’un Intérieur ‘supra-sensible’, qui est en quelque sorte un nouveau type de phénomène dont le phénomène est l’essence.

D’où la formule : ‘le supra-sensible est donc le phénomène comme phénomène’ (« Das Übersinnliche ist also die Erscheinung als Erscheinung »)xxviii.

La conscience que le phénomène n’est, purement et simplement, que ‘phénomène’, libère du même coup la conscience, et la fait advenir à un état plus élevé, dépassé, de conscience, — la conscience qu’existe un au-delà du sensible, et partant, la conscience qu’existe un au-delà de la conscience du sensible, et, par conséquent, la conscience qu’existe un au-delà de la conscience.

De tout ceci l’on peut conclure que la conscience est sans cesse en puissance de se dépasser elle-même. De la conscience du ‘ceci’, elle se dépasse en conscience de l’Intérieur, puis en conscience du supra-sensible, puis en conscience d’un au-delà de la conscience.

Sans cesse la conscience prend conscience de ses dépassements successifs ; elle prend conscience de sa capacité à être autre qu’elle-même et à être consciente de son devenir-autre.xxix

Mais cette prise de conscience n’est encore que pour elle-même. Elle n’a pas atteint d’autres états ultérieurs, putatifs, de la conscience, qui ne se révéleraient que dans de futurs dépassements. Elle n’a pas atteint, par exemple, la conscience de sa possible unité avec d’autres consciences, et moins encore celle de son unité avec la ‘conscience en général’xxx, laquelle peut être identifiée avec la « Raison ».

Cependant, par sa considération de la nature de la perception, et en s’élevant au-dessus d’elle, la conscience a découvert l’entendement.xxxi

Quelque chose comme un « rideau » vient d’être levé à l’intérieur de l’Intérieur.

Ce rideau levé, « c’est l’acte par lequel l’Intérieur regarde dans l’Intérieur. » C’est la « conscience de soi »xxxii.

Si le rideau est levé, tout sera-t-il désormais en pleine lumière ?

Il semble que non. Le cheminement ne fait que commencer.

« Derrière le rideau, comme on dit, qui doit recouvrir l’Intérieur, il n’y a rien à voir, à moins que nous ne pénétrions nous-même derrière lui, tant pour qu’il y ait quelqu’un pour voir, que pour qu’il y ait quelque chose à voir. »xxxiii

Il reste bien d’autres étapes à franchir.

« La connaissance de ce que la conscience sait quand elle se sait soi-même, requiert encore plus de considérations. »xxxiv

La connaissance que la ‘conscience de soi’ acquiert sur elle-même n’est jamais qu’une construction de l’esprit, et non une fin en soi. La ‘conscience de soi’ est encore loin de l’éveil ultime, elle ne s’est pas éveillée à « ce qui » est tout autre qu’elle-même.

___________________

i« Les Upaniṣad finissent avec ‘ni ceci, ni cela’ (neti neti) et ne traite de rien d’autre. » Śaṅkara. A Thousand Teachings. Ch. 18, §19. Trad. Swāmi Jagadānanda, Ed. Sri Ramakrishna Math, Madras, 1949, p.223

iiLa langue allemande distingue Bewußtsein et Bewußtsheit. Le Dictionnaire étymologique Duden définit Bewußtsein comme : « deutliches Wissen von etwas (connaissance claire de quelque chose); Zustand geistiger Klarheit (état de clarté mentale) ; Gesamtheit der psychichen Vorgänge, durch die sich der Mensch der Aussenwelt und seiner silbst bewußt wird (Ensemble des processus psychiques par lesquels l’être humain devient conscient du monde extérieur et de lui-même). » Le mot Bewußtsheit est défini comme : « das Geleitetsein durch das klare Bewußtsein » (le fait d’être dirigé par une claire conscience).

iiiLe dictionnaire sanskrit-français de Gérard Huet définit ātman comme : « souffle, principe de vie; âme; esprit, intelligence; soi; essence, caractère, nature; particularité » et indique que c’est aussi le nom propre du “Soi”, de « l’Âme universelle », de « l’essence immuable de l’ Être », ou encore de « la forme microcosmique du brahman ».

iv Alyette Degrâces, Les Upaniad, Introduction, p.73. Fayard, 2014

vG.W.F. Hegel. La Phénoménologie de l’esprit. Trad. Jean Hyppolite. Aubier. 1941, p.81

viनेति नेति (neti neti) est une expression sanskrite qui signifie littéralement « ni ainsi ni ainsi ». « Neti » est une liaison/contratction (sandhi) de « na iti » (« non ainsi »). Elle est employée dans les Upaniṣad (BAU 3.9.26, : 4.2.4 ; 4.4.22 ; 4.5.15) et dans la pratique du Yoga Jñana, qui consiste à nier tous les objets de la conscience y compris les pensées et l’esprit, pour réaliser la nature essentiellement non-dualiste de la réalité, qui est le brahman.

viiBṛhadāraṇyakaUpaniad (BAU) 4.5.14 

viiiChāndogya Upaniad (CU) 4.15,1 : « L’ātman est immortel, sans crainte, il est brahman. » Voir aussi CU 8.3.4 ; CU 8.8.3 : « C’est le Soi (ātman), il est immortel, libre de peur, c’est le brahman. »

ixBṛhadāraṇyakaUpaniad 2.3.6 Trad. Alyette Degrâces, Les Upaniad, Fayard, 2014, p.247

xKena Upaniad 1.4 Trad. Alyette Degrâces, Les Upaniad, Fayard, 2014, p.210

xi« Pour autant que toute chose est connue, quelque part, par quelqu’un, tout ce qui est manifesté est certainement connu. Mais l’idée [de ce verset] est qu’Il [le brahman] est différent de cela, de ce qui est ‘connu’ (…) Tout ce qui est connu est limité, mortel, et plein de misère ; et donc cela doit être rejeté. Ainsi quand on dit que le brahman est différent du connu, cela revient à dire qu’Il ne doit pas être rejeté. De façon similaire, quand on dit qu’Il est différent du non-connu, cela revient à affirmer qu’Il n’est pas quelque chose que l’on peut obtenir. C’est dans le but d’obtenir un effet que quelqu’un acquiert quelque chose de différent de lui-même pour servir de cause.Ainsi l’affirmation que le brahman est différent du connu et du non-connu, signifiant que l’on nie que le brahman soit un objet à atteindre ou à rejeter, le désir du disciple de connaître (objectivement) le brahman vient à une fin [le désir se termine], car le brahman n’est pas différent du Soi (ātman). (Ou, selon une autre lecture, le désir du disciple de connaître un brahman, différent du Soi, se termine). Car rien d’autre que son propre Soi peut se révéler différent du connu et du non-connu. Ainsi il s’ensuit que la signification de cette phrase est que le Soi est le brahman. Et cela découle aussi de textes védiques comme ‘Ce Soi est le brahman’, ‘Le Soi qui est libre de mal, libre de vieillesse, libre de mort.’(Ch. Up 8.7.1), ‘Le brahman manifeste et perceptible, qui est le Soi au-dedans de Tout.’ (Bṛ 3.4.1) (…) Mais comment le Soi (ātman) peut-il être le brahman ? Le Soi est habituellement connu comme être ce qui peut effectuer les rites et pratiquer la méditation, ce qui est soumis à la naissance et à la mort, ce qui cherche à atteindre les dieux créés et dirigés par le Créateur (Brahmā). Il s’ensuit que des êtres divins autres que le Soi, comme le dieu Viņu, le Seigneur (Ῑśvara), Indra ou le souffle (prāņa), peuvent bien être le brahman, — mais ils ne sont pas le Soi (ātman) ; car cela est contraire au sens commun. Tout comme les raisonneurs disent que le Soi est différent du Seigneur, de même les ritualistes adorent d’autres dieux et disent :‘Sacrifiez à celui-ci’, ‘Sacrifiez à celui-là’. Donc il est raisonnable que ce soit le brahman qui soit connu et adoré; et l’adorateur devrait être différent de lui. » Commentaire de la Kena Upaniad 1.4 par Śaṅkara. Eight Upaniads. Traduction en anglais du sanskrit par Swāmῑ Ghambῑrānanda. Calcutta 1977, Vol. 1. p.48

xiiKeU 1.5 Trad. Alyette Degrâces, Les Upaniad, Fayard, 2014, p.210

xiiiCommentaire de la Kena Upaniad 1.5 par Śaṅkara. Eight Upaniads. Traduction en anglais du sanskrit par Swāmῑ Ghambῑrānanda. Calcutta 1977, Vol. 1. p.49

xiv« La certitude immédiate ne prend pas possession du vrai, car sa vérité est l’universel ; mais elle veut prendre le ceci. Au contraire, tout ce qui pour la perception est l’étant est pris par elle comme Universel. L’universalité étant son principe en général, sont aussi universels les moments se distinguant immédiatement en elle : le moi comme moi universel, et l’objet comme objet universel. » G.W.F. Hegel. La Phénoménologie de l’esprit. Trad. Jean Hyppolite. Aubier. 1941, p.93

xv« Le « dépasser » (aufheben) [le sensible] présente sa vraie signification double. Il a à la fois le sens de nier et celui de conserver. » G.W.F. Hegel. La Phénoménologie de l’esprit. Trad. Jean Hyppolite. Aubier. 1941, p.94

xviDans la perception, « la conscience est en même temps consciente qu’elle se réfléchit aussi en soi-même, et que dans l’acte de percevoir se présente le moment opposé à l’aussi. Mais ce moment est l’unité de la chose avec soi-même, unité qui exclut de soi la différence. » G.W.F. Hegel. La Phénoménologie de l’esprit. Trad. Jean Hyppolite. Aubier. 1941, p.101

xvii« La conscience prend sur soi l’être-un, et ainsi ce qui était nommé propriété est maintenant représenté comme matière libre. De cette façon la chose est élevée au véritable aussi puisqu’elle devient une collection de matières, et au lieu d’être un Un devient seulement la surface qui les enveloppe. » Ibid. p.101

xviiiIbid. p.102

xix« La chose est un Un, elle est réfléchie en soi-même, elle est pour soi mais elle est aussi pour un autre; et en vérité elle est pour soi un autre qu’elle n’est pour un autre. Ainsi la chose est pour soi et aussi pour un autre, il y a en elle deux êtres divers ; mais elle est aussi un Un ; or l’être-un contredit cette diversité ; la conscience, par conséquent, devrait de nouveau prendre sur soi cette position du divers dans un Un et l’écarter de la chose.» Ibid. p.102

xx« D’un seul et même point de vue, l’objet est plutôt le contraire de soi-même: pour soi, en tant qu’il est pour un autre, et pour un autre en tant qu’il est pour soi. Il est pour soi, réfléchi en soi, est un Un; mais cet Un pour soi et réfléchi en soi est dans une unité avec son contraire, l’être-pour-un-autre, il est donc posé seulement comme un être-supprimé; en d’autres termes, cet être-pour-soi est inessentiel comme est inessentielle sa relation avec un autre. »Ibid. p.104-105

xxi« Sophisterei »

xxiiIbid. p.106

xxiii« Den wahren Hintergrund der Dinge ». G.W.F. Hegel. Phänomenologie des Geistes. Leipzig, 1907, p.95

xxiv« Dieses wahrhafte Wesen der Dinge ». G.W.F. Hegel. Phänomenologie des Geistes. Leipzig, 1907, p.95

xxv« Denn es findet sich selbst in ihm noch nicht ». G.W.F. Hegel. Phänomenologie des Geistes. Leipzig, 1907, p.96

xxviG.W.F. Hegel. Phänomenologie des Geistes. Leipzig, 1907, p.97

xxvii« Mais l’Intérieur ou l’au-delà supra-sensible a pris naissance, il provient du phénomène, et le phénomène est sa médiation, ou encore le phénomène est son essence, et en fait son remplissement. Le supra-sensible est le sensible et le perçu posés comme ils sont en vérité ; mais la vérité du sensible et du perçu est d’être phénomène. » G.W.F. Hegel. La Phénoménologie de l’esprit. Trad. Jean Hyppolite. Aubier. 1941, p.121-122

xxviiiG.W.F. Hegel. Phänomenologie des Geistes. Leipzig, 1907, p.97

xxix« La conscience d’un Autre, d’un objet en général, est en vérité elle-même nécessairement conscience de soi, être réfléchi en soi-même, conscience de soi-même dans son être-autre. » G.W.F. Hegel. La Phénoménologie de l’esprit. Trad. Jean Hyppolite. Aubier. 1941, p.140

xxx« Das Selbstbewußtsein ist erst für sich geworden, noch nicht als Einheit mit dem Bewußtsein überhaupt » G.W.F. Hegel. Phänomenologie des Geistes. Leipzig, 1907, p.112

xxxi« En fait l’entendement fait seulement l’expérience de soi-même. Élevée au-dessus de la perception, la conscience se présente elle-même jointe au supra-sensible par le moyen du phénomène, à travers lequel elle regarde dans le fond des choses. Les deux extrêmes, celui du pur Intérieur, et celui de l’Intérieur regardant dans ce pur intérieur, coïncident maintenant. » G.W.F. Hegel. La Phénoménologie de l’esprit. Trad. Jean Hyppolite. Aubier. 1941, p.140

xxxiiG.W.F. Hegel. La Phénoménologie de l’esprit. Trad. Jean Hyppolite. Aubier. 1941, p.140

xxxiiiG.W.F. Hegel. La Phénoménologie de l’esprit. Trad. Jean Hyppolite. Aubier. 1941, p.140-141

xxxivG.W.F. Hegel. La Phénoménologie de l’esprit. Trad. Jean Hyppolite. Aubier. 1941, p.141

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