Athanasius Kircher, jésuite, savant encyclopédique, l’un des plus brillants esprits du 17ème siècle européen, s’est intéressé à la Chine, alors nouvellement à la mode. Les Jésuites étaient engagés depuis 1582 dans l’exploration intellectuelle de cette civilisation, avec la mission de Matteo Ricci.
Kircher a publié en 1670 à Amsterdam sa « Chine illustrée ». Il y traite entre autre de l’écriture idéographique, dont le principe lui reste encore obscur, selon toute apparence, puisqu’il fait découler les idéogrammes des hiéroglyphes:
« Les premiers Chinois estant descendus des Égyptiens ont suivi leurs façons de faire pour leurs écritures. »
Il observe « la ressemblance qu’il y a des anciens caractères chinois avec les Hiéroglyphiques ».
Il propose une étonnante classification des idéogrammes chinois selon seize « formes », tirées de sa riche imagination, et basées sur les ressemblances supposées des caractères chinois avec telles ou telles formes naturelles.
Voici quelques extraits décrivant ces « formes » (avec l’orthographe un peu décalée utilisée par le livre de Kircher).
Forme I : « Vous voyés icy des serpents merveilleusement entrelassés les uns avec les autres, et qui ont diverses figures selon la diversité des clases qu’ils signifient. »
Forme II : « La Iième forme des anciennes lettres se prend des choses de l’agriculture. »
Forme III : « La 3ème forme des lettres est composée de quantités d’oiseaux, qu’on appelle Fum Hoam, et qu’on dit être la plus belle de toutes celles que les yeux peuvent voir : parce qu’elle est faite de plusieurs plumes, & de plusieurs ailes.
Forme IV : « La 4ème forme des caractères anciens (…) est tirée des huitres et des vers. »
Forme V : « La V. forme est composée des racines des herbes. »
Forme VI : « La VI. forme est composée des restes d’oiseaux. »
Forme VII : « La VII. Forme, faites de tortues. »
Forme VIII : « La VIII forme – faites d’oyseaux & de paons. »
Forme IX : « Faite d’herbes, d’aisles & de faisseaux. »
Forme X : « Leur signification est quai ço xi ho ki ven ou bien autrement, ço autheur de certains tables pour n’oublier pas ce qu’il sçavait, a composé ces lettres. »
Forme XI : « Prend la figure des étoiles et des plantes. »
Forme XII : « Lettres des édits anciennement utilisés. »
Forme XII : « Yeu çau chi eyen tao. »
Forme XII : « Lettres du repos, de la joye, de la science, des entretiens, des ténèbres et de la clarté. »
Forme XV : « Composée de poissons. »
Forme XVI : « N’a pas à être lue : c’est pourquoi on n’a pas su comprendre ce que cela voulait dire. »
Au-delà de l’indéniable poésie de ce catalogue décousu, répétitif et fantaisiste, ressort surtout l’absolue ignorance de l’un des esprits européens les plus agiles de son temps à l’égard d’une culture il est vrai difficile d’accès.
On peut penser que de tels phénomènes d’aveuglement, d’incompréhension inter-culturelle, loin d’être dépassés dans un monde mondialisé, s’observent encore de nos jours.