De la conscience des stégosaures


« Stégosaurus »

La conscience est le véritable théâtre du monde, et les dieux s’y pressent. N’être pas reconnus par elle, et notamment par la pensée des hommes, signe leur mort, non leur mort absolue, mais du moins leur mort relative, leur éviction hors de la conscience, leur exclusion. Le premier Dieu d’ailleurs fut aussi farouchement exclusif lui-même, car il ne voulut certes pas être exclu de la conscience des hommes.

« Ce premier Dieu exclusif, que nous pouvons nommer Ouranos, ne veut naturellement pas se laisser évincer de la conscience, du centre, mais il résiste à la succession ; il est le Dieu an-historique selon sa nature, le Dieu qui refuse de [s’engager] dans le temps, qui ne devient historique qu’une fois posé en tant que passé. »i

Le premier Dieu est « jaloux »ii, car il veut être seul reconnu, mais il veut aussi être aimé. C’est pourquoi, bien que restant fondamentalement exclusif, il a pu progressivement se laisser être dépassé puis surpassé par un Dieu moins exclusif, plus spirituel, plus aimant. Ce Dieu du dépassement serait toujours lui, le Dieu unique, sans être tout à fait lui, le Dieu exclusif. Peut-être ce que le Dieu désire vraiment reste-t-il en fait caché derrière son exclusion de tout Autre que lui ? Ce qu’il désire reste caché dans son Être, dans son apparente primauté. Il se rend potentiellement surpassable par l’Autre qu’il conçoit en lui en puissance (puisqu’il se veut a priori exclusif c’est qu’il sait pouvoir être lui-même exclu), sans être surpassé pour autant en son être. Car il peut être l’un et l’autre à la fois. Son Être (divin) participe à l’Autre, et l’Autre participe à son Être.

Cette question de l’interpénétration profonde de l’Être et de l’Autre a été traitée par Platon dans le Sophiste:

« Les genres se mêlent entre eux ; l’Être et l’Autre circulent à travers tous et ces deux genres à travers l’un l’autre ; l’Autre, participant à l’Être, « est », non qu’il soit cependant ce dont il participe, mais autre chose, et, d’autre part, étant autre chose que l’Être, forcément il est en toute certitude non-être. Quant à l’Être, puisqu’à son tour il participe à l’Autre, il doit être autre chose que tous les genres sans exception (…) par suite, milliers de fois sur milliers de fois, l’Être à son tour « n’est pas », et c’est ainsi dès lors que, pour lui, tout le reste, aussi bien pris individuellement que dans son ensemble, un grand nombre de fois « est », un grand nombre de fois « n’est pas ». »iii

De même, le Dieu exclusif, en tant qu’il est exclusif, « n’est pas » tout ce qu’il exclut de lui-même. Tout le reste, tous les autres dieux, mais aussi toute autre chose dans le monde, tout cela donc « n’est pas ».

Or la conscience « est », et elle n’a pas conscience de « n’être pas ». Elle ne peut donc longtemps concevoir un Dieu qui seul prétend « être » au prix du « non-être » de tout ce qu’il n’est pas. Alors commence dans la conscience le lent murissement qui la conduira à considérer que le Dieu premier, celui qui se veut être exclusif, précisément « n’est pas » tout ce qu’il n’est pas, il « n’est pas » tout ce qu’il exclut. Et la conscience considérera que le nouveau Dieu, plus spirituel, plus aimant et non exclusif, ce nouveau Dieu qui en quelque sorte « n’est pas », pourtant « est », par le truchement de la conscience. Il « est » en elle, véritablement, au moins autant qu’elle même.

On voit par là que la conscience est bien au « centre » du jeu, du moins autant que le Dieu qui veut occuper précisément ce centre.

La mythologie nous informe sur ces combats des dieux successifs au sein de la conscience humaine. Hésiode met en scène successivement Chaos, Gaïa, Éros, puis Ouranos, Kronos, Zeus, … dans une allègre profusion. Mais, dans cette litanie de noms, Ouranos fut le premier à avoir eu le désir de rester seul Dieu suprême. Pour éliminer sa descendance, il fit disparaître ses enfants, leur refusant le droit à lui succéder. Cet égoïsme précipita sa chute, et la perte de ses organes sexuels. Castré par Kronos, Ouranos ne put empêcher le cours de l’histoire mythologique de reprendre sa marche en avant.

Ouranos, le premier des Dieux exclusifs, ne put empêcher la conscience de continuer à grandir en elle-même, et à tourner son penser vers l’avenir.

On pourrait être de l’opinion que les premières représentations mythologiques des divinités qui se succèdent chez Hésiode ne sont que des productions aléatoires, involontaires, éphémères, d’une conscience encore un peu inconsciente de sa puissance, et de sa destinée lointaine.

Pourtant, ce qui ressort de ce processus mythologique, c’est l’évidence que la conscience humaine se met « hors d’elle-même » pour tenter d’atteindre ce à quoi elle ne rêve pas encore, pour tenter de concevoir un Dieu qui lui convienne mieux qu’un Dieu « jaloux », mais haï de son épouse, et castré par ses enfants.

Il y eut des peuples, comme les Grecs anciens, dont la conscience se dédoubla, et opposa le Dieu premier, réel, exclusif, Ouranos, et un Dieu second, Kronos, qui fut le Dieu qui castra son père Ouranos, pour libérer la descendance divine, et rendre son cours à l’histoire universelle.

Mais ce second Dieu ne fut pas plus sage que le premier. Kronos, jaloux de sa primauté, se mit pour sa part à dévorer ses propres enfants.iv

Pour enfin avoir un Dieu « sage », au plus haut de l’Olympe, bien au-dessus du ciel d’Ouranos, il fallut qu’un troisième Dieu apparaisse. Ce fut Zeus, engendré de Kronos. Zeus est appelé « sage » par Hésiode, et Homère dit qu’il est « le plus sage » et le plus « intelligent »v.

Il y eut d’autres peuples, comme le peuple hébreu, qui refusèrent absolument toute opposition entre le Dieu exclusif, unique (YHVH) et la multitude des Elohim (mot qui signifie littéralement « dieux » et qui est grammaticalement un pluriel en hébreu). Ces « dieux » ou « seigneurs » étaient conçus comme le servant dans ses armées célestes (tsabaoth). Cette multitude armée et divine se confondit bientôt avec le Dieu un, et Elohim devint l’un des noms propres et prononçables du Dieu unique, YHVH, nom quant à lui ineffable.

Il y eut des peuples, comme les Perses, qui refusèrent la rupture entre le Dieu réel, unique, et le Dieu spirituel, non moins unique, et qui les reconnurent comme identiques, tout en refoulant l’opposition fondamentale du réel et du spirituel sous la forme de deux principes. Dans le zoroastrisme (ou mazdéisme), Ahura Mazda, littéralement le « Seigneur Sage » est cet Esprit suprême, sous l’égide duquel s’oppose deux principes, Spenta Mainyu (l’Esprit Saint) et Angra Mainyu (le Mauvais Esprit). Le dualisme zoroastrien représente le combat du principe mauvais et du principe bon, pour faire triompher le second, sous l’égide suprême d’Ahura Mazda.

La « conscience perse » ne conçut pas l’indépendance du Dieu réel, elle s’opposa à la séparation du Dieu réel (solitaire, unique et jaloux) et du Dieu idéal (libérateur, sage, et juste).

Cependant la fin des mythologies était inscrite dans l’histoire. Avec le déclin de l’Empire romain, et la naissance du christianisme, toutes les représentations mythologiques de la Grèce et de Rome, disparurent comme neige au soleil, dans la conscience des hommes, tout comme avaient disparu en leur temps les représentations mythologiques de l’Égypte ancienne, ou, plus à l’Est, les représentations mythologiques du Véda ou de l’Avesta.

On peut faire l’hypothèse que le processus même de ce que l’on pourrait appeler la « divinisation » progressive de la conscience de l’humanité continua sous une autre forme, dans cette nouvelle ère, pour le meilleur comme pour le pire.

Le christianisme spiritualisa la notion hébraïque du Dieu « un » en lui substituant une interprétation plus large, à la fois une et trinitaire, et ceci sans contradiction. C’était une représentation « une » parce qu’il s’agissait toujours du même Dieu, qui est « un » par essence, et c ‘était une représentation « trine », parce que c’est ainsi qu’il se manifestait aux hommes dans cette nouvelle conception. Il s’incarnait pour un temps dans l’histoire réelle (par le truchement de Jésus, son « Fils ») et il s’incarnait aussi dans l’esprit des hommes (par l’effusion du « saint Esprit »).

Cette notion trinitaire n’était formellement pas si nouvelle. Elle avait toujours été présente de façon immanente dans les textes mêmes de la Bible hébraïque, et elle avait été fameusement symbolisée par la visite de YHVH, prenant la forme de « trois hommes », lors de sa visite à Abraham, au chêne de Mambré. D’autres indices de son intrinsèque trinité avaient été donnés subliminalement dans la Bible hébraïque par les diverses occurrences de son Nom, prenant une triple forme, ainsi : « YHVH Elohenou YHVH » (Dt 6,4)i, « Ehyeh Asher Ehyeh » (Ex 3,14), ou « Kadosh Kadosh Kadosh », triple attribut de YHVH  (Is 6,3).

Parmi les ‘triplets’ de noms divins dont le Dieu unique se sert pour se nommer Lui-même, il y a l’étrange expression, « Moi, Moi, Lui », d’abord rapportée par Moïse (Dt 32,39), puis reprise plusieurs fois par Isaïe (Is 43,10 ; Is 43,25 ; Is 51,12 ; Is 52,6).

En hébreu:  אֲנִי אֲנִי הוּא ani ani hu’, « Moi Moi Lui ».vi

Faisons maintenant une expérience de pensée, pour conclure cet article (qui ne fait que reprendre certains éléments devant alimenter la rédaction de mon prochain ouvrage sur l’aventure de la conscience). Plaçons nous dans six millénaires (si le climat nous est clément), ou même, soyons fous, dans six cent mille millénaires. Que sera devenue la religion des hommes alors ? Trouvera-t-on sur terre des synagogues ou des églises ? Ou bien des temples au Dieu inconnu ?

Ne convient-il pas plutôt de faire l’hypothèse que la conscience humaine aura atteint des formes de sagesse ou de maturité absolument inconcevables pour notre conscience actuelle. Ne serons-nous pas considérés par nos fort lointains descendants comme des stégosaures ou des mosasaures, à l’intelligence fort peu développée et à la sagesse quasi inexistante?

Faisons ici le pari que, oui, la conscience humaine a une vocation abyssale à se développer infiniment, à atteindre les étoiles, et à les dépasser.

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i F.W.J. Schelling. Philosophie de la mythologie. Trad. Alain Pernet. Ed. Millon, Grenoble, 2018, Leçon 11, p.139

ii אֵל קַנָּא El qanna’ : « Dieu jaloux ». Cf. «  Car YHVH, son nom est ‘Jaloux’, Il est un Dieu jaloux! » (Ex 34, 14). Voir aussi, pour un commentaire, mon Blog, Métaphysique du Dieu « Jaloux  | «Metaxu. Le blog de Philippe Quéau

iiiPlaton. Le Sophiste. 259a-b

ivHésiode, dans la Théogonie, raconte la naissance du « sage Zeus », et comment il parvint à la suprématie olympienne en détrônant son père, le cruel Kronos, qui voulait garder pour lui le pouvoir suprême parmi les Immortels : « Et Rhéia, domptée par Kronos, enfanta une illustre race : Istiè, Dèmètèr, Hèrè aux sandales dorées, et le puissant Aidès qui habite sous terre et dont le cœur est inexorable, et le retentissant Poseidaôn, et le sage Zeus, père des Dieux et des hommes, dont le tonnerre ébranle la terre large. Mais le grand Kronos les engloutirait, à mesure que du sein sacré de leur mère ils tombaient sur ses genoux. Et il faisait ainsi, afin que nul, parmi les illustres Ouranides, ne possédât jamais le pouvoir suprême entre les Immortels. Il avait appris, en effet, de Gaia et d’Ouranos étoilé qu’il était destiné à être dompté par son propre fils, par les desseins du grand Zeus, malgré sa force. Et c’est pourquoi, non sans habileté, il méditait ses ruses et dévorait ses enfants. Et Rhéia était accablée d’une grande douleur. »

v Hésiode, dans la Théogonie, dit à propos du « sage Zeus » qu’il rassembla tous les autres Dieux immortels dans l’Ouranos pour leur rendre leur rang et leurs honneurs, en toute justice: « Le foudroyant Olympien appela tous les Dieux immortels dans le large Ouranos, leur disant qu’aucun des Dieux qui combattrait avec lui contre les Titans ne serait privé de récompenses, mais qu’il garderait les honneurs qu’il possédait déjà parmi les Dieux immortels. Et il dit que ceux qui de Kronos n’avaient eu ni honneurs ni récompenses recevraient ces honneurs et ces récompenses selon la justice. » Homère quant à lui, ne cesse de chanter dans l’Iliade et l’Odyssée l’intelligence, la sagesse et la ruse de Zeus.

viUne analyse de ce nom est proposée dans mon Blog Le Dieu « Moi Moi Lui » | Metaxu. Le blog de Philippe Quéau

The Divine, – Long Before Abraham


More than two millennia B.C., in the middle of the Bronze Age, so-called « Indo-Aryan » peoples were settled in Bactria, between present-day Uzbekistan and Afghanistan. They left traces of a civilisation known as the Oxus civilisation (-2200, -1700). Then they migrated southwards, branching off to the left, towards the Indus plains, or to the right, towards the high plateau of Iran.

These migrant peoples, who had long shared a common culture, then began to differentiate themselves, linguistically and religiously, without losing their fundamental intuitions. This is evidenced by the analogies and differences between their respective languages, Sanskrit and Zend, and their religions, the religion of the Vedas and that of Zend-Avesta.

In the Vedic cult, the sacrifice of the Soma, composed of clarified butter, fermented juice and decoctions of hallucinogenic plants, plays an essential role. The Vedic Soma has its close equivalent in Haoma, in Zend-Avesta. The two words are in fact the same, if we take into account that the Zend language of the ancient Persians puts an aspirated h where the Sanskrit puts an s.

Soma and Haoma have a deep meaning. These liquids are transformed by fire during the sacrifice, and then rise towards the sky. Water, milk, clarified butter are symbols of the cosmic cycles. At the same time, the juice of hallucinogenic plants and their emanations contribute to ecstasy, trance and divination, revealing an intimate link between the chemistry of nature, the powers of the brain and the insight into divine realities.

The divine names are very close, in the Avesta and the Veda. For example, the solar God is called Mitra in Sanskrit and Mithra in Avesta. The symbolism linked to Mitra/Mithra is not limited to identification with the sun. It is the whole cosmic cycle that is targeted.

An Avestic prayer says: « In Mithra, in the rich pastures, I want to sacrifice through Haoma.”i

Mithra, the divine « Sun », reigns over the « pastures » that designate all the expanses of Heaven, and the entire Cosmos. In the celestial « pastures », the clouds are the « cows of the Sun ». They provide the milk of Heaven, the water that makes plants grow and that waters all life on earth. Water, milk and Soma, all liquid, have their common origin in the solar, celestial cows.

The Soma and Haoma cults are inspired by this cycle. The components of the sacred liquid (water, clarified butter, vegetable juices) are carefully mixed in a sacred vase, the samoudra. But the contents of the vase only take on their full meaning through the divine word, the sacred hymn.

« Mortar, vase, Haoma, as well as the words coming out of Ahura-Mazda‘s mouth, these are my best weapons.”ii

Soma and Haoma are destined for the Altar Fire. Fire gives a life of its own to everything it burns. It reveals the nature of things, illuminates them from within by its light, its incandescence.

« Listen to the soul of the earth; contemplate the rays of Fire with devotion.”iii

Fire originally comes from the earth, and its role is to make the link with Heaven, as says the Yaçna.iv

« The earth has won the victory, because it has lit the flame that repels evil.”v

Nothing naturalistic in these images. These ancient religions were not idolatrous, as they were made to believe, with a myopia mixed with profound ignorance. They were penetrated by a cosmic spirituality.

« In the midst of those who honor your flame, I will stand in the way of Truth « vi said the officiant during the sacrifice.

The Fire is stirred by the Wind (which is called Vāyou in Avestic as in Sanskrit). Vāyou is not a simple breath, a breeze, it is the Holy Spirit, the treasure of wisdom.

 » Vāyou raises up pure light and directs it against the dark ones.”vii

Water, Fire, Wind are means of mediation, means to link up with the one God, the « Living » God that the Avesta calls Ahura Mazda.

« In the pure light of Heaven, Ahura Mazda exists. »viii

The name of Ahura (the « Living »), calls the supreme Lord. This name is identical to the Sanskrit Asura (we have already seen the equivalence h/s). The root of Asura is asu, “life”.

The Avestic word mazda means « wise ».

« It is you, Ahura Mazda (« the Living Wise One »), whom I have recognized as the primordial principle, the father of the Good Spirit, the source of truth, the author of existence, living eternally in your works.”ix

Clearly, the « Living » is infinitely above all its creatures.

« All luminous bodies, the stars and the Sun, messenger of the day, move in your honor, O Wise One, living and true. »x

I call attention to the alliance of the three words, « wise », « living » and « true », to define the supreme God.

The Vedic priest as well as the Avestic priest addressed God in this way more than four thousand years ago: « To you, O Living and True One, we consecrate this living flame, pure and powerful, the support of the world.”xi

I like to think that the use of these three attributes (« Wise », « Living » and « True »), already defining the essence of the supreme God more than four thousand years ago, is the oldest proven trace of an original theology of monotheism.

It is important to stress that this theology of Life, Wisdom and Truth of a supreme God, unique in His supremacy, precedes the tradition of Abrahamic monotheism by more than a thousand years.

Four millennia later, at the beginning of the 21st century, the world landscape of religions offers us at least three monotheisms, particularly assertorical: Judaism, Christianity, Islam…

« Monotheisms! Monotheisms! », – I would wish wish to apostrophe them, – « A little modesty! Consider with attention and respect the depth of the times that preceded the late emergence of your own dogmas!”

The hidden roots and ancient visions of primeval and deep humanity still show to whoever will see them, our essential, unfailing unity and our unique origin…

iKhorda. Prayer to Mithra.

iiVend. Farg. 19 quoted in Émile Burnouf. Le Vase sacré. 1896

iiiYaçna 30.2

ivYaçna 30.2

vYaçna 32.14

viYaçna 43.9

viiYaçna 53.6

viiiVisp 31.8

ixYaçna 31.8

xYaçna 50.30

xiYaçna 34.4

The « Book » and the « Word ».


The high antiquity of the Zend language, contemporary to the language of the Vedas, is well established. Eugène Burnoufi even considers that it presents certain characteristics of anteriority, which the vocal system testifies to. But this thesis remains controversial. Avestic science was still in its infancy in the 19th century. It was necessary to use conjectures. For example, Burnouf tried to explain the supposed meaning of the name Zarathustra, not without taking risks. According to him, zarath means « yellow » in zend, and uchtra, « camel ». The name of Zarathustra, the founder of Zoroastrianism, would thus mean: « He who has yellow camels »?

Burnouf, with all his young science, thus contradicts Aristotle who, in his Treatise on Magic, says that the word Ζωροάστρην (Zoroaster) means « who sacrifices to the stars ».

It seems that Aristotle was right. Indeed, the old Persian word Uchtra can be related to the Indo-European word ashtar, which gave « astre » in French and « star » in English. And zarath can mean « golden ». Zarathustra would then mean « golden star », which is perhaps more appropriate to the founder of a thriving religion.

These questions of names are not so essential. Whether he is the happy owner of yellow camels, or the incarnation of a star shining like gold, Zoroaster is above all the mythical author of the Zend Avesta, of which the Vendidad and the Yaçna are part.

The name Vendidad is a contraction of Vîdaêvo dâta, « given against demons (dêvas) ».

The Yaçna (« sacrifice with prayers ») is a collection of Avestic prayers.

Here is an extract, quite significant.

« As a worshipper of Mazda [Wisdom], a sectarian of Zoroaster, an enemy of the devils [demons], an observer of the precepts of Ahura [the « Lord »], I pay homage to him who is given here, given against the devils, and to Zoroaster, pure, master of purity, and to the yazna [sacrifice], and to the prayer that makes favorable, and to the blessing of the masters, and to the days, and the hours, and the months, and the seasons, and the years, and to the yazna, and to the prayer that makes favorable, and to the blessing!”

This prayer is addressed to the Lord, Ahura. But it is also addressed to the prayer itself.

In a repetitive, self-referential way, it is a prayer to the yaçna, a ‘prayer praying the prayer’, an invocation to the invocation, a blessing of the blessing. A homage from mediation to mediation.

This stylistic formula, « prayer to prayer », is interesting to analyze.

Let us note from the outset that the Zend Avesta clearly recognises the existence of a supreme God, to whom every prayer is addressed.

« I pray and invoke the great Ormuzd [= Ahura Mazda, the « Lord of Wisdom »], brilliant, radiant with light, very perfect, very excellent, very pure, very strong, very intelligent, who is purest, above all that which is holy, who thinks only of the good, who is a source of pleasure, who gives gifts, who is strong and active, who nourishes, who is sovereignly absorbed in excellence.”ii

But Avestic prayer can also be addressed not only to the supreme God, but also to the mediation that make it possible to reach Him, like the sacred Book itself: « I pray and invoke the Vendidad given to Zoroaster, holy, pure and great.”iii

The prayer is addressed to God and all his manifestations, of which the Book (the Vendidad) is a part.

« I invoke and celebrate you Fire, son of Ormuzd, with all the fires.

I invoke and celebrate the excellent, pure and perfect Word that the Vendidad gave to Zoroaster, the sublime, pure and ancient Law of the Mazdeans.”

It is important to note that it is the Sacred Book (the Vendidad) that gives the divine Word to Zoroaster, and not the other way round. The Zend Avesta sees this Book as sacred and divine, and recognizes it as an actor of divine revelation.

It is tempting to compare this divine status of the Book in the Zend Avesta with the divine status of the Torah in Judaism and the Koran in Islam.

The divine status of sacred texts (Zend Avesta, Torah, Koran) in these monotheisms incites to consider a link between the affirmation of the absolute transcendence of a supreme God and the need for mediation between the divine and the human, – a mediation which must itself be « divine ».

It is interesting to underline, by contrast, the human origin of evangelical testimonies in Christianity. The Gospels were written by men, Matthew, Mark, Luke, John. The Gospels are not divine emanations, but human testimonies. They are therefore not of the same essence as the Torah (« revealed » to Moses), or the Koran (« dictated » to Muhammad, who was otherwise illiterate) or the Zend Avesta (« given » to Zoroaster).

In Christianity, on the other hand, it is Christ himself who embodies divine mediation in his person. He, the Anointed One, Christ, the Messiah, incarnates the divine Word, the Verb.

Following this line of thought, one would have to conclude that Christianity is not a « religion of the Book », as the oversimplified formula that usually encompasses the three monotheisms under the same expression would suggest.

This formula certainly suits Judaism and Islam, as it does Zend Avesta. But Christianity is not a religion of the « Book », it is a religion of the « Word ».

iEugène Burnouf, Commentaire sur le Yaçna, l’un des livres religieux des Parses. Ouvrage contenant le texte zend. 1833

iiZend Avesta, I, 2

iiiZend Avesta, I, 2

De deux choses Lune


L’autre c’est le soleil.

Lorsque, jouant avec les mots, Jacques Prévert célébra la lune ‘une’, et le soleil ‘autre’, il n’avait peut-être pas entièrement à l’esprit le fait qu’il effleurait ainsi le souvenir de l’un des mythes premiers de la Mésopotamie ancienne, et qu’il rendait (involontairement) hommage à la prééminence de la lune sur le soleil, conformément aux croyances des peuples d’Assyrie, de Babylonie, et bien avant eux, d’Akkad.

Dans les récits épiques assyriens, le Soleil, Šamaš (Shamash), nom dont la trace se lit encore dans les appellations du soleil en arabe et en hébreu, est aussi nommé rituellement ‘Fils de Sîn’. Le père de Šamaš est Sîn, le Dieu Lune. En sumérien, le Dieu Lune porte des noms plus anciens encore, Nanna ou Su’en, d’où vient d’ailleurs le nom Sîn. Le Dieu Lune est le fils du Dieu suprême, le Seigneur, le Créateur unique, le roi des mondes, dont le nom est Enlil, en sumérien,ʿĒllil ou ʿĪlue, en akkadien.

Le nom sumérien Enlil est constitué des termes ‘en’, « seigneur », et ‘líl’, «air, vent, souffle ».

Le terme líl dénote aussi l’atmosphère, l’espace entre le ciel et la terre, dans la cosmologie sumérienne.

Les plus anciennes attestations du nom Enlil écrit en cunéiforme ne se lisent pas ‘en-líl’, mais ‘en-é’, ce qui pourrait signifier littéralement « Maître de la maison ». Le nom courant du Dieu suprême en pays sémitique est Ellil, qui donnera plus tard l’hébreu El et l’arabe Ilah, et pourrait avoir été formé par un dédoublement de majesté du terme signifiant ‘dieu’ (ilu, donnant illilu) impliquant par là l’idée d’un Dieu suprême et universel, d’un Dieu des dieux. Il semble assuré que le nom originel, Enlil, est sumérien, et la forme ‘Ellil’ est une forme tardive, sémitisée par assimilation du n au l.

L’Hymne à Enlil affirme qu’il est la Divinité suprême, le Seigneur des mondes, le Juge et le Roi des dieux et des hommes.

« Tu es, ô Enlil, un seigneur, un dieu, un roi. Tu es le juge qui prend les décisions pour le ciel et la terre. Ta parole élevée est lourde comme le ciel, et il n’y a personne qui puisse la soulever. »i « Enlil ! son autorité porte loin, sa parole est sublime et sainte ! Ce qu’il décide est imprescriptible : il assigne à jamais les destinées des êtres ! Ses yeux scrutent la terre entière, et son éclat pénètre au fin fond du pays ! Lorsque le vénérable Enlil s’installe en majesté sur son trône sacré et sublime, lorsqu’il exerce à la perfection ses pouvoirs de Seigneur et de Roi, spontanément les autres dieux se prosternent devant lui et obéissent sans discuter à ses ordre ! Il est le grand et puissant souverain, qui domine le Ciel et la Terre, qui sait tout et comprend tout ! » — Hymne à Enlil, l. 1-12.ii

Un autre hymne évoque le Dieu Lune sous son nom sumérien, Nanna.

« Puis il (Marduk) fit apparaître Nanna
À qui il confia la Nuit.
Il lui assigna le Joyau nocturne
Pour définir les jours :
Chaque mois, sans interruption,
Mets-toi en marche avec ton Disque.
Au premier du mois,
Allume-toi au-dessus de la Terre ;
Puis garde tes cornes brillantes
Pour marquer les six premiers jours ;
Au septième jour,
Ton Disque devra être à moitié ;
Au quinzième, chaque mi-mois,
Mets-toi en conjonction avec Shamash (le Soleil).
Et quand Shamash, de l’horizon,
Se dirigera vers toi,
À convenance
Diminue et décrois.
Au jour de l’Obscurcissement,
Rapproche-toi de la trajectoire de Shamash,
Pour qu’au trentième, derechef,
Tu te trouves en conjonction avec lui.
En suivant ce chemin,
Définis les Présages :
Conjoignez-vous
Pour rendre les sentences divinatoires. »iii

Ce que nous apprennent les nombreux textes cunéiformes qui ont commencé d’être déchiffrés au 19ème siècle, c’est que les nations sémitiques de la Babylonie et d’Assyrie ont reçu de fortes influences culturelles et religieuses des anciens peuples touraniens de Chaldée, et cela plus de trois millénaires av. J.-C., et donc plus de deux millénaire avant qu’Abraham quitte la ville d’Ur (en Chaldée). Cette influence touranienne, akkadienne et chaldéenne, s’est ensuite disséminée vers le sud, la Phénicie et la Palestine, et vers l’ouest, l’Asie mineure, l’Ionie et la Grèce ancienne.

Le peuple akkadien, « né le premier à la civilisation »iv, n’était ni ‘chamitique’, ni ‘sémitique’, ni ‘aryen’, mais ‘touranien’, et venait des profondeurs de la Haute Asie, s’apparentant aux peuples tartaro-finnois et ouralo-altaïques.

La civilisation akkadienne forme donc le substrat de civilisations plus tard venues, tant celles des indo-aryens que celles des divers peuples sémitiques.

Suite aux travaux pionniers du baron d’Eckstein, on pouvait affirmer dès le 19ème siècle, ce fait capital : « Une Asie kouschite et touranienne était parvenue à un haut degré de progrès matériel et scientifique, bien avant qu’il ne fut question des Sémites et des Aryens. »v

Ces peuples disposaient déjà de l’écriture, de la numération, ils pratiquaient des cultes chamaniques et mystico-religieux, et leurs mythes fécondèrent la mythologie chaldéo-babylonienne qui leur succéda, et influença sa poésie lyrique.

Huit siècles avant notre ère, les bibliothèques de Chaldée conservaient encore des hymnes aux divinités, des incantations théurgiques, et des rites magico-religieux, traduits en assyrien à partir de l’akkadien, et dont l’origine remontait au 3ème millénaire av. J.-C. Or l’akkadien était déjà une langue morte au 18ème siècle avant notre ère. Mais Sargon d’Akkad (22ème siècle av. J.-C.), roi d’Assur, qui régnait sur la Babylonie et la Chaldée, avait ordonné la traduction des textes akkadiens en assyrien. On sait aussi que Sargon II (8ème siècle av. J.-C.) fit copier des livres pour son palais de Calach par Nabou-Zouqoub-Kinou, chef des bibliothécaires.vi Un siècle plus tard, à Ninive, Assurbanipal créa deux bibliothèques dans laquelle il fit conserver plus de 20 000 tablettes et documents en cunéiformes. Le même Assurbanipal, connu aussi en français sous le nom sulfureux de ‘Sardanapale’, transforma la religion assyrienne de son temps en l’émancipant des antiques traditions chaldéennes.

L’assyriologue français du 19ème siècle, François Lenormant, estime avoir découvert dans ces textes « un véritable Atharva Veda chaldéen »vii, ce qui n’est certes pas une comparaison anachronique, puisque les plus anciens textes du Veda remontent eux aussi au moins au 3ème millénaire av. J.-C.

Lenormant cite en exemple les formules d’un hiératique hymne au Dieu Lune, conservé au Bristish Museumviii. Le nom assyrien du Dieu Lune est Sîn, on l’a dit. En akkadien, son nom est Hour-Ki, que l’on peut traduire par : « Qui illumine (hour) la terre (ki). »ix

Il est le Dieu tutélaire d’Our (ou Ur), la plus ancienne capitale d’Akkad, la ville sacrée par excellence, fondée en 3800 ans av. J.-C., nommée Mougheir au début du 20ème siècle, et aujourd’hui Nassiriya, située au sud de l’Irak, sur la rive droite de l’Euphrate.

L’Hymne au Dieu Lune, texte surprenant, possède des accents qui rappellent certains versets de la Genèse, des Psaumes, du Livre de Job, – tout en ayant plus de deux millénaires d’antériorité sur ces textes bibliques…

« Seigneur, prince des dieux du ciel, et de la terre, dont le commandement est sublime,

Père, Dieu qui illumine la terre,

Seigneur, Dieu bonx, prince des dieux, Seigneur d’Our,

Père, Dieu qui illumine la terre, qui dans l’abaissement des puissants se dilate, prince des dieux,

Croissant périodiquement, aux cornes puissantesxi, qui distribue la justice, splendide quand il remplit son orbe,

Rejetonxii qui s’engendre de lui-même, sortant de sa demeure, propice, n’interrompant pas les gouttières par lesquelles il verse l’abondancexiii,

Très-Haut, qui engendre tout, qui par le développement de la vie exalte les demeures d’En-haut,

Père qui renouvelle les générations, qui fait circuler la vie dans tous les pays,

Seigneur Dieu, comme les cieux étendus et la vaste mer tu répands une terreur respectueuse,

Père, générateur des dieux et des hommes,

Prophète du commencement, rémunérateur, qui fixe les destinées pour des jours lointains,

Chef inébranlable qui ne garde pas de longues rancunes, (…)

De qui le flux de ses bénédictions ne se repose pas, qui ouvre le chemin aux dieux ses compagnons,

Qui, du plus profond au plus haut des cieux, pénètre brillant, qui ouvre la porte du ciel.

Père qui m’a engendré, qui produit et favorise la vie.

Seigneur, qui étend sa puissance sur le ciel et la terre, (…)

Dans le ciel, qui est sublime ? Toi. Ta Loi est sublime.

Toi ! Ta volonté dans le ciel, tu la manifestes. Les Esprits célestes s’élèvent.

Toi ! Ta volonté sur la terre, tu la manifestes. Tu fais s’y conformer les Esprits de la terre.

Toi ! Ta volonté dans la magnificence, dans l’espérance et dans l’admiration, étend largement le développement de la vie.

Toi ! Ta volonté fait exister les pactes et la justice, établissant les alliances pour les hommes.

Toi ! Dans ta volonté tu répands le bonheur parmi les cieux étendus et la vate mer, tu ne gardes rancune à personne.

Toi ! Ta volonté, qui la connaît ? Qui peut l’égaler ?

Rois des Rois, qui (…), Divinité, Dieu incomparable. »xiv

Dans un autre hymne, à propos de la déesse Anounitxv, on trouve un lyrisme de l’humilité volontaire du croyant :

« Je ne m’attache pas à ma volonté.

Je ne me glorifie pas moi-même.

Comme une fleur des eaux, jour et nuit, je me flétris.

Je suis ton serviteur, je m’attache à toi.

Le rebelle puissant, comme un simple roseau tu le ploies. »xvi

Un autre hymne s’adresse à Mardouk, Dieu suprême du panthéon sumérien et babylonien :

« Devant la grêle, qui se soustrait ?

Ta volonté est un décret sublime que tu établis dans le ciel et sur la terre.

Vers la mer je me suis tourné et la mer s’est aplanie,

Vers la plante je me suis tourné et la plante s’est flétrie ;

Vers la ceinture de l’Euphrate, je me suis tourné et la volonté de Mardouk a bouleversé son lit.

Mardouk, par mille dieux, prophète de toute gloire (…) Seigneur des batailles

Devant son froid, qui peut résister ?

Il envoie sa parole et fait fondre les glacesxvii.

Il fait souffler son vent et les eaux coulent. »xviii

De ces quelques citations, on pourra retenir que les idées des hommes ne tombent pas du ciel comme la grêle ou le froid, mais qu’elles surgissent ici ou là, indépendamment les unes des autres jusqu’à un certain point, ou bien se ressemblant étrangement selon d’autres points de vue. Les idées sont aussi comme un vent qui souffle, ou une parole qui parle, et qui fait fondre les cœurs, s’épancher les âmes.

Le Dieu suprême Enlil, Dieu des dieux, le Dieu suprême Mardouk, créateur des mondes, ou le Dieu suprême YHVH, Dieu unique régnant sur de multiples « Elohim », dont leur pluralité finira par s’identifier à son unicité, peuvent envoyer leurs paroles dans différentes parties du monde, à différentes périodes de l’histoire. L’archéologie et l’histoire enseignent la variété des traditions et la similitude des attitudes.

On en tire la leçon qu’aucun peuple n’a par essence le monopole d’une ‘révélation’ qui peut prend des formes variées, dépendant des contextes culturels et cultuels, et du génie propre de nations plus ou moins sensibles à la présence du mystère, et cela depuis des âges extrêmement reculés, il y a des centaines de milliers d’années, depuis que l’homme cultive le feu, et contemple la nuit étoilée.

Que le Dieu Enlil ait pu être une source d’inspiration pour l’intuition divine de l’hébraïque El est sans doute une question qui mérite considération.

Il est fort possible qu’Abraham, après avoir quitté Ur en Chaldée, et rencontré Melchisedech, à qui il demanda sa bénédiction, et à qui il rendit tribut, ait été tout-à-fait insensible aux influences culturelles et cultuelles de la fort ancienne civilisation chaldéenne.

Il est possible que le Dieu qui s’est présenté à Abraham, sous une forme trine, près du chêne de Mambré, ait été dans son esprit, malgré l’évidence de la trinité des anges, un Dieu absolument unique.

Mais il est aussi possible que des formes et des idées aient transité pendant des millénaires, entre cultures, et entre religions.

Il est aussi possible que le Zoroastre de l’ancienne tradition avestique ait pu influencer le Juif hellénisé et néoplatonicien, Philon d’Alexandrie, presque un millénaire plus tard.

Il est aussi possible que Philon ait trouvé toute sa philosophie du logos par lui-même, plus ou moins aidé de ses connaissances de la philosophie néo-platonicienne et des ressources de sa propre culture juive.

Tout est possible.

En l’occurrence il a même été possible à un savant orientaliste du 19ème siècle d’oser établir avec conviction le lien entre les idées de Zoroastre et celles du philosophe juif alexandrin, Philon.

« I do not hesitate to assert that, beyond all question, it was the Zarathustrian which was the source of the Philonian ideas. »xix

Il est aussi possible de remarquer des coïncidences formelles et des analogies remarquables entre le concept de ta et de vāc dans le Veda, celui d’asha, d’amesha-spenta et de vohu manah et dans l’Avesta de Zoroastre/Zarathoustra, l’idée du Logos et de νοῦς d’abord présentées par Héraclite et Anaxagore puis développées par Platon.

Le Logos est une force ‘raisonnable’ qui est immanente à la substance-matière du monde cosmique. Rien de ce qui est matériel ne pourrait subsister sans elle. Sextus Empiricus l’appelle ‘Divin Logos’.

Mais c’est dans l’Avesta, et non dans la Bible, dont l’élaboration fut initiée un millénaire plus tard, que l’on trouve la plus ancienne mention, conservée par la tradition, de l’auto-mouvement moral de l’âme, et de sa volonté de progression spirituelle « en pensée, en parole et en acte ».

Héraclite d’Éphèse vivait au confluent de l’Asie mineure et de l’Europe. Nul doute qu’il ait pu être sensible à des influences perses, et ait eu connaissance des principaux traits philosophiques du mazdéisme. Nul doute, non plus, qu’il ait pu être frappé par les idées de lutte et de conflit entre deux formidables armées antagonistes, sous l’égide de deux Esprits originels, le Bien et le Mal.

Les antithèses abondent chez Zoroastre : Ahura Mazda (Seigneur de la Sagesse) et Aṅgra Mainyu (Esprit du Mal), Asha (Vérité) et Drūj (Fausseté), Vohu Manah (Bonne Pensée) et Aka Manah (Mauvaise Pensée), Garô-dmān (ciel) et Drūjô- dmān (enfer) sont autant de dualismes qui influencèrent Anaxagore, Héraclite, Platon, Philon.

Mais il est possible enfin, qu’indo-aryens et perses, védiques et avestiques, sumériens et akkadiens, babyloniens et assyriens, juifs et phéniciens, grecs et alexandrins, ont pu contempler « le » Lune et « la » Soleil, et qu’ils ont commencé à percevoir dans les jeux sidéraux qui les mystifiaient, les premières intuitions d’une philosophie dualiste de l’opposition, ou au contraire, d’une théologie de l’unité cosmique, du divin et de l’humain.

i Hymne à Enlil, l. 139-149 . J. Bottéro, Mésopotamie, L’écriture, la raison et les dieux, Paris, 1997, p. 377-378

ii J. Bottéro, Mésopotamie, L’écriture, la raison et les dieux, Paris, 1997, p. 377-378

iiiÉpopée de la Création, traduction de J. Bottéro. In J. Bottéro et S. N. Kramer, Lorsque les Dieux faisaient l’Homme, Paris, 1989, p. 632

ivFrançois Lenormant. Les premières civilisations. Études d’histoire et d’archéologie. Ed. Maisonneuve. Paris, 1874, Tome 2, p. 147.

vFrançois Lenormant. Les premières civilisations. Études d’histoire et d’archéologie. Ed. Maisonneuve. Paris, 1874, Tome 2, p. 148.

viIbid. p.148

viiIbid. p.155

viiiRéférence K 2861

ixEn akkadien, An-hur-ki signifie « Dieu qui illumine la terre, ce qui se traduit en assyrien par nannur (le « Dieu lumineux »). Cf. F. Lenormant, op.cit. p. 164

xL’expression « Dieu bon » s’écrit avec des signes qui servent aussi à écrire le nom du Dieu Assur.

xiAllusion aux croissants de la lune montante et descendante.

xiiLe mot original porte le sens de « fruit »

xiiiOn retrouve une formule comparable dans Job 38,25-27 : « Qui a creusé des rigoles à l’averse, une route à l’éclair sonore, pour arroser des régions inhabitées, le désert où il n’y a pas d’hommes, pour abreuver les terres incultes et sauvages et faire pousser l’herbe nouvelle des prairies? »

xivFrançois Lenormant. Les premières civilisations. Études d’histoire et d’archéologie. Ed. Maisonneuve. Paris, 1874, Tome 2, p. 168

xvTablette conservée au British Museum, référence K 4608

xviFrançois Lenormant. Les premières civilisations. Études d’histoire et d’archéologie. Ed. Maisonneuve. Paris, 1874, Tome 2, p. 159-162

xvii Deux mille ans plus tard, le Psalmiste a écrit ces versets d’une ressemblance troublante avec l’original akkadien:

« Il lance des glaçons par morceaux: qui peut tenir devant ses frimas? 

 Il émet un ordre, et le dégel s’opère; il fait souffler le vent: les eaux reprennent leur cours. »  (Ps 147, 17-18)

xviii Tablette du British Museum K 3132. Trad. François Lenormant. Les premières civilisations. Études d’histoire et d’archéologie. Ed. Maisonneuve. Paris, 1874, Tome 2, p. 168

xix« Je n’hésite pas à affirmer que, au-delà de tout doute, ce sont les idées zarathoustriennes qui ont été la source des idées philoniennes. » Lawrence H. Mills. Zoroaster, Philo, the Achaemenids and Israel. The Open Court Publishing. Chicago, 1906, p. 84.

xxIgnaz Goldziher. Mythology among the Hebrews. Trad. Russell Martineau (de l’allemand vers l’anglais). Ed. Longmans, Green and co. London, 1877, p. 28

xxiCf. SB XI.5.6.4

xxiiIbid., p. 29

xxiiiIbid., p. 35

xxivIbid., p. 37-38

xxvIbid., p. 54

Bound to Build the Collective Unconscious of Humanity


Several centuries before Abraham left Ur in Chaldea, the Zend-Avesta religion revered in ancient Iran a ‘Lord of Lords’, a ‘supreme God’, named Ahura Mazda,which translates, in Pehlevi, or Middle Persian, as Ormuzd. Ahura Mazda has also other names, such as Spenta Mainyu, literally: « the Holy Spirit ».

Ahura Mazda reigns unique over all other, lower ranking, divinities, called ‘Gâthâs’.

Ahura Mazda being a supreme God, far beyond human reach or understanding, the prayers of the Zend-Avesta are addressed to the Gâthâs, rather than to Ahura Mazda, though they are only ‘intermediate divinities’, or more exactly ’emanations’ of Ahura Mazda. The Yasna says about the Gâthâs: « All the worlds, the bodies, the bones, the vital forces, the forms, the consciousness, the soul, the Phravaṣi, we offer them all and present them to the Gâthâs, Saints, Lords of time, pure; to the Gâthâs who are for us supporters, protectors, a food of the spirit.»i

In Avestic, which is the ancient Iranian language, Ahura means « lord ». Mazda means « highly learned », according to the eminent Burnouf, who breaks down the word mazda into maz – dâ. Maz is a superlative, and means « to know ». In modern Persian, dânâ means « learned ». There is also an equivalent in Sanskrit: « mêdhas« .

When asked by Zoroaster about the meaning of his Name, Ahura Mazda declared, as reported in the first Yast:

« My name is the Sovereign, my name is the One who knows ».

Zoroaster did not stick to this answer and continued to question Ahura Mazda. He urged him to reveal what is most powerful, most effective against the Spirit of Evil, Aṅra Mainyu (in Pehlevi: Ahriman), and against all the demons.

Ahura Mazda replied that what is most powerful is the names he bears.

And he added:

« My name is the One to be questioned; my second name is the Head of the flock; the Propagator of the law; the excellent Purity; the Good of pure origin; the Intelligence; the One who understands; the Wise; the Growth; the One who increases; the Lord; the One who is most useful; the One who is without suffering; the One who is solid; the One who counts the merits; the One who observes everything; the Helper; the Creator; the All-Knowing (the Mazda) (…). Remember and pronounce these names day and night. I am the Protector, the Creator, the Suspender, the Savior, the Most Holy Celestial Being. My name is the Auxiliary, the Priest, the Lord; I am called the One who sees much, the One who sees far away. My name is the Supervisor, the Creator, the Protector, the Connoisseur. I am called the One who augments; I am called the Dominator, the One who should not be deceived, the One who is not deceived; I am called the Strong, the Pure, the Great; I am called the One who has good science.

Whoever remembers and pronounces these names will escape the attacks of demons. »ii

In passing, we note the obvious analogy of these lines with comparable, but much later, texts of Judaism, and even later texts of Islam.

Avesta has all the characteristics of a revealed religion.

First of all, it was God (Ahura Mazda) who initially revealed himself to the Mazdaites.

Then, the Avesta refers to a great prophet, Zoroaster, who boasts of having served as an intermediary between God and man, and who was the great reformer of Mazdeism. The most recent scientific work shows that Zoroaster lived before Abraham, between 1400 and 1100 BC. He was the prophet who transformed the initial dualism of Mazdaism and the multiplicity of the various Gâthâs into an absolutely transcendental monism, after having discussed it directly with Ahura Mazda.

The interaction between Ahura Mazda and Zoroaster is not without analogy with the encounter between God and Moses, several centuries later.

From this strident comparison we may derive the following rough alternative.

The Materialistic Hypothesis :

The « world from above », the world of the divine, whose variations, analogies and anagogies, similarities and echoes one tries to identify in the long history of religious ideas, simply does not exist. The ‘spiritual’ world is really empty, there is no God, and it is the materialists who are 100% right. So the wars of religion, the sacrifices, the martyrs, the passions of belief, and all the blood shed today, yesterday and tomorrow, are all facets of a sinister farce played by scoundrels or Machiavellian policies at the expense of the unfathomable naivety of peoples, victims of their credulity and superstition.

This farce is continually developed and rewritten over the millennia by the so-called ‘enlightened’, the mad, the deranged, the cynical and the war criminals, all contributing to making this Earth a place without meaning, without past and without future. In this hypothesis, the world would be condemned to self-destruction, moral suicide and absolute violence, as soon as the trickery is finally blown up.

The Spiritual Hypothesis:

The « world from above » does indeed exist, in one way or another, but it escapes our perception, our understanding and intellection. It’s a Mystery, or the Mystery. In this case, there is a good chance that religions that have appeared since the dawn of time, such as Shamanism, the ancient Egyptian religion, Veda, Avesta, Mazdeism, Zoroastrianism, Chaldaic magic, Orphism, Judaism, Christianity and Islam, far from being able to claim an elective singularity, are as many instances of various perceptions and intuitions of the divine by man, as many testimonies of the plurality of possible approaches to the Mystery.

Each one of these religions represents a unique and special way of understanding the divine emanation, more or less adapted to the time and the peoples who receive it.

It would then be futile to rank or classify religions among themselves. It would be more productive, particularly from a forward-looking perspective, to examine the systemic relationships between a given era and the way in which religious fact is inscribed, at that moment in history, in the social, cultural, political and economic fabric.

Let us add that the general state of the world today, unfortunately suggests hat none of the religions mentioned above is now in a position to claim a monopoly on the ultimate truth or the final revelation on the fundamental questions that humanity keeps asking itself since millennia.

If such a « world from above », inaccessible to human reason, does in fact exist, it also implies that something extremely important, vital, and also beyond human comprehension, has been at stake for thousands of years at the core of Mankind, with the active but hidden and (most of the time) silent complicity of the Divine.

It should be assumed that since the dawn of humanity there has been a kind of cosmic, sidereal « great game », whose meaning and purpose are clearly beyond our grasp, but in which men are invited to take part, within the limits of their limited means.

Humanity is composed of generations that fleetingly pass through the earth like insects in the light on a summer evening. It is therefore very likely that these successive generations can only apprehend in a deficient way, the unspeakable challenge of this super-natural arrangement.

But it is possible to assume that successive human generations may from time to time generate in their midst enlightened spirits capable of intuitively perceiving, imaginalement (‘imaginally’), as Henry Corbin would say, the grandiose stake of this divine part.

All we can do in an era like ours, where materialism seems to pervade everything, is to refuse to let ourselves be caught up in the trap of preconceived ideas, to refuse sectarianism, dogmatism, the prisons of thought and imagination. We can actively contribute, soul by soul, to the slow, fragile and ungraspable building of the immanent Noosphere, the collective Unconscious of all humanity.

iYasna, ch. 54

iiQuoted by Abel Hovelacque, Avesta, Zoroastre et le mazdéisme. Paris, 1880.

Le Dieu « Qui ? », le Dieu « Quoi » et le Dieu « Cela ». (A propos des noms « grammaticaux » de Dieu, dans le Véda et dans le Zohar).


 

L’idée d’un Dieu unique est extrêmement ancienne. Elle n’est certes pas apparue dans un seul peuple, ou dans une seule nation. Il y a plus de quatre mille ans, – bien avant qu’Abraham ne quitte Ur en Chaldée, le Dieu unique était déjà célébré par des peuples nomades transhumant en Transoxiane pour s’établir dans le bassin de l’Indus, comme l’atteste le Véda, puis, quelques siècles plus tard, par les peuples de l’Iran ancien, ce dont témoignent les textes sacrés de l’Avesta.

Mais le plus étrange c’est que ces peuples très divers, appartenant à des cultures séparées par plusieurs millénaires et distantes de milliers de kilomètres ont appelé le Dieu, de façon analogue, dans certains occasions, du pronom interrogatif : « Qui ? ».

Plus surprenant encore, quelques trois mille cinq cent ans plus tard après que soit apparue cette innovation, la Kabbale juive a repris en plein Moyen Âge européen, cette idée de l’usage du pronom interrogatif comme Nom de Dieu, en la développant et la commentant en détails dans le Zohar.

Il me semble qu’il y a là une matière riche pour une approche anthropologique comparée des religions célébrant le Dieu « Qui ? ».

Les prêtres védiques priaient le Dieu unique et suprême, créateur des mondes, Prajāpati, – le « Seigneur (pati) des créatures (prajā)».

Dans le Rig Veda, Prajāpati est évoqué sous le nom (Ka), dans l’hymne 121 du 10ème Mandala.

« Au commencement paraît le germe doré de la lumière.

Seul il fut le souverain-né du monde.

Il remplit la terre et le ciel.

A quel Dieu offrirons-nous le sacrifice ?

Lui qui donne la vie et la force,

lui dont tous les dieux eux-mêmes invoquent la bénédiction,

l’immortalité et la mort ne sont que son ombre !

A quel Dieu offrirons-nous le sacrifice ?

(…)

Lui dont le regard puissant s’étendit sur ces eaux,

qui portent la force et engendrent le Salut,

lui qui, au-dessus des dieux, fut seul Dieu !

A quel Dieu offrirons-nous le sacrifice ? »i

Müller affirme la prééminence du Véda dans l’invention du nom « Qui ? » de Dieu: « Les Brâhmans ont effectivement inventé le nom Ka de Dieu. Les auteurs des Brahmaṇas ont si complètement rompu avec le passé qu’oublieux du caractère poétique des hymnes, et du désir exprimé par les poètes envers le Dieu inconnu, ils ont promu un pronom interrogatif au rang de déité »ii.

Dans la Taittirîya-samhitâiii, la Kaushîtaki-brâhmaaiv, la ṇdya-brâhmaav et la Satapatha-brâhmaavi, chaque fois qu’un verset se présente sous une forme interrogative, les auteurs disent que le pronom Ka qui porte l’interrogation désigne Prajāpati. Tous les hymnes dans lesquels se trouvait le pronom interrogatif Ka furent appelés Kadvat, c’est-à-dire ‘possédant le kad’,  – ou ‘possédant le « qui ? »’. Les Brahmans formèrent même un nouvel adjectif s’appliquant à tout ce qui était associé au mot Ka. Non seulement les hymnes mais aussi les sacrifices offerts au Dieu Ka furent qualifiés de ‘Kâya’ vii.

L’emploi du pronom interrogatif Ka pour désigner Dieu, loin d’être une sorte d’artifice rhétorique limité, était devenu l’équivalent d’une tradition théologique.

Une autre question se pose. Si l’on sait que Ka se réfère en fait à Prajāpati, pourquoi employer avec sa charge d’incertitude un pronom interrogatif, qui semble indiquer que l’on ne peut pas se contenter de la réponse attendue et connue ?

Plus à l’ouest, vers les hauts-plateaux de l’Iran, et un demi-millénaire avant l’Exode des Hébreux hors d’Égypte, les Yashts, qui font partie des hymnes les plus anciens de l’Avesta, proclament aussi cette affirmation du Dieu unique à propos de lui-même : « Ahmi yat ahmi » (« Je suis qui je suis »)viii.

Dieu se nomme ainsi dans la langue avestique par l’entremise du pronom relatif yat, « qui », ce qui est une autre manière de traiter grammaticalement de l’incertitude sur le nom réel du Dieu.

Un millénaire avant Moïse, Zarathushtra demande au Dieu unique: « Révèle moi Ton Nom, ô Ahura Mazda !, Ton Nom le plus haut, le meilleur, le plus juste, le plus puissant».

Ahura Mazda répond alors: « Mon Nom est l’Un, – et il est en ‘question’, ô saint Zarathushtra ! »ix.

Le texte avestique dit littéralement: « Frakhshtya nâma ahmi », ce qui peut se traduire mot-à-mot : « Celui qui est en question (Frakhshtya), quant au nom (nâma), je suis (ahmi) » .x

Fort curieusement, bien après le Véda et l’Avesta, la Bible hébraïque donne également au Dieu unique ces mêmes noms « grammaticaux », « qui ?» ou « celui qui ».

On trouve cet usage du pronom interrogatif « qui? » (מִי , mi ) dans le verset d’Isaïe xi: מִיבָרָא אֵלֶּה (mi bara éleh), « Qui a créé cela ? ».

Quant au pronom relatif « qui, celui qui » (אֲשֶׁר , asher), il est mis en scène dans un célèbre passage de l’Exodexii : אֶהְיֶה אֲשֶׁר אֶהְיֶה (éhyeh asher éhyeh), « Je suis celui qui est», traduit aussi par : « Je suis qui je suis ».

En fait, la grammaire hébraïque ne distingue pas entre le présent et le futur. Le mot éhyeh signifie à la fois « Je suis » et « Je serai ». D’où cette autre possible traduction : «  Je serai qui je serai. »

Cette dernière option laisse ouverte la possibilité d’une révélation à venir, d’un autre Nom encore, ou d’une essence divine dont l’essence est de ne pas avoir d’essence grammaticalement formulable ou linguistiquement dicible, sinon approximativement, par exemple par le biais d’un pronom relatif et d’une forme verbale au futur…

Deux millénaires après Isaïe, en plein Moyen Âge européen, le célèbre livre de la Kabbale juive, le Zohar, attribué à Moïse de Léon, s’est attaché à une étude détaillée du nom Mi (« Qui ? ») de Dieu.

L’une des pistes nouvelles qui en découle est le rapport intrinsèquement divin du Mi , le « Qui ? », au , le « Quoi » et au Éléh , le « Cela ».

« Il est écrit : « Au commencement. » Rabbi Éléazar ouvrit une de ses conférences par l’exorde suivant : « Levez (Is 40, 28) les yeux en haut et considérez qui a créé cela. » « Levez les yeux en haut », vers quel endroit ? Vers l’endroit où tous les regards sont tournés. Et quel est cet endroit? C’est l’ « ouverture des yeux ». Là vous apprendrez que le mystérieux Ancien, éternel objet des recherches, a créé cela. Et qui est-il ? – « Mi » (= Qui). C’est celui qui est appelé l’ « Extrémité du ciel », en haut, car tout est en son pouvoir. Et c’est parce qu’il est l’éternel objet des recherches, parce qu’il est dans une voie mystérieuse et parce qu’il ne se dévoile point qu’il est appelé « Mi » (= Qui) ; et au delà il ne faut point approfondir. Cette Extrémité supérieure du ciel est appelée « Mi » (= Qui). Mais il y a une autre extrémité en bas, appelée « Mâ » (= Quoi). Quelle différence y a-t-il entre l’une et l’autre ? La première, mystérieuse, appelée « Mi » est l’éternel objet des recherches ; et, après que l’homme a fait des recherches, après qu’il s’est efforcé de méditer et de remonter d’échelon en échelon jusqu’au dernier, il finit par arriver à « Mâ » (= Quoi). Qu’est-ce que tu as appris ? Qu’est-ce que tu as compris ? Qu’est-ce que tu as cherché ? Car tout est aussi mystérieux qu’auparavant. C’est à ce mystère que font allusion les paroles de l’Écriture : ‘Mâ (= Quoi), je te prendrai à témoin, Mâ (= Quoi), je te ressemblerai.’ »xiii

Qu’est-ce que nous apprenons, en effet ? Qu’avons-nous compris ?

Mi est un Nom de Dieu. C’est un éternel objet de recherche.

Peut-on l’atteindre ? Non.

On peut seulement atteindre cet autre nom, qui n’est encore qu’un pronom, (= Quoi).

On cherche « Qui ? » et l’on atteint « Quoi ».

Ce n’est pas le Mi cherché, mais de lui on peut dire, comme l’Écriture en témoigne : « Mâ, je te prendrai à témoin, je te ressemblerai. »xiv

Le Zohar indique en effet:

« Lorsque le Temple de Jérusalem fut détruit, une voix céleste se fit entendre et dit : « Mâ (= Quoi) te donnera un témoignage », car chaque jour, dès les premiers jours de la création, j’ai témoigné, ainsi qu’il est écrit : «Je prends aujourd’hui à témoin le ciel et la terre. » « Mâ te ressemblera », c’est-à-dire te conférera des couronnes sacrées, tout à fait semblables aux siennes, et te rendra maître du monde. »xv

Le Dieu dont le Nom est Mi n’est pas le Dieu dont le Nom est , et pourtant ils ne font qu’un.

Et surtout, sous le Nom de , il sera un jour l’égal de celui qui le cherche en toutes choses :

« ‘Mâ (= Quoi) deviendra ton égal’, c’est-à-dire il prendra en haut la même attitude que tu observeras en bas ; de même que le peuple sacré n’entre plus aujourd’hui dans les murs saints, de même je te promets de ne pas entrer dans ma résidence en haut avant que toutes les troupes soient entrées dans tes murs en bas. Que cela te serve de consolation, puisque sous cette forme de «Quoi » (Mâ) je serai ton égal en toutes choses. »xvi

L’homme qui cherche est placé entre Mi et , dans une position intermédiaire, tout comme jadis Jacob.

« Car (Mi), celui qui est l’échelon supérieur du mystère et dont tout dépend, te guérira et te rétablira ; Mi, extrémité du ciel d’en haut, et Mâ, extrémité du ciel d’en bas. Et c’est là l’héritage de Jacob qui forme le trait d’union entre l’extrémité supérieure Mi et l’extrémité inférieure Mâ, car il se tient au milieu d’elles. Telle est la signification du verset : « Mi (= Qui) a créé cela» (Is 40, 26). »xvii

Mais ce n’est pas tout. Le verset d’Isaïe n’a pas encore livré tout son poids de sens. Que signifie « Cela »?

« Rabbi Siméon dit : Éléazar, que signifie le mot « Éléh » (= Cela)? Il ne peut pas désigner les étoiles et autres astres, puisqu’on les voit toujours et puisque les corps célestes sont créés par « Mâ », ainsi qu’il est écrit (Ps 33, 6) : « Par le Verbe de Dieu, les cieux ont été créés. » Il ne peut pas non plus désigner des objets secrets, attendu que le mot « Éléh » ne peut se rapporter qu’à des choses visibles. Ce mystère ne m’avait pas encore été révélé avant le jour où, comme je me trouvais au bord de la mer, le prophète Élie m’apparut. Il me dit : Rabbi, sais-tu ce que signifient les mots : « Qui (Mi) a créé cela (Éléh) ? » Je lui répondis : Le mot « Éléh » désigne les cieux et les corps célestes ; l’Écriture recommande à l’homme de contempler les œuvres du Saint, béni soit-il, ainsi qu’il est écrit (Ps 8, 4) : « Quand je considère tes cieux, œuvre de tes doigts, etc. » , et un peu plus loin (Ibid., 10) :« Dieu, notre maître, que ton nom est admirable sur toute la terre. » Élie me répliqua : Rabbi, ce mot renfermant un secret a été prononcé devant le Saint, béni soit-il, et la signification en fut dévoilée dans l’École céleste, la voici : Lorsque le Mystère de tous les Mystères voulut se manifester, il créa d’abord un point, qui devint la Pensée divine ; ensuite il y dessina toutes espèces d’images, y grava toutes sortes de figures et y grava enfin la lampe sacrée et mystérieuse, image représentant le mystère le plus sacré, œuvre profonde sortie de la Pensée divine. Mais cela n’était que le commencement de l’édifice, existant sans toutefois exister encore, caché dans le Nom, et ne s’appelant à ce moment que « Mi ». Alors, voulant se manifester et être appelé par son nom, Dieu s’est revêtu d’un vêtement précieux et resplendissant et créa « Éléh » (Cela), qui s’ajouta à son nom.

« Éléh », ajouté à« Mi » renversé, a formé « Elohim ». Ainsi le mot « Élohim » n’existait pas avant que fut créé « Éléh ». C’est à ce mystère que les coupables qui adorèrent le veau d’or firent allusion lorsqu’ils s’écrièrent (Ex 32, 4) : « Éléh » est ton Dieu, ô Israël. »xviii

Je trouve ce passage du Zohar absolument génial !

On y apprend que la véritable essence du veau d’or n’était ni d’être un veau, ni d’être en or. Le veau d’or n’était qu’un prétexte, certes « païen », mais c’est aussi là une part importante du sel de l’histoire.

Il n’était là que pour être désigné comme l’essence de «Éléh» (Cela), troisième instanciation de l’essence divine, après celle du « Mi » et celle du « Mâ »…

Cela on peut le déduire en associant le Nom « Mi » (Qui?) au Nom «Éléh» (Cela), ce qui permet d’obtenir le Nom « Elohim » (Dieu), après avoir inversé le Mi en im…

Le Nom Mi, le Nom et le Nom Éléh n’étaient pas d’abord des noms (divins), mais seulement des pronoms (interrogatif, relatif, démonstratif).

Ces pronoms divins, en qui réside une puissante part de mystère de par leur nature grammaticale, entrent aussi en interaction. Ils se renvoient l’un à l’autre une part de leur sens profond. Le « Qui ? » appelle le « Quoi ? », et ils désignent aussi tous deux un « Cela » immanent, grammaticalement parlant.

Le plan grammatical de l’interprétation est riche. Mais peut-on en tenter une lecture plus théologique ? Je le pense.

Ces trois Noms divins, « Qui ? », « Quoi » et « Cela », forment une sorte de proto-trinité.

Cette proto-trinité évoque trois qualités de Dieu :

C’est un Dieu personnel, puisque à propos de lui on peut poser la question « Qui ? ».

C’est un Dieu qui entre en mouvement, en relation, puisque des pronoms relatifs (« Celui qui », « Quoi ») peuvent le désigner.

Enfin c’est un Dieu immanent, puisque un pronom démonstratif (« Cela ») peut l’évoquer.

Même si le judaïsme revendique une absolue « unité » du divin, il ne peut s’empêcher de faire éclore en son propre sein des formulations trinitaires, – ici, en l’occurrence, sous une forme grammaticale.

Cette phénoménologie trinitaire du divin dans le judaïsme, sous la forme grammaticale qu’elle emprunte, ne la rend pas moins profonde ni moins éternellement pérenne. Car s’il y a bien un symbole toujours présent, toujours à l’œuvre, du câblage originaire de l’esprit humain, c’est la grammaire…

Dans un million d’années, ou même dans sept cent millions d’années, et quelle que soit l’idée du divin qui régnera alors, il y a aura toujours une grammaire transhumaine pour évoquer les catégories du Qui ?, du Quoi ?, et du Cela !… et pour en faire des visages du divin.

iRig Veda. 121ème Hymne. Livre X.

iiMax Müller. History of Ancient Sanskrit Literature. 1860, p. 433

iii I, 7, 6, 6

iv XXIV, 4

v XV, 10

vii Le mot Kâya est utilisé dans la Taittirîya-samhitâ (I, 8, 3, 1) et la Vâgasaneyi-samhitâ (XXIV, 15).

viii Max Müller, Theosophy or Psychological Religion. Ed. Longmans, Green. London, 1895, p.52

ix « My name is the One of whom questions are asked, O Holy Zarathushtra ! ». Cité par Max Müller, Theosophy or Psychological Religion. Ed. Longmans, Green & Co. London, 1895, p. 55

x Cf. cette autre traduction proposée par Max Müller : « One to be asked by name am I », in Max Müller. Theosophy or Psychological Religion. Ed. Longmans, Green & Co. London, 1895, p. 55

xiIs 40,26

xiiEx 3,14

xiiiZohar I,1b. Trad. Jean de Pauly.

xivZohar I,1b. Trad. Jean de Pauly.

xvZohar I,1b. Trad. Jean de Pauly.

xviZohar I,1b. Trad. Jean de Pauly.

xviiZohar I,1b. Trad. Jean de Pauly.

xviiiZohar I,1b-2a. Trad. Jean de Pauly.

Le Dieu « Qui ?» ( क ) – et le Dieu « Qui !» ( אֲשֶׁר )


 

Ne se contentant pas de douze dieux, les Grecs anciens adoraient également le « Dieu Inconnu » (Ἄγνωστος Θεός, Agnostos Theos ). Paul de Tarse s’avisa de la chose et décida d’en tirer parti, suivant ses propres fins. Il fit un discours sur l’agora d’Athènes :

« Athéniens, à tous égards vous êtes, je le vois, les plus religieux des hommes. Parcourant en effet votre ville et considérant vos monuments sacrés, j’ai trouvé jusqu’à un autel avec l’inscription : « Au Dieu inconnu ». Eh bien ! ce que vous adorez sans le connaître, je viens, moi, vous l’annoncer.»i

Paul faisait preuve d’audace, mais pas de présomption, en affirmant ainsi implicitement l’identité du « Dieu inconnu » des Grecs et du Dieu unique dont il se voulait l’apôtre.

La tradition du ‘Dieu inconnu’ n’était certes pas une invention grecque. Elle remonte sans doute à la nuit des temps, et fut célébrée par plusieurs religions anciennes. On la trouve ainsi dans le Véda, plus de deux mille ans avant que Paul ne l’ait croisée lui-même, par hasard, dans les rues d’Athènes, et plus d’un millénaire avant Abraham. A cette époque reculée, les prêtres védiques priaient déjà un Dieu unique et suprême, créateur des mondes, appelé Prajāpati, littéralement le « Seigneur (pati) des créatures (prajā)».

Dans le Rig Veda, ce Dieu est évoqué sous le nom (Ka), dans l’hymne 121 du 10ème Mandala. En sanskrit, ka correspond aussi au pronom interrogatif « qui ? ».

Le Dieu Ka. Le Dieu « Qui ? ». Économie de moyens. Puissance d’évocation, subsumant tous les possibles, enveloppant les âges, les peuples, les cultures. C’était là peut-être une manière toute grammaticale de souligner l’ignorance des hommes quant à la nature du Dieu suprême, ou bien encore une subtile façon d’ouvrir grandes les portes des interprétations possibles à quiconque rencontrait subrepticement ce nom ambigu, – qui était aussi un pronom interrogatif.

En psalmodiant l’Hymne 121, les sacrifiants védiques reprenaient comme un refrain, à la fin des neuf premiers versets, cette mystérieuse formule :

कस्मै देवायहविषा विधेम

kasmai devāya haviṣā vidhema.

La phrase est brève, et la traduction n’en est pas aisée.

Mot-à-mot, on peut la décomposer ainsi :

kasmai = « à qui ? » (kasmai est le datif de ka, lorsque ce pronom est à la forme interrogative).

devāya = « à Dieu » (le mot deva, « brillant », « dieu », est aussi mis au datif).

haviṣā = « le sacrifice ».

vidhema = « nous offrirons ».

Une brève revue de traductions marquantes donnera une idée des problèmes rencontrés.

Dans sa traduction de ce verset, Alexandre Langlois, premier traducteur du Rig Veda en français, a décidé d’ajouter (entre parenthèses) un mot supplémentaire, le mot « autre », dont il a pensé sans doute qu’il permettait de clarifier l’intention de l’auteur de l’hymne:

« A quel (autre) Dieu offririons-nous l’holocauste ? »ii

John Muir propose simplement (et assez platement) : « To what god shall we offer our oblation? »iii (« A quel dieu offrirons-nous notre oblation? »)

Max Müller traduit en ajoutant également un mot, « who » (qui ?), redoublant « whom », (à qui ?): « Who is the God to whom we shall offer sacrifice? »iv, soit : « Qui est le Dieu à qui nous offrirons le sacrifice ? »

Alfred Ludwig, l’un des premiers traducteurs du Rig Veda en allemand, n’ajoute pas de mot supplétif. En revanche il ne traduit pas le mot « k», ni d’ailleurs le mot havis (« sacrifice »). Il préfère laisser au nom Ka tout son mystère. La phrase prend alors une tournure affirmative :

« Ka, dem Gotte, möchten wir mit havis aufwarten. » Soit en français: « À Ka, au Dieu, nous offrirons le sacrifice. »

Un autre traducteur allemand de la même époque, Hermann Grassmann, traduit quant à lui : « Wem sollen wir als Gott mit Opfer dienen ? »v, soit : «À quel Dieu devons-nous offrir le sacrifice? ».

Une traduction allemande datant des années 1920, celle de Karl Friedrich Geldnervi, change la tournure de la phrase en tirant partie de la grammaire allemande, et en reléguant le datif dans une proposition relative, ce qui donne:

« Wer ist der Gott, dem wir mit Opfer dienen sollen? », soit : « Qui est le Dieu à qui nous devons offrir le sacrifice ? ».

Les nombreux traducteurs s’étant attaqués à ce célèbre texte peuvent être regroupés en deux types, les « linguistes » et les « indologues ». Les premiers s’attachent littéralement au texte, et s’efforcent de respecter les contraintes très précises de la grammaire sanskrite. Les seconds visent surtout à pénétrer la signification profonde des versets en s’appuyant sur des références plus larges, fournies par des textes ultérieurs, comme les Brahmaas.

Max Müller avait quant à lui une double compétence, en linguistique et en indologie. Dans la question ‘Kasmai devâya havishâ vidhema’, il reconnaît avant tout l’expression d’un désir sincère de trouver le vrai Dieu. Aux yeux du poète védique, ce Dieu reste toujours inconnu, malgré tout ce qui a déjà pu être dit à son sujet. Müller note aussi que seul le dixième et dernier verset de l’Hymne X,121 donne au Dieu son nom Prajāpati. Vendre la mèche à la fin de l’hymne en révélant que Ka est en réalité Prajāpati peut paraître un peu étrange. Cela peut sembler naturel d’un point de vue théologique, mais ce n’est pas du tout approprié poétiquement, souligne Müller (« To finish such a hymn with a statement that Pragâpati is the god who deserves our sacrifice, may be very natural theologically, but it is entirely uncalled for poetically. »vii)

Il pense aussi que cette phrase en forme de ritournelle devait être familière aux prêtres védiques, car une formulation analogue se trouve dans un hymne adressé au Vent, lequel se conclut ainsi : « On peut entendre son ‘son’, mais on ne le voit pas – à ce Vâta, offrons le sacrifice »viii.

Müller ajoute encore : « Les Brâhmans ont effectivement inventé le nom Ka de Dieu. Les auteurs des Brahmaas ont si complètement rompu avec le passé qu’oublieux du caractère poétique des hymnes, et du désir exprimé par les poètes envers le Dieu inconnu, ils ont promu un pronom interrogatif au rang de déité »ix.

Dans la Taittirîya-samhitâx, la Kaushîtaki-brâhmanaxi, la Tândya-brâhmanaxii et la Satapatha-brâhmanaxiii, chaque fois qu’un verset se présente sous une forme interrogative, les auteurs disent que le Ka en question est Prajapati. D’ailleurs tous les hymnes dans lesquels se trouvait le pronom interrogatif Ka furent appelés Kadvat, c’est-à-dire ‘possédant le kad – ou le « quid »’. Les Brahmans formèrent même un nouvel adjectif s’appliquant à tout ce qui était associé au mot Ka. Non seulement les hymnes mais aussi les sacrifices offerts au Dieu Ka furent qualifiés de ‘Kâya’,xiv ce qui revenait à former un adjectif à partir d’un pronom…

C’est comme si l’on disait en français : « Des versets ou des sacrifices ‘Qui-iques’, ou ‘Qui-eux’, ou encore ‘à la Qui ?’ »

Au temps de Pāṇini, célèbre grammairien du sanskrit, le mot Kâya n’était plus depuis longtemps un néologisme et faisait l’objet d’une règle grammaticale expliquant sa formationxv. Les commentateurs n’hésitaient pas alors à expliquer que Ka était Brahman. Mais cette période tardive (deux millénaires après les premiers hymnes transmis oralement) ne peut suffire à nous assurer du bien-fondé de ces extrapolations.

Remarquons encore que du point de vue strictement grammatical, ka ne se met à la forme dative kasmai que s’il s’agit d’un pronom interrogatif. Si Ka est considéré comme un nom propre, alors, il devrait prendre au datif la forme Kâya. Est-ce à dire que kasmai dans l’hymne X,121 serait un solécisme ? Ou est-ce à dire que kasmai, par son datif, prouve que Ka n’est pas le nom de Dieu, mais un simple pronom ? C’est une alternative embarrassante…

Il arrive que les plus grands poètes fassent des fautes de grammaire, tout comme d’ailleurs les plus grands prophètes, y compris ceux qui transcrivent des paroles divines. Cette question de « grammaire » appliquée aux sujets les plus élevés me semble une transition toute trouvée pour aborder la question du « Qui ? » à travers une autre religion, un autre prophète, et un autre Dieu, apparus quelques mille ans plus tard…

Le Dieu « Qui ? » du Véda n’est pas sans évoquer, en effet, le Dieu unique de l’Avesta qui déclare dans les Yashts : « Ahmi yat ahmi » (« Je suis qui je suis »)xvi. Max Müller explique que Zarathushtra s’adressa ainsi au Dieu suprême : « Révèle moi Ton Nom, ô Ahura Mazda !, Ton Nom le plus haut, le meilleur, le plus juste, le plus puissant (…) ». Et Ahura Mazda répondit : « Mon Nom est l’Un, qui est en question, ô saint Zarathushtra ! »xvii. Le texte avestique dit : « Frakhshtya nâma ahmi », ce qui signifie « One to be asked by name am I », selon la traduction de Max Müllerxviii. Je propose cet équivalent : « Je suis l’Un, dont un nom est ‘question’ »…

Ces étranges formulations, tant védiques qu’avestiques, font irrésistiblement penser au Dieu de l’Exode, qui répondit à la question de Moïse lui demandant son Nom : אֶהְיֶה אֲשֶׁר אֶהְיֶה , ehyeh asher ehyeh, « Je suis qui je suis ».

La grammaire hébraïque ne distingue pas entre le présent et le futur. On pourrait donc comprendre également : « Je serai qui je serai. » Mais la question principale n’est pas là.

Voici Dieu qui prononce trois mots, chargé de tout le poids de la puissance, de l’intelligence et de la sagesse divines.

D’abord, אֶהְיֶה, ehyeh, « Je suis ». Signe de la Puissance éternelle.

Ensuite, אֲשֶׁר, asher, « Qui ». Avançons qu’il s’agit là du symbole de l’Intelligence divine, en acte.

Et enfin, אֶהְיֶה, ehyeh, « Je suis », prononcé une seconde fois par Dieu. Mais Dieu se répète-t-il ? Je ne pense pas. Il me semble donc que ce second ‘ehyeh’ signifie une efflorescence de la Sagesse infinie de Dieu, se réfléchissant elle-même.

Trois noms de Dieu, dans la bouche même de Dieu, évoquant, horresco referens, une sorte de trinité grammaticale… Non, non, just kidding…

La presque totalité des commentateurs de cette célèbre formule met l’accent sur le verbe אֶהְיֶה, ehyeh. Je propose un parti tout autre : c’est אֲשֶׁר, asher, qui est le véritable ‘centre’ du « Nom de Dieu », et qui est accompagné, à sa droite et à sa gauche, par deux ailes éblouissantes, les deux אֶהְיֶה, ehyeh.

Nous sommes aidés en cette hypothèse audacieuse par ce que nous venons d’exposer à propos de l’enseignement du Véda, dont on a entrevu le soin pris pour aborder cette matière ancienne et délicate.

Nous sommes aussi aidés par la logique. En effet, Dieu dit : « Je suis Qui ». C’est donc que son véritable nom est « Qui ». Le second « Je suis », qui vient juste après, n’est vraiment pas un verbe, mais une sorte de locution adjectivale. De même que le Véda, on l’a vu, a transformé un pronom en nom puis en adjectif, je propose de voir dans ce second ehyeh un « adjectif » qui qualifie le nom divin. Le nom divin est אֲשֶׁר, asher, et ce qui le « qualifie » est אֶהְיֶה, ehyeh.

Autrement dit l’essence de Dieu est tout entière dans ce « Qui ». Le « Je suis » qui suit n’est qu’un attribut divin, en l’occurrence l’« être ».

L’essence est le « Qui », l’être n’est qu’un épithète, ou un attribut…

Pourquoi oser cette hypothèse hardie ? Parce qu’elle nous offre un magnifique prétexte de comparer une religion extrêmement ancienne qui n’hésite pas à nommer son Dieu « Ka », ou « Qui ? »,  et une religion (relativement) récente, qui nomme son Dieu « Asher » ou « Qui ».

Poussons encore un peu la pointe. Quand Dieu dit à Moïse : « Je suis ‘Qui je suis’ », je pense qu’il faut ajouter à cette phrase mystérieuse un peu du « ton », de l’« intonation » avec lesquels Dieu s’est exprimé. Il faut à l’évidence, dans cette situation extraordinaire, comprendre cette phrase rare comme étant une phrase exclamative !

Il faut lire: « Je suis ‘Qui je suis’! »

Pour le Véda, le Dieu suprême a pour nom : « Qui ? ».

Pour ce qu’en rapporte Moïse, le Dieu qui se révèle à lui a pour nom : « Qui ! ».

Résumons : ? ou !… ?

Ou bien : ? et ! … !

iActes des Apôtres 17.22-24

iiLanglois. Rig Veda. Section VIII, Lecture 7ème, Hymne II. Firmin-Didot, Paris, 1851, p.409

iii John Muir, History of Ancient Sanskrit Literature, 1859, p. 569

iv Max Müller, Vedic Hymns, Part I (SBE32),1891

vHermann Grassmann, Rig Veda, Brockhaus, Leipzig, 1877

viKarl Friedrich Geldner. Der Rig-Veda. Aus dem Sanskrit ins Deutsche übersetzt. Harvard Oriental Series, 33-36, Bd.1-3, 1951

viiMax Müller, Vedic Hymns, Part I (SBE32),1891. Cf. http://www.sacred-texts.com/hin/sbe32/sbe3215.htm#fn_78

viiiRigVeda X, 168, 4

ixMax Müller. History of Ancient Sanskrit Literature. 1860, p. 433

xI, 7, 6, 6

xiXXIV, 4

xiiXV, 10

xiiihttp://www.sacred-texts.com/hin/sbe32/sbe3215.htm#fn_77

xivLe mot Kâya est utilisé dans la Taittirîya-samhitâ (I, 8, 3, 1) et la Vâgasaneyi-samhitâ (XXIV, 15).

xvPân. IV, 2, 25

xviCf. Max Müller, Theosophy or Psychological Religion. Ed. Longmans, Green. London, 1895, p. 52

xvii« My name is the One of whom questions are asked, O Holy Zarathushtra ! ». Cité par Max Müller, Theosophy or Psychological Religion. Ed. Longmans, Green & Co. London, 1895, p. 55

xviiiIbid. p.55

La connaissance par les gouffres — plusieurs millénaires avant Abraham


Les régions d’Asie centrale connues sous le nom de Bactriane et de Margiane (Turkménistan, Ouzbékistan et Afghanistan actuels), et plus précisément le delta du Murghab et le bassin de l’Amou-Daria (entre mer Caspienne et mer d’Aral) forment un site fort vaste appelé BMAC (Bactria-Margiana Archeological Complex). Les archéologues soviétiques y ont trouvé, entre les années 1950 et la fin des années 1960, les traces d’une riche civilisation, datant du 3ème millénaire avant J.-C..

Cette civilisation a été aussi baptisée « civilisation de l’Oxus » par des archéologues français (H.P. Francfort). L’Oxus est l’ancien nom du fleuve Amou (l’Amou-Daria), appelé Ὦξος (Oxos) par les Grecs, dérivé de son nom originel en sanskrit: वक्षु (Vakṣu), issu de la racine verbale vak, « grandir, être fort, s’affermir ».

Les éternels migrants qui s’établirent en Bactriane du 3ème millénaire jusqu’au début du 2ème millénaire (2200 -1700) venaient des steppes de Russie et d‘Europe du Nord. Ils s’appelaient les « Aryas« , du mot sanskrit आर्य (arya), « noble, généreux », nom dont les Indo-Iraniens se désignaient eux-mêmes. Puis les Aryas quittèrent la Bactriane et l’Oxus, et firent scission pour s’établir respectivement dans le bassin de l’Indus et sur les hauts plateaux de l’Iran (Balouchistan).

Nombre de traits culturels de la civilisation de l’Oxus se retrouvent dans les civilisations de l’Élam, de la Mésopotamie, de l’Indus et de l’Iran ancien. Sur le plan linguistique, l’avestique (le zend) et le sanskrit sont proches. Les noms des dieux de l’Avesta et du Véda sont aussi très proches. Par exemple, le Dieu « solaire«  se dit Mitra en sanskrit et Mithra en avestique.

L‘archéologue gréco-russe Viktor Sarianidi a étudié les sites de Togolok et de Gonur Tepe, et il y a dégagé les restes de temples ou d’aires sacrées, et des enceintes fortifiées. Il y a découvert des « foyers » d’une architecture élaborée, avec d‘importantes quantités de cendres. Il affirme également y avoir trouvé des restes de plantes hallucinogènes (Cannabis et Ephedra). V. Sarianidi interprète ces éléments comme les indices d’un culte religieux pré-avestique ou para-zoroastrien, avec consommation de Haoma.

Il est tentant de trouver là matière à élaborer des comparaisons avec les rites religieux, védiques ou avestiques, que des Indo-Iraniens pratiquaient à la même époque, mais plus au sud, dans le bassin de l’Indus ou sur les hauts-plateaux du Balouchistan.

Il n’existe aucune trace écrite de la civilisation de l’Oxus. En revanche, les textes du g Véda ou de l’Avesta, qui sont la plus ancienne version écrite de traditions orales transmises auparavant pendant des siècles voire des millénaires, décrivent de façon détaillée les cérémonies védiques et avestiques, dans lesquelles le sacrifice du Sôma (pour la religion védique) et de l’Haoma (pour l’avestique) joue un rôle essentiel.

De ces textes se dégage une impression assez différente de celle qui ressort des traces trouvées à Togolok ou à Gonur Tepe, quant à la mise en scène de la célébration du divin. Le g Véda exprime par ses hymnes sacrés la réalité d’un culte plus proche de la nature et il exalte la contemplation des forces du cosmos comme possibles métaphores du divin. Il ne semble avoir aucun besoin de complexes architecturaux élaborés, tels ceux laissés par la « civilisation de l’Oxus ».

En revanche, ce qui semble lier ces divers cultes, que l’on peut qualifier d’ « Indo-Iraniens », c’est l’usage religieux d‘un jus fermenté et hallucinogène, qui a reçu les noms de Sôma dans l’aire védique et de Haoma, dans l’aire avestique. Les mots Sôma et Haoma sont en fait identiques, du point de vue linguistique, car l‘avestique met un h aspiré là où le sanskrit met un s.

Le Sôma et le Haoma sont le cœur, et l’âme même, des sacrifices védique et avestique. Physiquement, ce sont des composés d’eau, de beurre clarifié, de jus fermenté et de décoctions de plantes hallucinogènes. La signification symbolique du Sôma et de l’Haoma est profonde. Ces liquides ont vocation à être transformés par le feu lors du sacrifice, afin de s’élever vers le ciel et monter vers le divin. L’eau, le lait, le beurre clarifié sont à la fois le produit effectif et la traduction symbolique des cycles cosmiques. Le suc des plantes hallucinogènes contribue à la divination, liant intimement la chimie de la nature et celle du cerveau. Tout le cycle cosmique est ainsi compris et intégré.

Une prière avestique dit : « A Mithra, aux riches pâturages, je veux sacrifier par le Haoma. »i

Mithra, divin « Soleil », règne sur les « pâturages » que sont les étendues du Ciel. Dans les « pâturages » célestes, les nuages sont les « vaches du Soleil ». Ils fournissent le lait du Ciel, l’eau qui fait croître les plantes et qui abreuve toute vie sur terre. L’eau, le lait, le Sôma, liquides, tirent leur origine commune des vaches solaires, célestes.

Les cultes du Sôma et de l’Haoma s’inspirent de ce cycle. Les composantes du liquide sacré (eau, beurre clarifié, sucs végétaux) sont soigneusement mélangées dans un vase sacré, le samoudra. Mais le contenu du vase ne prend tout son sens que par la parole divine, l’hymne sacré.

« Mortier, vase, Haoma, ainsi que les paroles sorties de la bouche d’Ahura-Mazda, voilà mes meilleures armes. »ii

Sôma et Haoma sont destinés au Feu de l’autel. Le Feu donne une vie propre à tout ce qu’il brûle. Il révèle la nature des choses, les éclaire de l’intérieur par sa lumière, son incandescence.

« Écoutez l’âme de la terre ; contemplez les rayons du Feu, avec dévotion. »iii

Le Feu vient originairement de la terre, et son rôle est de faire le lien avec le Ciel.

« La terre a remporté la victoire, parce qu’elle a allumé la flamme qui repousse le mal. »iv

Il n’y a rien de naturaliste dans ces images. Ces religions anciennes n’étaient pas naïvement « idolâtres », comme les adeptes de leurs tardives remplaçantes « monothéistes » ont voulu le faire croire. D’essence mystique, elles étaient pénétrées d’une spiritualité cosmique, et profondément imprégnées d’un sens universel du Divin, associé à des notions abstraites comme celle de « Vérité », d’ « Esprit », de « Sagesse », de « Vivant », concepts étrangement semblables à ceux qui seront utilisés en relation avec le Divin, un ou deux millénaires plus tard, par des monothéismes comme le judaïsme ou le christianisme.

« Au milieu de ceux qui honorent ta flamme, je me tiendrai dans la voie de la Vérité. »v dit l’officiant lors du sacrifice.

Le Feu est attisé par le Vent (qui se dit Vâyou en avestique comme en sanskrit). Vâyou n’est pas un simple souffle, une brise, c’est l’Esprit saint, le trésor de la sagesse.

« Vâyou élève la lumière pure, et la dirige contre les fauteurs des ténèbres. »vi

Eau, Feu, Vent ne sont pas des « idoles », ce sont des médiations, des moyens d’aller vers le Dieu unique, le Dieu « Vivant » que l’Avesta appelle Ahura Mazda.

« Dans la lumière pure du Ciel, existe Ahura Mazdavii

Le nom d’Ahura (le « Vivant », qui dénomme le Seigneur suprême) est identique au sanskrit Asura (on a déjà vu l’équivalence h/s). Asura a pour racine asu, la vie.

L’avestique mazda signifie « sage ».

« C’est toi, Ahura Mazda (« le Vivant Sage »), que j’ai reconnu pour principe primordial, pour père de l’Esprit bon, source de la vérité, auteur de l’existence, vivant éternellement dans tes œuvres. »viii

Clairement, le « Vivant » est infiniment au-dessus de toutes ses créatures.

« Tous les corps lumineux, les étoiles et le Soleil, messager du jour, se meuvent en ton honneur, ô Sage vivant et vrai. »ix

Il faut souligner ici l’alliance des trois mots, « sage », « vivant » et « vrai », pour définir le Dieu suprême.

Le prêtre védique ou avestique s’adressait ainsi à Dieu, il y a plus de quatre mille ans : « A toi, ô Vivant et Véridique, nous consacrons cette vive flamme, pure et puissante, soutien du monde. »x

Il n’est pas interdit de penser que l’usage de ces attributs (« sage », « vivant » et « vrai ») définissant l’essence du Dieu suprême est la plus ancienne trace avérée d’une théologie des origines, qu’on peut à bon droit, me semble-t-il qualifier de « monothéisme primordial », bien avant l’heure des monothéismes « officiels ».

Il importe de rappeler, spécialement à notre époque d’ignorance et d’intolérance, que les théologies védique et avestique de la Vie, de la Sagesse, de la Vérité, précèdent d’au moins un millénaire la tradition du monothéisme abrahamique, laquelle remonte tout au plus à 1200 ans av. J.-C. .

Le sens religieux de l’humanité est bien plus ancien, bien plus originaire que ce que les plus anciennes traditions monothéistes ont voulu nous faire croire, en s’appropriant l’essentiel de l’élection et de la parole divines, et en oubliant leurs anciennes racines.

Il me paraît extrêmement important de considérer l’aventure « religieuse » de l’humanité dans son entièreté, et cela en remontant autant qu’il est possible aux yeux de l’esprit de le faire, jusqu’à l’aube de sa naissance. Il est important de comprendre cette aventure qui se prolonge depuis des centaines de milliers d’années, comme la recherche et l’approfondissement d’une puissante intuition du divin, — sans doute renforcée grâce à l’usage réglé de ce que le poète Henri Michaux appelait, dans un autre contexte, la « connaissance par les gouffres ».

iKhorda. Louanges de Mithra.

iiVend. Farg. 19 cité in Émile Burnouf. Le Vase sacré. 1896

iiiYaçna 30.2

ivYaçna 32.14

vYaçna 43.9

viYaçna 53.6

viiVisp 31.8

viiiYaçna 31.8

ixYaçna 50.30

xYaçna 34.4

Du divin, – avant Abraham


Plus de deux millénaires avant J.-C., en plein Âge du Bronze, des peuples dits « Indo-Aryens » étaient installés en Bactriane, entre l’Ouzbékistan et l’Afghanistan actuels. Ils y ont laissé des traces d’une civilisation dite de l’Oxus (-2200, -1700). Puis ils ont migré vers le Sud, bifurquant à gauche, vers les plaines de l’Indus, ou bien à droite, vers les hauts plateaux de l’Iran.

Ces peuples migrants, qui partageaient depuis bien longtemps une culture commune, commencèrent alors à se différencier, sur le plan linguistique et religieux, sans perdre pour autant leurs intuitions fondamentales. En témoignent les analogies et les différences de leurs langues respectives, le sanskrit et le zend, et de leurs religions, la religion des Védas et celle du Zend-Avesta.

Dans le culte védique, le sacrifice du Sôma, composé de beurre clarifié, de jus fermenté et de décoctions de plantes hallucinogènes, joue un rôle essentiel. Le Sôma védique a pour proche équivalent le Haoma, dans le Zend-Avesta. Les deux mots sont en fait les mêmes, si l’on tient compte que le zend des anciens Perses met un h aspiré là où le sanskrit met un s.

Sôma et Haoma possèdent une signification profonde. Ces liquides sont transformés par le feu lors du sacrifice, et s’élèvent alors vers le ciel. L’eau, le lait, le beurre clarifié sont des symboles des cycles cosmiques. Dans le même temps, le suc des plantes hallucinogènes et leurs émanations contribuent à l’extase, à la transe et à la divination, révélant un lien intime entre la chimie de la nature, les puissances du cerveau et l’aperception des réalités divines.

Les noms divins sont très proches, dans l’Avesta et les Védas. Par exemple, le Dieu solaire se dit Mitra en sanskrit et Mithra en avestique. Le symbolisme lié à Mitra/Mithra ne se limite pas à l’identification au soleil. C’est tout le cycle cosmique qui est visé.

Une prière avestique dit : « A Mithra, aux riches pâturages, je veux sacrifier par le Haoma. »i

Mithra, divin « Soleil », règne sur des « pâturages » qui désignent toutes les étendues du Ciel, et le Cosmos entier. Dans les « pâturages » célestes, les nuages sont les « vaches du Soleil ». Ils fournissent le lait du Ciel, l’eau qui fait croître les plantes et qui abreuve toute vie sur terre. L’eau, le lait, le Sôma, liquides, tirent leur origine commune des vaches solaires, célestes.

Les cultes du Sôma et de l’Haoma s’inspirent de ce cycle. Les composantes du liquide sacré (eau, beurre clarifié, sucs végétaux) sont soigneusement mélangées dans un vase sacré, le samoudra. Mais le contenu du vase ne prend tout son sens que par la parole divine, l’hymne sacré.

« Mortier, vase, Haoma, ainsi que les paroles sorties de la bouche d’Ahura-Mazda, voilà mes meilleures armes. »ii

Sôma et Haoma sont destinés au Feu de l’autel. Le Feu donne une vie propre à tout ce qu’il brûle. Il révèle la nature des choses, les éclaire de l’intérieur par sa lumière, son incandescence.

« Écoutez l’âme de la terre ; contemplez les rayons du Feu, avec dévotion. »iii

Le Feu vient originairement de la terre, et son rôle est de faire le lien avec le Ciel.

« La terre a remporté la victoire, parce qu’elle a allumé la flamme qui repousse le mal. »iv

Rien de naturaliste dans ces images. Ces religions anciennes n’étaient pas idolâtres, comme on a voulu le faire croire, avec une myopie mêlée de profonde ignorance. Elles étaient pénétrées d’une spiritualité cosmique.

« Au milieu de ceux qui honorent ta flamme, je me tiendrai dans la voie de la Vérité. »v dit l’officiant lors du sacrifice.

Le Feu est attisé par le Vent (qui se dit Vâyou en avestique comme en sanskrit). Vâyou n’est pas un simple souffle, une brise, c’est l’Esprit saint, le trésor de la sagesse.

« Vâyou élève la lumière pure, et la dirige contre les fauteurs des ténèbres. »vi

Eau, Feu, Vent sont des médiations, des moyens de se lier au Dieu unique, le Dieu « Vivant » que l’Avesta appelle Ahura Mazda.

« Dans la lumière pure du Ciel, existe Ahura Mazdavii

Le nom d’Ahura (le « Vivant »), dénomme le Seigneur suprême. Ce nom est identique au sanskrit Asura (on a déjà vu l’équivalence h/s). Asura a pour racine asu, la vie.

L’avestique mazda signifie « sage ».

« C’est toi, Ahura Mazda (« le Vivant Sage »), que j’ai reconnu pour principe primordial, pour père de l’Esprit bon, source de la vérité, auteur de l’existence, vivant éternellement dans tes œuvres. »viii

Clairement, le « Vivant » est infiniment au-dessus de toutes ses créatures.

« Tous les corps lumineux, les étoiles et le Soleil, messager du jour, se meuvent en ton honneur, ô Sage vivant et vrai. »ix

J’attire l’attention sur l’alliance des trois mots, « sage », « vivant » et « vrai », pour définir le Dieu suprême.

Le prêtre védique et le prêtre avestique s’adressaient ainsi à Dieu, il y a plus de quatre mille ans : « A toi, ô Vivant et Véridique, nous consacrons cette vive flamme, pure et puissante, soutien du monde. »x

Il me plaît de penser que l’usage de ces trois attributs (« sage », « vivant » et « vrai ») définissant déjà, il y a plus de quatre mille ans, l’essence du Dieu suprême, est la plus ancienne trace avérée d’une théologie originelle du monothéisme.

Il importe de souligner que cette théologie de la Vie, de la Sagesse, de la Vérité d’un Dieu suprême, et par conséquent unique, précède de plus d’un millénaire la tradition du monothéisme abrahamique.

Quatre millénaires plus tard, en ce commencement du 21ème siècle, le paysage mondial des religions offre à notre considération au moins trois monothéismes, particulièrement assertoriques: le judaïsme, le christianisme, l’islam…

« Monothéismes ! », – avons-nous le désir de les apostropher, – « Un peu de modestie ! Considérez avec attention et respect la profondeur des temps qui ont précédé l’émergence tardive de vos propres dogmes!

L’humanité profonde, par ses racines cachées, et ses antiques visions, découvre encore à qui veut bien les voir, son unité essentielle, indéfectible, et son unique origine !… »

iKhorda. Louanges de Mithra.

iiVend. Farg. 19 cité in Émile Burnouf. Le Vase sacré. 1896

iiiYaçna 30.2

ivYaçna 32.14

vYaçna 43.9

viYaçna 53.6

viiVisp 31.8

viiiYaçna 31.8

ixYaçna 50.30

xYaçna 34.4

La religion immanente de l’humanité


Les prières du Zend-Avesta sont adressées aux Gâthâs, qui ne sont en réalité que des divinités intermédiaires. Le Yasna dit à leur sujet: « Tous les mondes, les corps, les os, les forces vitales, les formes, les forces, la conscience, l’âme, la Phravaṣi, nous les offrons et présentons aux Gâthâs, saints, seigneurs du temps, purs ; aux Gâthâs qui sont pour nous des soutiens, des protecteurs, une nourriture de l’esprit. »i

Il ne faut pas perdre de vue que le Zend-Avesta révère avant tout un Seigneur des seigneurs, un Dieu unique, qui règne fort au-dessus des Gâthâs. Le nom de ce Dieu est Ahura Mazda, appelé également, en pehlevi, ou moyen persan, Ormuzd.

En avestique qui est la langue iranienne ancienne, Ahura signifie « seigneur ». Mazda signifie « grandement savant ». L’éminent Burnouf décompose le mot mazda en maz – dâ. Maz est un superlatif, et signifie « connaître ». En persan moderne, dânâ signifie « savant ». Il y a aussi un équivalent en sanskrit : « mêdhas ».

Lorsqu’il est interrogé par Zoroastre sur le sens de son Nom (un peu comme le fera, quatre ou cinq siècles plus tard, Moïse sur la montagne, face à YHVH), Ahura Mazda déclare dans le premier Yast: « Mon nom est le souverain, mon nom est le grand savant ». Tout se passe comme si toute la sagesse, toute la connaissance résidait dans le Nom de Dieu.

Les adeptes du Zend Avesta appellent également Ahura Mazda d’un autre nom, Spenta Mainyu, soit mot à mot : « le Saint Esprit ».

La question des noms de Dieu est fort importante, par ses implications. C’est pourquoi Zoroastre ne s’en tient pas à cette réponse et continue d’interroger Ahura Mazda. Il le presse de révéler ce qu’il y a de plus puissant, de plus efficace contre les démons, rangé sous la bannière de l’Esprit du Mal, Aṅra Mainyu (en pehlevi : Ahriman).

Ahura Mazda répond que ce sont les noms qu’il porte.

« Mon nom est Celui qu’il faut interroger ; je m’appelle en deuxième lieu le Chef des troupeaux ; le Propagateur de la loi ; la Pureté excellente ; le Bien d’origine pure ; l’intelligence ; Celui qui comprend ; le Sage ; l’Accroissement ; Celui qui s’accroît ; le Seigneur ; Celui qui est le plus utile ; Celui qui est sans souffrance ; Celui qui est solide ; Celui qui compte les mérites ; Celui qui observe tout ; l’Auxiliateur ; le Créateur ; l’Omniscient (le Mazdâ) (…).

Retiens et prononce ces noms jour et nuit. Je suis le Protecteur, le Créateur, le Sustentateur, le Savant, l’Être céleste très-saint. Mon nom est l’Auxiliaire, le Prêtre, le Seigneur ; je m’appelle Celui qui voit beaucoup, Celui qui voit au loin. Je m’appelle le Surveillant, le Créateur, le Protecteur, le Connaisseur. Je m’appelle Celui qui accroît ; je m’appelle le Dominateur, Celui qu’on ne doit pas tromper, celui qui n’est pas trompé ; je m’appelle le Fort, le Pur, le Grand ; je m’appelle Celui qui possède la bonne science.

Celui qui retient et prononce ces noms échappera aux attaques des démons. »ii

On note au passage l’analogie évidente de ces lignes avec des textes comparables, mais beaucoup plus tardifs, du judaïsme, et plus tardifs encore de l’islam.

L’Avesta possède tous les caractères d’une religion révélée. Tout d’abord, c’est Dieu (Ahura Mazda) qui s’est lui-même initialement révélé aux Mazdéens. Ensuite, l’Avesta se réfère à un grand prophète, Zoroastre, qui se targue d’avoir servi d’intermédiaire entre Dieu et l’homme, et qui a été le grand réformateur du mazdéisme. Les travaux scientifiques les plus récents attestent que Zoroastre vécut antérieurement à Abraham, entre 1400 et 1100 av. J.-C.. Il fut le prophète qui transforma le dualisme initial du mazdéisme et la multiplicité des divers gâthâs en un monisme absolument transcendantal, après en avoir discuté directement avec Ahura Mazda, tel un Moïse avestique, – plusieurs siècles avant le Moïse hébreu.

Je tire de ces faits établis la conjecture suivante.

De deux choses l’une :

Ou bien ce « monde d’en-haut », ce monde du divin, dont on tente, dans la longue histoire des idées religieuses, de cerner les variations, les analogies et les anagogies, les ressemblances et les échos, n’existe tout simplement pas. Le monde est vide, il n’y a aucun Dieu, et ce sont les matérialistes qui ont raison à 100%. Alors les guerres de religion, les sacrifices, les martyrs, les passions de la croyance, et tout le sang répandu aujourd’hui, hier et demain, sont autant de facettes d’une sinistre farce jouée par des crapules ou des politiques machiavéliques aux dépens de l’insondable naïveté des peuples, victimes de leur crédulité et de leur superstition.

Cette farce est continuellement développée et réécrite au long des millénaires par des illuminés, des fous, ou bien des cyniques et des criminels de guerre, tous contribuant à faire de cette terre un lieu sans sens, sans passé et sans avenir. Dans cette vision, le monde serait condamné à l’auto-destruction, au suicide moral et à la violence absolue, aussitôt que la supercherie éventée enfin.

Ou bien le « monde d’en-haut » existe en effet, d’une manière ou d’une autre, mais il échappe à notre perception, à notre compréhension et à notre intellection. C’est le Mystère. Dans cette hypothèse, il y a de bonnes chances que les religions apparues depuis l’aube des temps, comme le shamanisme, le Véda, l’Avesta, le mazdéisme, le zoroastrisme, la magie chaldaïque, l’ancienne religion égyptienne, l’orphisme, le judaïsme, le christianisme, l’islam, loin de pouvoir revendiquer une singularité élective, soient autant d’instances de diverses perceptions et intuitions du divin par l’homme, autant de témoignages de la pluralité des approches possibles du Mystère.

Dans cette interprétation, plus distanciée et non ethnocentrée du fait religieux, chaque religion représente une manière spéciale de concrétiser une particulière émanation divine, plus ou moins adaptée à l’époque et aux peuples qui en font réception.

Il serait alors vain de hiérarchiser les religions entre elles. Il serait plus productif, du point de vue prospectif notamment, de s’interroger sur les relations systémiques entre une époque donnée et la manière dont le fait religieux s’inscrit à ce moment de l’histoire dans le tissu social, culturel, politique, économique.

Ajoutons que l’état général du monde laisse à penser qu’aucune des religions citées plus haut n’est aujourd’hui en mesure de réclamer le monopole de la vérité sur les difficiles questions qu’elles prétendent trancher à leur avantage.

Dans cette hypothèse de l’existence d’un « monde d’en-haut », inaccessible à la raison humaine, et d’un point de vue anthropologique, tout se passe comme si quelque chose de très important mais de parfaitement incompréhensible se jouait depuis des millénaires au sein de l’humanité, avec la complicité active du divin.

Il faudrait faire l’hypothèse que se joue depuis l’aube de l’humanité une sorte de « grand jeu » cosmique, sidéral, dont le sens et la finalité nous échappe manifestement, mais auquel les hommes sont invités à prendre part, dans la mesure de leurs faibles moyens.

L’humanité est composée de générations qui transitent fugacement sur la terre comme des insectes dans la lumière, un soir d’été. Il est donc fort probable que ces générations successives ne peuvent qu’appréhender de manière déficiente, l’indicible enjeu de cet arrangement super-naturel.

Mais il est possible de supputer que les successives générations humaines peuvent de temps à autre engendrer en leur sein des esprits capables de percevoir intuitivement, « imaginalement » comme dirait Corbin, l’enjeu grandiose de cette partie divine.

Tout ce que nous pouvons faire dans une époque comme la notre, et c’est déjà beaucoup, c’est de refuser de nous laisser prendre dans la nasse des idées reçues, refuser les sectarismes, les dogmatismes, les prisons de la pensée et de l’imagination. Nous pouvons activement contribuer à l’édification lente, fragile et provisoire de la religion immanente de l’humanité entière.

iYasna, ch. 54

iiCité par Abel Hovelacque, Avesta, Zoroastre et le mazdéisme. Paris, 1880.

« Le Nom du Dieu des dieux était de tout temps d’un emploi courant chez les idolâtres. »


Le propre d’un secret est d’être tu, et de le rester. Mais faut-il taire le fait même de son existence ? Les possesseurs de secrets importants, essentiels, divins même, cèdent parfois à la tentation de laisser entendre qu’ils en sont les dépositaires.

Ils n’en révéleront rien, bien sûr, mais ils révèlent qu’il y a quelque chose qui pourrait être révélé, et qui doit rester secret.

Cette attitude est dangereuse. La curiosité excitée, non satisfaite, peut virer à l’aigre.

Voltaire dans une formule légère, pointe le problème: « Faites-nous donc voir quelque secret de votre art, ou consentez à être brûlé de bonne grâce », écrit-il à l’article « Magie » de son Dictionnaire philosophique.

Secret, magie et religion ont eu, au long des siècles, des relations chaotiques, contradictoires et conflictuelles. Ceux qui revendiquaient la connaissance de clés supérieures de compréhension, et qui refusaient de les partager, s’exposaient à la jalousie, à la hargne, à la haine et finalement à la violence. On les accusait de fraude ou d’hérésie, tant la connaissance de secrets ultimes, non avouables, pouvait être source de clivage, de suspicion.

Les fameux rois Mages vinrent de Mésopotamie ou de l’actuel Iran, pour rendre hommage à un enfant nouveau-né, apportant dans leurs bagages de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Sans doute, devaient-ils être aussi porteurs de savants secrets. En tant que Mages, ils devaient avoir hérité des acquis de la tradition zoroastrienne et des mystères de Mithra.

Cette tradition et ces mystères avaient été influencés par l’Inde védique, mais en avaient parfois pris le contre-pied systématique. Franz Cumont écrit que dans le Véda, Indra est un « deva » c’est-à-dire un « être de lumière ». Dans le Zend-Avesta, en revanche, les textes attribués à Zoroastre en font un « daêva ». Mais les « daêvas » d’Iran, bien qu’ayant le même nom que les « dévas » de l’Inde, ne sont pas des « dieux », ce sont des « diables », des esprits mauvais, hostiles à la puissance bienfaisant d’Ahura Mazda, le Dieu Bon et Tout-Puissant du zoroastrisme. Cette inversion des « dieux » en « diables », pour des êtres qui portent le même nom, a pu être interprétée a posteriori comme une conséquence d’un tribalisme ou d’un nationalisme ombrageux. Les peuples de l’ancien Iran ont emprunté à leurs voisins du bassin de l’Indus leurs dieux et une bonne part de leur religion, mais en ont inversé le sens, sans doute pour mieux se démarquer de leurs origines.

Pourquoi ce besoin de se distinguer ?

Jan Assman dans Moïse l’Égyptien, fait une remarque similaire à propos des Hébreux, qui auraient emprunté à l’ancienne religion égyptienne un certain nombre d’idées majeures, comme le monothéisme, ainsi que la pratique des sacrifices, mais auraient « inversé » le sens de certains d’entre eux pour affirmer ce qu’Assmann appelle la « distinction mosaïque ». Le Taureau Apis représente un Dieu chez les Égyptiens, et l’animal est sacré, tout comme en Inde d’ailleurs les vaches. Mais chez les Hébreux on peut sacrifier bovins et ovins sans remords au Seigneur YHVH.

Les Védas et le Zend Avesta gardent la trace de la genèse et de la décadence de croyances presque oubliées. Ces textes forment un jalon essentiel pour la compréhension de religions qui furent ensuite développées plus à l’Ouest, en Chaldée, en Babylonie, en Judée-Samarie. Les indices sont fragiles, mais les pistes de réflexion abondent.

Par exemple, le dieu avestique Mithra est un « Dieu des Armées », ce qui fait penser à l’Elohim Tsabaoth des Hébreux. Il est Époux et Fils d’une Mère Vierge et Immaculée. Mithra est un Médiateur, proche du Logos, mot par lequel Philon d’Alexandrie, juif et hellénophone, traduit la Sagesse (Hokhmah), célébrée par la religion hébraïque, et proche aussi du Logos évangélique.

A ce titre Mithra est l’Intermédiaire entre la Toute-Puissance divine et le monde créé. Cette idée a été reprise par le christianisme et la Kabbale juive. Dans le culte de Mithra, on use de sacrements, où le vin, l’eau, le pain constituent l’occasion d’un banquet mystique. Cela est proche des rites du Shabbat juif ou de la Communion chrétienne.

Ces quelques observations indiquent qu’il n’y a pas de solution de continuité dans l’ample zone géographique qui va de l’Indus à la Grèce et à Rome, en passant par l’Oxus, le Tigre, l’Euphrate, le Jourdain et le Nil. Sur cet arc immense, se croisent et se rejoignent des croyances fondamentales, des intuitions premières, ensemençant les peuples.

Le Mitra védique, le Mithra avestique sont des figures qui annoncent Orphée et Dionysos. Selon une étymologie qui emprunte ses sources à la langue de l’Avesta, Dionysos doit se comprendre comme un nom avestique div-an-aosha, soit : « le Dieu de la boisson d’immortalité ».

Les Juifs eux-mêmes, gardiens de la tradition du Dieu unique, témoignent de l’antiquité de la croyance commune à tous les peuples de cette vaste région en ce Dieu des dieux. « Comme le remarquent nos maîtres, le Nom du Dieu des dieux était de tout temps d’un emploi courant chez les idolâtres. »i

Le prophète Malachie ne dit-il pas, lui aussi : « Car du lever du soleil à son coucher, mon Nom est grand parmi les nations. »ii

Le « monothéisme », quelle que soit la signification exacte que l’on donne à ce concept relativement récent, a donc une fort longue histoire, des racines extrêmement anciennes.

L’intuition d’un Dieu des dieux a sans doute occupé l’esprit des hommes depuis des millénaires, bien avant qu’elle prenne la forme monothéiste que l’on connaît aujourd’hui.

iRabbi Hayyim de Volozhin. L’âme de la vie

iiMalachie 1, 11