Différentes
religions, dont le Véda et le Christianisme, affirment que Dieu
s’est ‘sacrifié’ pour l’Homme. Or ce dernier semble n’être
rien de plus qu’un peu de boue animée.
Pourquoi un si grand
Dieu se sacrifie-t-Il pour une créature qui Lui est si inférieure à
tous égards?
La seule réponse
(logique), à mon avis, est que Dieu se sacrifie parce que la réalité
qu’Il rend possible par son sacrifice Le ‘dépasse’ alors Lui-même,
ontologiquement.
Dieu se ‘dépasse’
dans son ‘sacrifice’, et ce ‘dépassement’ semble être la condition
sine qua non du dépassement qu’on est alors en droit
d’attendre de l’Homme.
Pour introduire plus
avant la réflexion sur ce sujet, remarquons que cette question du
dépassement divin s’est déjà plusieurs fois posée dans l’histoire
des religions, et ailleurs que dans le cadre du monothéisme
chrétien.
« Les
Orphiques et les Pythagoriciens ont opéré le dépassement du
sacrifice par le haut, le dionysisme par le bas. » remarque Marcel
Détienne dans son livre Dionysos mis à mort.i
Se tournant
résolument ‘vers le haut’, Pierre Teilhard de Chardin
remarque
que l’Univers
se présente désormais, non plus comme un Cosmos
(statique),
mais comme une Cosmogénèse
(dynamique,
évolutive).
Il
affirme également que
l’Évolution de
ce Cosmos en gésine ne
fait que commencer.
Et
que l’aventure de l’espèce humaine est encore tout au début d’un
stade encore embryonnaire.
Les
conséquences cette vision des choses sont radicales.
Si
le
Monde est
de
nature évolutive, Dieu ne
peut
plus
être conçu seulement
comme
une cause ‘initiale’.
Il est aussi
une
cause « formelle »,
constamment
à l’œuvre, et coïncidant
(sans se confondre) avec le Centre de convergence de la Cosmogénèse.
On
observe,
dit
Teilhard,
« la montée irrésistible d’un
Dieu évolutif de l’En-Avant, – antagoniste, à première vue, du
Dieu transcendant de l’En-Haut »…
On
ne peut que constater
« le
conflit apparent désormais éclaté entre le Dieu traditionnel de la
Révélation et le Dieu « nouveau » de l’Évolution »
.ii
La
substitution du
‘Dieu
d’En-Haut’
par un ‘Dieu
de l’En-Avant’
remet
en cause les Grands Récits des monothéismes, dont celui
de la Genèse, du premier
Adam, du paradis terrestre, de la Chute, du Péché
originel,…
et
aussi
le mythe de
la singularité et de
l’élection
de l’Humanité, au regard du Cosmos où se pressent des milliards de
nébuleuses, à
propos desquelles
on
peut poser
la question de savoir combien
ont
eu
aussi
leurs
Moïses, leurs peuples élus, leurs
Terres promises, leurs
Bouddhas et
leurs
Messies…
L’Humanité
probablement,
n’est ni « unique »,
ni « singulière » :
elle est « une entre mille ».
« L’idée
d’une Terre « choisie entre mille »
arbitrairement
pour foyer de la Rédemption me répugne, dit
Teilhard, et
d’autre part l’hypothèse d’une Révélation spéciale apprenant,
dans quelques millions de siècles, aux habitants du système
d’Andromède, que le Verbe s’est incarné sur la Terre, est
risible. »iii
Il
pense
que
la religion
de l’avenir se
définira
comme une « religion
de l’Évolution »,
et qu’elle devra « prendre
en compte les myriades de possibles
révélations
dans le Cosmos »,
et
considérer
« la
possibilité
d’un
Messie
non pas réservé à un peuple élu, ou à l’Humanité,
mais d’un Messie universel, cosmique, centre des mondes »…
Au
regard du Mouvement cosmique de Complexité-Conscience,
»
le Christ, tel que la théologie classique continue à le proposer au
Monde, est à la fois trop limité (trop localisé)
astronomiquement,
et trop excentrique évolutivement, pour pouvoir « céphaliser »
l’Univers tel que celui-ci nous apparaît maintenant. « iv
Teilhard théorise
l’existence probable, en
avant de nous, d’un « Ultra-Humain ».
« L’Humanité,
prise dans sa forme actuelle, ne peut être scientifiquement regardée
que comme un organisme n’ayant pas encore dépassé la condition de
simple embryon. (…) Un vaste domaine d’Ultra-humain se découvre en
avant de nous, dans tous les cas. »v
Comment
concevoir
une issue, — convenable —, à
cette Évolution grandiose
de l’Humanité vers l’Ultra-humain?
L’alternative est
radicale:
« Ou bien la
Nature est close à nos exigences d’avenir : et alors la
Pensée, fruit de millions d’années d’effort, étouffe mort‑née,
dans un Univers absurde, avortant sur lui-même. Ou
bien une ouverture existe, — de la sur‑âme au‑dessus
de nos âmes : mais alors cette issue, pour que nous consentions
à nous y engager, doit s’ouvrir sans restrictions sur des espaces
psychiques que rien ne limite, dans un Univers auquel nous puissions
éperdument nous fier ».vi
Ce qui est sûr,
c’est que la Vie, une fois dotée de la conscience et de la pensée,
ne peut pas continuer « sans exiger de monter toujours plus
haut. »
C’en est assez
pour être assuré « qu’il y a pour nous, dans l’avenir, sous
quelque forme, au moins collective, non seulement survivance, mais
survie« , et que,
« pour atteindre cette forme supérieure d’existence, nous
n’avons qu’à penser et à marcher, toujours plus outre, dans les
directions où prennent leur maximum de cohérence les lignes passées
de l’Évolution. »
Les signes abondent.
« Peuples
et civilisations parvenus à un tel degré, soit de contact
périphérique, soit d’interdépendance économique, soit de
communion psychique, qu’ils ne peuvent plus croître qu’en
s’interpénétrant.(…) Sous
l’influence combinée de la Machine et d’un surchauffement
de Pensée, nous assistons à un formidable jaillissement de
puissances inoccupées. (…) Comment
ne pas voir dans ce double phénomène un pas nouveau dans la genèse
de l’Esprit ! »vii
La
Noogénèse monte
irréversiblement vers le point Oméga —
et
l’Évolution
ne peut s’achever sur Terre qu’à travers un point de
dissociation
radical,
« la
fin de toute Vie sur notre globe, — la mort de la Planète, — la
phase ultime du Phénomène humain. »viii
« Ce que sera,
dans ses apparences finales, la Noosphère, nul n’oserait se le
représenter. La fin du Monde est inimaginable. Mais comparée aux
nappes zoologiques qui la précèdent, et dont la vie moyenne est au
moins de l’ordre de 80 millions d’années, l’Humanité est si
jeune qu’on peut la dire tout juste née. (…) Entre la Terre
finale et notre Terre moderne s’étend donc vraisemblablement une
durée immense, marquée, non point par un ralentissement, mais
par une accélération, et le définitif épanouissement,
suivant la flèche humaine, des forces de l’Évolution. »ix
Tout ce que l’on
peut dire c’est que le plus inattendu est peut‑être ce qu’il
y a de plus probable…
On peut « se
demander sérieusement si la Vie n’arrivera pas un jour à forcer
les barrières de sa prison terrestre, — soit en trouvant le moyen
d’envahir d’autres astres inhabités, — soit, événement plus
vertigineux encore, en établissant une liaison psychique, avec
d’autres foyers de conscience à travers l’espace.
La rencontre et la
mutuelle fécondation de deux Noosphères… Supposition qui au
premier abord peut paraître insensée, mais qui après tout ne
fait qu’étendre au Psychique une échelle de grandeur dont
personne ne songe plus à contester la validité pour la Matière. La
Conscience se construisant finalement par synthèse d’unités
planétaires. Pourquoi pas, dans un Univers où l’unité astrale
est la galaxie ? »x
« Mort de la
planète, matériellement épuisée ; déchirement de la
Noosphère partagée sur la forme à donner à son unité. Non pas un
progrès indéfini, — hypothèse contredite par la nature
convergente de la Noogénèse, mais une extase, hors des dimensions
et des cadres de l’Univers visible. »xi
L’aventure
de
l’Être ne
fait que commencer… Dieu
lui-même
n’est
pas « immobile »,
et il n’a pas fini d’évoluer.
« Un
énorme événement psychologique est en train de se produire, en ce
moment même, dans la Noosphère : rencontre, ni plus ni moins,
de l’En-Haut avec l’En-Avant (…)
Anticipations conjuguées d’un Surhumain
transcendant et d’un Ultra-humain immanent. »xii
C’est
la « Plérômisation »,
ou l’union du monde et de Dieu. Dieu
s’achève, se
complète, en quelque façon, dans le Plérôme.
Son ‘union’
avec le Monde lui apporte,
peut-on conjecturer, quelque chose de
vitalement nécessaire. Une
Métaphysique de l’Union se substitue à
l’ancienne
Métaphysique de l’Être.
Dans une
Métaphysique de l’Union, un
degré supplémentaire d’unification
absolue est
possible, qui raménerait au
centre divin « une
auréole ‘antipodiale’
de multiplicité pure. »xiii
Avec
la perspective de l’union de l’Homme, du
Cosmos et du Divin, nous nous
découvrons « atomiquement responsables d’une cosmogénèse »xiv.
Traduction: Nous
sommes tous co-responsables de l’évolution de tous les mondes
futurs, dans la moindre de nos actions, dans la moindre de nos
pensées, dans le moindre de nos désirs.
iMarcel
Détienne .Dionysos mis à mort. Gallimard 1977, p.149
ii
Pierre Teilhard de Chardin. Ce que le monde attend en ce moment
de l’Église de Dieu (1952).
iii
Pierre Teilhard de Chardin. Comment je crois. Paris
Seuil, 1969, p.56
iv
Pierre Teilhard de Chardin. Comment je crois. Paris
Seuil, 1969, p.290
v
Pierre Teilhard de Chardin. L‘avenir de l’homme.
Œuvres complètes,Tome V. Seuil. 1959, p. 354.
vi
Pierre Teilhard de Chardin. Le Phénomène humain. Œuvres
complètes,Tome I. Seuil. 1956, p.258 sq.
vii
Pierre Teilhard de Chardin. Le Phénomène humain. Œuvres
complètes,Tome I. Seuil. 1956, p.280
viiiPierre
Teilhard de Chardin. Le Phénomène humain. Œuvres
complètes,Tome I. Seuil. 1956, p.304
ix
Pierre Teilhard de Chardin. Le Phénomène humain. Œuvres
complètes,Tome I. Seuil. 1956, p.308
xPierre
Teilhard de Chardin. Le Phénomène humain. Œuvres
complètes,Tome I. Seuil. 1956, p.319
xiPierre
Teilhard de Chardin. Le Phénomène humain. Œuvres
complètes,Tome I. Seuil. 1956, p.322
xiiPierre
Teilhard de Chardin. Comment je crois. Paris
Seuil, 1969, p.291
xiiiPierre
Teilhard de Chardin. Comment je crois. Paris
Seuil, 1969, p.208
xivPierre
Teilhard de Chardin. Comment je crois. Paris
Seuil, 1969, p.131
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