Les consciences de Sartre


« Jean-Paul Sartre »

Dans ses Carnets de la drôle de guerre, Sartre dit, tour à tour, que la conscience est « captive », « nue », « inhumaine », « absurde », « empoisonnée », « duplice » et « menteuse ». Elle est « non-thétique ».

D’un autre côté, Sartre dit que la conscience est « infinie » et « transcendantale » — elle enveloppe l’infini, et elle se transcende elle-même.

Point d’orgue, peut-être, de cette transcendance: Sartre dit aussi qu’elle est « absolue ».

Dans L’Être et le Néant, son œuvre maîtresse, parue quatre ans plus tard (en 1943), la question de la conscience est traitée en quelques 700 pages, drues, sèches et ciselées.

On y glane, ici et là, que la conscience est « pure apparence », « vide total », « reflet », « exhaustive », « manque », « pente glissante », « interrogative », « conscience d’être autre ».

En un mot, elle est « mauvaise foi ».

D’un autre point de vue elle est « révélation-révélée », et même « ontico-ontologique » (c’est-à-dire qu’elle est essentiellement en mouvement, partant de l’être vers un savoir toujours plus profond sur l’être).

Elle est un « infini »; elle est le « soi », et aussi la « néantisation d’en-soi »; elle est « présence à soi » et aussi « à distance de soi comme présence à soi ».

Une formule bien frappée résume toutes ces apparentes contradictions:

Pour Sartre, contrairement à l’être qui est ce qu’il est, la conscience est ce qu’elle n’est pas et elle n’est pas ce qu’elle est, — ce qui est une autre façon de dire qu’elle est de « mauvaise foi ».

Ce n’est pas dire là que la conscience est, puisqu’elle n’est pas (ce qu’elle est).

Ce n’est pas là dire non plus que la conscience n’est pas, puisqu’elle est ce qu’elle n’est pas.

Alors qu’est-elle? demandera-t-on.

Excellente question. Pour commencer d’y répondre, voyons quelques-uns des qualificatifs que Sarte lui attribue.

Captive

« Or l’homme que je suis est à la fois la conscience captive dans le corps et le corps même et les actes-objets de la conscience et la culture-objet et la spontanéité créatrice de ses actes. En tant que tel, il est à la fois délaissé dans le monde infini et créateur de sa propre transcendance infinie. (…) C’est par la conscience transcendantale que l’homme est délaissé dans le monde.i

Au sujet de ce que je viens d’écrire: un facteur manque, la mort. Si la conscience n’existe que par sa transcendance, elle renvoie à l’infini d’elle-même. Mais précisément le fait de la mort entraîne un arrêt dans le renvoi infini. A chaque instant la conscience n’a de sens que par cet infini mais le fait de la mort barre cet infini et ôte à la conscience son sens même. Toutefois le fait de la mort n’est point appris de la même façon que la transcendance infinie de la conscience. Celle-ci est vécue; le fait de la mort est appris. Nous ne connaissons que la mort d’autrui, par suite notre mort est objet de croyance. Aussi c’est, pour finir, la transcendance qui triomphe ».ii

La conscience est « captive » du corps, mais elle est aussi captive de la finitude que lui impose la mort. Elle est captive du non-sens que la mort lui présente. Cependant cette captivité n’est que relative, car la conscience se sait aussi infiniment transcendante, donc infiniment capable de briser tous les liens dont la mort ou la finitude semblent la lier.

Le passage cité se termine glorieusement par une plaisante pirouette: « C’est pour finir, la transcendance qui triomphe. »

Est-ce à dire qu’à la fin (dans la mort?), on doit trouver la transcendance, et l’infini triomphant?

Mais Sartre n’est-il pas athée, etc. ? Certes, mais c’est un athée ambigu, qui aime faire « triompher », à la fin, contre toute attente, la « transcendance ».

Serait-ce une transcendance athée? Sans doute, oui. Mais qu’est-ce qu’une transcendance athée? Sans doute une transcendance non théiste, non embarrassée de tout le bagage théologique dont les millénaires ont alourdi les croyances.

En tout cas cette transcendance transcende la conscience, mais la constitue aussi.

Nue

« C’est là ce qui me frappe chez Dostoïevski, j’ai tout le temps l’impression d’être en face non du ‘cœur’ ni de ‘l’inconscient profond’ de ses personnages mais de leur conscience nue, empêtrée en elle-même et se débattant contre elle-même. En ce sens R.B., folle, faisait sans le vouloir du meilleur Dostoïevski. Elle nous disait, très simple: « Eh bien, je mets mon chapeau et je descends avec vous, j’achèterai les journaux pour lire les petites annonces » (elle venait de nous annoncer qu’elle avait démissionné et se cherchait un nouvel emploi). Elle faisait quelques pas puis jetait son chapeau sur le divan: « Non, je ne sortirai pas, c’est de la comédie. » Puis, égarée et les deux mains au visage: « Mais ce que je viens de dire est aussi de la comédie! Mon Dieu, comment s’en sortir? » Mais ce n’était pas parce qu’elle était folle qu’elle « faisait » du Dostoïevski — mais parce que sa folie avait provisoirement pris la forme d’une grande exigence de pureté qui lui découvrait l’empoisonnement nécessaire de la conscience ».iii

La conscience « nue » est une conscience qui exige la plus grande « pureté » possible vis-à-vis d’elle même. Mais cette recherche est sans fin, ou alors tragique. Ainsi que le comportement de R.B. le révèle, la conscience « empêtrée en elle-même » finit par devenir « folle », autrement dit « empoisonnée ». Elle tourne en rond, veut sortir d’elle-même, puis y renonce, parce qu’elle voit dans le même temps que ce serait une fausse sortie, une sortie de « comédie ». Et dès lors le piège de la conscience à la recherche de sa pureté introuvable se referme. Sa mise à nu n’est jamais qu’apparente, elle reste toujours vêtue de quelque oripeau lui collant à la peau, ou plutôt d’une tunique de Nessus, un cadeau empoisonné et brûlant, donc, dont elle se revêtirait elle-même, sous prétexte de se sauver.

Empoisonnée

« A propos de Nastassia Philippovna, personnage de L’Idiot:

Je pense: quoi de plus grand que ce qu’elle fait? Quelle place aurait-elle dans la Sainte Russie qu’il rêve? Et n’est-elle pas mieux ainsi, passionnée, déchirée, luttant contre sa passion, contre sa conscience empoisonnée, s’empoisonnant à chaque niveau de la lutte et finissant par mourir victorieuse d’elle-même ».iv

La conscience s’empoisonne de sa passion même, qui la déchire, et qui l’incite à lutter toujours davantage contre elle-même. C’est un poison qui ne vient pas de quelque fiole extérieure, versée par un traître. Le poison, comme tout pharmakon, n’est d’abord vu que comme un médicament, et il est censé a priori guérir la conscience d’elle-même. Mais dès qu’il commence d’agir, il révèle sa vraie nature, qui est celle d’un poison mortel.

La conscience en quête de pureté et de nudité est un poison pour elle-même.

Inhumaine et absurde

« Détruire n’est pas anéantir, c’est déshumaniser l’homme et le monde. Homme et monde deviennent ou plutôt se font des objets inertes en face de la conscience transcendantale. Nous trouvons à présent la plénitude absurde de l’existence inhumaine devant la conscience inhumaine et absurde. »v

Cet extrait est tiré d’une réflexion sur la guerre, qui remplit tout de son « plein ». La guerre organise le monde, mais pour le « nier ». En niant le monde, elle ajoute encore au côté « absurde » de l’existence, en « faisant choses » la réalité humaine.

Il y a cependant une conséquence intéressante: plus la réalité humaine se fait « choses », plus la conscience transcendantale se « purifie », par réaction, en quelque sorte.

« L’homme de guerre est pour se réifier en face de la conscience transcendantale, au milieu d’un monde à désorganiser ».vi

L’homme de guerre se réifie et réifie le monde, tout devient « choses » pour la guerre, tout se désorganise, en vue d’organiser la guerre.

Pendant ce temps-là, face à ce monde réifié, la conscience transcendantale prend d’autant plus son envol.

Duplice et menteuse

« Les ‘mensonges’ du fou signifient pour Sartre: toute conscience est en quelque façon duplice et menteuse, mais le fou (se) ment de façon spécifique — qui est elle aussi un mode de conscience et non une nuit absolument opaque. »vii

Cette expression se trouve dans une note rédigée par Juliette Simont à propos d’un texte de Sartre sur sa piqûre de mescaline, en février 1935, à l’hôpital Sainte-Anne. Elle y explique que, selon Sartre, « la conscience ‘normale’ est déjà en elle-même dépersonnalisée, dédoublée, non substantielle, fuyante, propice aux mensonges à soi dont L’Être et le Néant élaborera le concept: il s’agira de la ‘mauvaise foi’. »

Si l’expression « mauvaise foi » est employée 172 fois dans L’Être et le Néant, le mot « duplicité » n’est employé qu’à deux reprises dans ce texte, d’abord à propos d’une femme coquette qui flirte avec un soupirant, sans vouloir vraiment lui céder, mais sans vouloir non plus rompre le charme des « premières approches ».viii On le trouve encore employé à propos du ‘type’ de l’homosexuel qui a du mal à admettre sa condition.ix

Non-thétique

« Il n’y a donc présentement qu’une conscience de l’attitude à blâmer, à châtier, etc. Or cette conscience est elle-même mobile de mon action, elle est dans sa structure noétique appréhension subjective du motif. Soit. Mais si elle n’a d’elle-même qu’une conscience non-thétique, elle ne se connaît pas. Reste le recours à une conscience réflexive dirigée sur la conscience-mobile ».x

Dans une note, Arlette Elkaïm-Sartre précise que la conscience non-thétique (ou non-positionnelle) de quelque chose est « une conscience qui ne revient pas sur elle-même pour poser l’existence de ce dont elle a conscience. »xi

La conscience non-thétique « ne se connaît pas », elle n’a pas de « position » quant à ce qu’elle est ou connaît d’elle-même. Elle ne revient pas sur elle-même pour « poser » (ou peser) sa propre existence, son origine ou sa fin.

En revanche, d’une conscience qui serait « positionnelle », on pourrait dire qu’elle « se pose », en même temps qu’elle « pose » ce dont elle a conscience, c’est-à-dire ce qu’elle perçoit d’extérieur à elle-même.

Et quand elle « se pose », elle revient certes sur elle-même, mais elle ne se connaît pas elle-même, elle ne fait seulement que « poser » ce qu’elle perçoit et ce qu’elle croit connaître.

Mais la véritable essence de la conscience est précisément de pouvoir ne pas se poser, de rester hors du monde, à l’écart de sa présence immédiate au monde. Bref son essence est par conséquent d’être « non-thétique ».

Infinie

« En effet la conscience, telle que nous la concevons intuitivement, après réduction phénoménologique, enveloppe par nature l’infini. Voilà ce qu’il faut d’abord comprendre. La conscience, à chaque instant, ne peut exister qu’en tant qu’elle se renvoie à elle-même (intentionnalité: percevoir ce cendrier, c’est renvoyer à des consciences ultérieures de ce cendrier) et dans la mesure où elle se renvoie à elle-même, elle se transcende elle-même. Ainsi chaque conscience enveloppe en elle-même l’infini dans la mesure où elle se transcende. Elle ne peut exister qu’en se transcendant et elle ne peut se transcender que par l’infini ».xii

La conscience enveloppe l’infini, puisqu’elle se transcende, et qu’elle ne cesse jamais de se transcender toujours.

Mais comment sait-on cela?

On ne peut pas le savoir directement, mais seulement indirectement. Ce qu’on sait, c’est que l’essence de la conscience est de se dépasser, car si elle cesse de se dépasser, alors elle n’est plus « conscience », elle est « chose », elle est réifiée.

Et si elle se transcende toujours, alors, mathématiquement, si j’ose dire, car c’est un raisonnement par récurrence, elle ne peut qu’aller à l’infini, sauf bien sûr si elle est arrêtée par la mort.

Mais qui peut dire ce qu’il advient de la conscience après la mort?

Les matérialistes affirment qu’à la mort, le cerveau s’arrête, et que le flux de la conscience cesse.

Mais il est d’autres thèses, que l’on peut difficilement réfuter a priori. Il est parfaitement possible, en théorie, que la conscience dont nous sommes les dépositaires résulte de l’interaction d’un substrat matériel (les neurones de notre cerveau) avec un principe immatériel (l’âme). A la mort, le support matériel se dissout, mais le principe immatériel s’envole vers l’éther, et qui sait?, peut-être va-t-il interagir avec d’autres types de substrats, soit matériels, soit immatériels?

Mais dira-t-on, comment un principe immatériel peut-il interagir avec un substrat matériel?

A cette objection, on peut répondre que la matière n’est matérialiste que pour les matérialistes.

On peut envisager que la matière est elle-même d’une essence immatérielle, mais simplement dépourvue de la forme spécifique que représente l’âme.

Autrement dit, l’union d’une forme avec la matière est le principe générique qui permet d’expliquer la plausibilité et la possibilité effective de l’union d’une âme singulière avec la matière cérébrale, dans laquelle elle est appelée à s’immerger, pour un temps.

Transcendantale

« Il n’est pas possible de concevoir un objet fini quel qu’il soit, car ce serait un arrêt pour la conscience. Tout objet fini dans sa grandeur sera infini dans sa petitesse, etc. Mais sur ce monde infini, comme je l’ai marqué dans La Psyché, la conscience a besoin d’un point de vue fini. Ce point de vue est le corps. Infini s’il est pris pour objet par autrui, fini si c’est mon corps senti comme mien. Nous retrouvons donc au niveau des choses cette antithèse du fini et de l’infini mais ici elle n’est plus créée mais subie, elle est anti-thèse entre choses et chose elle-même. C’est-à-dire que fini et infini ici s’opposent et se repoussent au lieu de se compléter comme ils le font au niveau de la conscience transcendantale. »xiii

« La sagesse est immortelle. L’authenticité, au contraire, ne peut s’obtenir que dans et par l’historicité. C’est à peu près ce que dit Heidegger. Mais d’où vient cette hésitation toujours possible antre la sagesse et l’authentique, entre l’intemporel et l’Histoire? C’est que nous ne sommes point seulement, comme le croit Heidegger, réalité-humaine. Nous sommes conscience transcendantale qui se fait réalité-humaine ».xiv

On ne peut certes dire, à lire ces phrases, que Sartre soit susceptible d’être considéré comme matérialiste. Ni idéaliste d’ailleurs.

La conscience transcendantale plane en effet bien au-delà de la matière. Donc exit le matérialisme. Mais elle n’est pas pure ou idéale abstraction, donc exit l’idéalisme.

En revanche elle est susceptible de « se faire réalité-humaine ».

On croirait donc plutôt lire sous la plume sartrienne une réécriture du dogme chrétien de l’incarnation du « Fils de Dieu », en un parallèle frappant avec l’incarnation de la conscience transcendantale dans la « réalité-humaine ».

En tout cas, un œil même moyennement exercé peut tout à fait lire d’une manière analogique et anagogique la phrase: « Nous sommes conscience transcendantale qui se fait réalité-humaine ».

Absolue

« J’ai même parfois l’impression d’être au-dessous de mon exigence en m’attribuant du génie. C’est déjà déchoir que de m’en contenter. Cet orgueil en fait, n’est pas autre chose que la fierté d’avoir une conscience absolue en face du monde. Tantôt je m’émerveille d’être une conscience et tantôt de connaître un monde entier. Une conscience supportant le monde, voilà ce que je m’enorgueillis d’être et, finalement, lorsque je me condamne durement et sans émoi, c’est à un état primitif de support du monde que je retourne. Mais, dira-t-on, cet état de support du monde est commun à tous les hommes. Précisément. Aussi cet orgueil oscille-t-il entre la singularité de chaque conscience et la généralité de la condition humaine. Je suis orgueilleux d’être une conscience qui assume sa condition de conscience humaine; je suis orgueilleux d’être un absolu ».xv

Il est possible que Sartre soit en effet un « génie ». Cette question mérite peut-être examen, mais ne touche pas au fond du problème que je voudrais ici tenter d’évoquer. Il est bien plus important pour le but que nous nous fixons que Sartre sente sincèrement qu’il est en effet un « absolu ». Cette seule affirmation, bien comprise, ouvre la porte à toutes les libertés de la pensée, et de l’être. Cela signifie aussi que le moindre des hommes ici-bas est lui aussi un absolu. De ce fait, chacun des milliards d’humains entassés aujourd’hui sur notre goutte bleue d’eau et de boue (et de plus en plus chaude) a droit, par conséquent, à ce nom d’ « absolu », à cette position absolument singulière, et singulièrement absolue.

De cette idée, elle même absolue, se déduisent d’infinies conséquences, dont nous n’avons qu’à peine commencé de percevoir les implications lointaines, pratiquement inimaginables, et les proches, impératives, qui toutes demandent que nous agissions hic et nunc.

Ajoutons qu’il n’y a rien de matérialiste ni d’idéaliste dans « l’absolu », qu’il soit sartrien, métaphysique, ou quelle que soit la forme sous laquelle il nous soit donné de le percevoir ou de le concevoir. L’absolu est au-delà du perceptible et du concevable. Mais il n’est pas au-delà de l’intuition et du sentiment.

L’absolu abolit absolument tout le relatif, et il met le singulier au défi. Il somme toute conscience singulière de se mesurer à l’aune même de son absolue transcendance…

Comment une simple conscience, seule et singulière, peut-elle regarder en face, sans mourir, la lumière absolue de l’absolue transcendance?

Dans l’absolu, il faut le dire, il n’y rien à « voir » d’emblée. Il y a seulement besoin de faire silence. De prendre son souffle. Et puis de commencer à se mouvoir lentement, dans son infinie infinité.

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iJuliette Simont note que « Sartre esquisse ici une tentative de conciliation entre Husserl et Heidegger sur le rapport de l’homme et du monde ». Elle remarque aussi que « le mot d’infini n’apparaît pas sous la plume de Heidegger, ou alors seulement pour être récuser. Le ‘délaissement’ — ‘déréliction’ dans la traduction de Corbin — s’éprouve non pas en présence de l’infini, mais de l’ustensilité, où la réalité humaine « est affectée à un ‘monde’ et […] existe en fait avec d’autres » (Être et temps, p.187). Autrement dit, le délaissement n’est pas dû à ce qui transcende infiniment la conscience, mais à ce qui l’empêche d’être en tête à tête permanent avec sa possibilité la plus propre, la mort. » Ibid. note 181, p.1411-1412

iiJean-Paul Sartre, Carnets de la drôle de guerre, Carnet 1, Mardi 10 octobre 1939, in Les Mots et autres écrits autobiographiques, Gallimard, 2010, p.223-225

iiiJean-Paul Sartre, Carnets de la drôle de guerre, Carnet 1, Lundi 16 octobre 1939, in Les Mots et autres écrits autobiographiques, Gallimard, 2010, p.238-239

ivJean-Paul Sartre, Carnets de la drôle de guerre, Carnet 1, Lundi 16 octobre 1939, in Les Mots et autres écrits autobiographiques, Gallimard, 2010, p.239

vJean-Paul Sartre, Carnets de la drôle de guerre, Carnet 1, Mercredi 18 octobre 1939, in Les Mots et autres écrits autobiographiques, Gallimard, 2010, p.250

viJean-Paul Sartre, Carnets de la drôle de guerre, Carnet 1, Mercredi 18 octobre 1939, in Les Mots et autres écrits autobiographiques, Gallimard, 2010, p.251

viiNote à propos de ‘Notes sur la prise de mescaline’. In Jean-Paul Sartre, Les Mots et autres écrits autobiographiques, Gallimard, 2010, p.1609

viiiJean-Paul Sartre, L’Être et le Néant, Gallimard, p.92

ix« Voilà assurément un homme d’une mauvaise foi qui touche au comique puisque, reconnaissant tous les faits qui lui sont imputés, il refuse d’en tirer la conséquence qui s’impose. Aussi son ami, qui est son plus sévère censeur, s’agace-t-il de cette duplicité : le censeur ne demande qu’une chose – et peut-être alors se montrera-t-il indulgent : que le coupable se reconnaisse coupable, que l’homosexuel déclare sans détours – dans l’humilité ou la revendication, peu importe – « Je suis un pédéraste ». Nous demandons ici : qui est de mauvaise foi ? L’homosexuel ou le champion de la sincérité ? » Jean-Paul Sartre, L’Être et le Néant, Gallimard, p.98

xJean-Paul Sartre, Carnets de la drôle de guerre, Carnet 1, Lundi 16 octobre 1939, in Les Mots et autres écrits autobiographiques, Gallimard, 2010, p.275

xiNote 259, p. 1418, in op.cit.

xiiJean-Paul Sartre, Carnets de la drôle de guerre, Carnet 1, Mardi 10 octobre 1939, in Les Mots et autres écrits autobiographiques, Gallimard, 2010, p.222-223

xiiiJean-Paul Sartre, Carnets de la drôle de guerre, Carnet 1, Mardi 10 octobre 1939, in Les Mots et autres écrits autobiographiques, Gallimard, 2010, p.223

xivJean-Paul Sartre, Carnets de la drôle de guerre, Carnet 1, Mardi 17 octobre 1939, in Les Mots et autres écrits autobiographiques, Gallimard, 2010, p.244

xvJean-Paul Sartre, Carnets de la drôle de guerre, Carnet 1, Vendredi 13 octobre 1939, in Les Mots et autres écrits autobiographiques, Gallimard, 2010, p.235-236

God’s Axe


« A double axe painted on a pottery from Knossos »



On the edge of the Fayum, the pyramid of Hawara is considered the architectural masterpiece of the Middle Kingdom. Built of bricks covered with a limestone facing, it still forms a massive mound, housing an imposing funerary vault composed of enormous blocks of white quartzite. It was once flanked by an immense funerary temple, larger than the pyramid itself, but now almost entirely disappeared. Famous in antiquity, described with admiration by Herodotus and Strabo, this unique complex included twelve courtyards surrounded by numerous rooms, served by galleries and ambulatories. Long before the time of Herodotus (5th century B.C.), this place was already known as the « Labyrinth » of Egypt. Indeed, Greek visitors saw in its architectural complexity a supposed resemblance with another famous « Labyrinth », that of Knossos in Crete, which undoubtedly possessed the temporal precedence over that of Hawarai.
Considering the numerous exchanges between Egypt and Crete, since ancient times, it is possible to argue that the idea of a ‘labyrinthine’ architectural complex with a religious or cultic function could have been imported from Crete to Egypt, to make a magnificent counterpart to the no less magnificent pyramidal tomb of Hawara.

In any case, what is sure, it is that the ‘labyrinthine’ idea was staged with greatness, both at Knossos and at Hawara, in a context strongly marked by the respective practice of the Minoan-Mycenaean religions on the one hand and Egyptian on the other hand.

It is particularly exciting that the word ‘labyrinth’, λαϐύρινθος, is certainly not an Egyptian word, and is not a Greek word either. The word ‘labyrinth’ actually has a pre-Hellenic origin, since it has been proven that this word means in Carian, an Indo-European language of Asia Minor, ‘the place of the double axe’.

Since the ‘double axe’ designates by name the ‘labyrinth’, one may wonder what this ‘double axe’ really represents. Why did it give its (Karian) name to two of the most prestigious architectural constructions of the brilliant Minoan and Egyptian civilizations?

The ‘double axe’ was in fact a symbol of the divine, widespread in all Asia Minor, since ancient times. Plutarch tells us that the supreme God, Zeus, was represented emblematically, in Anatolia, in the form of the ‘double axe’, and that he was called there Zeus Labradeus (Ζεύς λαϐραδευς), a name formed from the Carian word λάϐρυς, ‘axe’.

This view has since been confirmed by modern science:
« Almost all scholars adopt the opinion that the double axe is the fetish or symbol of a deity (…) The double axe is considered to represent the heavenly God, (…) the Zeus Stratios of Labranda in Caria, the god Sandan in Tarsus, and other later gods. And during the peak of the Minoan civilization, the god Teshub of the Hittites carried the double axe in one hand and lightning in the other. He could well be the prototype of the gods we have just mentioned. One touches here the important question of the connection between the Minoan religion and that of Asia Minor.ii

What is certain, as has already been said, is that the word λάϐρυς is not Greek, and that the word labyrinth that derives from it is not Greek either, but Carian. The etymological trail thus takes us out of Egypt and Crete and into Asia Minor…

« The German philologist Kretschmer has shown that the group of ‘Asian’, non-Aryan languages, to which Lycian and Karian certainly belong, spread towards Greece and Italy before the Aryan Greeks penetrated Hellas. These languages have left traces in place names and in the Greek language itself. Before the ‘real’ Hellenes reached Crete, an Asian dialect must have been spoken there, and it is to this language that the word ‘labyrinth’ must originally belong. The original labyrinth was built in the territory of Knossos. The palace of Knossos was undoubtedly the seat of a religion celebrating a God whose emblem was the double axe. It was the ‘Place of the Double Axe’ of Knossos, the ‘Labyrinth’ of Crete. »iii

The word labyrinth thus denotes nothing objectively architectural, but refers only to the idea of the ‘double axe’, which is itself the cultic emblem of the Supreme Divinity. Why did this weapon receive the honor of symbolizing the supreme Deity, not only in Minoan Crete, but in other regions of Anatolia and Asia Minor, including Caria and Lycia?

Is it for its warrior symbolism, which could be appropriate to an Almighty God, Lord of the heavenly armies, or is it for a possible symbolism referring to the lightning of a god of the atmosphere?
According to the opinion of specialists, it is much more likely that the double axe owes its emblematic elevation to its sacrificial role. The double axe is the symbol of the power to kill the victim destined for the God. It is indeed a fact that the double axe was used for the immolation of bulls or oxen, during the sacrifices considered the most important, the most ‘noble’.

Walter Burkert gives a striking description of such sacrifices:

« The most detailed representation of a sacrifice comes from the sarcophagus of Ayia Triada. A double axe, on which a bird has landed, is erected near a tree shrine. In front of the axe stands an altar that a priestess, ritually dressed in an animal skin, touches with both hands, as if to bless it. A little higher up, we see a vase for libations and a basket filled with fruit or bread, i.e. preparatory offerings that are brought to the altar. Behind the priestess, on a wooden table, lies a freshly sacrificed ox, whose blood is flowing from its throat into a vase. A flute player accompanies the scene with his sharp instrument. Following him, a procession of five women in a ritualistic attitude approaches. Almost all the elements of Greek sacrifice seem to be present here: procession (pompê), altar, preparatory offerings, flute accompaniment, collection of blood. Only the fire on the altar is missing ».iv

The sacrifice was an act of worship of great importance. It so happens that two of its by-products (so to speak), namely the horns of the sacrificed beast and the axe used for the sacrifice, have acquired considerable importance over time, reflected in a multitude of architectural, graphic, symbolic forms.
« The sacrifice of the bull, the noblest of the sacrifices in normal time, is associated with the two sacred symbols of the most known and the most repetitive of the Minoan and Mycenaean cult: the pair of horns and the double axe. Both, nevertheless, are already fixed symbols, beyond their practical use, when, after a long prehistory, which begins in Anatolia, they end up reaching the Cretan shores. The excavations of the Neolithic city of Çatal Hüyük do not allow today to doubt that the symbol of the horns, which Evans named ‘horns of consecration’, drew its origin from real bull horns. (…) In the background, we find the custom of a partial restoration, observed by hunters, of a symbolic compensation for the killed animal. (…) The axe was used for the sacrifice of oxen, that does not suffer any discussion. In its form, the double axe joins practical efficiency to a powerful ornamental aspect which was surely charged with a symbolic function in very high times. (…) For the 4th millennium B.C., the first double axe is detected, still in lithic form, at Arpachiyah in Upper Mesopotamia. In the 3rd millennium, it is known in Elam and Sumer, as well as in Troy II. It reaches Crete at the beginning of the Minoan period, where it precedes the arrival of the symbol of the horns. »v

From the scene of the Minoan sacrifice reported by Burkert, I retain an idea: the ‘compensation’ due to the animal killed in sacrifice, through its horns, raised to the rank of divine symbol, – and a very beautiful image: ‘A double axe, on which a bird has landed’, on which I will return in a moment.

The two symbols, that of the pair of bovid horns (bulls, bucranes, or oxen), as well as that of the double axe used to immolate them, ended up transcending their respective origins, that (metonymic) of the animal victim, and that (equally metonymic) of the human sacrificer. They ended up designating the divine Himself, as figuratively and symbolically grasped in His highest essence…

This essence can be sensed in its ornamental, ubiquitous role, and it is revealed, in full light, by yet another metonymy, that of the bird which comes to rest at the top of the double axe.

To help us to understand the range, it is necessary to recall that « the most specific and distinctive feature of the Minoan experience of the divine resides in the epiphany of the Goddess who, during the trance, arrives ‘from above’. On a gold ring from Isopata, in the midst of an explosion of flowers, four women in festive garb lead a dance of varying figures, bending forward or raising their hands to the sky. Just above their outstretched arms appears a much smaller and differently dressed figure, which seems to float in the air. The interpretation is unanimous: in the midst of the swirling dances of the faithful, it is the Goddess who manifests herself.

Similar small floating figures appear in other scenes, each time forcing the interpretation of a divine epiphany (…) It is not known how the epiphany could be arranged during the cult itself, but it is possible that the women pushed their dance into a trance. According to a common interpretation, the birds should also be considered as an epiphany of the gods. « vi

Indeed, in his famous work on the Minoan-Mycenaean religion, Martin Nilsson devotes a whole chapter to the divine epiphanies which borrow forms of birds:
« The fact that a bird is perched on the head of a large bell-shaped ‘idol’ in the Temple of the Double Axes at Knossos, must be interpreted as proof that it is an object of worship, that is, an image of the Goddess. For the bird is a form of the epiphany of the gods.  (…) The obvious explanation is that birds are signs of the presence of the divinity. »vii

Nilsson gives another much older example, dating back to the Middle Minoan II period, that of the Sanctuary of the Dove-Goddess of Knossos, in which the birds symbolize the incarnation of the Divinity coming to visit the sacred place.
He also cites the example of two gold leaves found in the third tomb at Mycenae representing a naked woman, her arm resting on her breasts. In one of the leaves, a bird seems to be whirling above her head, and in the other a bird seems to be touching her elbows with the tip of its wingsviii.
I reproduce here these amazing figures:

How to interpret these « divine epiphanies » borrowing bird forms?

In the context of the cult of the dead implied by the Hagia Triada sarcophagus, Nilsson briefly mentions the hypothesis of ‘soul-birds’, representations of the souls of the deceased, but immediately rejects it. In agreement with the rest of the scientific community, he emphasizes that the double axe on which the birds are perched is assigned to the cult of the supreme divinity and cannot therefore be associated with human souls.
He then proposes to follow Miss Harrison’s interpretation insteadix: « The bird is perched on a column. This column, as Dr. Evans has clearly shown, and as is evident from the sarcophagus at Hagia Triada, represents a sacred tree. This column, this tree, takes on a human form as a goddess, and this goddess is the Great Mother, who, taking different forms as Mother or Maiden, later develops into Gaia, Rhea, Demeter, Dictynna, Hera, Artemis, Aphrodite, Athena. As Mother Earth, she is also Pontia Theron [the ‘Bridge’ of Animals], with her lions, her deer, her snakes. And the bird? If the tree is of the earth, the bird is surely of the sky. In the bird perched on the column, we have, I think, the primitive form of the marriage of Ouranos and Gaia, of the Heaven-Father with the Earth-Mother. And from this marriage arose, as Hesiod told us, not only mortal man, but all divine glory. « x

The bird is thus clearly associated with the representation of the « epiphany » of the Supreme Divinity of the Minoans-Mycenians.

This is a very interesting result. But there is still more to say on this subject…

By carefully examining the numerous representations of the Double Axe, and their curious variations presented in the work of Nilssonxi, one can advance with a strong probability that the Double Axe could also have progressively taken the ‘shape’ of winged beings, in a vast range going from the abstract figuration of ‘butterflies’ to strange representations of anthropomorphic birds, or even of female and winged characters, which one could easily assimilate to figures of ‘angels’, if one did not risk anachronism, the biblical ‘angels’ appearing (in the Jewish Bible) one or two thousand years later
Here is an example taken from Nilsson’s book:

I am well aware, in doing so, of proposing a certain transgression, by mixing with Minoan and Mycenaean representations concepts and representations belonging to Assyrian, Mesopotamian and even Jewish and Hebrew traditions.

But it is difficult to resist in this case the metaphorical and metonymic shifts that Minoan and Mycenaean images allow and encourage, especially those that go in the direction of an increasingly refined abstraction.

The representation of the double axe as an abstract form of ‘butterflies’, is quoted by Nilsson himself, as stemming from the work of Seagerxii and Evansxiii: « Some scholars recognize a double axis in the so-called ‘butterfly’ patterntwo cross-hatched triangles touching each other at only one angle, the bases being parallel (…) The earliest example is an Early Minoan II saucer from Mochlos »xiv of which we present the reproduction below:

As for the evocation of winged anthropomorphic forms, let us consider the image of a double axe painted on a pottery chosen to illustrate the work of Joseph Joûbert, The archaeological excavations of Knossosxv:

It looks like a stylized double axe, but the general appearance also evokes a kind of angel. This idea of a winged being is reinforced when one remembers that a bird supposedly embodying the Divinity comes to perch at the top of the Double Axe, thus establishing a sort of twinning between the spread wings of the bird and the double blades of the axe.

In the chapter entitled « Epiphanies of the Gods in human shape » of his book, The Minoan-Mycenaean Religion and its Survival in Greek religion, Martin Nilsson finally quotes a very interesting opinion of Professor Blinkenberg according to which the names used to designate the Great Minoan Goddess such as Fanassa, Athenaia, Lindia, Paphia, suggest that the Minoans-Mycenaeans called their supreme deity simply ‘the Lady’ (or ‘Our Lady’), without giving her any particular name.xvi

Nilsson unreservedly agrees with Professor Blinkenberg’s opinion. I shall therefore adopt it in my turn, and I shall make it the subject of the conclusion of this article.

On the one hand, the labyrinth and the double axe have allowed us to establish the existence of real currents of religious, architectural and artistic exchange between Egypt, Crete and Anatolia.

Moreover, many works have shown that the double axe was in reality the emblem of the supreme divinity (a unique divinity, implying the emergence of a ‘Minoan monotheism’ with a matriarchal character) worshipped in Crete by the Minoans and the Mycenaeans from the end of the 3rd millennium BC.
This cult was prolonged during the 2nd millennium B.C., thus well before the appearance of the ‘Abrahamic monotheism’ (with patriarchal character) as the many archaeological remains in Crete attest it.

Finally, we have accumulated evidence tending to prove that the imaginative force of the figurative representations of the ‘double axe’ had allowed free rein to the associations of ideas, and had encouraged the creation of completely abstract or singularly anthropomorphic forms, being able to go as far as to represent the incarnation of the Divinity in the form of double hatched triangles, or birds, or even figures of ‘angels’.

This is all the more astonishing since these figurations precede by at least a millennium the winged angels in the Jewish Torah, such as the angels of the Ark of the Covenant whose wings touch each other by their extremities, as described in the Book of Exodus:
« These cherubim will have their wings spread out in front and dominating the mercy seat, and their faces, turned toward each other, will be directed toward the mercy seat. »xvii

_________________________________

iThe Hawara Funerary Complex (the pyramid and Lbyrinth Temple) was built by Amenemhet III (1843-1797), the sixth king of Dynasty 12. According to some, the Hawara complex introduced the prototype of the ‘labyrinth’. However, the site of Knossos in Crete, populated since the 8th millennium B.C., already had a large palace in 2200 B.C., built several centuries before the Hawara complex, during the Ancient Minoan phase (MA III), and followed, during the Middle Minoan phase (MM IA) called ‘archaeopalatial’, dating from 2100 to 2000 B.C., by the construction of an Old Palace organized around a central courtyard. It is possible that reciprocal influences between Egyptian and Minoan civilizations took place as early as the 3rd millennium BC, or even earlier. In any case, the very name ‘labyrinth’ has nothing Egyptian or Greek about it, but is of Carian origin, and therefore of Asia Minor.

iiMartin P. Nilsson. The Minoan-Mycenaean Religion and its Survival in Greek religion. Copenhagen, London, 1927, p. 186-188

iiiL.W. King, H.R. Hall. History of Egypt, Chaldea, Syria, Babylonia and Assyria. The Grolier Society. London, 1907, p.125-126

ivWalter Burkert. The Greek religion in the archaic and classical period. Translation Pierre Bonnechere. Ed. Picard. 2011, p. 60

vWalter Burkert. The Greek religion in the archaic and classical period. Translation Pierre Bonnechere. Ed. Picard. 2011, p. 61-62.

viWalter Burkert. The Greek religion in the archaic and classical period. Translation Pierre Bonnechere. Ed. Picard. 2011, p. 65.

viiMartin P. Nilsson. The Minoan-Mycenaean Religion and its Survival in Greek religion. Copenhagen, London, 1927, p. 285

viiiHeinrich Schliemann. Mycenae : A Narrative of Researches and Discoveries at Mycenae and Tiryns, Ed. Scribner, Armstrong and Co., New York, 1878, p. 180, Fig. 267 et 268.

ixDans sa conférence Bird and Pillar. Worship in connexion with Ouranian Divinities. Transactions of the 3rd Congress for the History of Religions at Oxford, II, p.156.

xCité par Martin P. Nilsson. The Minoan-Mycenaean Religion and its Survival in Greek religion. Copenhagen, London, 1927, p. 292-293

xiMartin P. Nilsson. The Minoan-Mycenaean Religion and its Survival in Greek religion. Copenhagen, London, 1927, Ch. VI  » The Double-Axe « , p. 162-200

xiiSeager, Mochlos, p.96 and p.36, fig.13

xiiiEvans, Palace of Minos, I, p.166

xivMartin P. Nilsson. The Minoan-Mycenaean Religion and its Survival in Greek religion. Copenhagen, London, 1927, p.180

xvJospheh Joûbert, Les fouilles archéologiques de Knossos, Edition Germain et G. Grassin, Angers, 1905

xviBlinkenberg. The temple of Paphos. Det. Kgl. Danske Videnskabernes Selskab,Hist-filol. Medd, IX:2, 1924, p.29 cited by Martin Nilsson. In Op.cit. p.338.

xviiEx 25, 18-20 and Ex 37, 7-9

xviiiEx 25, 18-20 and Ex 37, 7-9

Le Dieu usé


« Rilke »

De la mort, on peut dire qu’elle paraît à l’improviste, de toutes sortes de manières: dans une douceur un peu sure, dans la violence drue ou en un abandon émollient.

Chaque saison a ses tombeaux, et ses bourreaux — en témoignent la chute de la feuille en automne, le vent d’hiver dans sa quête glacée, et le souffle tiède des soirs printaniers, qui décapite les pétales.

En été, la figure du fruit convient aussi fort bien, avec son destin cruciforme. La cueillette ou la pourriture.

Rilke l’a mise en scène, dans ses Cahiers de Malte Laurids Brigge.

« Jadis l’on savait, — ou peut-être s’en doutait-on seulement, — que l’on contenait sa mort comme le fruit, son noyau. Les enfants en avaient une petite, les adultes, une grande. Les femmes la portaient dans leur sein, les hommes dans leur poitrine. On l’avait bien, sa mort, et cette conscience vous donnait une dignité singulière, une silencieuse fierté. »i

Pourquoi jadis? La modernité n’a-t-elle donc plus la mort digne et fière?

Elle préfère peut-être l’humilier, mais sans l’humus, la réduire au néant dans les cendres des crématoriums.

Si la vie est un fruit, la mort est son noyau. Il ne demande qu’une chose, le noyau, être enfoui dans l’humus justement, germer en son temps, et donner suite à la vastitude des générations, aux futurs non conçus, inconcevables. Et pourtant des mondes s’y conspirent.

On avait alors « conscience » de sa mort, dit Rilke. Plus que des mondes à venir, que personne n’imagine à vrai dire.

Tout le monde naît et meurt, c’est entendu. Tous sont à même enseigne. Ce qui diffère c’est la qualité de la conscience que l’on a de sa vie, quand on la vit, et de sa mort inévitable, mais encore à venir, encore à vivre. La conscience quotidienne ou rare, fidèle ou oublieuse.

On ne sait si l’on aura la force ou la lucidité nécessaires à la fin. Aura-t-on conscience de sa mort quand elle viendra? De nos jours, les soins palliatifs enlèvent, et c’est une bonne chose, la douleur. Mais ils enlèvent aussi, et c’est moins bien, la conscience des heures dernières, et du saut même.

« Tous ont eu leur mort à eux. ces hommes qui la portaient dans leur armure, à l’intérieur d’eux, comme un prisonnier; ces femmes qui devenaient très vieilles et petites, et avaient un trépas discret et seigneurial sur un immense lit, comme sur une scène, devant toute la familles, la domesticité et les chiens rassemblés.

Oui les enfants mêmes, jusqu’aux tout petits, n’avaient pas eu une mort d’enfants; ils se rassemblaient et mouraient selon ce qu’ils étaient et selon ce qu’ils seraient devenus.

Et de quelle mélancolique douceur était la beauté des femmes lorsqu’elles étaient enceintes, et debout, et que leur grand ventre sur lequel, malgré elles, reposaient leurs longues mains, contenant deux fruits: un enfant et une mort. Leur sourire épais, presque nourricier dans leur visage si vidé, ne provenait-il pas de ce qu’elles croyaient sentir croître en elles l’un et l’autre? »ii

Oui, tous ont eu leur mort à eux, tous ces hommes, ces femmes et ces enfants, depuis des millions d’années, et personne ne pourra jamais ni la leur enlever, ni nous la dire.

Mais on peut la rêver.

Cet instant unique, qui fut bien à eux, à eux seuls, on peut aussi l’avoir vu sur le visage, on peut l’avoir senti en touchant la main tiède, et l’avoir accompagnée, cette vie en-allée, du mieux qu’on a pu.

Cela ne s’oublie plus.

On a vu l’âme, alors, émerger en silence, comme d’un sommeil paisible, pour aspirer le monde, et le laisser aux vivants, en échange du passage, la dîme du bac, la gabelle de la « belle ».

C’est la mort des tout-petits, il faut bien le dire, que je me représente le moins. Ou pas du tout. Par quelle lumière leur âme a-t-elle été enlevée? De quelle terrible douceur n’a-t-elle pas dû étouffer leur haletante lutte, et étreindre leur tout petit poumon?

Mais il faut vivre. Et pour vivre, il importe de voir, reconnaître et dire ce qui vit vraiment.

Cela est-il seulement possible?

« Est-il possible, pense-t-il, qu’on n’ait encore rien vu, reconnu et dit de vivant? Est-il possible qu’on ait eu des millénaires pour observer, réfléchir et écrire, et qu’on ait laissé passer ces millénaires comme une récréation pendant laquelle on mange sa tartine et une pomme?

Oui c’est possible.

Est-il possible que, malgré inventions et progrès, malgré la culture, la religion et la connaissance de l’univers, l’on soit resté à la surface de la vie? Est-il possible que l’on ait même recouvert cette surface — qui après tout eût encore été quelque chose — qu’on l’ait recouverte d’une étoffe indiciblement ennuyeuse, qui la fait ressembler à des meubles de salon pendant les vacances d’été?

Oui, c’est possible.

Est-il possible que nous croyions devoir rattraper ce qui est arrivé avant que nous soyons nés?

Est-il possible qu’il faille rappeler à tous, l’un après l’autre, qu’ils sont nés des anciens, qu’ils contiennent par conséquent ce passé, et qu’ils n’ont rien à apprendre d’autres hommes qui prétendent posséder une connaissance meilleure ou différente?

Oui, c’est possible.

Est-il possible que tous ces gens connaissent parfaitement un passé qui n’a jamais existé?

Est-il possible que toutes les réalité ne soient rien pour eux; que leur vie se déroule et ne soit attachée à rien, comme une montre oubliée dans une chambre vide?

Oui, c’est possible.

Est-il possible que l’on ne sache rien de toutes les jeunes filles qui vivent cependant?

Est-il possible que l’on dise: « les femmes », « les enfants », « les garçons » et qu’on ne se doute pas, que, malgré toute sa culture, l’on ne se doute pas que ces mots, depuis longtemps, n’ont plus de pluriel, mais n’ont qu’infiniment de singuliers.

Oui, c’est possible.

Est-il possible qu’il y ait des gens qui disent: « Dieu » et pensent que ce soit là un être qui leur est commun? Vois ces deux écoliers: l’un s’achète un couteau de poche, et son voisin, le même jour, s’en achète un identique. Et après une semaine ils se montrent leurs couteaux et il apparaît qu’il n’y a plus entre les deux qu’une lointaine ressemblance, tant a été différent le sort des deux couteaux dans les mains différentes.

« Oui, dit la mère de l’un, s’il faut que vous usiez toujours tout… »

Et encore: Est-il possible qu’on croie pouvoir posséder un Dieu sans l’user? »iii

J’aime beaucoup cette idée. L’usure de Dieu, parce qu’Il a trop coupé, dans tout et dans n’importe quoi, et a fini par s’ébrécher comme un canif. Du caoutchouc de vieux pneus, des rochers sans fentes, des arbres morts, des blés murs, des chairs tuméfiées, des yeux innocents, des aortes palpitantes, et j’en passe. Dieu est Tout et Il est en Tout, nous assène la théologie avec son aplomb. Alors Il est aussi dans tout ce qui a été coupé, Il est dans tout ce qui a été blessé et qui a coulé.

Si Dieu n’est pas Tout, alors c’est Tout qui est le Dieu, cela est d’une imparable logique.

Évidemment cela revient au même.

Et la question devient: Il est Tout, mais qu’y fait-Il dans ce Tout qu’Il ne sache déjà?

Ici nous entrons dans des territoires à peine explorés, pratiquement vierges. La plupart des théologiens qui se targuent d’avoir des certitudes en ces matières disent que « Dieu est omniscient ».

Mais d’autres vues sont possibles.

Dans sa Nuit originaire, avant même que le Désir de création ne se soit incarné en Lui, Dieu avait-Il toute sa conscience? On peut raisonnablement en douter, puisque lui manquait alors l’infinie infinité des consciences de tous les vivants qui devaient encore advenir à l’être.

Ergo, Dieu n’est pas omniscient.

Autrement dit, le Dieu originaire n’a pas pu être conscient de tout ce qui était la liberté même des âmes non-nées. Il a donc manqué de cette conscience-là, et c’est peut-être de ce manque-là, d’ailleurs, qu’est née ce qu’on appelle Sa sagesse, et qui fut Sa compagne dans la Création.

« Mais avant toutes choses fut créée la Sagesse ».iv

Si la Sagesse a été ainsi créée, c’est que Dieu en manquait.

J’aime beaucoup l’idée d’un Dieu un peu usé, et pas si Sage. Cela me le rend éminemment sympathique.

Est-il possible que cette idée soit crédible?

Oui, c’est possible.

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iRainer Maria Rilke. Les Cahiers de Malte Laurids Brigge. Trad. fr. par Maurice Betz, Éditions Emile-Paul Frères, Paris, 1926, p.10-11

iiRainer Maria Rilke. Les Cahiers de Malte Laurids Brigge. Trad. fr. par Maurice Betz, Éditions Emile-Paul Frères, Paris, 1926, p.20

iiiRainer Maria Rilke. Les Cahiers de Malte Laurids Brigge. Trad. fr. par Maurice Betz, Éditions Emile-Paul Frères, Paris, 1926, p.29-32

ivSi 1,4

Des « Grands Dieux », et de l’Être qui ne veut pas se faire appeler l’Un


« Kabirim »

Les Dieux Cabires (en grec Κάϐειρο, Kábeiroi), ou « Grands Dieux », (Μεγάλοι Θέοι, Megáloi Théoi), ont été célébrés dans la haute antiquité, bien avant qu’Hésiode ne formule sa théogonie. Aussi nommés les Telchines, les Corybantes, les Dactyles, leur culte était pratiqué dans diverses parties de la Grèce, en Crète, en Phénicie, en Phrygie et dans le reste de l’Asie mineure, et jusqu’en Égypte. On retrouve les Cabires en Perse, sous le nom de Gabirim.

Le nom cabire est indubitablement d’origine sémitique. Le consensus général est de faire remonter ce mot à l’adjectif hébreu (et phénicien) כַּבִּיר kabîr, « grand, puissant », qui est notamment utilisé pour qualifier Dieu dans le livre de Job.

Dieu y est appelé « juste et puissant », צַדִּיק כַּבִּיר , tsadiq kabîri, et peu après, ce Dieu kabîr, « puissant », brise les « puissants », כַּבִּירִים , kabîrimii. dont on ne sait si ce sont des hommes ou des dieux auxquels Job fait allusion.

En Job encore, kabîr est employé de deux manières pour célébrer le « Dieu grand », אֵל כַּבִּיר, El-kabîr, et mais aussi le Dieu « grand par la force de l’esprit », כַּבִּיר, כֹּחַ לֵב , kabîr koḥ lev.iii

On trouve le mot en assyrien: kabâru, « être grand, puissant », et en arabe: كَبُرَ , kabura, « être grand (par la taille ou le rang) » et كَبِرً, kabîr « grand, noble (moralement) ».

Hercule, le héros grand et fort, était aussi un dieu, et il était compté parmi les Cabires, non parce qu’il était ‘fort’ mais parce qu’il était ‘grand’, étant associé avec les puissances telluriques, et qu’il était considéré comme le créateur des sources d’eau chaude, et le dispensateur de la santé en tant qu’allié d’Esculape.

En Égypte, Hercule était nommé Gigon, et surnommé « le danseur » ou le « dieu de la table », ce qui renvoie à d’autres divinités antiques que l’on retrouve en Phénicie, en Phrygie et sur l’île de Samothrace. Comme maître des danses, Hercule-Gigon était le dieu régissant les chœurs des Corybantes et des Dactyles.iv

Hérodote décrit les Cabires ou « Grands Dieux » égyptiens, qui sont célébrés à Memphis, dans le temple de Phtha, et placés sous l’autorité de celui-ci, puisqu’il était leur « père ». Phtha était le Dieu originaire, primordial. Il était en essence l’éternel souffle de vie, celui qui anime toute chose, fonde et soutient le monde . Il avait engendré les Grands Dieux, et, par leur intermédiaire, le cosmos tout entier et toutes les créatures.

Les Phéniciens considéraient que les Cabires étaient les fils de Sydyk, l’équivalent de Phtha.

Ce furent sans doute les Phéniciens qui exportèrent en Grèce le culte des Cabires, comme ils le firent à Carthage.

Le philosophe F.W.J von Schelling, dans son livre Über die Gottheiten von Samothrace (1815), fait remonter l’origine des Cabires exclusivement à des sources sémitiques, hébraïques et phéniciennesv. Il propose aussi une autre étymologie du nom Cabire, en l’attribuant à la racine hébraïque חבר, ḥabar, qui a pour premier sens « unir, associer, lier » , d’où l’adjectif pluriel חָבֵרִים, ḥabirim, « les associés », — mais cette racine a aussi, par extension, le sens de « nouer un nœud magique, jeter un charme, un sortilège » (« to tie a magic knot, a spell, charm »)vi.

Ces acceptions peuvent parfaitement s’accorder et donnent de nouvelles harmoniques au sens du nom Cabire.

Les deux idées connotées par la racine abar, celle de lien et d’association d’une part, et celle de magie et de sortilège d’autre part, sont en quelque sorte structurellement liées, si j’ose dire, dans le contexte des langues sémitiques.

Mais l’interprétation de la nature profonde de ce « lien », du point de vue religieux, a donné lieu à de profondes divergences .

Dans les religions de l’antiquité, en Phrygie, en Phénicie, puis en Crète, en Grèce, et à Samothrace, l’interprétation donnée est entièrement positive.

En revanche, cette idée de « lien » ou d' »association » a une connotation négative du point de vue d’un strict monothéisme, et particulièrement comme on vient de le voir, dans le judaïsme, où le Dieu kabîr brise les kabîrim. Plus tard, dans l’islam, l’idée d’association sera aussi vue négativement, comme portant atteinte à l’idée radicale de l’unité divine. En témoigne le Coran qui qualifie les chrétiens du terme d' »associateurs », parce qu’ils « associent » au Dieu unique les deux autres figures de la Trinité, le Fils et le Saint Esprit, une « association » qui mérite la mort selon le Coranvii.

Mais d’un autre point de vue, moins rigide, moins polémique, l’idée d' »association » permet d’unir conceptuellement une multiplicité pour en faire une unité ou une entité supérieure. Une expression de l’Ancien Testament (ḥaverim) l’illustre bien: כְּאִישׁ אֶחָד, חֲבֵרִים , k-ich éḥad ḥaverim, « unis comme un seul homme’viii.

Par analogie, l’association de divinités de rang inférieur, ou l’existence même d’un plérôme divin, pourraient être comprises comme leur subsomption par une unité divine suprême, ce qui est, d’une certaine manière, une façon d’établir un lien philosophique entre monothéisme et polythéisme.

Schelling remarque aussi que l’expression חֹבֵר, חָבֶר , ḥover ḥaver, employé dans le 5ème Livre de Moïseix, se traduit mot-à-mot: « associant l’association » ou « liant le lien », ce qui est un euphémisme pour signifier « ceux qui emploient des charmes, ou des sortilèges », ou « les enchanteurs ». On retrouve ce sens connoté négativement chez Isaïe, dans l’expression « tes incantations » ou « tes sortilèges », חֲבָרַיִךְ ḥavarikax.

Bien que cette théorie de Schelling sur le sens du mot « cabire » ait été critiquée par nombre de savants du 19ème siècle (comme Karl Otfried Müller, Friedrich Gottlieb Welcker, Friedrich Creuzer), il me paraît intéressant d’en suivre les implications théoriques et théologiques.

On peut en effet y trouver argument quant à la permanence d’un archétype fondamental, au sein des plérômes des panthéismes sémites et grecs, à savoir celui de l’archétype d’une trinité divine. Cet archétype trinitaire sera d’ailleurs repris un siècle après Schelling par Georges Dumézil, qui l’élargira encore, avec le succès que l’on sait, au monde indo-européen dans son ensemble.

Schelling estime que les trois Cabires (ou « Grands Dieux ») de Samothrace, Axiéros, Axiokersa et Axiokersos, forment une sorte de trinité panthéiste.

C’est à Hérodote que l’on doit d’avoir connaissance de ces noms secrets, qui faisaient partie du culte à mystères de Samothrace, ainsi que des indications sur l’initiation que l’on y recevait.xi Toujours selon lui, ce sont les Pélasges qui introduisirent la pratique des orgies sacrées à Samothrace.xii

Que signifie ces trois noms, Axiéros, Axiokersa et Axiokersos?

Axiéros viendrait selon Schelling d’un mot phénicien signifiant initialement pauvreté, mais aussi le désir de sortir de cet état, qui en résulte. La divinité primordiale est fondamentalement « pauvre », c’est-à-dire réduite à elle-même, isolée dans sa solitude originelle, et elle est donc prise du « désir » de croître, de s’engendrer elle-même. Par son désir même, elle engendre l’amour, et par là la Création qui en est le fruit.

L’étymologie proposée par Schelling me paraît philosophiquement stimulante, mais sur le plan strictement étymologique, elle est à tout le moins, peu fondée.

Si l’on analyse Axiéros comme le mot grec qu’il semble être, on voit d’emblée qu’il est composé des mots axios, « digne de » et éros, « amour ». Axiéros signifie alors simplement « Digne d’amour ».

Par ailleurs, Axiéros correspond, du point de vue mythologique, à la « Grande Mère » anatolienne, à la Cybèle de Phrygie et à la Déesse Mère du Mont Ida (Troie). La divinité primordiale de Samothrace, Axiéros, est d’essence féminine, et donc potentiellement maternelle. Son nom grec « Digne d’amour », est une indication quant à ce désir immanent d’amour, et partant, à cette aspiration à la mise au monde (du monde) .

L’un des premiers Français à avoir étudié, au début du 19ème siècle, la philosophie idéaliste allemande, et celle de Schelling en particulier, Joseph Willm, a proposé un commentaire qui offre une piste supplémentaire: Axiéros « est la nuit primitive, non la nuit ennemie de la lumière, mais qui l’attend et y aspire. »xiii

Allant dans ce sens, j’ajouterai que la nuit primitive, la Déesse primordiale, qui est Femme mais pas encore Mère, désire la Lumière, tout comme le désir aspire à l’amour. Dans le divin, le désir engendre par lui-même le moyen de le combler, et ce moyen, qui est aussi un résultat, est l’engendrement, — la création (en l’occurrence la création du monde).

Dans le nom Axiokersa on trouve, toujours selon Schelling, la racine kersa qui signifie « magie » dans les langues araméennes, et qui a formé plus tard le nom de la déesse Cérès. Axiokersa symbolise la matière, c’est-à-dire la matrice dans laquelle viendra s’incarner le désir divin (de maternité).

Axiokersos qui symbolise enfin le troisième degré dans cette progression cosmogonique, dans cette émergence de la Création, est simplement le nom masculin correspondant à Axiokersa, les deux formant donc un couple.

On voit que les trois Cabires sont composés de deux principes féminins et d’un principe masculin. Ces « Grands Dieux » sont majoritairement des « Grandes Déesses », — ce qui nous incite à nous rappeler que, bien plus à l’est, à Sumer, et bien plus originairement encore, le principe divin primordial était aussi féminin, tel qu’incarné par Inanna. Voir à ce sujet mes articles: Inanna et Dumuzi, la fin de leur sacré mariage et Inanna: La descente dans l’Enfer, la mort et la résurrection.

Les trois Cabires de Samothrace symbolisent indubitablement une triple gradation de l’instanciation (ou de l’incarnation) du divin dans le monde réel.

Ils correspondent par ailleurs, ce n’est pas un hasard, aux trois divinités grecques Démèter, Perséphone et Dionysios, qui ont repris l’essentiel de la symbolique des Cabires sous d’autre noms

Il y a encore un quatrième Cabire, Kadmilos, le messager, qui sera appelé plus tard, dans les mondes grecs et latins, des noms de Hermès et de Mercure. S’ajoutant à la trinité initiale, il forme avec elle une quaternion divin, sous forme de deux couples, Axiokersa et Axiokersos, et Axioéros, la « Grande Mère », ou « Mère des dieux », associée à Kadmilos-Hermès.

Ce rôle fécondateur de Kadmilos et Hermès a été rapproché de celui associé au phallus d’Osiris et même au Logos, le Verbe créateur. C.G. Jung écrit dans Aiôn: « C’est pour eux (les Naassènes) le Logos secret (aporrhêtos) et mystique, qui est, de façon caractéristique, mis en parallèle avec le phallus d’Osiris dans le texte suivant: ‘Je deviens ce que je veux et je suis ce que je suis’. En effet celui qui meut toutes choses est lui-même immobile. ‘Celui-là, disent-ils, est seul bon (agathon mononxiv). Un autre synonyme est l’Hermès cyllénien ithyphallique. ‘Ils disent en effet: Hermès est le Logos, l’interprète et le créateur (démiourgos) des choses nées, passées, présentes et à venir.’ C’est pourquoi il est honoré en tant que phallus, car il a ‘une impulsion (hormen) du bas vers le haut comme l’organe viril’. »xv

C.G. Jung a consacré de nombreuses page à la symbolique et à la mythologie des « quaternions », qu’il rapproche de celle des mandalas, et qu’il considère comme des symboles d’unité et de totalité. Il a suggéré que l’on trouvait aussi un tel « quaternion » dans le christianisme, si l’on considère l’ensemble formée par la Trinité, complétée par la « Mère de Dieu », Marie. « Marie viendrait remplir une case laissée vide par la défaite et l’exil des divinités féminines, Isis et Cybèle surtout. »xvi Pour l’historien suisse Philippe Borgeaud, il paraît évident que « le christianisme victorieux finit par asseoir Marie, la Mère de Dieu, sur un trône qui ressemble étonnamment à celui de la Mère des dieux, tout en recherchant, derrière l’image hiératique de la souveraine céleste, les émotions d’une mère aimante et souffrante. »xvii

La série quaternaire de ces Cabires, Axioéros, Axiokersa, Axiokersos et Kadmilos, représente les premières étapes de la Création et du développement de l’univers, telles que conçues par la cosmogonie phénicienne et phrygienne, influençant a posteriori les conceptions des anciennes religions grecques et crétoises, puis romaines.

Tout à fait à l’origine, il y a la Pauvreté, le Besoin, le Désir, la Peine, dont la Divinité primordiale, Axros, incarne l’essence, et qui comprend aussi, de manière immanente, le désir de sortir de cette Pauvreté, de cette Peine, — de sortir de cette Nuit.

La Nuit primordiale (plus tard nommée Cérès ou Démèter, par les Latins et les Grecs) a pour essence le manque, la faim, et donc le désir. La Nuit, ou Axioéros, la « Digne d’amour », la « Grande mère », est la toute première étape dans l’émergence de la Création et du Cosmos.

Ensuite, il y a le commencement de la Nature, qui apparaît dans la lumière de l’Aube, et qui est nommée Axiokersa par les Phéniciens et les Araméens, et sera appelée par les Grecs et les Latins, respectivement, Perséphone et Proserpine.

Enfin Axiokersos paraît au grand Jour de midi, dont tout l’éclat du soleil. Il sera nommé plus tard Dionysios ou Bacchus par les Grecs et les Romains.

Schelling l’appelle le roi du monde des esprits, le roi du monde idéal.

De fait, il s’appuie son interprétation de la mythologie des Cabires sur sa propre philosophie (idéaliste) de la nature, et de la Révélation…

Au-dessus de la Nature (Axiokersa) et du Monde Idéal (Axiokersos), il y a ce qui les unit, Kadmilos, ou Hermès. Il est aussi le Démiurge, le dieu personnel, qui a pour condition l’existence de ces premières divinités, mais qui leur est supérieur, et les subsume.

Schelling lance alors cette thèse provocatrice, mais très éclairante:

« Le monothéisme, proprement dit, qui n’est ni dans l’Ancien Testament, ni dans le Nouveau, et qui est plutôt mahométan que chrétien, est contraire à toute l’antiquité et à la foi de l’humanité, dont le sentiment est exprimé dans ces paroles d’Héraclite, approuvées par Platon: ‘l’Être seul sage ne veut pas être appelé l’Unique, mais Zeus’. »xviii

Dans l’allemand de Schelling, ce célèbre fragment d’Héraclite est traduit ainsi:

Das Eine weise Wesen will nicht das alleinige genannt seyn, den Namen Zeus will es.

« L’Être seul, sage ne veut pas être appelé l’Unique, il veut le nom ‘Zeus’. »

Pourquoi l’Être, seul et sage, ne veut-il pas être appelé l’Unique, mais du nom de Zeus? Avant de répondre, revenons à Héraclite.

Il s’agit ici du fragment 32:

ἓν τὸ σοφὸν μοῦνον λέγεσθαι οὐκ ἐθέλει καὶ ἐθέλει Ζηνὸς ὄνομα.xix

La traduction de Schelling s’oppose, là encore, aux idées reçues.

Les traductions conventionnelles de ce fragment font de l’Un (ἓν) le sujet du verbe vouloir (être appelé) et non son objet, ce qui change complètement le sens:

« L’Un, le Sage, ne veut pas et veut être appelé seulement du nom de Zeus. »xx

Une autre traduction déplace le mot ‘seulement’ et lui donne une valeur adjectivale:

« L’Un, le seul Sage, ne veut pas et veut être appelé du nom de Zeus. »xxi

Ces deux traductions résonnent de façon étrange, me semble-t-il, car elles font passer l’Être, seul et sage, pour un Dieu qui ne sait pas ce qu’il veut…

En revanche, la traduction de Schelling a l’avantage d’opposer radicalement ce que l’Être, seul et sage, veut, et ce qu’il ne veut pas, ce qui me paraît mieux convenir à une entité si haute.

Zeus, au génitif Ζηνὸς, Zenos, dont on a déjà indiqué l’étymologie en sanskrit, est aussi rattaché dans la culture grecque au principe de vie: ζῆν, zên est l’infinitif présent de ζαῶ, zaô, vivre.

Zeus est ici le principe de la vie universelle, selon une étymologie que l’on retrouve chez Eschyle, Euripide, Platon, Chrysippe.

Eschyle: « Le fils à qui nous devons la vie est sans nul doute le fils de Zeus. » (Les Suppliantes, 584)

Euripide: « Car la fille de Zeus doit être immortelle. » (Oreste, 1635)

Platon: « Car il n’y a pas, pour nous comme pour le reste des vivants, d’être qui soit principe du « vivre », zên, à un plus haut degré que le Souverain chef, que le roi de toutes choses,. D’où il résulte que ce Dieu est correctement appelé ‘celui par qui’, di hon, la ‘vie’, zên, appartient toujours aux vivants. Mais ainsi que je le dis, ce nom unique a été scindé en deux, par le Div et le Zeus. » (Cratyle, 396 ab)

Chrysippe: « Le dieu est appelé Zeus parce qu’il est cause de la vie, ζῆν, zên, ou parce qu’il pénètre intimement tout ce qui vit ». (D.L. VII, 147)

La formule assez étrange utilisée par le traducteur du texte de Platon (Léon Robin, dans la version de la Pléiade), « Ce nom unique a été scindé en deux, par le Div et le Zeus« , s’explique par les diverses formes que prend le nom Zeus en grec: Zeus est au nominatif, Dios est au génitif, Dii est le datif, l’accusatif a deux formes Dia ou Zêna; ces variations s’expliquent par l’étymologie, laquelle remonte à une racine sanskrite présentant aussi deux formes très proches: Div etDyauṣ.

Platon joue de la flexion du nom de Zeus pour faire ressortir la multiplicité de ses formes.

Mais c’est une multiplicité qui ne prend son vrai sens sens que par l’unicité du concept.

Pourquoi donc l’Être, seul et sage, ne veut-il pas être appelé l’Unique, mais du nom de Zeus?

Je propose cette réponse:

L’Être seul, sage ne veut pas être appelé l’Unique, parce que cet Un primordial, cet Unique, représente l’Être, seul dans sa Nuit, sa Nuit originaire.

Il veut être appelé du nom de ‘Zeus’, qui s’oppose à cette Nuit, parce que ce nom signifie originairement, en sanskrit, le « Brillant »xxii.

Zeus est le nom de la Lumière que l’Être sage et seul a voulu projeter sur le monde en sortant de sa Nuit.

Il a voulu sortir de sa Nuit de l’Un pour donner sa Lumière au Tout.

________________________

iJob 34,17

iiJob 34,24

iiiJob 36,5

ivFriedrich Creuzer. Religions de l’Antiquité. Traduction de l’allemand par Joseph-Daniel Guigniaut, Livre V ch.2 , Tome 2, 1ère partie, p.283 sq.

vF.W.J. von Schelling, Über die Gottheiten von Samothrace, Stuttgart, 1815, Note 113, p.107 sq.

viCf. William Gesenius, A Hebrew and English Lexicon of the Old Testament, traduit de l’allemand en anglais par Edward Robinson, Clarendon Press, Oxford, 1939, p.287

vii(Coran 2 :217) « L’association est plus grave que le meurtre. » (9 : 5) « Après que les mois sacrés expirent, tuez les associateurs (mouchrikina) où que vous les trouviez. Capturez-les, assiégez-les et guettez-les dans toute embuscade. » (72:20) « Dis : ‘Je n’invoque que mon Seigneur et ne Lui associe personne’ ». (4 :171) « Ô gens du livre, n’exagérez pas dans votre religion, et ne dites d’Allah que la vérité. Le messie Jésus, fils de Marie, n’est qu’un messager d’Allah, sa parole qu’il envoya à Marie, et un souffle (de vie) venant de lui. Croyez donc en Allah et en ses messagers. Et ne dites pas « Trois ». Cessez! »

viiiJug. 20,11

ixDt 18,11

xIs. 47, 9.12

xiL’initiation, contrairement à celle des mystères d’Éleusis, était ouverte à tous. Le premier stade de l’initiation aux mystères est la myèsis (μύησις, « initiation »). Le candidat à l’initiation porte le nom de myste (μύστης / mústês). Selon Hérodote, la révélation initiale se fait autour de l’interprétation des images ithyphalliques d’Hermès-Kadmylos. Varron et Diodore rapportent que les symboles révélés à cette occasion évoquaient le Ciel et la Terre. Le second degré de l’initiation s’appelle épopteia (ἐποπτεία, « contemplation »). Elle n’est réalisée que par un petit nombre d’initiés, ce qui laisse penser qu’elle implique des conditions plus difficiles, comme la nécessité de confesser ses « fautes ». On y procède à des rites de lustration et à un sacrifice. Le hiérophante (ἱεροφάντης , « celui qui révèle le sacré »), récite la liturgie, et montre les symboles des mystères. (Source : Wikipédia)

xiiFriedrich Creuzer. Religions de l’antiquité, considérées principalement dans leurs formes symboliques et mythologiques. Traduit de l’allemand par J.D. Guigniaut. Tome II, 1ère partie, Ed. Treuttel et Wurz, Strasbourg, 1829, Livre V, p.288

xiiiJ. Willm. Histoire de la philosophie allemande depuis Kant jusqu’à Hegel. Tome III. Librairie philosophique de Ladrange, Paris, 1847, p.360

xiv« De transmutatione metallorum » dans Theatr. chem. (1602), I, p.574, cité par Jung in op.cit. p.425

xvC.G. Jung, Aiôn. Ettudes sur la phénoménologie du soi. Albin Miche, 2021, p.268-269

xviPhilippe Borgeaud, La Mère des dieux, de Cybèle à la Vierge Marie, Seuil, 1996, p. 9-10.

xviiPhilippe Borgeaud, La Mère des dieux, de Cybèle à la Vierge Marie, Seuil, 1996, p. 173.

xviiiF.W.J. von Schelling, Über die Gottheiten von Samothrace, Stuttgart, 1815, p.29

xixClément d’Alexandrie, Stromates V, 115,1

xxTraduction de Marcel Conche in Héraclite. Fragments. PUF, 1986, p.243

xxiKirk, p.393, cité par M. Conche in op.cit.

xxiiZeus vient du sanskrit Dyauṣ , द्यौष् , qui signifie le « Brillant » et qui est le nom propre de Dyau, le Ciel-Lumière personnifié. Ce mot vient de la racine dyut qui signifie « briller, resplendir, illuminer », et est apparenté à la racine dīv, « briller, resplendir » mais a aussi un sens moral: « jouer, être joyeux ». Le Zeus védique, Dyau, brille, resplendit et joue dans la joie…

What The Hidden God Does Reveal


« Cyrus the Great. The First Man the Bible calls the Messiah ».


Taken together, the Self, the inner being, hidden in its abyss, under several veils, and the Ego, the outer being, filled with sensations, thoughts, feelings, vibrating with the life of circumstances and contingencies, offer the image of a radical duality.
This constitutive, intrinsic duality is analogous, it seems to me, to that of the God who ‘hides’ Himself, but who nevertheless reveals Himself in some way, and sometimes lets Himself be seen (or understood).
This is a very ancient (human) experience of the divine. Far from presenting Himself to man in all His glory, God certainly hides Himself, everywhere, all the time, and in many ways.
There are indeed many ways for Him to let Himself be hidden.
But how would we know that God exists, if He were always, irremediably, hidden?
First of all, the Jewish Scriptures, and not the least, affirm that He is, and that He is hidden. Isaiah proclaims:
Aken attah El misttatter. אָכֵן, אַתָּה אֵל מִסְתַּתֵּר .

Word for word: « Truly, You, hidden God » i.

Moreover, though admittedly a negative proof, it is easy to see how many never see Him, always deny Him, and ignore Him without remorse.
But, although very well hidden, God is discovered, sometimes, it is said, to the pure, to the humble, and also to those who ‘really’ seek Him.


Anecdotes abound on this subject, and they must be taken for what they are worth. Rabindranath Tagore wrote: « There was a curious character who came to see me from time to time and used to ask all sorts of absurd questions. Once, for example, he asked me, ‘Have you ever seen God, Sir, with your own eyes?’ And when I had to answer him in the negative, he said that he had seen Him. ‘And what did you see?’ I asked. – ‘He was agitated, convulsing and pulsating before my eyes’, he answered.» ii


I liked this last sentence, at first reading, insofar as the divine seemed to appear here (an undeniable innovation), not as a noun, a substance, or any monolithic or monotheistic attribute, but in the form of three verbs, knotted together – ‘agitate’, ‘convulse’, ‘palpitate’.


Unfortunately, either in metaphysical irony or as a precaution against laughter, the great Tagore immediately nipped this embryonic, agitated, convulsive and palpitating image of divinity in the bud in the very next sentence, inflicting on the reader a brief and Jesuitical judgment: « You can imagine that we were not interested in engaging in deep discussions with such an individual. » iii


For my part, on the contrary, I could not imagine that.
It is certain that, whatever it may be, the deep « nature », the « essence » of God, is hidden much more often than it shows itself or lets itself be found.

About God, therefore, the doubt lasts.
But, from time to time, sparks fly. Fires blaze. Two hundred and fifty years before the short Bengali theophany just mentioned, Blaise Pascal dared a revolutionary and anachronistic (pre-Hegelian and non-materialist) dialectic, of the ‘and, and’ type. He affirmed that « men are at the same time unworthy of God and capable of God: unworthy by their corruption, capable by their first nature » iv.


Man: angel and beast.

The debate would be very long, and very undecided.
Excellent dialectician, Pascal specified, very usefully:
« Instead of complaining that God has hidden himself, you will give him thanks that he has discovered himself so much; and you will give him thanks again that he has not discovered himself to the superb wise men, unworthy of knowing a God so holy. » v
Sharp as a diamond, the Pascalian sentence never makes acceptance of the conveniences and the clichés, of the views of the PolitBuro of all obediences, and of the religious little marquis.
Zero tolerance for any arrogance, any smugness, in these transcendent subjects, in these high matters.
On the other hand, what a balance, on the razor blade, between extremes and dualisms, not to blunt them, but to exacerbate them, to magnify them:
« If there were no darkness man would not feel his corruption, if there were no light man would not hope for a remedy, so it is not only right, but useful for us that God be hidden in part and discovered in part since it is equally dangerous for man to know God without knowing his misery, and to know his misery without knowing God. » vi
This is not all. God makes it clear that He is hiding. That seems to be His strategy. This is how He wants to present Himself, in His creation and with man, with His presence and with His absence…
« That God wanted to hide himself.
If there were only one religion, God would be very obvious. Likewise, if there were only martyrs in our religion.

God being thus hidden, any religion which does not say that God is hidden is not true, and any religion which does not give the reason for it is not instructive. Ours does all this. Vere tu es deus absconditus.vii« 


Here, Pascal quotes Isaiah in Latin. « Truly, You are a hidden God. »
Deus absconditus.

I prefer, for my part, the strength of Hebrew sound: El misttatter.

How would we have known that God was hidden if Scripture had not revealed Him?
The Scripture certainly reveals Him, in a clear and ambiguous way.
« It says in so many places that those who seek God will find him. It does not speak of this light as the day at noon. It is not said that those who seek the day at noon, or water in the sea, will find it; and so it is necessary that the evidence of God is not such in nature; also it tells us elsewhere: Vere tu es Deus absconditus. » viii
Absconditus in Latin, misttatter in Hebrew, caché in French.

But, in the Greek translation of this verse of Isaiah by the seventy rabbis of Alexandria, we read:

σὺ γὰρ εἶ θεός, καὶ οὐκ ᾔδειμεν
Su gar eï theos, kai ouk êdeimen.

Which litterally means: « Truly You are God, and we did not know it »… A whole different perspective appears, then. Languages inevitably bring their own veils.
How do we interpret these variations? The fact that we do not know whether God is ‘really God’, or whether He is ‘really hidden’, does not necessarily imply that He might not really be God, or that He will always be hidden.
Pascal states that if God has only appeared once, the chances are that He is always in a position to appear again, when He pleases.
But did He appear only once? Who can say with absolute certainty?
On the other hand, if He really never appeared to any man, then yes, we would be justified in making the perfectly reasonable observation that the divinity is indeed ‘absent’, and we would be led to make the no less likely hypothesis that it will remain so. But this would not prevent, on the other hand, that other interpretations of this absence could be made, such as that man is decidedly unworthy of the divine presence (hence his absence), or even that man is unworthy of the consciousness of this absence.


Now Pascal, for his part, really saw God, – he saw Him precisely on Monday, November 23, 1654, from half past ten in the evening to half past midnight. « Fire. God of Abraham, God of Isaac, God of Jacob, not God of the philosophers and scholars. Certainty. Certainty. Feeling. Joy. Peace. God of Jesus Christ. » ix
This point being acquired (why put in doubt this writing of Pascal, discovered after his death, and sewn in the lining of his pourpoint?), one can let oneself be carried along by the sequences, the deductions and the exercise of reason that Pascal himself proposes.


« If nothing of God had ever appeared, this eternal deprivation would be equivocal, and could just as well refer to the absence of any divinity as to the unworthiness of men to know it; but the fact that he appears sometimes, and not always, removes the equivocation. If he appears once, he is always; and thus one cannot conclude anything except that there is a God, and that men are unworthy of him» x.
Pascal’s reasoning is tight, impeccable. How can one not follow it and approve its course? It must be admitted: either God has never appeared on earth or among men, or He may have appeared at least once or a few times.
This alternative embodies the ‘tragic’ question, – a ‘theatrical’ question on the forefront of the world stage…
One must choose. Either the total and eternal absence and disappearance of God on earth, since the beginning of time, or a few untimely divine appearances, a few rare theophanies, reserved for a few chosen ones…


In all cases, God seemed to have left the scene of the world since His last appearance, or to have decided never to appear again, thus putting in scene His deliberate absence. But, paradoxically, the significance of this absence had not yet been perceived, and even less understood, except by a tiny handful of out-of-touch thinkers, for whom, in the face of this absence of God, « no authentic human value has any more necessary foundation, and, on the other hand, all non-values remain possible and even probable. » xi
A Marxist and consummate dialectician, Lucien Goldmann, devoted his thesis to the ‘hidden god’. He established a formal link between the theophany staged by Isaiah, and the ‘tragic vision’ incarnated by Racine, and Pascal.
« The voice of God no longer speaks to man in an immediate way. Here is one of the fundamental points of the tragic thought. Vere tu es Deus absconditus‘, Pascal will write. » xii
Pascal’s quotation of the verse from Isaiah will be taken up several times by Goldmann, like an antiphon, and even in the title of his book.
« Deus absconditus. Hidden God. Fundamental idea for the tragic vision of God, and for Pascal’s work in particular (…): God is hidden from most men but he is visible to those he has chosen by granting them grace. » xiii


Goldmann interprets Pascal in his own strictly ‘dialectical’ way. He rejects any reading of Pascal according to binary oppositions ‘either…or…’. « This way of understanding the idea of the hidden God would be false and contrary to the whole of Pascalian thought which never says yes or no but always yes and no. The hidden God is for Pascal a God who is present and absent and not present sometimes and absent sometimes; but always present and always absent. » xiv
The constant presence of opposites and the work of immanent contradiction demand it. And this presence of opposites is itself a very real metaphor for the absent presence (or present absence) of the hidden God.
« The being of the hidden God is for Pascal, as for the tragic man in general, a permanent presence more important and more real than all empirical and sensible presences, the only essential presence. A God always absent and always present, that is the center of tragedy. » xv


But what does ‘always present and always absent‘ really mean?
This is the ‘dialectical’ answer of a Marxist thinker tackling the (tragic) theophany of absence, – as seen by the prophet Isaiah, and by Pascal.
In this difficult confrontation with such unmaterialist personalities, Goldmann felt the need to call to the rescue another Marxist, Georg von Lucàcs, to support his dialectical views on the absent (and present) God.
« In 1910, without thinking of Pascal, Lucàcs began his essay: ‘Tragedy is a game, a game of man and his destiny, a game in which God is the spectator. But he is only a spectator, and neither his words nor his gestures are ever mixed with the words and gestures of the actors. Only his eyes rest on them’. xvi

To then pose the central problem of all tragic thought: ‘Can he still live, the man on whom God’s gaze has fallen?’ Is there not incompatibility between life and the divine presence? » xvii


It is piquant to see a confirmed Marxist make an implicit allusion to the famous passage in Exodus where the meeting of God and Moses on Mount Horeb is staged, and where the danger of death associated with the vision of the divine face is underlined.
It is no less piquant to see Lucàcs seeming to confuse (is this intentional?) the ‘gaze of God’ falling on man with the fact that man ‘sees the face’ of God…
It is also very significant that Lucàcs, a Marxist dialectician, combines, as early as 1910, an impeccable historical materialism with the storm of powerful inner tensions, of deep spiritual aspirations, going so far as to affirm the reality of the ‘miracle’ (for God alone)…

What is perhaps even more significant is that the thought of this Hungarian Jew, a materialist revolutionary, seems to be deeply mixed with a kind of despair as to the human condition, and a strong ontological pessimism, tempered with a putative openness towards the reality of the divine (miracle)…
« Daily life is an anarchy of chiaroscuro; nothing is ever fully realized, nothing reaches its essence… everything flows, one into the other, without barriers in an impure mixture; everything is destroyed and broken, nothing ever reaches the authentic life. For men love in existence what it has of atmospheric, of uncertain… they love the great uncertainty like a monotonous and sleepy lullaby. They hate all that is univocal and are afraid of it (…) The man of the empirical life never knows where his rivers end, because where nothing is realized everything remains possible (…) But the miracle is realization (…) It is determined and determining; it penetrates in an unforeseeable way in the life and transforms it in a clear and univocal account. He removes from the soul all its deceptive veils woven of brilliant moments and vague feelings rich in meaning; drawn with hard and implacable strokes, the soul is thus in its most naked essence before his gaze. »
And Lucàcs to conclude, in an eminently unexpected apex: « But before God the miracle alone is real. » xviii

Strange and provocative sentence, all the more mysterious that it wants to be materialist and dialectic…


Does Lucàcs invite man to consider history (or revolution) as a miracle that he has to realize, like God? Or does he consider historical materialism as the miraculous unfolding of something divine in man?
Stranger still is Lucien Goldmann’s commentary on this sentence of Lucàcs:
« We can now understand the meaning and importance for the tragic thinker and writer of the question: ‘Can the man on whom God’s gaze has fallen still live?’» xix

But, isn’t the classic question rather: ‘Can the man who looks up to God still live?
Doesn’t Lucàcs’ new, revised question, taken up by Goldmann, imply a univocal answer ? Such as : – ‘For man to live, God must be hidden’ or even, more radically: ‘For man to live, God must die’.
But this last formulation would undoubtedly sound far too ‘Christian’…

In the end, can God really ‘hide’ or a fortiori can He really ‘die’?
Are these words, ‘hide’, ‘die’, really compatible with a transcendent God?
Is Isaiah’s expression, ‘the hidden God’ (El misttatter), clear, univocal, or does it itself hide a universe of less apparent, more ambiguous meanings?
A return to the text of Isaiah is no doubt necessary here. In theory, and to be complete, it would also be necessary to return to other religious traditions, even more ancient than the Jewish one, which have also dealt with the theme of the hidden god (or the unknown god), notably the Vedic tradition and that of ancient Egypt.
The limits of this article do not allow it. Nevertheless, it must be said emphatically that the intuition of a ‘hidden god’ is probably as old as humanity itself.
However, it must be recognized that Isaiah has, from the heart of Jewish tradition, strongly and solemnly verbalized the idea of the ‘hidden God’, while immediately associating it with that of the ‘saving God’.
 אָכֵן, אַתָּה אֵל מִסְתַּתֵּר–אֱלֹהֵי יִשְׂרָאֵל, מוֹשִׁיעַ. 
Aken attah, El misttatter – Elohai Israel, mochi’a.
« Truly, You, hidden God – God of Israel, Savior. » xx
A few centuries after Isaiah, the idea of the God of Israel, ‘hidden’ and ‘savior’, became part of the consciousness called, perhaps too roughly, ‘Judeo-Christian’.
It is therefore impossible to understand the semantic value of the expression « hidden God » without associating it with « God the savior », in the context of the rich and sensitive inspiration of the prophet Isaiah.
Perhaps, moreover, other metaphorical, anagogical or mystical meanings are still buried in Isaiah’s verses, so obviously full of a sensitive and gripping mystery?


Shortly before directly addressing the ‘hidden God’ and ‘savior’, Isaiah had reported the words of the God of Israel addressing the Persian Cyrus, – a key figure in the history of Israel, at once Persian emperor, savior of the Jewish people, figure of the Messiah, and even, according to Christians, a prefiguration of Christ. This last claim was not totally unfounded, at least on the linguistic level, for Cyrus is clearly designated by Isaiah as the « Anointed » (mochi’a)xxi of the Lord. Now the Hebrew word mochi’a is translated precisely as christos, ‘anointed’ in Greek, and ‘messiah‘ in English.


According to Isaiah, this is what God said to His ‘messiah’, Cyrus:
« I will give you treasures (otserot) in darkness (ḥochekh), and hidden (misttarim) riches (matmunei) , that you may know that I am YHVH, calling you by your name (chem), – the God of Israel (Elohai Israel). » xxii


Let us note incidentally that the word matmunei, ‘riches’, comes from the verb טָמַן, taman, ‘to hide, to bury’, as the verse says: « all darkness (ḥochekh) bury (tamun) his treasures » xxiii.
We thus learn that the ‘treasures’ that Isaiah mentions in verse 45:3, are triply concealed: they are in ‘darkness’, they are ‘buried’ and they are ‘hidden’…


The accumulation of these veils and multiple hiding places invites us to think that such well hidden treasures are only ever a means, a pretext. They hide in their turn, in reality, the reason, even more profound, for which they are hidden…


These treasures are perhaps hidden in the darkness and they are carefully buried, so that Cyrus sees there motivation to discover finally, he the Anointed One, what it is really necessary for him to know. And what he really needs to know are three names (chem), revealed to him, by God… First the unspeakable name, ‘YHVH’, then the name by which YHVH will henceforth call Cyrus, (a name which is not given by Isaiah), and finally the name Elohéï Israel (‘God of Israel’).

As for us, what we are given to know is that the ‘hidden God’ (El misttatter) is also the God who gives Cyrus ‘hidden riches’ (matmunei misttarim).
The verbal root of misttatter and misttarim is סָתַר, satar. In the Hithpael mode, this verb takes on the meaning of ‘to hide’, as in Is 45:15, « You, God, hide yourself », or ‘to become darkened’, as in Is 29:14, « And the mind will be darkened ».

In the Hiphil mode, the verb satar, used with the word panim, ‘face’, takes on the meaning of ‘covering the face’, or ‘turning away the face’, opening up other moral, mystical or anagogical meanings.
We find satar and panim associated in the verses: « Moses covered his face » (Ex 3:6), « God turned away his face » (Ps 10:11), « Turn away your face from my sins » (Ps 51:11), « Do not turn away your face from me » (Ps 27:9), « Your sins make him turn his face away from you » (Is 59:2).

Note that, in the same verbal mode, satar can also take on the meaning of « to protect, to shelter », as in: « Shelter me under the shadow of your wings » (Ps 17:8).
In biblical Hebrew, there are at least a dozen verbal roots meaning « to hide » xxiv , several of which are associated with meanings evoking material hiding places (such as « to bury », « to preserve », « to make a shelter »). Others, rarer, refer to immaterial hiding places or shelters and meanings such as ‘keep’, ‘protect’.
Among this abundance of roots, the verbal root satar offers precisely the particularityxxv of associating the idea of « hiding place » and « secret » with that of « protection », carried for example by the word sétèr: « You are my protection (sétèr) » (Ps 32:7); « He who dwells under the protection (sétèr) of the Most High, in the shadow (tsèl) of the Almighty » (Ps 91:1).xxvi


Isaiah 45:15, « Truly, You, the hidden God, » uses the verbal root satar for the word « hidden » (misttatter). Satar thus evokes not only the idea of a God « who hides » but also connotes a God « who protects, shelters » and « saves » (from the enemy or from affliction).
Thus we learn that the God « who hides » is also the God « who reveals ». And, what He reveals of His Self does « save ».

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iIs 45, 15

iiRabindranath Tagore. Souvenirs. 1924. Gallimard. Knowledge of the Orient, p. 185

iiiRabindranath Tagore. Souvenirs. 1924. Gallimard. Knowledge of the Orient, p. 185

ivPascal. Thoughts. Fragment 557. Edition by Léon Brunschvicg. Paris, 1904

vPascal. Thoughts. Fragment 288. Edition by Léon Brunschvicg. Paris, 1904

viPascal. Thoughts. Fragment 586. Edition by Léon Brunschvicg. Paris, 1906

viiPascal. Thoughts. Fragment 585. Edition by Léon Brunschvicg. Paris, 1904

viiiPascal. Thoughts. Fragment 242. Edition by Léon Brunschvicg. Paris, 1904

ixPascal. Memorial. In Pensées, Edition by Léon Brunschvicg. Paris, 1904, p.4

xPascal. Thoughts. Fragment 559. Edition by Léon Brunschvicg. Paris, 1904

xiLucien Goldmann. The Hidden God. Study on the tragic vision in Pascal’s Pensées and in Racine’s theater. Gallimard. 1955, p. 44. Expressions in italics are by the author.

xiiLucien Goldmann. The Hidden God. Study on the tragic vision in Pascal’s Pensées and in Racine’s theater. Gallimard. 1955, p. 45

xiiiLucien Goldmann. The Hidden God. Study on the tragic vision in Pascal’s Pensées and in Racine’s theater. Gallimard. 1955, p. 46

xivLucien Goldmann. The Hidden God. Study on the tragic vision in Pascal’s Pensées and in Racine’s theater. Gallimard. 1955, p. 46. Expressions in italics are by the author.

xvLucien Goldmann. The Hidden God. Study on the tragic vision in Pascal’s Pensées and in Racine’s theater. Gallimard. 1955, p. 46-47. Expressions in italics are by the author.

xviLucien Goldmann. The Hidden God. Study on the tragic vision in Pascal’s Pensées and in Racine’s theater. Gallimard. 1955, p. 46-47. Expressions in italics are by the author.

xviiLucien Goldmann. The Hidden God. Study on the tragic vision in Pascal’s Pensées and in Racine’s theater. Gallimard. 1955, p. 47

xviiiGeorg von Lucàcs. Die Seele und dir Formen. p. 328-330, quoted in Lucien Goldmann. The Hidden God. Study on the tragic vision in Pascal’s Pensées and in Racine’s theater. Gallimard. 1955, p. 48-49

xixLucien Goldmann. The Hidden God. Study on the tragic vision in Pascal’s Pensées and in Racine’s theater. Gallimard. 1955, p. 49

xxIs 45,15

xxi« Thus says the LORD to his Anointed, to Cyrus, Is 45:1.

xxiiוְנָתַתִּי לְךָ אוֹצְרוֹת חֹשֶׁךְ, וּמַטְמֻנֵי מִסְתָּרִים: לְמַעַן תֵּדַע, כִּי-אֲנִי יְהוָה הַקּוֹרֵא בְשִׁמְךָ–אֱלֹהֵי יִשְׂרָאֵל . (Is 45.3)

xxiiiJob 20.26

xxivIt would be out of place to make an exhaustive analysis of this in this article, but we will return to it later. The roots in question are as follows: חבא, חבה, טמן ,כּחד,כּסה, נצר, כּפר, סכךְ, סתם, סתר, עמם, עלם. They cover a wide semantic spectrum: ‘to hide, to hide, to bury, to cover, to cover, to keep, to guard, to protect, to preserve, to make a shelter, to close, to keep secret, to obscure, to be obscure’.

xxvAs well as the verbal roots צפן and סכךְ, although these have slightly different nuances.

xxviIt would be indispensable to enter into the depths of the Hebrew language in order to grasp all the subtlety of the semantic intentions and the breadth of the metaphorical and intertextual evocations that are at stake. Only then is it possible to understand the ambivalence of the language, which is all the more amplified in the context of divine presence and action. The same verbal root (tsur) indeed evokes both ‘enemy’ and ‘protection’, ‘fight’ and ‘shelter’, but also subliminally evokes the famous ‘rock’ (tsur) in the cleft of which God placed Moses to ‘protect’ him when He appeared to him in His glory on Mount Horeb. « I will place you in the cleft of the rock (tsur) and I will shelter you (or hide you, – verb שָׂכַךֽ sakhakh) from my ‘hand’ (kaf, literally, from my ‘hollow’) until I have passed over. « (Ex 33:22) For example, puns and alliterations proliferate in verse 7 of Psalm 32. Just after the first hemisphere ‘You are my protection (attah seter li)’, we read: מִצַּר תִּצְּרֵנִי , mi-tsar ti-tsre-ni (« from the enemy, or from affliction, you save me »). There is here a double alliteration playing on the phonetic proximity of the STR root of the word sétèr (‘protection’), of the TSR root of the word tsar, denoting the enemy or affliction, and of the tsar verb ‘to protect, guard, save’. This is not just an alliteration, but a deliberate play on words, all derived from the verbal root צוּר , tsour, ‘to besiege, fight, afflict; to bind, enclose’: – the word צַר, tsar, ‘adversary, enemy; distress, affliction; stone’; – the word צוּר , tsur, ‘rock, stone’; – the verb צָרַר, tsar, ‘to bind, envelop, guard; oppress, fight; be cramped, be afflicted, be in anguish’.

The Hollow of God


« Caph »




Caph, כ , the eleventh letter of the Hebrew alphabet, has the shape of an inverted C, and presents, graphically and symbolically, the figure of a ‘hollow’. This idea of the hollow is also found in the Hebrew word כָּף caph, which can also be transcribed kaf. This word refers to several parts of the human body, the hollow or palm of the hand, the sole of the foot, the concavity of the hip (more technically, the ischium of the iliac bone), all having in common a ‘hollow’ shape.
The notion of ‘hollow’ attached to this word etymologically derives from the verbal root כָּפַף , kafaf, ‘to fold, bend’, and in the passive ‘to be folded, bent; to be hollow’.

Curiously enough, the word kaf is directly associated with what must be called the ‘body’ of God, or at least with its bodily metaphors, in two particularly significant episodes in the Hebrew Bible, – Jacob’s nightly battle with Godi, and the passage of the Glory of God before Mosesii.
In both of these key moments, the idea of the « hollow » carried by the kaf plays a crucial role.

In the first episode, a ‘man’ (i.e. God himself, or one of his envoys) strikes Jacob in the ‘hollow’ (kaf) of the hip, causing its dislocation, hastening the end of the battle.
Since that day, the children of Israel, in memory of this blow to the kaf, respect a dietary prohibition prescribing the removal of the sciatic nerve, supposed to symbolize the part of Jacob’s body bruised by the blow.

In the second episode, God addresses Moses, saying:
« I will place you in the cleft of the rock and cover you with my kaf, [literally – with my ‘hollow’, or the ‘palm’ of my hand, – if one may so express oneself in speaking anthropomorphically of the Lord…], until I have passediii. »

In the first episode, God ‘touches’ or ‘strikes’ Jacob’s kaf. The verb used to describe the action is נָגַע, nâga‘, ‘to touch, to smite’. Whether He touches or strikes Jacob, God must undoubtedly use His ‘hand’, i.e., His kaf, to wound Jacob’s kaf. Admittedly the kaf of God is only implied here in the Genesis text. But it is implicitly made necessary by the use of the verb nâga‘, which implies a physical contact effective enough to dislocate Jacob’s hip.
God’s kaf (or the ‘hollow’ of the hand) ‘touched’ or ‘struck’ Jacob’s kaf (the ‘hollow’ of the hip).
Hollow against hollow.

In the second episode, God uses two levels of protection, two types of cover, to shield Moses from the deadly brilliance of His Glory. On the one hand, He places him in the ‘cleft of the rock’ (niqrat ha-tsur), and on the other, He covers Moses with His kaf.
Hollow on hollow.

Two questions then arise:
-Why are two layers of protection (the ‘cleft of the rock’ and then God’s kaf) necessary here?
-What exactly is the kaf of God, – if we give up translating this word by an expression that is far too anthropomorphic, and therefore unacceptable, like ‘palm of the hand’?

To the first question, we can answer that God probably wants to protect Moses’body by hiding him in the cleft of the rock, but that he also wants to protect Moses’ spirit or soul by covering Moses with His kaf.
The second question invites us to return to the etymology of the word kaf to try to understand its meaning in the context of this theophany.
God says that He will ‘cover’ Moses with His kaf. The verb used for ‘cover’ is שָׂכַךְ, sâkhakh, very close to the verb סָכַךְ, sâkhakh, ‘to make a shelter’, from which is derived the word soukhot (designating the booths of the Feast of Booths).

Now there is another Hebrew verb meaning ‘to cover’, which is also very close phonetically and etymologically to kaf, it is the verb כָּפַר kafar, ‘to cover, to forgive; to atone, to purify’.
This puts us on a promising track. When God ‘covers’ Moses with the divine kaf, there is expressed here an idea of protection and shelter, but perhaps also, more subliminally, the idea of ‘covering’ (kafar) Moses’ weaknesses, or sins, in order to cleanse him of them so that he is allowed to see God, if only ‘from behind’.

The following verse indeed tells us what happens after God’s passage.
« Then I will remove my kaf, and you will see me from behind, but my face cannot be seen.iv

The shifts in meaning between kaf, kafaf, kafar, reveal a certain kinship between ‘hollow’, ‘palm’, ‘covering’ and, in an allegorical sense, ‘covering’ [faults], ‘forgiving’ and ‘purifying’v.
This is indeed a second level of protection that God agrees to give to the spirit of Moses after having placed his body in the « cleft of the rock ».

These shifts take on an additional symbolic dimension when we consider the word כֵּף kef, which is perfectly similar to kaf, except for the vocalization, and has the same etymological provenance as kaf.

Now kef means ‘rock’, which implies a symbolic proximity between the idea of ‘hollow’ and that of ‘rock’.
Note that the ‘rock’ into whose cleft God places Moses (in Ex 33:22) is not designated as a kef, but as a tsur, which is another word for rock.
However, the simple fact that the words kaf (‘hollow’) and kef (‘rock’) have the same verbal root kafaf, ‘to be curved, to be hollow’, draws our attention to the fact that some rocks can all the better offer refuge or protection because they are ‘hollow’, such as caverns or caves, whereas other types of rocks possess only crevices or slits, such as the rock called צוּר , tsur.

Note also that the word tsur, ‘rock’, comes from the verbal root צור , tsour, which means ‘to bind, wrap, confine, compress, enclose’. According to Ernest Klein’s Etymological Dictionary, this verbal root, tsour, itself derives from the Akkadian words uṣurutu and eṣēru (‘to draw, to form, to shape’).

The Hebrew words kef and tsur thus both mean ‘rock’, but both words come from two verbal roots that connote, respectively, the ideas of folding, curving, hollowing, and the ideas of enveloping, confining, enclosing, but also of shaping, molding.

One will be sensitive to the proximity and the shifts of these universes of meaning, within the framework of the two exceptional scenes that we evoked, the night fight of Jacob and the vision of Moses on Sinai.

Through the metaphors and metonymies with they encourage, these words draw a wider landscape of meaning, which includes ‘hollow’ and ‘rock’, ‘protection’ and ‘forgiveness’, ‘envelopment’ and ‘enclosure’, ‘form’, ‘shaping’, and the ‘model’ that imposes its ‘shape’ on the image.

From the kaf, of ‘hollow’ form, כ, both open on one side and closed on the other three sides, spring multiple ‘images’: the dislocated hollow of Jacob’s hip, the protective hollow of the divine kaf, or the slit on the closed form of the tsur.

Faced with these insights into Hebrew semantic universe, the goyim could easily feel little concerned by these purely internal considerations proper to the Hebrew language.

Yet, through another twist, I think they may be incited to open up to the mystery that kaf, kef and tsur do cover, hide and conceal.

It so happens that the word kef, ‘rock, stone’, is precisely the word that serves as the root of the name Kephas, the new name that Jesus gave to his disciple Simon:
« You are Simon, son of Jonah; you shall be called Kephas, which means Peter (stone) »vi reports the Gospel of John.
Kephas (i.e. Simon-Peter) was from then on, by the play of displacements that the word kef authorizes and encourages, the ‘foundation stone’ on which Jesus built his Church, thus taking up in his own way the example given by the prophet Isaiah: « I have set deep in Zion a stone, a tried and tested stone, a cornerstone « .vii

But Kephas, it should be noted, was also the very same name of the high priest Caiaphas who was to condemn Jesus to death.
The etymology thus linked in an indissoluble and perhaps symbolic way the patronymic of the first of the popes of the Church with the patronymic of one of the last high priests of the Temple of Jerusalem…


What a metaphysical irony that Jesus chose to name his apostle Simon Kephas (that is, Caiaphas)…
What a metaphysical irony that the high priest Caiaphas (i.e., Kephas or ‘Peter’), was also the name of the one who plotted shortly after Jesus’ death…

Let us conclude.

The divine kaf, the ‘hollow’ that strikes, dislocates, protects or forgives, is close in many ways to the kef, the ‘rock’, that establishes, and founds.

The name Kephas, which gave rise to the non-Hebrew names Petrus, Boutros, Peter, Pierre, is also the name of one of the last high priests of Jerusalem, Caiaphas.

The Temple and the Church seem here to be linked through a single root, kef, which binds together the twilight of the former and the dawn of the latter.
Today the Temple of Jerusalem is no more, and the destiny of its high priests seems to have ended.
The Church, on the other hand, is still there, – as is of course the Synagogue.

It is the Temple that seems to have no more any kef to be built upon.

Some words, which are supposed to ‘express’ something, in fact hide what they do not openly say, what they indeed cover.
And the One who speaks these words also hides ‘behind’ them, – in the emptiness of their ‘hollow’…

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iGn 32.25

iiEx 33.22

iii וְשַׂמְתִּיךָ בְּנִקְרַת הַצּוּר; וְשַׂכֹּתִי כַפִּי עָלֶיךָ, עַדעָבְרִי. « Vé-samttikha bé-niqrat ha-tsour, vé-sakkoti ḥapii ‘aleïkha ‘ad-‘abrii » (Ex 33,22)

ivEx 33.23

vI would like to thank Professor M. Buydens (Université Libre de Bruxelles and Université de Louvain) for suggesting that I exploit the similarity between the Hebrew words kaf, kafar and the Arabic word kafir, ‘infidel’. I found in Kazimirski’s Arabic-French dictionary that the word kafir comes from the verbal root kafara, ‘to cover; to hide, to conceal’ and, in a derived way, ‘to forget, to deny the benefits received’, hence ‘to be ungrateful; to be unfaithful, to be incredulous, not to believe in one God’. It can be inferred from this that, according to the respective genius of the languages, the Hebrew word kafar connotes the idea of ‘covering [evil]’, and therefore ‘forgiving’. The Arabic word kafara connotes the idea of ‘covering [the good]’, and therefore ‘denying, denying, being unfaithful’…

viJn 1.42

viiIs 28,16. Let us note that Isaiah uses here another word for ‘stone’, the word אֶבֶן, even, whose etymology is the same as that of the word ben, ‘son’, and which connotes the fact of founding, the fact of building… The word even is very ancient, and is found in Phoenician, Aramaic, Ethiopian and even in Egyptian (ôbn), according to Ernest Klein’s Etymological Dictionary.

Derrière la Porte


Abraham, Sara et la visite de Mamré

On sait que le dogme de l’unité absolue de Dieu prévaut dans le judaïsme orthodoxe; mais d’un autre côté, nombreux sont les exemples de textes juifs, relativement tardifs, comme ceux de la Cabale juive du Moyen Âge, qui assurent qu’il y a plusieurs « essences » de Dieu, ou en Dieu.

Ce fait est assez « embarrassant » pour les commentateurs rabbiniques. Ils craignent sans doute qu’une certaine convergence avec la doctrine chrétienne sur ce point de doctrinei, ne devienne par trop flagrante. Cependant il faut bien se rendre à l’évidence. Cette idée de la multiplicité des essences de Dieu a été déclinée de plusieurs manières dans le Zohar, sous la forme de commentaires sur les Noms de Dieu, par exemple sur les quatre lettres du Tétragramme (Y-H-V-H), sur les trois lettres du Verbe divin, créateur, יְהִי (Y-H-Y), ou encore sur les trois sortes de points-voyelles (holem, choureq, chireq).

Viennent également à l’appui de cette idée la structure différenciée des Sefirot (et notamment les trois premières), l’emploi dans les textes de symboles à la structure trinitaire, et enfin l’interprétation de scènes bibliques particulièrement étranges où interviennent des envoyés divins au nombre de trois.

La structure même du Tétragramme divin, יְהוָה , souvent transcrit « Jéhovah », « Yahvé » ou « YHVH » dans les Bibles non-hébraïques, invite à la méditation sur le sens ou l’essence de chacune de ces quatre lettres.

Le Zohar affirme que ces quatre lettres, respectivement: Yod, , Vav, , symbolisent plusieurs essences de Dieu.

La lettre est présente deux fois. Le premier est appelé ‘supérieur’ dans le Zohar, et le second ‘inférieur’.

Ces quatre lettres sont comparées à un « corps ». Chacune d’entre elles est habitée d’une vie propre, et elles peuvent « procéder » l’une de l’autre, « monter » ou « descendre », ou encore « s’unir » entre elles suivant diverses combinaisons.

Chacune d’entre elle incarne la présence de trois « hypostases », ce qui démultiplie leur nombre.

« Le nom YHVHii est formé de quatre lettres qui sont en quelque sorte pour l’essence divine ce que les membres sont pour le corps humain. Mais, étant donné le nombre de trois hypostases, ces quatre lettres sont douzeiii. C’est donc le nom sacré de douze lettres qui a été dévoilé à Élie dans la caverne. »iv

Il est donc ici évoqué le concept d’hypostases divines, dont l’interprétation peut certainement varier, mais dont on ne peut nier qu’elle semble en contradiction avec le décret d’un monothéisme sans fissure.

Ces hypostases ne sont pas équivalentes, elles jouent des rôles clairement différenciés que le Zohar analyse, en tirant argument d’autres exemples de « triples noms divins », ou de triplets de mots incarnant les trois essences respectivement ‘fécondante’, génératrice’ et ‘unitive’ de Dieu.

« Telle est également la signification du verset (Deut. , VI, 4) : ‘Écoute, Israël, YHVH, Élohénou, YHVH est un.’v Ces trois noms divins désignent les trois échelles de l’essence divine exprimées dans le premier verset de la Genèse : ‘Berechith bara Élohim eth ha-schamaïm.’ ‘Berechith‘ désigne la première hypostase mystérieuse ; ‘bara‘ indique le mystère de la création ; ‘Élohim‘ désigne la mystérieuse hypostase qui est la base de toute la création ; ‘eth hachamaïm‘ désigne l’essence génératrice. L’hypostase ‘Élohim‘ forme le trait d’union entre les deux autres, la fécondante et la génératrice, qui ne sont jamais séparées et ne forment qu’un Tout. »vi

Le Zohar propose une analyse analogue des trois lettres du Verbe יְהִי ïéhi,quiest le ‘mot’ par le moyen duquel Dieu crée le monde. Ce faisant, il introduit plusieurs innovations (hérétiques?) supplémentaires: la présence en Dieu d’une essence paternelle, d’une essence maternelle et d’une essence filiale, et surtout l’idée d’une ‘procession’ de la Lumière à partir du Père et du Verbe.

« Avant, le mystérieux Infini manifestait son omnipotence et son immense bonté à l’aide de la mystérieuse Pensée, de même essence que le mystérieux Verbe, mais silencieuse. Le Verbe, manifesté à l’époque de la création de la matière, existait avant sous forme de Pensée ; car, si la parole est capable d’exprimer tout ce qui est matériel, elle est impuissante à manifester l’immatériel. C’est pourquoi l’Écriture dit : ‘Et Élohim dit’ (va-Yomer Élohim), c’est-à-dire Élohim se manifesta sous la forme du Verbe ; cette sentence divine, par laquelle la création a été opérée, venait de germer, et, en se transformant de Pensée en Verbe, elle fit entendre un bruit qui s’entendit au dehors. L’Écriture ajoute : ‘Que la lumière soit’ (ïehi or) ; car toute lumière procède du mystère du Verbe. Le mot ‘ïehi se compose de trois lettres : un Yod au commencement et à la fin et un Hé au milieu (y-h-y). Ce mot est le symbole du Père et de la Mère célestes, désignés par les lettres Yod et Hé (h-y) et de la troisième essence divine qui procède des deux précédentes et qui est désignée par le dernier Yod du mot ‘ïehi, lettre identique à la première, pour nous indiquer que toutes les trois hypostases ne sont qu’une. Le Père, désigné par le premier Yod, est le dispensateur de toutes les lumières célestes. Lorsque la matérialisation du vide fut opérée par le son du Verbe, désigné par le Hé, la lumière céleste se cacha, étant incompatible avec la matière. Le Verbe, par le son duquel la création de la matière eut lieu, n’était pas encore articulé, puisqu’il ne s’est manifesté que pour la création des œuvres diverses énoncées dans l’Écriture. Quand le Verbe se manifesta, il s’unit au Père pour la dispensation de la lumière qui, incompatible avec la matière tant qu’elle procédait du Père seulement, devint accessible à la matière dès qu’elle procéda du Père et du Verbe. Le premier Yod du mot ‘ïehi‘ désigne le Père ; le dernier Yod désigne la lumière céleste ; ce Yod fut placé après le Hé, parce que pour que la lumière céleste qu’il désigne devînt accessible à la matière, il a fallu qu’elle procédât du Père et du Verbe : du premier Yod et du Hé. »vii

Un autre symbolisme employé par le Zohar fait référence aux trois points-voyelles, c’est-à-dire les signes diacritiques notés sous forme de points, et utilisés par la grammaire hébraïque pour vocaliser les consonnes.

Ces trois points se situent respectivement au-dessus, au milieu et en-dessous des lettres qu’ils vocalisent. On imagine que ces trois positions spatiales peuvent symboliser une hiérarchie de trois essences divines au sein même de la Divinité, le Père, le Verbe et la Lumière.

L’analogie avec la Trinité chrétienne du Père, du Fils (qui est le Verbe), et le Saint Esprit est évidemment frappante.

« Comme les trois points-voyelles désignent également les trois hypostases divines : le Holem désignant le Père, le Choureq, le Verbe, et le Chireq la Lumière céleste, il s’ensuit que cette dernière hypostase procède des deux premières avec lesquelles elle ne forme qu’une. C’est pourquoi le mot ‘or est pourvu du point-voyelle Holem, point suspendu au-dessus de la lettre sans la toucher, afin de nous indiquer que, la lumière procédant du Père symbolisé par le point-voyelle Holem, ayant été inaccessible à la matière, il a fallu qu’elle procédât du Père et du Verbe. »viii

A l’image déjà évoquée du Père et de la Mère céleste, le Zohar n’hésite pas à ajouter une autre métaphore encore, celle de la ‘semence’ divine associée au point du milieu, Choureq, anthropomorphisant plus encore la notion de génération divine.

« Tel est le mystère symbolisé par les trois points-voyelles : Holem , Choureq et Chireq. Le Point du milieu constitue la semence sacrée, sans laquelle la fécondité ne serait pas possible. Ainsi, par l’union de la lumière active du côté droit avec la lumière passive du côté gauche, union qui s’opère dans la Colonne du milieu, apparaît la base du monde, qui est appelée « Tout », parce qu’elle unit toutes les lumières, celles du côté droit avec celles du côté gauche. »ix

Cette idée de « semence » divine est ré-employée à travers un autre symbolisme, celui du Jour, du Crépuscule et de la Nuit. Le Jour et la Nuit qui sont comme le Père et la Mère, et entre eux deux il y a le Crépuscule qui figure la ‘semence’ (divine), — l’union des trois formant image fort crue d’un coït transcendant, engendrant le ‘lendemain’, c’est-à-dire le Temps…

Et cette image de l’engendrement du Temps par Dieu, est elle-même une image de l’engendrement continuel de Dieu par lui-même.

« Le jour et la nuit sont l’image des lumières. Tant que la lumière domine, l’obscurité qui est passive se tient à l’écart. Mais lorsque, à la fin du jour, la lumière, affaiblie, s’unit à l’obscurité dans le crépuscule l’équilibre étant établi, la nuit prend la place du jour. C’est donc de l’union entre le jour et la nuit, dans le crépuscule qui constitue la semence, qu’est né le lendemain ; sans nuit, il n’y aurait pas de lendemain. La seule différence entre les parties du jour et les lumières célestes est celle-ci : alors que les parties du jour arrivent successivement, le crépuscule succède au jour, et la nuit au crépuscule ; les trois lumières célestes se manifestent simultanément. Mais comme il faut, pour provoquer la fécondité, que la contribution du mâle excède celle de la femelle, Élohim, qui forme la Colonne du milieu, est de la même essence que la lumière active du côté droit et la lumière passive du côté gauche, mais il participe plus de la première que de la seconde. »x

On retrouve ces mêmes métaphores basées sur le couple mâle/femelle + semence dans les interprétations des sephirot de la cabale, et notamment les trois premières, Kether, Binâ, Ḥokhmâ, à savoir la Couronne, l’Intelligence et la Sagesse, entre-liées par divers liens et processus d’engendrement.

« La Séphira Binâ ou Intelligence, ou Esprit Saint, est appelée le supérieur, et la Séphira Ḥokhmâ, ou Sagesse, ou Verbe, est appelée le inférieur.

Cette appellation de supérieur est donnée à l’Esprit Saint, et ce rôle de principe mâle lui est attribué, dans le cas spécial…

Les commentateurs Mikdasch Mélekh, ch. 96, et Aspaklaria ha-Meira, VI, reproduits par le Nitzoutzé Oroth, a.1, note 2, s’expriment de cette façon: « D’après une tradition qui nous est parvenue, le supérieur (Binâ dans ce cas) est appelé « Principe mâle » parce que c’est par lui que le Hé inférieur (Ḥokhmâ, dans ce cas), descendra de haut en bas, et le inférieur est appelé « Principe femelle » parce que le supérieur (Binâ) procède du Yod (Kether) et du inférieur (Ḥokhmâ); Kether est donc (dans le cas de la procession de Binâ) le mâle, et le inférieur la femelle. » – On peut y avoir le mystère de la manifestation du (Incarnation du Verbe): le inférieur (Ḥokhmâ) est devenu chair par l’opération du supérieur (Binâ). Et Binâ ( supérieur) procède de Kether (Yod, Père) et du inférieur (Fils, femelle, passif dans ce cas). »xi

Pour appliquer en quelque sorte ces éléments théoriques nous informant des processions qui animent le sein de la Divinité selon divers modes de conjonction, d’union, de spiration, de montée et de descente, il convient maintenant de focaliser l’analyse, avec leur aide, sur un texte biblique de première importance, celui de l’apparition de Dieu à Abraham, alors qu’il était « assis à l’entrée de sa tente » à Mamréxii.

On sait que le Dieu Un se présenta à Abraham en prenant la forme de trois « hommes ». Cette visite est d’abord une théophanie, mais elle est aussi, comme on va le voir, une « Annonciation » (idée qui sera reprise plus tard par le christianisme avec l’Annonce faite à Marie), et elle est surtout l’occasion pour Dieu de féconder immédiatement les entrailles de Sara, la femme jusqu’alors stérile d’Abraham, qui accouchera quelque temps plus tard d’Isaac.

Cet événement singulier est donc particulièrement chargé de symboles, et il est l’occasion d’un déploiement bien concret de plusieurs des « essences » divines, interagissant avec une femme et un homme, selon des modes variés.

Les trois « hommes » s’adressent à Abraham:

« Ils lui dirent: ‘Où est Sara, ta femme?’ Il répondit: ‘Elle est dans la tente’.

L’un d’eux reprit: ‘Certes, je reviendrai à toi l’an prochain et voici, un fils sera né à Sara, ton épouse.’ Or, Sara écoutait à l’entrée de la tente qui se trouvait derrière lui. »xiii

Il faut d’abord souligner ici le jeu des pronoms personnels: les trois « hommes » posent, ensemble et à l’unisson, une question à Abraham. Puis « l’un d’eux », non identifié, fait l’annonce décisive, — annonce que Sara écoute, tout en restant cachée derrière l’entrée de la tente.

On remarque surtout qu’à ce moment précis, le texte emploie une formule étrange:  וְהוּא אַחֲרָיו , ve hou aaraïou, mot à mot: « et lui, derrière lui », alors qu’on devrait s’attendre à lire, soit: « et elle, derrière lui », soit: « et lui, devant elle [Sara] » ou « lui, devant elle [la porte de la tente] ».

C’est à cette étrangeté de la lettre du texte que le Zohar s’attaque.

« Il est écrit: ‘Et Sara écoutait à l’entrée de la tente; et lui était derrière.’ Qui est-ce qui est désigné par ces mots: ‘… Et lui (ve hou) était derrière’? L’Écriture aurait dû dire: ‘… Et elle (ve hi) était derrière’ ? Mais la vérité est que l’Écriture a la signification suivante: Sara écoutait la ‘Porte de la tente’; ce qui veut dire qu’elle écoutait la voix du Saint, béni soit-il; car ‘Porte de la tente’ désigne le degré inférieur de l’essence divine; ce degré constitue la porte de la Foi. Et l’Écriture ajoute: ‘… Et lui était derrière’, ce qui veut dire que le degré supérieur de l’essence divine acquiesça. »xiv

Selon le Zohar, la Porte de la tente représente un degré « inférieur » de l’essence divine, et la Voix du Saint en représente un degré « supérieur ».

Il y avait donc entre Sara et l’homme qui avait pris la parole (la Voix du Saint), une autre essence divine, qui était la « Porte » (de la tente, — ou de la Foi).

Mais les questions se multiplient alors.

Quel était le rôle exact de cette Porte (de la Foi)? Il y avait déjà trois visiteurs, et voilà que la Porte jouait aussi sa propre partition, en s’interposant dans la relation entre la Voix du Saint et Sara (pour la faciliter en la médiatisant?).

Et à quoi le degré supérieur de l’essence divine acquiesça-t-il ?

Le Zohar reste elliptique à ce sujet. Nous ne pouvons que multiplier les conjectures.

Acquiesça-t-il avec le fait que Sara écoutât la conversation entre Abraham et les trois hommes incarnant la Chekhina, et commît de la sorte une indiscrétion?

Ou bien acquiesça-t-il avec le fait que Sara osa s’approcher (en se cachant) de la Porte de la tente, c’est-à-dire, selon le Zohar, du degré inférieur de l’essence divine?

Ou bien est-ce l’essence divine qui, dans son degré supérieur, acquiesça avec les paroles prononcées par la voix du Saint, qui représentait alors la voix du degré inférieur de l’essence divine?

De toutes ces hypothèses, il ressort que non seulement l’essence divine de degré inférieur serait distinguée de l’essence divine de degré supérieur, mais aussi que, à l’occasion, leurs paroles, idées ou volontés respectives pourraient différer les unes des autres. Sinon, quelle nécessité d’acquiescer avec soi-même?

Il y a de toutes façons une réelle ambiguïté sur l’identité de celui qui fait l’annonce de la naissance à venir. L’un des trois visiteurs prend la parole, mais le verset biblique ne le désigne que par un anonyme va yomer, ‘et il dit’…

Si le texte original reste ambigu, le Zohar n’hésite pas en revanche à le désigner indirectement, d’abord en l’identifiant à la ‘Porte de la tente’, derrière laquelle Sara se tient, et derrière l’autre côté de laquelle « Lui » aussi se tient.

« Aussi lorsque la bonne nouvelle fut annoncée à Abraham, c’était ce degré de l’essence divine appelée ‘Porte de la tente’ qui prononça ces paroles: ‘Je reviendrai chez toi’ ainsi qu’il est écritxv. Et il dit: ‘Je reviendrai chez toi dans un an.’ L’Écriture se sert du mot ‘il dit’; mais elle ne désigne pas celui qui dit, parce que ce mot désigne la ‘Porte de la tente’. C’est pourquoi l’Écriture ajoute: ‘…Et Sara écoutait’; car elle n’a jamais entendu la voix de ce degré de l’essence divine. Ainsi s’explique le sens de ce verset: ‘…Et Sara écouta la Porte de la tente’, ce qui veut dire qu’elle a réellement entendu la voix de ce degré de l’essence divine appelé ‘Porte de la tente’ qui annonça cette bonne nouvelle à Abraham en lui disant: ‘Je reviendrai chez toi dans un an. Et Sara ta femme aura un fils.’ « 

On comprend alors qu’il ne s’agissait pas seulement pour Sara d’écouter la « Porte », il fallait aussi qu’elle écoute, c’est-à-dire qu’elle ouvre sa propre porte à la « bonne nouvelle », qui n’était pas seulement une parole, mais bien un germe fécondant, une « semence » divine.

Quelle était cette propre porte de Sara?

Sa foi, bien sûr, mais aussi sa matrice.

Préfigurant, en quelque manière, l’annonce fait à Marie, comme on l’a déjà noté, la parole divine n’est pas ici seulement l’expression d’une intention potentielle, elle est l’instrument actif de sa propre réalisation.

La réalisation de quoi?

La réalisation de la fécondation du sein de Sara par le Verbe divin.

C’est là, du moins, la thèse du Zohar, particulièrement révolutionnaire, puisqu’elle revient à affirmer que la puissance divine a fécondé ici, non une vierge, comme dans le cas de Marie, mais une vieille femme, une nonagénaire, non seulement stérile, mais depuis longtemps ménopausée.

Mystère de la fécondation. Mystère plus profond encore, celui de la foi.

« Parce que le mystère de la Foi consiste dans l’union de Dieu avec une femme qu’il féconde, à l’exemple de l’union du mâle et de la femelle. C’est pourquoi Abraham a répondu: ‘Elle est dans la tente’ . Il désignait la tente dont il est parlé dans le verset précité. Abraham dit ainsi aux anges: Si c’est Dieu lui-même qui doit féconder Sara, elle se trouvera dans le même cas que pour la naissance de la ‘tente’ qui embrasse toute chose. »xvi

Et Jean de Pauly, ou plutôt de son vrai nom, Paulus Meyer, de commenter: « ‘Ce passage du Zohar doit être médité par ceux qui n’y veulent pas voir une confirmation du mystère sublime de l’Incarnation du Hé, par l’opération du Vav. »

Ceci est évidemment est une allusion directe à l’Incarnation du Christ par l’opération du Saint Esprit, mais réinterprétée selon les symboles de la Cabale juive.

Il nous faut maintenant écouter comment le Zohar théorise le fait même de la fécondation, et plus généralement l’essence de toute fécondation possible.

« Toute fécondation dans le monde doit être attribuée à la manifestation d’ ‘Eléh‘, c’est-à-dire du Verbe, qui s’est en quelque sorte, séparé de la Pensée suprême pour s’unir à ‘Iam(Mer, symbole de la matière), et former ainsi le nom d’Elohim qui signifie, d’après le Zohar (fol 17b)xvii « Dieu et Mer », (autrement dit: Dieu et matière, Homme-Dieu). Ainsi Elohim a dû se séparer en quelque sorte de la Pensée suprême pour rendre la fécondation possible ».xviii

Le Zohar (II, 173bxix, 246a) affirme aussi positivement que les âmes (nechama) sont elles-mêmes divisées en mâles et femelles, de même que l’esprit de vie (nephech), ainsi que l’esprit intellectuel, rouaḥ (cf. Zohar V, fol 85b).xx

L’idée de fécondation mettant en branle trois principes (mâle, femelle et semence) est donc absolument universelle. Elle est biologique, mais aussi théologique, théophanique et même théurgique (dans les cas analogues d’Isis et de Marie)xxi.

On trouve cette idée opératoire en Dieu lui-même, mais aussi par extension naturelle, dans les âmes, les esprits et les intelligences.

L’idée de fécondation, que l’on trouve naturellement dans la nature, se trouve donc profondément associée à l’essence même du divin.

On pourrait en déduire, avec Schellingxxii, qu’il n’y a plus d’antinomie du divin et du naturel, lorsque le sujet (en l’occurrence Sara) décide de voir (ou d’écouter) ces deux pôles comme étant identiques.

Cette idée (l’identité de Dieu et de la nature ), bien comprise, tient du miracle.

Mais en réalité, elle nous amène à penser que toute idée est aussi une sorte de miracle, dont l’origine se situe non dans pas la nature (le cerveau vu par les neurosciences), mais dans un lieu intemporel, un lieu que l’on aimerait appeler l’absolu.

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iLa doctrine de la Trinité du Dieu Un.

iiLa traduction de Jean de Pauly utilise la transcription « Jéhova » que j’ai préféré rendre par le Tétragramme francisé en ‘YHVH’.

iiiCf. Zohar, II, 201a, et III, 172b.

ivZohar, Tome I, 16a. Trad. Jean de Pauly. Maisonneuve & Larose, 1985

vLa traduction de Jean de Pauly utilise la transcription « Jéhova », mais j’ai préféré rendre ici le Tétragramme en le francisant sous la forme ‘YHVH’.

viZohar, Tome I, 16a. Trad. Jean de Pauly. Maisonneuve & Larose, 1985

viiZohar, Tome I, 16b. Trad. Jean de Pauly. Maisonneuve & Larose, 1985

viiiZohar, Tome I, 16b. Trad. Jean de Pauly. Maisonneuve & Larose, 1985

ixZohar, Tome I, 17a. Trad. Jean de Pauly. Maisonneuve & Larose, 1985

xZohar, Tome I, 17a. Trad. Jean de Pauly. Maisonneuve & Larose, 1985

xiNote 413 du tome I p. 128-129 , traduction Jean de Pauly (tome VI), à propos de Zohar 96a

xiiGen 18, 1-16

xiiiGen 18, 9-10.

xivZohar, Tome II, 103a. Trad. Jean de Pauly. Maisonneuve & Larose, 1985, p.17

xvGen 18,10

xviNote 420 du Zohar, tome II p. 137-138 , Dans le tome VI de la traduction Jean de Pauly, à propos de Zohar 101b

xviiLe mot « Élohim » est composé de « El » et « ha-ïam » ce qui signifie « Dieu » et « la mer ». Comme le mot « ha-ïam » est constitué des mêmes lettres que le mot « ïamah », l’Écriture nous indique par là que toute querelle, qui est symbolisée par la mer, vient de Dieu quand elle a pour but la gloire du ciel ; car « El » étant mêlé à « ha-ïam », on obtient « Élohim » ; mais lorsque la gloire de Dieu n’a aucune part à la querelle, « El » se détache d’ « Élohim », et il ne reste que « ïamah » qui désigne le grand océan dont l’abîme cache le Scheol, séjour des mauvais esprits. Lorsque la séparation des eaux a eu lieu, la querelle a cessé ; car, en s’interposant entre elles, Élohim leur sert de trait d’union. Les eaux d’en haut forment la partie mâle ; celles d’en bas la partie femelle. Les premières sont appelées « Élohim » ; les secondes « Adonaï », ; les premières sont symbolisées par la première lettre « Hé» du nom sacré Jéhovah, et les secondes par la seconde lettre « Hé ». Pour que l’union fût faite entre les eaux d’en-haut appelées du nom d’ « Élohim » et celles [18a] d’en bas appelées du nom d’ « Adonai », Élohim s’interposa entre les eaux mâles et les eaux femelles et s’en constitua le trait d’union. Bien que cette interposition ait eu lieu le deuxième jour de la création, la discorde ne cessa jusqu’au troisième jour. Et c’est parce que la discorde existait encore pendant le deuxième jour de la création, qu’en ce jour l’Écriture ne dit pas : « Et Dieu vit que cela était bon », comme c’est le cas pour tous les autres jours de la création. Comme ce n’était qu’au troisième jour que l’œuvre du deuxième, c’est-à-dire la cessation complète de la discorde, a été achevée, le mot « bon » n’est employé qu’au troisième jour, où, la lettre « Vav » s’étant interposée entre les deux lettres « Hé » du nom sacré de Jéhovah, l’union du nom sacré et gravé est devenue parfaite. »

xviiiZohar. Traduct. Jean de Pauly, tome VI, Ed. Maisonneuve et Larose, 1985, Notes du Tome I, p.73

xix[173 b] De même qu’un esprit ne peut se mêler à un autre esprit, I’esprit impur ne peut s’harmoniser avec l’esprit saint. La nuit est divisée en trois veilles, auxquelles correspondent les trois légions d’anges louant Dieu tour à tour. D’après une autre interprétation, l’homme est composé du monde d’en haut et du monde d’en bas; et c’est pourquoi il renferme à la fois le (un) principe mâle et femelle. L’esprit est aussi composé du (d’un) principe mâle et du (d’un) principe femelle. Voilà pour quoi l’homme est gravé en haut conforme à son corps; car le corps de l’homme correspond à son esprit.

xxDans la Note 356 du tome I p. 116 de l’édition de Pauly (tome VI) à propos de Z 83a, on lit que le Zohar (fol. 62a) distingue entre Nephech, qui désigne l’esprit vital, et Rouaḥ, qui désigne l’esprit intellectuel, et enfin Nechama, qui désigne l’âme proprement dite, ou l’esprit moral. Tous les hommes sont pourvus de Nephech, la plupart de Rouaḥ, et les justes seulement de Nechama. Dès que ces trois essences sont unies ensemble, elles ne forment qu’un tout.

xxiLe Professeur M. Buydens (ULB), que je remercie ici, m’a fait remarquer la profonde analogie entre les personnages d’Isis, de Sara et de Marie, qui toutes trois conçoivent par l’intervention du Dieu, en quelque sorte par « wifi ».

xxii« L’antinomie du divin et du naturel, qui se reproduit partout, ne s’efface que par la résolution du sujet de concevoir les deux termes comme identiques, bien que cette identité soit incompréhensible. Une telle unité subjective, c’est ce qu’exprime l’idée du miracle. L’origine de chaque idée est, d’après cette manière de voir, un miracle, puisqu’elle naît dans le temps, sans avoir de rapport avec lui. Aucune idée ne peut naître d’une manière temporelle; elle est l’absolu, c’est-à-dire Dieu même qui se manifeste. (…) Là où le divin ne vit pas sous une forme permanente, mais dans de fugitives apparences, il a besoin de moyens qui le fixent et l’immortalisent par la tradition. » F.W.J. von Schelling. Écrits philosophiques. Leçons sur la méthode des études académiques. Huitième Leçon. Sur la construction historique du christianisme. Traduit de l’allemand par Ch. Bénard. Ed Joubert et Ladrange, Paris, 1847, p. 128