
Il n’est pas besoin d’être prophète pour sentir qu’on a aujourd’hui, plus que jamais peut-être, besoin de nouveaux prophètes, non du genre de Jérémie ou d’Isaïe, mais d’un calibre équivalent ou même supérieur… Car la tâche est immense, les défis auxquels l’humanité est confrontée sont colossaux et le temps compté.
En 1950, Wolfgang Pauli a prédit que la réalité serait bientôt comprise comme étant à la fois mentale et physique, dans le cadre de ce qu’il appelait la « science future »…
« Mon opinion personnelle est que dans une science du futur la réalité ne sera ni ‘mentale’ ni ‘physique’ mais en quelque sorte les deux à la fois, et en quelque sorte ni l’une ni l’autre… Aujourd’hui, la (micro-)physique et la psychologie (de l’inconscient) s’occupent toutes deux d’une réalité invisible (ou ‘posent’ l’existence d’une telle réalité, comme disent les philosophes). En conséquence, on doit ‘se préparer’ (dans le style-du-vieux-Bohr) à trouver des propriétés différentes de celles du monde macroscopique. »i
Nul besoin de rappeler l’importance de Wolfgang Pauli dans l’élaboration de la physique quantique. La question est plutôt d’évaluer son apport spécifique par rapport à d’autres géants de la physique du 20ème siècle, tels Niels Bohr, Werner Heisenberg, ou Albert Einstein.
A propos d’Einstein justement, Pauli écrit à Max Born, avec une once de réelle immodestie :
« Je n’oublierai jamais son discours à mon propos, qu’il donna en 1945 à Princeton, peu après que j’eus reçu le Prix Nobel. C’était comme l’abdication d’un roi, m’installant à sa place comme une sorte de fils électif, comme son successeur. » ii
Pauli n’était pas certes modeste. Mais on ne peut nier qu’il a apporté des points de vue radicalement nouveaux sur la notion même de réalité. Et il a su le faire, après les révélations fracassantes, et assez mal digérées, de la physique quantique dans les années 1920.
Parmi ses contributions les plus significatives, à cet égard et dans la perspective d’une ouverture réellement transdisciplinaire de la pensée, furent ses échanges épistolaires avec Carl-Gustav Jung entre 1932 et 1958 (l’année de la mort prématurée de Pauli à 58 ans).
Dans une de ses lettres à Jung, Pauli file la métaphore de la radio-activité pour la comparer à l’idée de « synchronicité », laquelle avait été avancée par Jung pour rendre compte d’un phénomène psychique relativement commun mais totalement inexplicable par le biais de la science classique.
L’idée de « synchronicité » est l’une des découvertes les plus étonnantes de Jung, et l’une des plus riches de promesses futures. La notion de « synchronicité » est fondamentalement liée à d’autres concepts centraux de la pensée de Jung, comme ceux d’« inconscient collectif » et d’« archétype ».
Comme en une sorte d’intuition de ce qu’il attendait de la « science future » et de ses capacités à connecter la physique et la psychologie, Pauli écrit:
« 1. De même qu’en physique, une substance radioactive « contamine » radio-activement un laboratoire entier, de même le phénomène de synchronicité semble avoir la tendance de se développer dans la conscience de plusieurs personnes.
2. Le phénomène physique de radioactivité consiste dans la transition d’un état initial, instable, du noyau atomique d’une substance active vers un état final, stable (en une ou plusieurs étapes). Au cours de ce processus, la radioactivité finit par s’arrêter. De façon similaire, le phénomène de synchronicité, sur un fondement archétypal, accompagne la transition d’un état instable de conscience vers une nouvelle position, stable, en équilibre avec l’inconscient, une position dans laquelle le phénomène de synchronicité subliminal disparaît à nouveau.
3. Encore une fois, la difficulté pour moi ici est le concept de temps. En termes physiques, il est connu que le montant actuel de substance radioactive (qui peut être mesuré en le pesant) peut être utilisé comme une horloge, ou plutôt c’est son logarithme qui le peut. En un intervalle de temps défini (suffisamment petit) c’est toujours le même pourcentage d’atomes existants qui se désintègrent, et deux intervalles de temps peuvent être définis comme identiques, quand le même pourcentage d’atomes se désintègrent pendant ce temps. Mais c’est là où le caractère statistique des lois de la nature entre en jeu. Il y a toujours des fluctuations irrégulières autour de ce résultat moyen (…) l’horloge radioactive est un phénomène collectif typique. Une quantité de substance radioactive de quelques atomes (disons 10) ne peut être utilisée comme horloge. Les moments où les atomes individuels se désintègrent ne sont aucunement déterminés par les lois de la nature, et dans la théorie moderne, ils n’existent pas en fait indépendamment de leur observation dans des expériences appropriées. L’observation (dans ce cas le niveau d’énergie) de l’atome individuel le libère de la connexion de situation (c’est-à-dire de la connexion de signification) avec les autres atomes, et le relie à la place (en signification) à l’observateur et à sa propre temporalité.
Ceci conduit à l’analogie suivante avec le phénomène de synchronicité, sur une base archétypale : Le cas où l’on n’a pas déterminé si l’atome individuel d’une horloge radioactive est dans son état initial ou final dans la décroissance radioactive correspond à la connexion de l’individu avec l’inconscient collectif à travers un contenu archétypal dont il est inconscient. L’établissement de l’état de conscience de l’individu, qui émerge de cet inconscient collectif et qui fait alors disparaître le phénomène de synchronicité, correspond à la détermination du niveau d’énergie de l’atome individuel au moyen d’une expérience spécifique. »iii
Selon Jung, le phénomène de synchronicité non seulement témoigne de l’existence bien réelle de l’inconscient collectif mais il en est l’une des manifestations les plus troublantes du point de vue des modes de pensée « classiques ».
Mais ce phénomène n’est encore qu’une « découverte ». Elle reste à être expliquée, et plus encore il faudra tenter de la mettre au service de la recherche future, pour éclairer certains des mystères les plus profonds de la conscience humaine dans ses rapports avec l’univers non-humain…
Pauli a apporté sa propre pierre à cette construction en devenir en filant une métaphore appartenant au monde quantique, domaine dans lequel il était un pionnier et un visionnaire.
Il propose une comparaison presque terme à terme entre, d’une part, la synchronicité et la conscience individuelle et, d’autre part, les superpositions d’états quantiques et l’effondrement de la fonction d’ondes…
La détermination de l’état quantique d’un atome individuel (l’effondrement de la fonction d’ondes) correspond analogiquement, selon Pauli, à l’émergence de la conscience individuelle, lorsqu’elle perd alors, en quelque sorte, sa synchronicité fondamentale (et immémoriale) avec l’inconscient collectif.
Dans son domaine, la physique quantique, Pauli était une sorte d’Élie. Il était un « veilleur », comme l’amandier de Jérémieiv.
Ce que Pauli présentait seulement comme une « analogie » était surtout l’annonce prophétique de l’ouverture d’un immense chantier de recherche, celui des liens entre la théorie quantique et la conscience.
Ce champ de recherches futures est actuellement plus fécond de questions que de réponses.
Mais il est profondément riche de promesses, et toute avancée effective en ces matières révolutionnera le monde, et le rôle que le genre Homo pourra y jouer…
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iLettre de Wolfgang Pauli à Abraham Pais du 17 août 1950 (Meyenn, 1996, p. 152f).
ii Lettre de Pauli à Max Born, 25 Avril 1955. Correspondance scientifique de Pauli en six volumes in K. v. Meyenn, ed. Wolfgang Pauli, Wissenschaftlicher Briefwechsel, Springer-Verlag, New York (1979–2000).
iiiC.G. Jung and Wolfgang Pauli. Atom and Archetype. The Pauli/Jung Letters 1932-1958. Edited by C.A. Meier. Princeton Univerity Press, 2001, p.41 (Ma traduction).
ivJr 1, 11-12
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