Sôma


Contrairement à la religion de l’Ancien Empire égyptien avec ses monuments et ses tombes, la religion du Véda n’a laissé aucune trace matérielle. Seule sa liturgie garde sa mémoire, conservée oralement pendant des millénaires.

La cérémonie védique est une liturgie du chant, de l’hymne et du cri. Il y a aussi le Feu et le Sôma. Le chant, le cri et l’hymne sont voix, voies. Le Feu et le Sôma donnent chaleur, lumière, souffle. Le Ṛg Veda en parle ainsi: « Par le Chant, Il crée le Cri, à ses côtés ; par le Cri, l’Hymne ; et par les trois invocations, la Parole. »i

Qui est cet « Il », qui « crée le Cri »?

L’un de ses noms est Agni. Agni est le Feu, qui allume, éclaire, enflamme, consume le Sôma. Le Feu s’embrase, crépite, gronde, et « crie » à sa manière, au milieu du cercle des sacrificateurs, qui chantent, crient et psalmodient.

Le Feu « chante » en s’embrasant, il « crie » en crépitant, il « parle » en grondant, – avec le Sôma. Le Feu s’en nourrit, il en tire puissance, lumière et force.

Le Sôma accomplit sa nature grâce au Feu.

Qu’est-ce que ce Sôma ? Il est composé d’eau, d’une sorte d’huile (issue du beurre clarifié) et d’un jus fermenté, enivrant – et doté de propriétés psychotropes. Il pouvait être produit à partir du Cannabis sativa, du Sarcostema viminalis, de l’Asclepias acida ou de l’Ephedra.

Cette union de substances est hautement symbolique.

L’eau vient du ciel ; l’huile vient du lait des vaches, qui sont nourries d’herbes poussant grâce à l’eau et au soleil ; le Cannabis sativa vient aussi de la terre et du soleil, et contient un principe actif qui crée des « soleils » et du « feu » dans les esprits.

Le Sôma, liquide, peut couler sur l’autel. Par sa graisse et son huile, il peut s’enflammer. Par ses principes actifs, il peut atteindre l’esprit des hommes, et les élever au-delà de toute compréhension.

La cérémonie est un microcosme. Elle n’est pas confinée à la scène du sacrifice. Les éléments nécessaires viennent des confins de l’univers. Et ses prolongements possibles, après la consommation du sacrifice, vont au-delà des mondes.

Trois cycles de transformations sont à l’œuvre, trois temps sont en jeu.

Un cycle long, cosmique, part du soleil et du ciel, et résulte en eau, en huile et en liqueur, formant le Sôma.

Le cycle court commence avec le feu nouveau, dont la première étincelle est produite par le « prêtre allumeur » au moyen de deux baguettes (l’une en bois d’acacias, l’autre en bois de figuier). Une baguette (appelée arsani) est en forme de flèche, et l’autre offre une fente pour la recevoir, le yoni. Le cycle court implique aussi la fabrication du Sôma « frais ». On élabore l’huile à partir du lait et du beurre clarifié. On écrase des feuilles de Cannabis dans le mortier à l’aide du pilon de pierre. Et il faut le temps de maturation, de fermentation.

Un troisième cycle, plus court encore, comprend le chant, le cri et la prière, ainsi que la consommation du Sôma par les sacrificateurs, avec ses effets psychiques.

Trois cycles de métamorphoses, entremêlés. Trois feux « crient » : le feu du soleil à l’origine, le feu du sacrifice ici et maintenant, et le feu de l’esprit, avec ses projections futures.

Tout, dans le sacrifice, est symbole et métaphore, et ce Tout vise l’unité, dans la contemplation de l’Un.

Le Tout, — la nature, la parole et l’esprit, s’unit à l’Un.

i « Gayatrena prati mimîte arkan ; arkeṇa sâma ; traiṡṭubhena vakam! » Ṛg Veda I, 164, 24

Wriggling Fry


In a short, strange, visionary book, « Bible of Mankind », Jules Michelet wrote in 1864 about the future of religions, considered as a whole. His angle? The comparison, in this respect, between East and West.

« My book is born in the sunlight among the sons of light, the Aryas, Indians, Persians and Greeks”, says Michelet.

Goodbye fogs, goodbye dark clouds. The light! The light!

It’s all about returning to the dawn of the world, which is perhaps best celebrated in the Vedas. It is about evoking a « Bible of light », not a Bible of words.

For Michelet, who was stuck in a colonialist and imperialist century, it was above all a question of escaping as far as possible from the conceptual prison of stifling ideas, of escaping from too many conventional clichés.

« Everything is narrow in the West. Greece is small: I’m suffocating. Judea is dry: I am panting. Let me look a little at the side of high Asia, towards the deep East.”

Michelet, panting!

He was, though, a man who had a lot of breath. But no more. His ode to light came from an asthma of the soul.

One hundred and fifty years after Michelet, his naive cry is still moving. His panting signals a deep shortness of breath, for our entire era.

One hundred and fifty years after Michelet, we too are panting. We too are suffocating.

We would like to breathe. To fill our retinas with light.

But where are the sea winds? Where are the promised dawns?

The West is today, much more than yesterday, in crisis. But the East is probably not much better off. We are more or less persuaded of the absence of an enlightened horizon west of Eden. But one does not believe either in the supposed depths of Asia.

One may only be sure of the thinness of the earth’s crust, under which a sun of lava roars.

Everything is narrow in this world. The planet is too small. And we are all suffocating. The West? The East? Eurasia? Old-fashioned clichés. Simple and false slogans.

Where are the thinkers ? Where are the prophets?

We are suffocating. The breathing of the people is wheezy, hoarse, corseted… Everything is dry, cracked, dusty.

Water is lacking, air is scarce.

No depths in the crowded pools, where the crocodiles kindly bite themselves, while the fry wriggle.