Il y a certains sujets sur lesquels il vaut mieux se taire. Quoi que nous puissions dire, on risque l’approximation, l’erreur, la provocation, l’offense, – ou, plus rarement, le sourire silencieux des sages, s’il en existe.
Le psalmiste dit, s’adressant à Elohim: לְךָ דֻמִיָּה תְהִלָּה lekha doumiâ tehilâ. « Pour toi le silence est la louange »i.
Pour penser, il faut rester coi: « Pensez dans votre cœur, sur votre couche faites silence. »ii
L’on doit garder le silence, mais il est quand même licite d’écrire à propos des plus hauts mystères divins. L’écriture est alors compas, cap, mâture et voile. Un vent d’inspiration viendra. Du moins cela semble être l’opinion de Maïmonide.
Ce philosophe n’a pas hésité à affronter, par écrit, l’océan des mystères. Il a même tenté de définir l’essence de la vraie sagesse, et par là-même celle de Dieu.
« Le mot ‘Hokhma, dans la langue hébraïque, s’emploie dans quatre sens. »iii écrit-il.
Il se dit de la compréhension des vérités philosophiques qui ont pour but la perception de Dieu. Il peut se dire aussi de la possession d’un art ou d’une industrie quelconque. Il s’applique à l’acquisition des vertus morales. Il s’emploie enfin dans le sens de finesse et ruse.
Vaste spectre de sens possibles, donc.
« Il se peut que le mot ‘Hokhma, dans la langue hébraïque, ait (primitivement) le sens de « finesse » et d’« application de la pensée », de manière que cette finesse ou cette sagacité auront pour objet tantôt l’acquisition de qualités intellectuelles, tantôt celle de qualités morales, tantôt celle d’un art pratique, tantôt les malices et méchancetés. »iv
Qui peut être dit « sage » alors ?
« Celui qui est instruit dans la Loi entière, et qui en connaît le vrai sens, est appelé ‘hakham à deux points de vue, parce qu’elle embrasse à la fois les qualités intellectuelles et les qualités morales. »
Maïmonide s’appuie ensuite sur Aristotev et les philosophes anciens pour définir « quatre espèces de perfections ».
La première espèce est particulièrement prisée par la plupart des hommes mais n’a que peu de valeur. C’est la possession matérielle. Dut-on posséder des montagnes d’or et d’argent, elles n’offrent qu’une jouissance passagère, et au fond imaginaire.
La seconde, c’est la perfection du corps, la constitution physique, la beauté, la santé. Cela certes n’est pas rien, mais a peu d’impact sur la santé de l’âme même.
La troisième espèce de perfection consiste dans les qualités morales. C’est un avantage certain du point de vue de l’essence de l’âme. Mais les qualités morales ne sont pas une fin en soi. Elles servent seulement de préparation à quelque autre fin, bien supérieure.
La quatrième espèce de perfection est la véritable perfection humaine. Elle consiste à pouvoir concevoir des idées sur les grandes questions métaphysiques. C’est là la véritable fin de l’homme. « C’est par elle qu’il obtient l’immortalité », dit Maïmonidevi.
Jérémie s’était aussi exprimé sur ce sujet, dans son style propre : « Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse, que le fort ne se glorifie pas de sa force, que le riche ne se glorifie pas de ses richesses ; mais qui veut se glorifier, qu’il trouve sa gloire en ceci : avoir de l’intelligence et me connaître, car je suis Yahvé. »vii
La sagesse c’est la connaissance de l’Éternel.
Mais encore ? Comment connaître son essence?
Jérémie a la réponse:
« Je suis Yahvé, qui exerce la bonté, le droit et la justice sur la terre. Oui, c’est en cela que je me complais, oracle de Yahvé ! »viii
L’essence de Dieu se connaît par ses actions, qu’il faut prendre pour modèle. Il y en a trois, fondamentales : חֶסֶד , ‘hesed‘ (la bonté), מִשְׁפָּט , ‘michpat‘ (le droit), et צְדָקָה , ‘tsedaka‘ (la justice).
Et Maïmonide de commenter : « Il [Jérémie] ajoute ensuite une autre idée essentielle, en disant ‘sur la terre’, et cette idée est le pilier de la religion »ix.
Comme cette idée de Jérémie vient tout à la fin du Guide des égarés, on peut sans doute affirmer qu’elle en est la conclusion.
i Ps. 65,2
ii Ps. 4,5
iiiMaïmonide.Le Guide des égarés. 3ème partie. §54, p.629. Ed. Verdier. 1979.
ivIbid. p.630
vL’Éthique à Nicomaque. 1,8 et sq.
viMaïmonide.Le Guide des égarés. 3ème partie. §54, p.633. Ed. Verdier. 1979.
vii Jér. 9, 22-23
viiiJér. 9,23
ixMaïmonide.Le Guide des égarés. 3ème partie. §54, p.635. Ed. Verdier. 1979