L’Esprit souffle sur les ténèbres


 

Mille ans avant Abraham, et douze ou quinze siècles avant les rédacteurs de la Genèse, Sanchoniaton s’écria : « L’Esprit souffle sur les ténèbres ».

Les Phéniciens, peuple concret, marchand et voyageur, ont inventé l’alphabet, mais ils n’ont laissé presque aucune trace écrite. Le seul monument écrit qu’ils aient légué est un fragment attribué à Sanchoniaton, prêtre de Tyr, selon Philon de Byblos. Sanchoniaton a vécu avant la guerre de Troie, plus de 2000 ans avant J.-C.

Le nom Sanchoniaton, selon Ernest Renan, vient du mot grec Σαγχων, « qui habite ». En copte ancien Koniath signifie « demeure sainte », ou « endroit où sont déposés les archives ». Sanchoniaton signifierait donc « celui qui habite avec le collège saint », ou encore « l’archiviste »…

Le fragment de Sanchoniaton est précieux, parce qu’il est l’un des rares témoignages qui nous restent d’une époque fabuleuse, où des esprits ont pu converger, malgré de rudes différences de culture et de langue, autour d’idées fortes.

En ces temps-là, le Véda, l’Avesta, la Genèse, les théogonies d’Hésiode et celle de Sanchoniaton pouvaient apparaître comme des phases différentes et complémentaires d’une même histoire, et non comme des revendications séparées de peuples recherchant pour eux-mêmes une prééminence originaire.

Le « feu sacré » était révéré chez les Égyptiens, les Grecs, les Hébreux, les Perses.  L’idée du Dieu Unique était présente chez les Hébreux, mais aussi dans la religion orphique, dans le mazdéisme, dans la religion de la magie chaldaïque, et plus originairement, avait été célébrée dans le Veda et dans le Zend Avesta, plus d’un millénaire avant qu’Abraham ait quitté Ur.

Selon les recherches les plus récentes sur le terrain archéologique, le monothéisme ne se serait installé en Israël que vers la fin de la période monarchique, au 8ème siècle av. J.-C.

Chez Homère, qui vivait au 8ème siècle av. J.-C., plus de mille ans après Sanchoniaton, on retrouve des réminiscences de l’intuition universaliste du prêtre de Tyr. Les dieux abondent dans l’œuvre homérique, mais leur pluralité n’est qu’une apparence. Ce qu’il faut surtout comprendre, c’est que le Ciel et la Terre sont liés, et reliés. L’humain et le divin se confondent. Les hommes sont des descendants des dieux, et les héros sont faits de leur étoffe.

Il y a d’autres traces de la mémoire longue de cette région du monde. Sous Ptolémée Philadelphe, Manéthou, un prêtre de Sébennytus, a compilé l’histoire des trente et une dynasties égyptiennes, de Ménès à Alexandre, et fait remonter leur origine à 3630 av. J.-C. Champollion, d’après les indications recueillies dans les tombes de Thèbes, fait remonter à l’année 3285 av. J.-C. l’institution du calendrier égyptien de 365 jours. On peut estimer que les connaissances astronomiques de cette antique époque étaient donc déjà fort supérieures à celles des peuples nomades qui comptaient encore par mois lunaires.

Le phénicien de Tyr, Sanchoniaton, vivait il y a quatre mille ans. Il a laissé en héritage, pour les siècles, un fragment décalé, renversant par avance quelques idées reçues, à propos du dieu Thôt, qui sera identifié bien plus tard à Hermès, Mercure, Idrîs et Henoch. Sanchoniaton l’appelle pour sa part Taut, et livre cette description succincte: « Taut excite au combat les Elohim, compagnons de El, en leur chantant des hymnes guerriers. »

Sanchoniaton affirme aussi que Taut était fils de Misor, autrement dit Misr ou Misraïm, terme qui dénommait les colonies égyptiennes de la Mer noire, dont la principale fut Colchis.

Moreau de Jonnès explique que Taut (ou Thôt) a reçu le nom de Mercure, Her-Koure, le Seigneur des Koures. « Ce nom dérive de Kour, le soleil. Les Courètes et les Coraïxites habitaient la Colchide. Le fleuve Kour, Dioscurias, le Gouriel rappellent cette dénomination générique. Her-Koure fut le Dieu des trafiquants et des navigateurs (emblème du poisson), ancêtres des phéniciens. Les Corybantes (Kouronbant) étaient selon Strabon originaires de la Colchide. »

En la Colchide, située sur la côte de la mer Noire, aujourd’hui appelée Abkhazie, et arrachée depuis peu à la Géorgie, fleurissent aujourd’hui les magnifiques villas des oligarques russes et des silovniki du FSB…

Eusèbe de Césarée rapporte que le début du Sanchoniaton a été traduit ainsi par Philon: « Il y avait au commencement du monde un air ténébreux et l’Esprit – ou le Souffle – ténébreux, et il y avait le Chaos troublé et plongé dans la nuit. »

Ces mots écrits mille ans avant Abraham évoquent étrangement les premiers versets de la Genèse.

Qu’est-ce que le prêtre de Tyr dit? L’Esprit souffle sur les ténèbres, depuis le commencement du monde. Il s’oppose au Chaos et à la Nuit. Il est Lumière.

C’est plutôt une bonne nouvelle, en ces temps troublés.

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