Jules Michelet a écrit en 1864 un livre court, étrange et, somme toute, visionnaire.
Son titre ? « Bible de l’humanité ».
Son sujet ? L’avenir des religions, considérées dans leur ensemble.
Son angle d’attaque? La comparaison, sous ce rapport, entre Orient et Occident, matière notoirement délicate.
« Mon livre naît en plein soleil chez les fils de la lumière, les Aryas, Indiens, Perses et Grecs. » affirme Michelet. Adieu brouillards, au revoir sombres nuées. La lumière, la lumière.
Il s’agit de revenir à l’aube du monde, qui est peut-être le mieux célébrée dans les Védas. Il s’agit d’évoquer une « Bible de lumière », non une Bible de verbe.
Avec tous les risques de mal-entendre ce que l’on croit voir, trop naturellement.
Il s’agit surtout, pour Michelet, corseté dans un siècle colonialiste et impérialiste, de sortir autant que possible de la prison conceptuelle d’idées étouffantes, il s’agit de fuir de trop convenus clichés.
« Tout est étroit dans l’Occident. La Grèce est petite : j’étouffe. La Judée est sèche : je halète. Laissez-moi un peu regarder du côté de la haute Asie, vers le profond Orient. »
Michelet halète !
C’est un homme qui a pourtant du souffle. L’on peut comprendre que son ode à la lumière vient d’une sorte d’asthme de l’âme.
Cent cinquante ans après Michelet, son cri naïf m’émeut, et je crois que ce halètement signale un possible souffle court, qui vaut pour toute l’époque, je pense, aggravé d’un facteur ou deux.
Cent cinquante ans après Michelet, on voudrait dire à notre tour: « Moi aussi je halète. Moi aussi j’étouffe. »
On voudrait ouvrir la poitrine aux souffles. S’emplir les rétines de lumière. Mais où sont les vents du large ? Où est l’aube ?
L’Occident est aujourd’hui, bien plus que hier, en crise. Mais l’Orient n’est sans doute guère mieux loti. On est à peu près persuadé de l’absence d’horizon à l’ouest d’Éden. Mais on ne croit certes non plus à la profondeur supposée de la haute Asie. On est seulement sûr de la minceur de la croûte terrestre, sous laquelle gronde un soleil de lave.
J’aimerais dire aujourd’hui à mon tour :
Tout est étroit dans ce monde. La planète est trop petite : j’étouffe. L’Occident ? L’Orient ? L’Eurasie ? Des idées démodées. Des slogans simples et faux.
Les penseurs du présent me pèsent : je suffoque. La haute respiration des peuples paraît encore trop sifflante, rauque, corsetée… Tout est sec, tout est crevassé, tout est en poussière.
L’eau manque, l’air est rare.
Rien n’est jamais profond dans les marigots encombrés, où se mordent aimablement les crocodiles, pendant que le fretin frétille.