La Mort de la Mort


« John Donne »

Dans ses Poèmes saturniens, Verlaine chante la mort de Philippe II avec des rimes dures, bistres, ironiques et sincères.

Voici le moment final:

« Puis le râle des morts hurla dans la poitrine

De l’auguste malade avec des sursauts fous:

Tel l’ouragan passe à travers une ruine.

Et puis, plus rien; et puis, sortant par mille trous,

Ainsi que des serpents frileux de leur repaire,

Sur le corps froid les vers se mêlèrent aux poux.

— Philippe Deux était à la droite du Père. »

____

Innombrables les Poètes ayant chatouillé la Mort de leurs plumes indiscrètes.

Parmi les mieux doués, Donne.

Railleur, Donne provoque la Mort. Il veut l’humilier, l’écraser, et enfin l’annihileri. Il renverse les rôles absolument. C’est lui qui tient la faux désormais. En quelques phrases drues, il fauche la mort et la guerre, le poison et la maladie. La mort n’est plus qu’une esclave soumise au destin et au hasard, au pouvoir et au désespoir ; elle est enchaînée, et il y aura désormais de bien meilleurs sommeils qu’elle, opiacés ou rêveurs.

Au moment où la mort, la « pauvre mort », croit avoir vaincu, un court sommeil seulement nous sépare de l’éternité. Pirouette métaphysique. Grand saut de l’ange au nez du néant.

Le dernier vers du Sonnet de Donne, « And death shall be no more ; death, thou shalt die. », fait penser au mot de Paul: « Ô Mort, où est ta victoire ? »ii.

La formule de Paul évoque elle-même celle du prophète Osée quand il prononça des imprécations contre Ephraïm et les idolâtres de Juda:

« Et je les libérerais du pouvoir du Shéol ? Et je les délivrerais de la mort ? O mort, où est ta peste? Shéol, où est ta destruction? »iii

Il y a quand même une nuance importante entre Paul et Osée. Osée appelait la mort et la puissance du Shéol sur des hommes coupables. Paul annonce l’anéantissement de la mort même.

En cela Paul n’innove pas. Il renvoie à Isaïe, qui fameusement dit:

« Yahvé a fait disparaître la mort à jamais. »iv

Isaïe, Paul, Donne, Verlaine, à travers les siècles, partagent l’idée. La mort doit mourir un jour. Ils en sont sûrs : la mort mourra.

Qui a mieux à dire en la matière que le prophète, l’apôtre, le poète?

Les neurosciences?

___________

i

Death be not proud, though some have called thee

Mighty and dreadfull ; for, thou art not soe,

For, those, whom thou think’st, thou dost overthrow,

Die not, poore death, nor yet canst thou kill mee.

From rest and sleepe, which but thy pictures bee,

Much pleasure, then from thee, much more must flow,

And soonest our best men with thee doe go,

Rest of their bones, and soules deliverie.

Thou art slave to Fate, Chance, kings, and desperate men,

And dost with poyson, warre, and sickness dwell,

And poppie, or charmes can make us sleep as well,

And better then thy stroake ; why swell’st thou then ?

One short sleepe past, wee wake eternally,

And death shall be no more ; death, thou shalt die.

(John Donne, Sonnet X)

ii 1 Cor. 15.55

iii Os. 13,14

iv Is. 25,8

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