Dans une mer bourrée de débris, lançons les dés.
Pour voir les possibles.
Le ciel est sale, seul.
Visons l’invisible, l’invisable.
Le glacial et le grisou, mêlés.
Le désespoir, la dévastation, les sabords en feu.
Les idées s’enfuient vers le haut, tombent au fond de la mer obstruée.
Le ciel n’a nulle part où poser la tête.
Rétréci, il attire la fumée et le désir.
Intermittent, il cache sa foudre.
Il se tait, quoique.
De la barque, une rame dans la mer.
Dans la nuit, un éclat ténu.
Une jade glauque, des scintillements intimes.
Au loin vers le large, le grand, je vois Michaux, il est penché, et il navigue.
Je n’ose lui faire signe, il est très occupé.
« Sur une étrave fendant une mer sans flot
un être debout penché sur l’avant
passent obliquement d’autres étraves
leur occupant pareillement penché
Pas de ports. Ports inconnus
Quelques signes parfois d’étrave à étrave
qui alors se rapprochent »i
Vient le moment de la bifurcation, le choix des caps.
D’assez proches éclaboussures signalent l’urgence.
Il faut changer les signes.
Rien n’indique les diagonales, les échelles, les gouffres.
Pas d’estime possible.
Les ports sont pleins d’inconnues.
Sans doute, ils n’existent pas.
Dans une langue humble, réaliste, il n’y a pas de place pour des mots
comme « port » ou « mort ».
Les rimes riches remplacent les idées pauvres.
Le mot « vie » mieux que rime, rame, avec « va ! ».
iHenri Michaux. Déplacements, dégagements. Paris, Gallimard, « Beaux Papiers », 1985.