Dieu a dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance » (Gen. 1.26). A quoi ces mots se réfèrent-t-ils exactement ? Qu’est-ce que cette « image » ? De quelle « ressemblance » s’agit-il?
Des tonnes d’encres ont déjà coulé à ce propos. Pour tenter de trouver un peu de nouveau, l’étymologie peut nous aider quelque peu.
L’hébreu comporte une bonne douzaine de termes qui expriment ou connotent l’idée d’image. Mais dans ce verset de la Genèse, c’est le mot tsêlêm (צֶלֶם) qui est utilisé. Il a pour premier sens : « ombre, ténèbres ». Dans son sens figuré, il signifie aussi « image, figure, idole ».
Quand à l’idée de « ressemblance », elle s’exprime ici, en hébreu, par le mot demouth (דְמוּת), « ressemblance, image ». La racine de ce mot vient du verbe damah (דָּמָה), « ressembler, être semblable ».
De cette même racine dérive le mot dam (דָּם), qui signifie« sang », mais aussi « meurtre, crime ». Un autre sens, dérivé, est « ressemblance », — sans doute parce que des personnes de même sang peuvent arborer des traits semblables?
Il y a également plusieurs autres mots, assez proches de damah, et qui valent la peine qu’on les mentionne ici, pour leur potentiel d’évocation.
Il y a le mot דֻּמָּה , dummah, « destruction », le mot דְּמִי, démi, « destruction, anéantissement », le mot דֳּמִּי, dami, « silence, repos », le mot דָּמַע, dama’, « répandre des larmes ».
On trouve aussi le mot dimyon, qui veut dire « démon », et qui semble très proche du grec daimon (δαίμων). Est-ce un hasard? Peut-être que ce sont les Hébreux qui ont emprunté le mot daimon aux Grecs, le transformant en dimyon? Ou bien est-ce l’inverse? Je ne sais. Mais il est avéré que daimon a été employé par Homère pour signifier « puissance divine ». Ce n’est que très tardivement, à l’époque chrétienne, que ce mot servit pour désigner des puissances maléfiques, démoniaques.
Le mot daimon vient du verbe daiomai, « partager, diviser ». Son sens initial, tiré de ce verbe, est « puissance qui attribue », d’où « divinité, destin ».
Selon Chantraine, on peut utilement comparer le même glissement de sens avec le vieux perse baga et le sanskrit bogu, « dieu », qui donnent en avestique baga-, « part, destin » et en sanskrit, bhaga, « part, destin, maître ».
Muni de toutes ces résonances, on pourrait tenter de traduire autrement le verset 1,26 de la Genèse, avec le goût des dérives, du mystère et des origines.
Voici trois improbables traductions :
1. « Créons l’homme idole et démon ».
2. « Faisons l’homme dans notre ombre, selon notre sang. »
Ou bien encore:
3. Faisons l’homme de notre nuit, de nos larmes.
Quelle serait alors cette ombre, ou cette nuit ? Quel serait ce sang? Ces larmes ?