Le nom « homme » ne va pas de soi. Ni le mot « droit » d’ailleurs.
Petit retour à une enfance des langues anciennes.
Dans la langue ombrienne, le nom d’ « homme » se disait de deux manières (ner-, veiro-) suivant la place occupée dans la société, le rôle social joué par la personne qu’il fallait nommer. G. Dumézili indique que cela concorde « entièrement » avec les deux noms d’« homme » que l’on trouve chez les anciens Indiens et les anciens Iraniens ( nar-, vīrā–). A Rome même, on retrouve les traces de ces anciens noms dans le contexte du vocabulaire utilisé à propos de Mars (Nerio) et de Quirinus (Quirites, Viriles).
La circulation des sens entre le latin, l’avestique et le védique se révèle en pleine lumière à propos de trois concepts centraux : le droit, la foi, la divination.
Soit, en latin : iūs, credo, augur.
Dans la langue védique, cela donne : yōḥ, ṡṛad-dhā, ōjas.
La similarité est frappante.
En avestique (l’ancien iranien) on trouve pour les deux premiers termes : yaoš et zraz-dā.
Dumézil affirme que iūs est une contraction de *ioves- et que ce mot renvoie étymologiquement au yōḥ védique et au yaoš avestique.
Voyons de plus près les variations de sens entre yaoš, yōḥ et iūs.
L’avestique yaoš-dā a trois emplois :
- Rendre mystiquement parfaite, une chose invisible, une entité ou un état mythique, comme dans ce verset attribué à Zoroastre : « La conscience religieuse que je dois éclairer (ou, parfaire, sanctifier) [yaoš-dā]. »ii
- Consacrer, mettre rituellement en acte : « La liqueur consacrée »iii [yaoš-dātam zaotram].
- Purifier ce qui a été souillé.
Ces nuances (perfection, consécration, purification) renvoient, selon Dumézil, aux trois formes de médecine qui prévalaient alors : la médecine des plantes, celle du couteau et celle des incantations.
Notons par ailleurs que la vitalité inhérente végétale renvoie au monde de la production, le couteau renvoie à la violence et au sang, et les incantations renvoient à la magie et à la religion, ce qui cadre parfaitement avec le cadre tripartite de Dumézil.
En langue védique, le yōḥ est associé à la prospérité, à la santé, au bonheur, mais aussi au progrès mystique, rituel ou matériel.
En latin, le iūs est beaucoup moins « mystique » que dans ses équivalents avestique et védique.
Les Romains ont en quelque sorte « laïcisé » le iūs en le cantonnant à une acception juridique.
Le iūs est l’attribut de tout un chacun. Le iūs d’une personne rencontre le iūs d’une autre personne.
On peut « dire » le iūs (iū-dic = iūdex).
Nous le savons, notre droit (jus), aujourd’hui, s’inspire par plusieurs aspects de la Rome ancienne.
Qu’aurait-il à gagner, je le demande, ce droit, s’il s’efforçait de ne pas oublier non plus ses bien plus anciennes sources iraniennes et indiennes ?
iG. Dumézil. Idées romaines. 1969
iiYasna 44,9
iiiYast X. 120