Les Noms secrets


La littérature apocalyptique arbore un goût affirmé pour les noms secrets de Dieu et ceux des entités divines. Ce goût des noms secrets est partagé par les ésotérismes. Pour sa part, Philon d’Alexandrie a consacré un livre entier (le De mutatione nominum) à la question des noms dans la Bible. Il donne une attention particulière aux noms qui ont été « changés », comme Abram en Abraham ou Saraï en Sarah. Mais il s’interroge aussi sur les variations des noms de Dieu dans divers contextes. Il interprète le célèbre verset « Je suis celui qui est » (Ex. 3, 14) de la façon suivante : « Cela équivaut à : ma nature est d’être, non d’être dit ».

Mais il faudrait entrer un peu dans l’hébreu original du texte pour goûter la saveur de ce nom qui se dit ainsi « Ehieh asher ehieh ». La grammaire française rechigne à accepter une traduction qui sonnerait comme : « Je suis celui qui suis », expression formellement incorrecte, mais qui préserve un peu de l’hébraïsme du texte. On pourrait aussi dire, et là de façon acceptable grammaticalement : « Je suis qui je suis ». Mais évidemment le sens n’est plus le même. Il est alors plus facile, peut-être, de ne garder qu’un seul mot de cette phrase-nom, de cette phrase nominale : le mot « ehieh », « je suis ».

Cette question du nom de Dieu occupe l’esprit des croyants de diverses religions, monothéistes ou non. Le nom est censé apporter une sorte de lumière sur la nature cachée du divin.

Dans le cas du christianisme, la valeur proprement théologique du nom franchit un degré supplémentaire. Le Dieu de l’Exode affirme son essence d’être. Le Dieu de l’Évangile affirme son essence d’être aussi Logos.

Jean rapporte ces paroles que Jésus prononce, s’adressant à Dieu: « J’ai manifesté ton nom (onoma) aux hommes, que tu as tirés du monde pour me les donner. Ils étaient à toi et tu me les as donnés et ils ont gardé ta parole (logon). » (Jn. 17, 6).

La « parole », le Logos, est un nom de Dieu aux propriétés étonnantes. C’est un nom qui n’est plus seulement un nom, un simple «onoma». C’est un nom qui est la présence même, la présence vivante, le Logos.

Jésus continue : « Je ne suis plus dans le monde ; eux sont dans le monde, et moi, je viens vers toi. Père saint, garde-les dans ton nom (onoma) que tu m’as donné, pour qu’ils soient un comme nous. » (Jn. 17, 11)

Pour l’auteur de l’original grec, logos (parole) et onoma (nom) sont des formes équivalentes. Le Nom est un substitut de la Parole (le Logos) et ce Logos est Dieu lui-même. Cette synonymie du Nom et de la Parole est une révélation nouvelle. Jusqu’alors, ce Nom était resté caché.

Y a-t-il d’autres Noms cachés ? Selon toute vraisemblance, les Noms cachés abondent. Pour prendre une métaphore, il y a autant de Noms que d’anges, et réciproquement. Le Talmud de Babylone nous enseigne ainsi : « L’archange Metatron, dont il est dit qu’il porte le Nom de Dieu » ( « Metatron che-chemo ke-chem rabbo) » (Sanhedrin 38b).

Ces Noms ne sont pas des appellations. Ce ne sont pas des mots. Ce sont des êtres, ou plutôt ils sont l’Être même. Un texte appartenant aux manuscrits de Nag Hammadi, l’« évangile de vérité », composé par Valentin au 2ème siècle, le précise de cette façon: « Le Nom du Père est le Fils. C’est lui qui, dans le Principe, a donné nom à celui qui est sorti de lui, qui était lui-même et il l’a engendré comme Fils. Il lui a donné son Nom qui est le sien propre. (…) Le Père. Il a le Nom, il a le Fils. On peut le voir. Mais le Nom, au contraire, est invisible, parce que lui seul est le mystère de l’Invisible destiné à parvenir aux oreilles qui sont toutes remplies de lui (…) Ce Nom n’appartient pas aux mots et ce ne sont pas des appellations qui constituent son Nom. Il est invisible. » (Cité par Guy Stroumsa, Ancient Christian Magic : Coptic Texts of Ritual Power. Princeton, 1993).

Également dans les manuscrits de Nag Hammadi, on trouve la même idée exprimée de façon un peu différente, dans l’Évangile de Philippe : « ‘Jésus’ est un nom caché, le ‘Christ’ est un nom manifesté » (58, 3-4).

Mais si ‘Jésus’ est un nom caché, comment peut-il être connu ? Irénée de Lyon donne une possible réponse : « Iésous n’est que le son du Nom, pas sa vertu. En fait, le Nom entier se compose, non pas de six lettres seulement, mais de trente. Sa composition exotérique (ou prononçable) est IHCOYC, tandis que sa composition ésotérique comprend vingt-quatre lettres. » (Contre les Hérésies I. 14, 1-9. Trad. A. Rousseau. 1979)

Le nom exotérique IHCOYC est formé des six lettres majuscules en grec du nom Iésous.

Sachant que l’alphabet grec comprend vingt-quatre lettres, la première étant alpha, la dernière oméga, on peut imaginer toutes leurs combinaisons possibles…

Les dieux et l’holocauste


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L’idée d’une anthropologie comparée des religions (anciennes) repose sur l’intuition qu’elles possèdent un socle commun, ou du moins des éléments analogues, qui font penser à la possibilité d’une invariance structurelle, cachée sous la diversité des formes extérieures et des prétentions idiosyncrasiques.

Il est bien entendu exclu de généraliser à outrance ce genre d’idées. Mais il y a quelque chose à creuser. Par exemple, le culte du Dieu Osiris, qui était le roi de la Mort en Égypte, le sacrifice du Purusa dans le Véda en Inde, l’immolation d’Isaac exigée d’Abraham par YHVH, la mort humiliante de Jésus sur la croix ont ainsi, semble-t-il, des « points communs », qui transcende les époques, les civilisations, les particularités. La mort de l’innocent, la divinité abaissée dans l’humanité.

L’aire géographique couverte par cette seule phrase est assez large, allant du Nil à l’Indus en passant par l’Euphrate, le Tigre et l’Oxus. Quant aux périodes concernées, elles ne sont pas petites, si l’on admet que la religion ancienne d’Égypte a laissé des traces remontant à l’époque prédynastique, et donc à plus de 6000 ans.

Mon intérêt pour cette question vient d’un constat. C’est une époque fort paradoxale que la nôtre. La religion semble jouer un très grand rôle en certains endroits, par exemple au sud de la Méditerranée, ou au Moyen Orient. Mais ailleurs, dans une bonne partie de l’Europe par exemple, on constate au contraire un affaiblissement très net du sentiment religieux, ou, du moins, des formes conventionnelles de la religiosité. D’un côté, des formes extrêmes de violence religieuse et d’affirmation identitaire basée sur la foi religieuse modifient la carte du monde, prétendent imposer une autre géopolitique à l’échelle régionale et même mondiale. De l’autre, scepticisme, matérialisme, agnosticisme, athéisme fleurissent, remplaçant les dogmes religieux par le discours de la « laïcité », de la « tolérance » et de l’ « humanisme » .

Une ligne de fracture globale peut être grossièrement dessinée sur la carte du monde. D’un côté des peuples entiers se laissent emporter par la passion religieuse. De l’autre des peuples entiers semblent éloignés, désormais, de ce genre de passion, non sans avoir été pris de la même fureur à des époques antérieures de leur histoire. Ces lignes de fracture globales, religieuses et aussi géopolitiques, de quoi sont-elles les symptômes ?

En étudiant les religions anciennes, leurs fondements, leurs croyances et leurs dérives, on peut, me semble-t-il apporter une contribution importante à cette question globale. On peut discerner des tendances fondamentales dans les cultures humaines, de toutes les époques, dont les principes restent actifs aujourd’hui encore. Si l’on peut dégager ces tendances, ces principes, ces structures, alors on aura fait un pas important dans la compréhension de l’avenir du monde, dans l’intuition de l’avenir de la pensée dans le monde, et dans la préfiguration d’une possible sortie vers le haut pour un genre humain.

La crise de l’anthropocène est déjà là, et elle a même un nom géologique. On pressent qu’elle sera une pierre de touche dans l’histoire de l’humanité. Cela passe ou cela casse. Tout progrès, même infime, dans une compréhension anthropologique de la « crise de l’esprit », peut être vital pour l’avenir.

A cela j’ajouterais une chose. Même les sceptiques, les matérialistes, les agnostiques, les athées et les incroyants partagent, bien malgré eux, sans doute, certains des invariants anthropologiques de leurs congénères croyants. Simplement, ils ne croient pas aux mêmes dieux. Ils ne croient pas à des dieux qui auraient le nom de dieux. Mais ils croient à des dieux qui représentent des abstractions, ou bien même au dieu du néant de toute croyance. Structurellement on a affaire au même mécanisme fondamental. Or ces dieux abstraits, ces dieux de l’idée pure, ou ces dieux du néant, notons-le bien, ont déjà existé dans certaines religions. Le Zend Avesta par exemple avait inventé des dieux incarnant (si je puis dire) de pures abstractions comme la « bonne pensée ». J’irai même plus loin, en subodorant que les sceptiques, les matérialistes, les athées et les incroyants ont aussi leurs victimes expiatoires, leurs boucs émissaires, et leurs propres dieux morts en holocauste.

Dieu, le rire et la caricature


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Dans son livre Le rire du Christ (2006), Guy Stroumsa rappelle que les gnostiques des premiers siècles de notre ère se représentaient un Christ en train de « rire » sur la croix. De quoi riait-il? « De la bêtise du monde ». Dans l’Évangile de Judas, texte apocryphe composé au 2ème siècle, Jésus rit aussi. C’est une vraie différence avec les évangiles canoniques, où le rire n’est pas vraiment de mise.

Un autre texte gnostique, trouvé en 1978 dans les manuscrits de Nag Hammadi, le 2ème Traité du Grand Seth, donne cette explication: « C’était un autre, celui qui portait la croix sur son épaule, c’était Simon. C’était un autre qui recevait la couronne d’épines. Quant à moi je me réjouissais dans la hauteur, au-dessus de tout le domaine qui appartient aux archontes et au-dessus de la semence de leur erreur, de leur vaine gloire, et je me moquai de leur ignorance. » (Trad. L. Painchaud. Bibl. Copte de Nag Hammadi).

C’est en substance la thèse de l’hérésie appelée docétisme. Selon cette thèse, Jésus n’aurait pas vraiment souffert sur la croix. Sa nature étant divine et spirituelle, son corps physique était détaché de lui, simple apparence, simple vêtement. Il serait resté « impassible » (impassibilis), cloué sur la croix.

Que Dieu puisse rire des hommes, des rois, des peuples et des nations n’était pas une idée nouvelle. On trouve cette même idée dans les Psaumes de David. « Celui qui siège dans les cieux s’en amuse, YHVH les tourne en dérision ». (Ps. 2,4) Yochev ba-chammayim yitzhaq.

Yitzhaq. « Il rit ». C’est aussi le nom donné à Isaac par Abraham. Or Isaac est une sorte de préfiguration du Christ. Isaac, emmené par son père Abraham qui avait l’intention de l’égorger, porte lui-même le bois nécessaire au sacrifice, tout comme le Christ porte le bois de sa croix.

Philon d’Alexandrie, philosophe juif et néo-platonicien né en 25 av. J.-C., évoque lui aussi l’histoire de la conception miraculeuse d’Isaac, pour en tirer, comme à son habitude, une leçon anagogique. Sa thèse est qu’Isaac serait né miraculeusement de Dieu lui-même et de Sara, alors une très vieille femme. Sara dit en effet: « Le Seigneur a fait pour moi le rire » (Gen. 21,6). Philon commente ce verset de la Genèse ainsi: « Ouvrez les oreilles, ô mystes, et accueillez les très saintes initiations : le « rire » est la joie, et le mot « il a fait » équivaut à « il engendra » en sorte que ces paroles veulent dire ceci : le Seigneur engendra Isaac ; car c’est lui le Père de la nature parfaite, qui dans les âmes sème et engendre le bonheur. » Legum Allegoriae III, 219

Un Christ cloué en train de rire.

Une Sara qui affirme à la naissance d’Isaac que c’est le Seigneur qui l’a engendré.

Ce sont des temps forts de deux religions monothéistes, le christianisme et le judaïsme. Mais ce sont aussi des « images » très typées. Donc très « fortes » mais aussi extrêmement « fragiles ».

D’un côté elles peuvent être des objets de méditation, de vénération pour les croyants. De l’autre, il est aisé d’en faire des « caricatures » du fait même de leur matérialité, de leur humanité (la nudité, la mort, la conception). Allons jusqu’au bout de cette idée. N’importe quel dessinateur pourrait tirer de ces scènes des caricatures dans le genre Charlie.

Le problème fondamental et similaire que rencontrent des religions comme le judaïsme, le christianisme et l’islam est le suivant. Comment concilier transcendance et réalité historique, matérielle, immanente ?

Si Dieu est absolument transcendant, comment peut-il engendrer Isaac d’une vieille femme ? Le simple fait de poser la question n’est-elle pas déjà la caricaturer, et donc n’est-ce pas fournir potentiellement une source pour des caricatures à la Charlie ? Le fait que Jésus soit un Dieu nu, mort en croix, dans l’humiliation absolue (« humiliation » vient de humilis, humble, qui vient de humus, la terre, racine qui a donné aussi homo, l’homme), n’est-il pas en soi susceptible d’être caricaturé de toutes les manières envisageables? Et d’ailleurs les ennemis du christianisme ne s’en sont pas privés.

L’interdiction de la représentation du prophète Mahomet (qu’il conviendrait d’ailleurs d’appeler Mohammed, si j’en crois la vocalisation retenue par la tradition dans le Coran, et adoptée universellement par les musulmans) témoigne du même problème. Comment concilier la réalité humaine du prophète et sa mission divine ? La difficulté de la question semble à la mesure de la simplification de la réponse : l’interdiction pure et simple de toute représentation.

Prenons encore un peu plus de recul. Toute question un peu critique, un peu distanciée, un peu ironique, n’est-elle pas déjà aussi, par cela même une forme de caricature ?

Dans ces derniers jours, je constate que les caricatures de toutes sortes, et tout particulièrement les caricatures de pensée, ont proliféré.

Il est temps de revenir à la finesse.

Un Dieu noir


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Alphonse-Louis Constant est un curieux personnage du 19ème siècle. C’était un ecclésiastique français et une figure controversée de l’occultisme. Auteur d’une œuvre abondante, il prit pour nom de plume Éliphas Lévi, ou Éliphas-Lévi Zahed, ce qui est une traduction de son nom en hébreu . En 1862, il publie Fables et symboles, ouvrage dans lequel il analyse les symboles de Pythagore, des Évangiles apocryphes, et du Talmud. Voici l’une de ces fables, « Le Fakir et le Bramin », et son commentaire, qui ne sont pas sans rapport avec une certaine actualité :

LE FAKIR ET LE BRAMIN.

Portant une hache à la main,

Un fakir rencontre un bramin :

– Fils maudit de Brama, je te retrouve encore !

Moi, c’est Eswara que j’adore !

Confesse devant moi que le maître des cieux

Est le meilleur des dieux,

Et que moi je suis son prophète,

Ou je vais te fendre la tête !

– Frappe, lui répond le bramin,

Je n’aime pas un dieu qui te rend inhumain.

Les dieux n’assassinent personne.

Crois ou ne crois pas que le mien

Est plus indulgent que le tien :

Mais en son nom, je te pardonne. 

SYMBOLE

LE FAKIR ET LE BRAMIN.

« Quand les forces contraires ne s’équilibrent pas, elles se détruisent mutuellement.

Les enthousiasmes injustes, religieux ou autres, provoquent par leur excès un enthousiasme contraire.

C’est pour cela qu’un célèbre diplomate avait raison lorsqu’il disait : N’ayez jamais de zèle.

C’est pour cela que le grand Maître disait : Faites du bien à vos ennemis et vous amoncellerez du feu sur leur tête. Ce n’était pas la vengeance par les moyens occultes que le Christ voulait enseigner, mais le moyen de résister au mal par une savante et légitime défense. Ici est indiqué et même dévoilé un des plus grands secrets de la philosophie occulte. »

Je ne résiste pas au plaisir de citer une autre de ses fables : « La Taupe et le Soleil » :

LA TAUPE ET LE SOLEIL.

« La taupe un jour dit au soleil :

– On m’a parlé de toi dans le pays des ombres.

J’ignore si ton disque est bleuâtre ou vermeil,

Si tes rayons sont clairs ou sombres,

Mais on dit qu’une loi te fixe à ton pivot,

Et que tes débris de lumière

Tombent au hasard sur la terre,

Comme ceux d’une fleur de lis ou de pavot.

Moi, je suis libre et je suis noire,

Et dans ma nuit j’ai plus de gloire

Qu’un esclave doré qu’attache au firmament

Un clou, fût-il de diamant.

– Tu te crois libre, ma commère,

Lui répond l’astre radieux,

Parce qu’un vil instinct, sans lumière et sans yeux,

Te dirige à tâtons dans ta vile tanière !

Mais peux-tu faire un pas dans ton obscurité

Qu’il ne soit ou nécessité,

Ou provoqué du moins par forces naturelles ?

Tu marches en esclave, et je m’assieds en roi ;

Je donne et j’accepte la loi ;

Je vis dans la raison de la lumière, et toi

Dans la fatalité des ombres éternelles !

Si taupes au soleil pouvaient parler ainsi,

Nous en ririons ; mais, Dieu merci,

Nous ne laisserions pas de raisonner comme elles. »

Voici une autre citation d’Eliphas Lévi, à propos du voile, qui n’est pas non plus sans rapport avec l’actualité.

« Absconde faciem tuam et ora.Voile ta face pour prier. C’est l’usage des Juifs, qui, pour prier avec plus de recueillement, enveloppent leur tête d’un voile qu’ils appellent thalith. Ce voile est originaire de l’Égypte et ressemble à celui d’Isis. Il signifie que les choses saintes doivent être cachées aux profanes, et que chacun ne doit compte qu’à Dieu des pensées secrètes de son cœur. »

J’aimerais ajouter enfin cet extrait d’un petit dialogue, assez vif, entre un Israélite et Eliphas Levi .

L’Israélite : Je vois avec plaisir que vous faites bon marché des erreurs du Christianisme.

Eliphas Levi : Oui sans doute, mais c’est pour en défendre les vérités avec plus d’énergie.

L’Israélite : Quelles sont les vérités du Christianisme ?

Eliphas Levi : Les mêmes que celles de la religion de Moïse, plus les sacrements efficaces avec la foi, l’espérance et la charité.

L’Israélite : Plus aussi l’idolâtrie, c’est-à-dire le culte qui est dû à Dieu seul, rendu à un homme et même à un morceau de pain.Le prêtre mis à la place de Dieu même, et condamnant à l’enfer les Israélites, c’est-à-dire les seuls adorateurs du vrai Dieu et les héritiers de sa promesse.

Eliphas Levi : Non, enfants de vos pères nous ne mettons rien à la place de Dieu même. Comme vous, nous croyons que sa divinité est unique, immuable, spirituelle et nous ne confondons pas Dieu avec ses créatures. Nous adorons Dieu dans l’humanité de Jésus-Christ et non cette humanité à la place de Dieu.

Il y a entre vous et nous un malentendu qui dure depuis des siècles et qui a fait couler bien du sang et bien des larmes. Les prétendus chrétiens qui vous ont persécutés étaient des fanatiques et des impies indignes de l’esprit de ce Jésus qui a pardonné en mourant à ceux qui le crucifiaient et qui a dit : Pardonnez-leur mon Père, car ils ne savent ce qu’ils font (…)

L’Israélite : Je vous arrête ici et je vous déclare que chez nous la kabbale ne fait pas autorité. Nous ne la reconnaissons plus, parce qu’elle a été profanée et défigurée par les samaritains et les gnostiques orientaux. Maïmonides, l’une des plus grandes lumières de la synagogue, regarde la kabbale comme inutile et dangereuse; il ne veut pas qu’on s’en occupe et veut que l’on s’en tienne au symbole dont il a lui-même formulé les treize articles, du Sepher Torah, aux prophètes et au Talmud.

Eliphas Levi : Oui, mais le Sepher Torah, les prophètes et le Talmud sont inintelligibles sans la kabbale. Je dirai plus : ces livres sacrés sont la kabbale elle-même, écrite en hiéroglyphes hiératiques, c’est-à-dire en images allégoriques. L’écriture est un livre fermé sans la tradition qui l’explique et la tradition c’est la kabbale.

L’Israélite : Voilà ce que je nie, la tradition, c’est le Talmud.

Eliphas Levi : Dites que le Talmud est le voile de la tradition, la tradition c’est le Zohar.

L’Israélite : Pourriez-vous le prouver ?

Eliphas Levi : Oui, si vous voulez avoir la patience de m’entendre, car il faudrait raisonner longtemps (…)

Je fournis ces diverses citations à titre contextuel, et pour présenter rapidement le curieux personnage de cet abbé Constant, alias Eliphas Lévi. Il s’intéressait au « mystère », et c’est l’un des fils conducteurs de cette série de billets sur l’anthropologie du secret et du sacré.

Eliphas Lévi s’est livré à une description précise des « mystères d’Eleusis », dont voici la scène finale:

« Lorsque l’initié avait parcouru triomphalement toutes les épreuves, lorsqu’il avait vu et touché les choses saintes, si on le jugeait assez fort pour supporter le dernier et le plus terrible de tous les secrets, un prêtre voilé s’approchait de lui en courant, et lui jetait dans l’oreille cette parole énigmatique : « Osiris est un Dieu noir. » Mots obscurs et plus brillants que le jais ! »

André Breton, dans son livre Arcane 17, reprend ces mots mêmes, qu’il qualifie de « formule magique », de formule « opérante ».

« Aussi, chaque fois qu’une association d’idées traîtreusement te ramène en ce point où, pour toi, toute espérance un jour s’est reniée et, du plus haut que tu tiennes alors, menace, en flèche cherchant l’aile, de te précipiter à nouveau dans le gouffre, éprouvant moi-même la vanité de toute parole de consolation et tenant toute tentative de diversion pour indigne, me suis-je convaincu que seule une formule magique, ici, pourrait être opérante, mais quelle formule saurait condenser en elle et te rendre instantanément toute force de vivre, de vivre avec toute l’intensité possible, quand je sais qu’elle t’était revenue si lentement? Celle à laquelle je décide de m’en tenir, la seule par laquelle je juge acceptable de te rappeler à moi lorsqu’il t’arrive de te pencher tout à coup vers l’autre versant, tient dans ces mots dont, lorsque tu commences à détourner la tête, je veux seulement frôler ton oreille : « Osiris est un Dieu noir ». »

Mais de quoi cette « magie » est-elle le nom, et dont Breton invoque le secours ? Que veut vraiment dire cette parole: « Osiris est un Dieu noir » ?

On peut rappeler à tout hasard qu’Anubis, dieu funéraire, régnant sur les nécropoles, l’une des divinités les plus anciennes de l’Égypte, remontant à la période pré-dynastique, donc il y a plus de 5500 ans, était représenté sous forme de grand canidé noir. Était-ce un loup ? Un chacal ? Un chien sauvage? Être hybride, il a les oreilles d’un renard, la queue et la tête d’un chacal, et la silhouette d’un lévrier. Mais Anubis n’est pas Osiris, c’est son fils adultérin, selon la version du mythe transmise par Plutarque dans son Isis et Osiris. « Osiris ressuscita comme roi et juge des morts. Il porte le titre de Seigneur du monde souterrain, Seigneur de l’Éternité, Souverain des morts.», écrit encore Plutarque. Dans quelques manuscrits Osiris est représenté avec un visage noir. Mais encore ?

Pour le moment je me contenterai de noter que la mort cruelle d’Osiris assassiné par son frère Seth, le démembrement de son corps et sa résurrection font irrésistiblement penser à une analogie, au moins de forme, entre la foi des anciens Égyptiens et le mystère de la mort et de la résurrection du Christ, dans le christianisme.

Mais encore ? Pourquoi un « Dieu noir » ?

Je réserve cela pour un autre billet.

Le risque de la caricature


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Paulus Ricius, aussi connu sous le nom de Paulus Israelita, était un humaniste et kabbaliste d’origine juive, converti au christianisme en 1505. Il est connu pour ses contributions à l’ « hébraïsme chrétien » et pour sa réfutation des arguments juifs contre le christianisme par le moyen de la kabbale. Il fut l’un des architectes de la kabbale chrétienne et son ouvrage Sha’arei Orah – en latin Portae lucis , les « portes de la lumière », fut une source d’inspiration pour des projets comparables initiés par des savants comme Conrad Pellicanus ou Guillaume Postel.

En consultant son Artis Cabalisticae – Hoc est reconditae theologiae et philosophiae scriptorum (1587), ainsi que le De Arcana Dei Providentia et le Portae lucis, j’ai trouvé une liste des dix noms de Dieu qu’il propose et qu’il me paraît intéressant de citer.

  1. אדנּי Adonaï – Seigneur

  2. אל חי El Hay – Le Vivant

  3. Elohim Zabaoth – Dieu des Armées

  4. Adonaï Zabaoth – Seigneur des Armées

  5. יהוה YHVH – Yahvé

  6. אלהים Elohim – Dieu (Les Dieux)

  7. אל El – Dieu

  8. יהֹוִה Le Tétragramme YHVH, doté de la vocalisation d’Elohim

  9. יה Ioh – Première et dernière lettre de YHVH

  10. אהיה Ehieh. « Je suis »

Ici, j’ai deux remarques, une question et une suggestion.

D’abord, l’ordre même de ces noms de Dieu est arbitraire. Nulle hiérarchie n’est envisageable. Postel, d’Aquin et Ricius ont d’ailleurs des vues diverses quant à l’ordre à adopter. Cet ordre n’a donc pas beaucoup d’importance. Ces noms ont valeur égale.

Ensuite, sur ce même sujet, Leibniz propose quant à lui treize noms de Dieu, se basant sur la fameuse déclaration de Dieu lui-même faite à Moïse, en Ex. 34, 6-7. Voir mon billet précédent daté du « vingt-neuvième jour ». Il est intéressant de comparer les deux listes, les ajouts et les manques.

Enfin, une question. Quel rapport peut-on faire entre cette liste emblématique des noms de Dieu et la liste des dix Sephiroth, qui est la liste des émanations divines, elle-même élément central de la Kabbale ?

Pour rappel, voici cette liste, telle que déclinée en latin par Paulus Ricius :

Corona. Prudentia. Sapientia. Pulchritudo. Fortitudo. Magnificentia. Fundamentum. Confessio. Victoria. Regnum.

(Les noms hébreux qui leur correspondent se retrouvent aisément sur la Toile.)

Ces noms ne sont pas simplement listés par Ricius, mais sont organisés en une figure, qui peut évoquer schématiquement une sorte de corps humain, avec corona pour tête, sapientia et prudentia comme deux yeux ou deux oreilles, fortitudo et magnificentia pour les deux bras, pulchritudo pour cœur, confessio et victoria pour les deux jambes, fundamentum pour fondement et regnum pour sexe.

Je suggère, simplement pour inciter au rêve et à la méditation, les équivalences suivantes, sur la base d’analogies et d’anagogies possibles :

Corona et Adonaï. Prudentia et YHVH. Sapientia et El Hay. Pulchritudo et Elohim. Fortitudo et Adonaï Zabaoth. Magnificentia et Elohim Zabaoth. Fundamentum et Ioh. Confessio et Yéovih (le Tétragramme vocalisé selon Elohim). Victoria et El. Regnum et Ehieh.

A la réflexion, je me demande si ce n’est pas là une sorte de caricature. Courrais-je un risque ?

Liberté, kénose et tsimtsoum


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J’aimerais faire un bref retour sur le cas Campanella, sur ce qui fut le « mystère Campanella », pour reprendre la formule de Jean Delumeau.

Tommaso Campanella, moine dominicain, naquit à Stilo en Calabre en 1568. Condamné à plusieurs reprises pour hérésie, il passa vingt-sept ans de sa vie en prison et il y fut torturé. Il échappa de peu à la peine capitale en se faisant passer pour fou, et écrivit une œuvre abondante. Entre autres : Philosophia Sensibus Demonstrata (pour laquelle il fut condamné), La Cité du soleil, Atheismus Triumphatus, Aforismi Politici, et bien d’autres encore…

Il disait de lui-même : « Je suis la clochette (campanella) qui annonce la nouvelle aurore. » Il voulait fonder une république philosophique, qu’il appela « la Cité du Soleil », se référant à Platon, Marcile Ficin et Thomas More.

Il avait une grande antipathie pour Aristote, dont il disait qu’il était « impie », « menteur », « père des machiavéliens », et « auteur d’erreurs stupéfiantes ».

Je le décrirais comme un poète et un philosophe du dévoilement. « Toute laideur et tout mal sont des masques de beauté », enseigne-t-il. La nature est le « manuscrit de Dieu », qu’il faut dévoiler, déchiffrer. Dans son Apologie de Galilée, il décrit le monde comme une image vivante de la sagesse. Il fallait avoir de bons yeux… Le monde est « la statue, l’image, le temple vivant et le livre de Dieu. » Le latin rend mieux les sonorités de sa pensée. Amis lecteurs, armez-vous d’un Gaffiot. Mais ce n’est pas trop difficile, ce n’est pas du Cicéron. « Mundus ergo totus est sensus, vita, anima, corpus, statua Dei altissimi, ad ipsius condita gloriam, in potestate, sapientia, et Amore (…) Homo ergo epilogus est totius mundi, ejus cultor et admirator dum Deum nosse velit, cujus gratia factus est. Mundus est statua, imago, Templum vivum et codex Dei, ubi inscripsit et depinxit res infiniti decoris gestas in mente sua. » (De Sensu Rerum et Magia, 1619)

Le monde est « un livre où la Sagesse éternelle a écrit ses propres pensées, il est le temple vivant où elle a peint ses actions et son propre exemple (…) Mais nous, âmes attachées à des livres et à des temples morts, copiés du vivant avec beaucoup d’erreurs, nous les interposons entre nous et le divin enseignement. »

Cette idée avait été formulée de façon analogue par saint Bernard, que Campanella cite: « Le monde est le livre de Dieu que nous devons lire sans cesse. »

Mais il ajoute une nuance. Si le monde est un « codex », l’homme en est l’« épilogue ». Il a d’autres métaphores. L’homme est aussi dans ce monde comme un « soupirail ». Il est également une « étincelle du Dieu infini ». Il peut, par l’extase, « niée par la bêtise des aristotéliciens », bondir au niveau du « monde archétype ». Grâce à son âme immortelle, l’homme peut échapper à la condition des autres êtres vivants, qui sont « comme les vers dans un ventre ou dans un fromage ».

Filons la métaphore. Le monde est un livre, mais beaucoup de pages manquent, ou sont maculées, lacunaires, illisibles. Il y a de l’« être », mais il y a aussi beaucoup de « non-être ». Il y a de la puissance, de la sagesse, de l’amour. Mais il y a aussi beaucoup d’impuissance, d’ignorance, de haine.

Toutes les réalités, tous les événements découlent de la rencontre et du choc contingent, hasardeux, de la puissance et de l’impuissance, de la sagesse et de l’ignorance, de l’amour et de la haine. La nécessité ne cesse de se confronter à la contingence. La destinée et l’harmonie sont sans cesse contredites par le hasard et la fortune.

C’est de cette contingence, de ce hasard, que naît la possibilité même de la liberté.

Pensée précieuse, rare – et hérétique, à une époque où les pensées de Calvin, qui condamne tout homme à être subjugué par les décrets inamovibles de la prédétermination, font encore écho.

Comment tout cela est-il possible ? La contingence, le hasard, la fortune sont en réalité des déficits d’être, des défauts de substance, dont souffre la texture même du monde, et donc, par extension, toute créature. On leur doit les failles, les béances, les manques dans le monde, mais aussi la liberté de l’homme. C’est là l’essence du mystère humain.

La contingence, le hasard, la fortune contredisent les manifestations supposées de la toute puissance et de l’omniscience divines. Ils marquent les nécessaires limites de la nécessité ; les nécessaires limites du pouvoir, du savoir et du vouloir divins.

La contingence (contingentia) rompt sans raison l’enchaînement de la nécessité (necessitas). Elle limite le pouvoir des causes, elle nie la tyrannie du déterminisme, elle défait la chaîne inflexible de la causalité.

Le hasard (casus) contrecarre la fatalité (fatum), il « contredit » tout ce qui a été « prédit », « déclaré ».1 Par là, il invalide toute prescience.

La fortune (fortuna) contrarie l’harmonie universelle (harmonia). Elle déjoue l’ordre du monde et la volonté qui l’anime.

La contingence, le hasard et la fortune représentent autant de limites à la « toute-puissance » de la nécessité, de la fatalité, et aussi autant d’ouvertures possibles à la « liberté ».

Ces positions de Campanella étaient absolument « révolutionnaires » au début du 17ème siècle, et aussi fondamentalement « hérétiques ». Comment de telles atteintes à l’ordre divin étaient-elles possibles ? Si Dieu est omnipotent et omniscient, comment pourrait-il être limité dans sa puissance ou dans sa prescience par la contingence ou le hasard ? Si Dieu veut vraiment l’harmonie universelle, comment sa volonté pourrait-elle être contrecarrée par les caprices de la fortune ? Si Dieu veut l’enchaînement nécessaire des causes et des effets, comment peut-il tolérer la contingence? Comment son « omniscience » peut-elle être compatible avec les effets du hasard ? Le hasard n’est-il pas l’antonyme absolu de la prédestination éternelle ?

Campanella répond que la création a été tirée du néant par Dieu. Elle est donc un composé d’être et de non-être. Elle vient de l’Être, mais elle est aussi truffée de « non être », son « être » est lardé de « moins d’être », elle « manque d’être », à tous les niveaux de son être. Contingence, hasard et fortune sont les expressions concrètes de ce manque. Ils sont aussi l’expression visible d’une possible liberté pour l’homme, qui doit être trouvée dans les interstices de ces manques.

Contingence, hasard et fortune peuvent aussi s’interpréter comme des figures providentielles de l’absence ou du retrait volontaire de Dieu (kénose ou tsimtsoum, pour employer un mot grec et un mot hébreu).

1 Fatum vient de for, fari, dire, déclarer

Le déluge et le lotus


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En hébreu biblique, les lettres de l’alphabet peuvent souvent « permuter » entre elles, c’est-à-dire être remplacées dans certains mots par des lettres proches phonétiquement. Teth, ט, est la neuvième lettre et correspond au t de l’alphabet latin. Teth signifie « serpent », à cause de sa forme. Cette lettre peut permuter avec les sifflantes ז (z) ou צ (ts), mais aussi avec la lettre Taw, ת (th), qui est la 22ème et dernière lettre de l’alphabet, et qui veut dire « signe d’écriture ».

Ce principe de permutation étant admis, on peut dès lors se livrer à de licites ou même à d’illicites jeux de lettres, qui engendrent des jeux de mots, faisant naître ou glisser les sens.

Exemple.

Le mot תֵּבָה, tevah, signifie « boîte », mais aussi « arche ». C’est une tevah que construisit Noé en bois de gopher (Gen 6,14). Et c’est dans une tevah de jonc que l’on plaça Moïse, enfant nouveau-né (Ex. 2,3).

Avec la lettre צ (ts), tevah donne tsavah, צָבָה, « s’assembler pour combattre », et encore « s’enfler ». On voit que l’arche, par un léger glissement de sens, figure une assemblée générale des forces de vie qui doivent combattre le déluge. Elle évoque aussi une sorte de ventre qui s’enfle, au fur et à mesure que les êtres vivants destinés à être sauvés pénètrent en elle..

En permutant avec les lettres ז (z) et ט (t) les choses se corsent. Le verbe טָבַח tavaha a pour sens « immoler, tuer le bétail ». Le mot טַבָּח tabah signifie « celui ou celle qui tue ». De même, le verbe זָבַח, zavaha, signifie « égorger, immoler, sacrifier » et le mot זָבַח tavah signifie « victime, sacrifice ». L’arche devient alors comme une immense oblation. On sait que l’affaire a bien tourné. Mais l’arche aurait pu faire naufrage. C’eût été une catastrophe, le sacrifice ultime : tous les œufs de vie dans le même panier de bois.

On peut aussi couper la lettre terminale, faible du mot, le ה, ou Hé. Alors on obtient טָב, tav, « bon », comme dans טָבְאֵל « Dieu est bon ».

Riche assortiment de sens, convergents ou contraires, par la magie des permutations. Langue propice aux sous-entendus, ou même aux malentendus, suivant l’attention, l’acuité que l’on met à décortiquer la lettre des mots.

En latin, tevah se rend par le mot arca, qui a donné en français « arche ». Arca signifie premièrement « coffre, armoire». D’où l’adjectif arcanus, « caché, secret », et le nom arcanum, « secret », que l’on retrouve avec le français « arcane ».

Arca signifie aussi « cercueil, prison, cellule, citerne, réservoir ». Mais jamais « arche ».

Ce mot renvoie au verbe arceo, « contenir, enfermer, retenir ». Mais aussi : « tenir éloigné, détourner, écarter ». Ce verbe peut donc bien s’appliquer à l’idée de l’arche de Noé.

Coerceo signifie « contenir, réprimer ». Exerceo : « dompter, exercer ». L’adjectif arctus, « enfermé, serré » fait partie de la même famille ainsi que le verbe arto, « resserrer, presser, réduire ».

Cicéron: « Mundus omnia complexu suo coercet et continet » (Nat. 2, 48). Le monde enferme et enserre tout de son étreinte. Complexus c’est l’étreinte, l’embrassement, l’enlacement. Ce mot rend aussi bien la lutte que l’amour, le combat corps à corps et l’étreinte charnelle.

Les traducteurs de la Septante ont traduit tevah par le mot grec κιϐωτός, « caisse, boite ». Le mot κιϐώριον lui est apparenté avec pour premier sens: « fleur du nénuphar égyptien », mais aussi « coupe », et même « tombe ». Le mot « ciboire » vient de là.

Pour qui s’intéresse aux secrets, aux arcanes du monde, il peut être utile de commencer par les mots qui les portent, qui les cachent et les transportent.

Ces mots sont comme une autre arche, une arche de mots, une arche de sens, flottante et précaire, à travers le déluge des non-sens.

Cette arche peut être une prison ou une tombe.

D’un point de vue poétique, mais aussi œcuménique, j’aime bien l’idée que les 70 rabbins d’Alexandrie ont choisi pour traduire tevah de prendre un mot grec emprunté lui-même à l’égyptien. Et j’aime aussi que ce mot qui devait pouvoir incarner l’arche de Noé, le berceau de Moïse et l’Arche d’alliance, vienne d’une très ancienne métaphore botanique et religieuse, la fleur de lotus, ou nénuphar égyptien.

Dans l’Égypte ancienne (3500 ans av. J.C), le lotus était déjà un symbole de la création du monde et une allégorie de la renaissance après la mort. La fleur de lotus était digne d’être offerte au Dieu qui avait vaincu la mort, Osiris.

En Inde ancienne, et également en Chine, le lotus est considéré digne d’offrande aux dieux.

Le lotus pousse dans la boue, qui le nourrit. Il ne flotte pas sur l’eau comme le nénuphar, il émerge hors de l’eau. C’est pourquoi il est une allégorie de la résurrection.

Les graines du lotus sacré détiennent le record de longévité (dormance). Une équipe de chercheurs a réussi à faire germer une graine datant d’environ 1 300 ans provenant du lit asséché d’un ancien lac en Chine.

Je rêve d’une tevah, qui serait comme une fleur géante de lotus, nourrie de la boue de ce monde, et flottant au-dessus du déluge.

La mort pour le sacrilège en France, et Charlie.


La mutilation du poing, puis la décapitation. Voilà la peine infamante et capitale, que les parlementaires français ont voté en 1825, pour les briseurs de vases d’église, la profanation d’hosties, et les « sacrilèges ». Cher payé, le ciboire. Le gouvernement qui a porté ce projet de loi était ultraroyaliste. Charles X venait de monter sur le trône après la mort de Louis XVIII.

A la chambre, il y avait eu des débats vifs et enflammés sur cette loi « relative aux sacrilèges », Pierre-Paul Royer-Collard, député libéral, violemment opposé à cette législation, avait déclaré :

« La théocratie de notre temps est moins religieuse que politique ; elle fait partie de ce système de réaction universelle qui nous emporte : ce qui la recommande, c’est qu’elle a un aspect contre-révolutionnaire. »

Royer-Collard dénonçait une énorme manipulation, organisée par les royalistes de la Restauration, afin d’assurer la victoire de la contre-révolution.

Il avait aussi le sentiment aiguë de la finitude des sociétés, de leur caractère transitoire.

«Les sociétés humaines naissent, vivent et meurent sur la terre… Mais elles ne contiennent pas l’homme tout entier… Nous, personnes individuelles et identiques, véritables êtres doués de l’immortalité, nous avons une autre destinée que les États.»

Sur les traces de Royer-Collard, François Guizot poussa la question plus loin dans son Histoire générale de la civilisation en Europe depuis la chute de l’empire romain jusqu’à la Révolution française (1838).

« Quand l’histoire de la civilisation est épuisée, quand il n’y a plus rien à dire de la vie actuelle, l’homme se demande invinciblement si tout est épuisé, s’il est à la fin de tout ? (…) A coup sûr, la pensée humaine est fort loin d’être aujourd’hui tout ce qu’elle peut devenir, nous sommes fort loin d’embrasser l’avenir tout entier de l’humanité; cependant, que chacun de nous descende dans sa pensée, qu’il s’interroge sur le bien possible qu’il conçoit, qu’il espère; qu’il mette ensuite son idée en regard de ce qui existe aujourd’hui dans le monde; il se convaincra que la société et la civilisation sont bien jeunes; que, malgré tout le chemin qu’elles ont fait, elles en ont incomparablement davantage à faire. »

Je pense que ces paroles prononcées au 19ème siècle, dans un contexte très franco-français, s’appliquent fort bien à ce que nous vivons aujourd’hui, dans un contexte mondialisé. Les actions terroristes des 7 et 8 janvier 2015 ont provoqué un émoi européen et même mondial. Tout le monde a compris qu’une question de fond était en jeu. Question éminemment complexe, en fait. S’il est facile de se mobiliser pour la liberté de la presse ou contre l’assassinat d’innocents, il est moins aisé d’analyser les causes profondes, sous-jacentes, immanentes, mais bien réelles, de ce qui a été qualifié d’attaques contre « les fondements mêmes de la démocratie ».

Il y a la question de la liberté de la presse, celle du « sacrilège », mais il y a aussi et surtout le sort réservé à des populations entières, la politique systématique menée depuis des dizaines d’années dans des régions du monde qui ont été sciemment portées à l’ébullition.

En fait, la question posée par Guizot reste vive, brûlante. Nous sommes fort loin de comprendre l’avenir de l’humanité. Nos sociétés sont jeunes. Tout est encore à faire.

On a vu les images du premier ministre d’Israël marchant avec le président de l’ « État de Palestine » aux côtés de François Hollande. L’unanimisme des grandes manifestations de dimanche une fois retombé, la politique petite, obstinée, courte et dure, va reprendre de plus belle, dès lundi. Ce qui reste à faire semble évident, urgent, à ces politiques dont les politiques accumulées nous ont mené jusque là… On réclame déjà plus de polices, plus de contrôles, l’abrogation de l’espace de Schengen. On a parlé du 11 septembre français. Allons-nous bientôt avoir une Loi patriotique sur le modèle du Patriot Act ? Allons-nous porter la guerre dans l’Orient lointain et proche ? Allons-nous résoudre le « problème de l’immigration » à la manière forte?

Il convient de se rappeler aujourd’hui combien l’Europe fut barbare, il y a peu. Il convient aussi de se rendre compte qu’il serait facile, dans certaines circonstances, à peu près semblables à celles que nous avons vécues ces derniers jours, de faire adhérer les peuples européens à des principes que nous attaquons, que nous méprisons aujourd’hui. La force, la violence, le mensonge, pratiques habituelles dans l’Europe d’il y a quatre ou cinq siècles, ou dans l’Europe du siècle dernier, pourraient rapidement revenir dans notre quotidien.

Je voudrais encore citer cette phrase de Guizot. « Nous flottons continuellement, à mon avis, entre la tentation de nous plaindre pour très peu de chose, et celle de nous contenter à trop bon marché. Nous avons une susceptibilité d’esprit, une exigence, une ambition illimitées dans la pensée, dans les désirs, dans le mouvement de l’imagination; et quand nous en venons à la pratique de la vie, quand il faut prendre de la peine, faire des sacrifices, des efforts pour atteindre le but, nos bras se lassent et tombent. »

Ces phrases, prononcées dans le contexte du 19ème siècle, et de la lutte contre la réaction royaliste et contre-révolutionnaire, s’appliquent bien, me semble-t-il, à ce qui peut s’interpréter comme le contexte d’une Europe à la veille de sombrer dans une nouvelle forme de « réaction ».

Le mot est fort, j’en sens le poids. Mais c’est exactement ce que je ressens. Je pense que toutes les conditions pourraient bientôt être remplies pour faire avaler aux peuples la potion amère, et certes pas magique, d’une réaction néo-fasciste, sécuritaire, technologique, inquisitrice, systématique, et surtout absolument impitoyable. Impitoyable pour les immigrés, pour les pauvres, pour les dissidents, pour les révoltés, mais aussi, par extension, pour les franc-tireurs, pour tous ceux qui ne veulent pas se fondre dans la masse immense, pour tous ceux qui ne veulent pas supporter l’idée que le monde de demain pourrait si facilement, si aisément, être dirigé, dans un silence complice, par la force, le mensonge et la violence.

Charlie Hebdo et les yeux de l’assassin


J’aimais bien Cabu, et son dessin fin. J’aimais aussi le Wolinski de ma jeunesse, qui dessinait les verres d’apéro avec un trait sûr. Ce soir, je suis très triste. Je mesure, comme beaucoup de monde, les enchaînements inéluctables et les conséquences prévisibles de cette violence terroriste. Plantu a dit que cette journée était une sorte de 11 septembre contre la pensée libre, contre la liberté d’expression, qu’il s’agissait d’une attaque contre les fondements mêmes de la République. Tout cela est vrai. Il faut s’attendre que la réaction soit en proportion. Le cycle de la violence n’est pas prêt de s’éteindre.

On a déjà porté la guerre ici et là, pour telles et telles raisons. La souffrance humaine, on l’a vue, au long de ces dernières années, orange, soudaine et noire, extrême, diffuse et misérable, dans toutes sortes d’images, dans les récits des témoins, en Libye, au Mali, en Syrie, en Irak, en Afghanistan, et dans bien d’autres pays. Et maintenant, cette souffrance, elle revient, à dose concentrée, disruptive, au cœur de cette ville. Le sang coule ici, dans nos rues.

On attaque la chair des peuples toujours plus profondément. On atteindra bientôt l’os. On prend conscience que tout est possible. Tout peut encore arriver. La grande histoire, on n’en a jamais, jamais, fini avec elle. Et elle peut s’inviter demain, l’an prochain ou dans dix ans, à notre table. Il faut se tenir prêt.

Mais ici, ce soir, je voudrais rapporter ce que j’ai vécu comme un moment surréaliste. A la télévision, ce 7 janvier 2015, lors de l’émission de France 2 consacrée à l’attentat contre Charlie Hebdo, une journaliste rapporte les propos d’une femme, présente dans les locaux lors du carnage, et qui a été menacée à bout portant par l’un des assassins. Cette femme a raconté que l’homme lui a demandé de réciter quelques mots du Coran pour avoir la vie sauve, et elle ajoute qu’ « il avait de très beaux yeux bleus ». Puis la journaliste se reprend, et corrige : « il avait de très beaux yeux ». L’adjectif « bleu » était-il donc un lapsus ? Ou bien la journaliste réalisa-t-elle qu’elle fournissait ainsi une sorte d’indice non vérifié? Ou bien, cette accumulation d’épithètes à propos des yeux d’un assassin en pleine action lui apparût-elle soudain comme parfaitement incongrue ?

Je n’en sais rien. Je m’accroche simplement à cette seule seconde, où un tueur, qui n’avait vraiment rien à perdre, et rien à gagner, laissa la vie sauve à une femme, après un seul regard, pour ensuite retourner à sa besogne de mort.

JP Morgan Chase et la fin de la démocratie


Dans un livre bien documenté, Le nouveau capitalisme criminel – Crises financières, narcobanques, trading de haute fréquence, Jean-François Gayraud, haut fonctionnaire de la police nationale, révèle bien des dessous douteux de la haute finance internationale. Dans un chapitre consacré à la banque JP Morgan Chase, dite « la plus grande banque des États-Unis », on lit avec intérêt le résumé d’un rapport d’enquête bipartisane du Congrès des États-Unis, dirigée par les sénateurs Carl Levin et John McCain, publié en mars 2013. Pour faire court, ce rapport fait le portrait d’une « banque voyou », condamnée à plusieurs amendes des régulateurs américains et britanniques à l’automne 2013 pour « l’affaire de la baleine ». Cette banque est surtout une « multirécidiviste de la fraude ». Le livre cite « pour mémoire » : « des fraudes dans les produits subprimes titrisés en 2012 ; une plainte de la Deutsche Bank au nom de plusieurs fonds d’investissement pour des titres financiers adossés à des prêts subprimes ; une plainte de 2009 du fonds de pension Operating Engineers Pension Fund ; une enquête dans l’affaire Madoff, JP Morgan Chase ayant été la banque de l’escroc pendant deux décennies ; des fraudes dans le règlement des saisies immobilières ou foreclosure gate ; des défaillances en matière de lutte contre le blanchiment d’argent sale ; des manipulations des cours de l’électricité en Californie et dans le Michigan ; une implication multiforme dans les manipulations des taux du Libor ; une enquête en Italie pour son rôle dans la quasi-faillite de la Monte dei Paschi di Siena, la troisième banque du pays ; une enquête sur plainte d’actionnaires de la banque Bear Stearns ; une enquête de la SEC sur l’implication de la JP Morgan Chase pour le viol de lois fédérales sur la lutte anti-corruption, en relation avec des dignitaires chinois. » La liste est longue. Citons encore le fait que « JP Morgan a aussi participé activement aux États-Unis, avec d’autres banques sous formes de cartels criminels, à des opérations de très grande ampleur de manipulation de cours d’obligations émises par des municipalités pour financer des infrastructures publiques (écoles, hôpitaux, bibliothèques, etc.) ».

Voilà le tableau d’ensemble à peu près esquissé : un « banque-voyou » impliquée dans des « cartels criminels », tout en étant la « plus grande banque des États-Unis ».

Mais le plus intéressant est à venir. Cette banque fait de la politique, et pas n’importe laquelle.

JP Morgan a publié le 28 mai 2013 une analyse intitulée The Euro Area Adjustment : About Halfway There, dans laquelle les analystes de la banque réclament « la quasi-disparition des démocraties européennes et l’avènement de régimes autoritaires ». Devant la résistance des peuples et la mollesse des classes politiques, « il est préconisé de dissoudre ces systèmes démocratiques. »

Il faut mettre les choses dans un perspective large. La banque JP Morgan fut aussi un « acteur central et conscient du réarmement de l’Allemagne – démocratique puis nazie – dans l’entre-deux-guerres », note J.-F. Gayraud.

J’aimerais ajouter, à titre d’information contextuelle, qu’il est de notoriété publique qu’un certain Prescott Bush, père de George H. W. Bush et grand-père de George W. Bush, tous deux élus présidents des États-Unis, a fait sa propre fortune en traitant avec l’Allemagne nazie, avant la Seconde Guerre mondiale et l’entrée en guerre des États-Unis.

Apparemment, il y a de bonnes affaires à faire avec les « régimes autoritaires ». Le problème avec les démocraties, c’est que les majorités de pauvres votent souvent mal…

Solution : les convaincre de bien voter. Ou alors les convaincre de changer de régime. Ou encore, ne pas leur demander leur avis, et foncer droit devant.

Bonne année 2015 à tous !

« Marketing », « branding » et Etat Islamique


Vous pensiez que les drones, les attaques de F-16 dirigées par laser et les norias de satellites pouvaient gagner des guerres ? Le Major Général Michael K. Nagata est commandant des Forces d’Opérations Spéciales états-uniennes au Moyen Orient. A ce titre il a la charge de combattre l’État Islamique. Au rang de ses préoccupations, une question lancinante : qu’est-ce qui rend si dangereux ce qu’il dénomme « cette organisation hybride, à la fois terroriste et dotée d’une armée conventionnelle »? « Nous ne comprenons pas ce mouvement, et tant que nous ne l’avons pas fait, on ne pourra le vaincre. » « We do not understand the movement and until we do, we are not going to defeat it », a-t-il déclaré selon les minutes confidentielles d’une réunion d’experts qu’il a convoquée pour tenter de comprendre les stratégies de « marketing » et de « branding » d’ISIL. L’International New York Times rapporte ainsi ses propos. « We have not defeated the idea. We do not even uderstand the idea. » « Nous n’avons pas vaincu l’idée. Nous ne comprenons même pas l’idée. » Aveu d’une candeur limpide. Une puissante armée qui ne comprend même pas ce qu’elle combat. Comment pourrait-elle vaincre ?

J’ai examiné avec attention la photographie du Maj. Gen Nagata publiée par le New York Times le 29 décembre 2014. Un visage large de samouraï américanisé, aux hautes pommettes. Des yeux vifs. Une coupe au carré. Nagata est un patronyme japonais, qui signifie « long champ ». Sous la photo, cette citation : « Je ne comprends pas le pouvoir intangible de ISIL ».

Il y a peu, ISIL s’appelait encore ISIS, mais désormais cet acronyme est banni des communiqués officiels. Nagata organise des réunions d’experts pour tenter de comprendre les « tactiques psychologiques » d’ISIL, « telles que terroriser les populations, les discours religieux et sectaires et les moyens de contrôle économique » (« Psychological tactics such as terrorizing populations, religious and sectarian narratives, economic controls »).

Il s’agit désormais de s’attaquer au « grand récit de séduction » de l’État Islamique (« The Islamic State’s enticing narrative »).

« Qu’est-ce qui rend l’État Islamique si magnétique, si inspirant ? », continue Nagata. (« What makes I.S. so magnetic, so inspirational ? »). « Il y a une attraction magnétique de l’E.I. qui lui apporte des ressources, des hommes, des armes, etc., et qui ne cesse de le renforcer, de le développer, de l’encourager, d’une façon très alarmante. »

Le général s’est engagé dans une étude à long terme. « I want to engage in a long-term conversation to understand a commonly held view of the psychological, emotional, and cultural power of I.S. In terms of a diversity of audiences. They are drawing people to them in droves. There are I.S. T-Shirts and mugs. » , note encore le général. Quoi ! Des T-shirts de l’État Islamique ! Et même des chopines avec leurs slogans ! Ils en déjà sont là !

Mais ce n’est pas encore assez. Nagata n’a pas encore tout dit. Il reste l’essentiel. « We have to remember that most of their messaging is not for us. We are not the target. They are happy to see us outraged, but they are really communicating to people. We are being drawn to their banner ».

Là on peut dire qu’ISIL dépasse les bornes. L’État Islamique a décidé de s’adresser directement au « peuple » sans se préoccuper de ce qu’en pensent les occidentaux. Les États-Unis ne sont même plus une « cible », mais en revanche, ils sont « traînés » (médiatiquement parlant, et par la magie de la propagande) « sous la bannière » de l’E.I. L’âme des peuples est plus difficile à analyser, semble-t-il, que les vastes superficies des pays en guerre au Moyen Orient sous l’œil des drones, ou que les innombrables communications électroniques que la puissance du moment a décidé de passer au peigne fin.

Je suis toujours étonné de voir tant de pouvoir, tant d’armes, tant de puissance stratégique mis dans les mains de gens qui avouent qu’ils ne comprennent pas ce qu’ils font, contre qui ils combattent, ni en réalité ce qu’ils combattent. Il est vrai que Nagata s’efforce, en bon soldat de compléter son analyse terrain. Mais les mots qu’il utilise (« marketing », « branding », « T-shirts », « mugs ») semble indiquer un sérieux décalage entre l’intention générale et les aptitudes spécifiques.

On ne s’attaque pas à la question des « grands récits », ceux qui meurent et ceux qui naissent, comme à une campagne de presse. Il faut un peu plus de profondeur de champ.