
L’espèce humaine, prise dans sa totalité, peut être considérée comme une somme mouvante d’espoirs et d’effrois, de savoirs et d’ignorances, de vertus et de manques. Les individus offrent telles ou telles combinaisons singulières, au cours d’une vie brève, mais pris comme un tout, ils les ajoutent au fonds commun de l’espèce, qui, dans la durée longue, en fait un tout autre usage et poursuit de tout autres fins.
L’espèce humaine est un animal assez étrange, doté d’une âme et d’un destin, qui n’apparaissent pas clairement à ceux-là mêmes qui en font partie.
Les hommes ne savent vraiment pas qui ils sont, ni quelle est l’essence de leur espèce.
Génération après génération, ils y contribuent pourtant, comme des lucioles à la nuit, ou des étoiles au jour. Leurs lumières vacillantes n’éclairent pas les confins de l’espace, ni la fin des temps.
Ils sont tissés d’obscur et d’absence.
Ils se voient égarés dans un monde beaucoup plus grand que leur petitesse, plus indifférent que leurs désirs, plus inflexible que leur indolence.
Ils sont de plus en plus piégés par eux-mêmes, cernés par leur propre nombre, l’épuisement des ressources et la torpeur des volontés.
De leurs fourmillements actifs, de leurs mobilités contingentes, n’émergent en fin de compte qu’inertie, exténuation. Leurs consciences isolées, séparées, limitées, et même « terrorisées », ont renoncé à la montée de la Conscience.
Ils se savent enfermés dans un monde clos, serré, muré, et ils s’y découvrent plus séquestrés que leur CO2.
Malgré tout, les hommes ont des soifs.
Soif d’être distingués (dans leur foule), d’être accomplis (dans leur inachèvement), d’être justifiés (dans leur infirmité).
Ils ont aussi des puissances.
Puissance de réfléchir, de s’allier, et point critique, puissance de se dépasser, de franchir par la pensée ou le rêve des limites censées indépassables.
Jadis, l’Homme, déjà « moderne » en un sens, aimait encore se croire, cosmiquement et ontologiquement, au centre de l’Univers…
Aujourd’hui, l’Humanité dessoulée se sait reléguée dans un coin reculé d’une galaxie insignifiante, elle-même perdue dans quelque superamas.
Que signifie cette insignifiance? Est-elle relative ou absolue ?
Peut-être que la notion de « place », dans un univers sans centre, n’a pas de sens.
Peut-être faudrait-il la remplacer par une autre idée, une autre métaphore, comme celle de mouvement intérieur? Un anthropocentrisme du mouvement de l’esprit plutôt qu’une cosmologie des lieux et des corps?
L’Homme peut se considérer comme un éternel migrant, s’orientant par quelque étoile interne, vers d’autres centres de l’être, d’autres géographies ignorées du cosmos même.
Cette émigration perpétuelle s’explique par l’élan même de l’âme.
L’âme se meut toujours, et l’un de ces mouvements est celui de la critique.
Il y a aussi l’effervescence biologique et sociale résultant de la compression accrue, par le resserrement, la contraction, l’écrasement dus au nombre, à l’afflux des foules.
Sans se rendre coupable d’aucun anthropocentrisme, on pourrait faire l’hypothèse que les forces actives derrière le processus de l’hominisation sont de nature « universelle ».
Quoi de plus universels que le mouvement, la totalisation, la compression?
On peut en inférer qu’il y a sans doute, de par les vastes mondes, d’innombrables formes d’évolution, fort différentes peut-être, mais aussi analogues dans leur principe même à celles qui façonnent l’Anthropocène : accroissement, complexité, conscience – qui toutes en somme tendent à la convergence.
De cela découle peut-être la capacité de l’Univers à fabriquer son propre sens.
Trop souvent la science moderne, et la philosophie trop complaisante à elle associée, traite l’Homme comme une simple machine aux rouages neuronaux et biochimiques, certes éminemment complexes, mais une machine.
Dans la mode du jour, dans les laboratoires, les universités et les centres de la doxa épistémologique, sont méprisées ou ignorées comme non pertinentes les leçons des grandes traditions religieuses (par exemple la chamanique, la védique, l’égyptienne, la juive, la bouddhiste, la chrétienne, pour n’en citer que les plus saillantes), mais aussi les intuitions visionnaires des poètes, des philosophes et des mystiques.
Tout cela n’est que bavardage futile, disent les « modernes », comparé aux certitudes apportées par des images et aux théories fondées sur des équations.
Le « phénomène humain » n’aurait pas de Grand Récit justifiant sa fondation et sa Genèse.
L’Homme ne serait rien de plus que le résultat d’une suite de hasards convergents, entièrement explicables par la logique du matérialisme et le mors du déterminisme.
On ne voit plus la singularité de l’espèce humaine, sa particularité, son exception, mais seulement sa banalité supposée, sa trivialité relative dans le monde bariolé de la Biosphère.
On ne préfère lire que sa ressemblance avec les autres êtres vivants, dont il partage nombre de gènes, et tant de traits comportementaux, liés à la structure fondamentale des vivants : à savoir la génération, la croissance, le dépérissement, la mort.
On peut se rappeler quelques-unes des dernières étapes de l’évolution du vivant, dont notre planète garde la trace. Dès la fin du Tertiaire apparut sur la Terre des animaux « pensants », c’est-à-dire doté d’une proto-conscience, préparant la voie des premiers Primates puis des Hominidés et des Hominiens.
La conscience est sans doute, sous ses différentes formes, les plus modestes, comme les plus aiguës, chose universellement partagée.
Il faut voir en chaque homme sa spécificité, son essence propre, qui est dans son esprit invisible, dans sa conscience tapie, à l’affût. Toutes ces consciences peuvent en puissance s’agréger comme une Toile mentale, mondiale. La Noosphère commence à recouvrir la Biosphère de son voile de conscience…
Il faut se rendre à l’évidence, l’Homme n’est pas un « accident », mais l’un des infimes résultats de forces immenses, à l’échelle cosmologique, et, au cœur de la matière, il est le produit de fins mécanismes de transformation énergétique et de mutations continues, à l’œuvre depuis des milliards d’années, à des échelles que nous ne soupçonnons pas, et à des fins dont nous n’avons aucune idée…
Parmi ces « mécanismes » fondateurs, qui sont pourtant rien moins que mécaniques, il y eut d’abord la quantification de l’énergie.
Depuis l’aube du monde , l’énergie primordiale, celle qui devait irradier l’ensemble de l’existant, prit des formes granulaires, corpusculaires, photoniques, atomiques.
Des premiers états quantiques, produisant particules, corpuscules , atomes, devaient découler dans la suite des temps une infinie variété de combinaisons et de recombinaisons, une valse sans fin de ré-arrangements, une danse continue d’ultra-mixtions.
D’autre part, les forces de la Gravité, d’une autre nature que quantique, jouèrent leur partition sur d’immenses nuages de gaz. La Matière s’agrégea progressivement en galaxies, en étoiles, en planètes.
Les forces électro-magnétiques, quant à elles, agirent sans relâche dans les soupes chimiques. S’y formèrent des molécules toujours plus longues, plus entortillées, plus enveloppantes, comme si elles cherchaient à se faire le nid souple, vibrant, de leur propre couvaison. S’ouvrit le riche royaume de la chimie organique, où se complurent à l’association et à l’interaction des myriades d’atomes et de molécules, se liant organiquement en gigantesques macromolécules et en protéines de plus en plus protéiformes (c’est le cas de le dire).
De celles-ci, inévitablement, comme disent les déterministes, surgirent les premières sortes de proto-vie, et les composants nécessaires de ce qui devait alimenter d’autres formes de vie naissantes, dans une inépuisable variété, du ciron au potiron, de la phalène à la baleine.
On a mis en parallèle la complexification propre au vivant, à l’échelle biologique, et la complexité propre à l’univers, à l’échelle cosmologique.
On a constaté que les ordres de grandeur qui interviennent dans la gamme des entités biologiques, depuis les plus simples (les virus) jusqu’aux plus complexes (le cerveau humain), est en quelque sorte analogue aux ordres de grandeur qui séparent les particules élémentaires des superamas galactiques.
Autrement dit, on découvre que la « complexité » d’un cerveau humain par rapport à un simple virus est analogue à celle de l’univers entier par rapport à un seul électronii…

De là, il est aisé de supposer que les phénomènes de la vie et de la conscience observés ici-bas dépendent de forces qui intéressent le cosmos tout entier, dans une sorte d’intégration totale, — des forces universelles (et non pas accidentelles), capables de porter la matière à de très hauts degrés de concentration et d’arrangement internes.
Il est également aisé de supposer que, partout dans l’univers où de tels degrés de concentration pourraient apparaître, il faudrait légitimement s’attendre qu’existent des formes de vie et de conscience semblables, ou plus vraisemblablement encore, pour une forte proportion d’entre elles, très supérieures à celles que nous connaissons sur cette Terre.
Il ressort également de tout ceci que le niveau de conscience est en quelque sorte le marqueur principal du niveau de complexité atteint par son substrat provisoire, dans le système nerveux et cérébral.
La compression générale, que la Gravité rend possible et entretient, est un moyen de garder à l’intérieur d’un monde ainsi de facto refermé, gravitationnellement clos, un nombre astronomique d’éléments constamment réorganisés, pendant des temporalités immenses, leur permettant d’innombrables arrangements et recombinaisons, comme on l’a dit.
Mais comment expliquer que les combinaisons les plus complexes et, de ce fait, les plus prometteuses pour d’autres combinaisons à venir, puissent se conserver, perdurer et continuer d’évoluer dans un monde soumis à tant de forces et à tant de pressions, en dépit de leur rareté et de leur fragilité intrinsèques ?
Les expressions de « gravité de deuxième espèce » et de « gravité de complexité » ont été proposées pour dénommer cette ténacité à survivre et à subsister de molécules puis de cellules et d’organismes toujours plus complexes, nonobstant leur fragilité intrinsèque.
La science moderne vit encore sous le signe trop exclusif de l’entropie, de l’usure et de la désintégration universelle. Il serait temps de reconnaître que, perpendiculairement à cette immanence de l’entropie, s’élève toujours plus un courant irrésistible de complexification et de conscience croissantes.
Ce courant, cet axe de « complexité-conscience », se traduit dans l’espèce humaine par les phénomènes de croissance des capacités neuronales et cognitives, mises en évidence par le cerveau humain, et plus généralement par toutes les autres formes de conscience que les systèmes nerveux présents dans la Nature rendent conjecturables.
Le vivant diverge et converge.
Avant que la vie n’apparaisse, les plus grosses molécules que l’on pouvait rencontrer dans les eaux ou dans la terre, n’étaient encore que des amas, des agglomérats, des assemblages physico-chimiques. Sinon inertes, du moins plutôt inactives par elles-mêmes, ces grosses molécules étaient livrées aux lois de la physique et de la chimie. Elles n’étaient encore que matière anonyme, substance répétée, soumise à ces lois inflexibles.
Par contraste, dès que la vie est apparue, ces molécules standards, jusqu’alors constamment réitérées, se mettent à muter et à se reproduire toujours plus efficacement, multipliant les individualités et formant des groupes, des familles, et des bassins d’espèces zoologiques, faisant croître par là leurs possibilités de tâtonnements, d’essais et d’erreurs, de regroupements et de clivages, de mutations et d’apparitions de nouvelles spéciations.
La complexification du vivant, cette ruée vers l’avenir, se fait désormais en réseau, selon plusieurs axes simultanés, et elle est d’autant plus exponentielle. Ainsi se constituent de nouveaux phyla, de nouvelles « unités zoologiques », chacune comprenant une « population » composée d’espèces proches, à la fois légèrement différentes, et aussi potentiellement divergentes.
Toutes ces formes, dans leur bouillonnement, continuent de se développer en faisceau, par des successions de mutations s’additionnant les unes aux autres toujours dans le même sens, comme s’il s’agissait de confirmer une percée dans les murailles du possible, ou de confirmer une sorte de « préférence » de l’évolution pour une direction privilégiée, à l’échelle de durées dépassant le million d’années.
Cette « préférence » pourrait s’interpréter comme une force fondamentale, orientant « toute Matière vers le plus compliqué et le plus conscient »iii.
La forêt de la Vie sur terre semble une jungle impénétrable à l’analyse. La place de notre espèce ne peut s’y trouver aisément du point de vue morphologique, même si du point de vie comportemental, elle semble la forme qui se sera révélée la plus mortifère et la plus délétère pour toutes les autres formes de vie.
N’y a-t-il pas cependant un moyen de démêler dans ce fouillis inextricable de phyla une sorte de principe majeur d’évolution, d’axe explicatif?
La loi de « complexité-conscience » déjà évoquée pourrait aider à formuler une hypothèse à ce sujet.
Chez les vivants supérieurs, le système nerveux a tendance à se regrouper ici et là en ganglions de plus en plus importants, qui ne sont pas sans rapports avec la tendance à la céphalisation et la cérébralisation. D’âge en âge la masse de matière « cérébralisée » n’a pas cessé d’augmenter au sein de la Biosphère. Cela s’observe dans le cas des Primates, d’abord apparus au Tertiaire inférieur sous la forme de très petits animaux, puis séparés en deux groupes au Tertiaire moyen, dont l’un, centré sur l’Afrique, devait connaître un destin mondial. A partir du Miocène, la culmination des Primates de type anthropoïde se confirma, avec l’Afrique pour foyer principal. Après plus de deux milliards d’années d’exploration dans toutes sortes de direction, et bien avant l’apparition du genre Homo, la singularité fondamentale du groupe des Primates éclata : elle fut de diriger toujours son évolution selon l’axe d’une « complexité-conscience » croissante.
Pendant le dernier million d’années de l’évolution sur Terre, a été crevé le plafond nocturne qui empêchait encore d’atteindre le vrai soleil de la conscience. A la fin du Pliocène, la Terre était encore entièrement « sauvage », sans trace de civilisation ou de culture.
Aujourd’hui, c’est la nature sauvage qui a presque disparu, remplacée par la « civilisation humaine » qui occupe intégralement la Terre.
Tout cela en un temps très court à l’échelle du Cosmos : un seul petit million d’années.
Quelque chose de majeur, d’inouï a donc dû se passer au début du Quaternaire dans le domaine de la vie.
Mais quoi ? Où ? Au sein de quelle espèce?
Chez les Australopithèques, ces Singes à petites canines, se tenant debout ?
Chez les Pithécanthropes, déjà des Hommes, mais au crâne aplati et simiesque ?
La différence entre les pré- ou para-hominiens et les proto-hominiens peut être difficile à objectiver, tant elle ne semble pas plus significative qu’entre deux familles hominoïdes voisines.
Il faut se résoudre à ce constat. Le facteur-clé qui a permis l’explosion du phylum hominien, lui donnant la souveraineté de la Terre, reste encore inconnu, invisible, inexplicable en essence.
C’est pourquoi nombre de paléontologues soutiennent encore qu’entre Hominiens et Anthropoïdes, il n’y a aucune différence de « nature », mais seulement une différence de « degré ».
Dans cette explication qui n’explique rien, l’Homme ne serait qu’un Singe se tenant plus souvent debout, mais peut-être un peu plus malin que les autres…
Teilhard de Chardin s’est élevé avec véhémence contre cette lecture de l’évolution. Il a supposé qu’eut lieu en ce début du Quaternaire un moment capital. L’Anthropoïde que l’on devait plus tard appeler l’Homme, soudain n’a plus été seulement « un être qui sait », mais il est devenu « un être qui sait qu’il sait ». Il s’est découvert « une conscience à la deuxième puissance »iv.
Par cette « conscience au carré », l’Hominidé accéda d’un seul coup, et non par « degrés », à un monde totalement nouveau, son monde intérieur, le monde de la pensée, qui faisait de l’Univers, un Univers pensé.
Ce n’était plus là seulement le monde de l’espace et du temps soudainement accessible à la pensée et à la conscience. C’était surtout les premières itérations du tissage, jamais cessées depuis, d’un nuage de conscience pensante, enveloppant la Terre, mais aussi s’élevant vers le Ciel, et s’enfonçant, par la puissance des mythes, dans les antres du lointain passé et dans les cavernes de la mort.
La « conscience au carré », phénomène inouï, imprévisible, livrait d’un seul coup à l’Homme ainsi oint, le monde terrestre tout entier, mais aussi l’Univers total, comme un butin nouveau.
La suite a montré que l’au-delà même de l’Univers, et ce qui était avant sa Genèse, n’étaient plus dès lors hors des limites de son intelligence.
Son intelligence s’est doublement éveillée, elle s’est éveillée à elle-même par la lumière de la conscience, et éveillée à tout ce qui n’est pas elle-même, par le truchement de tout ce que la conscience peut pressentir en elle d’inconscient.
L’apparition de la conscience, ce savoir du fait que l’on sait, a été l’élément déclencheur. Et les ondes réverbérantes de cette explosion initiale ne font jamais que commencer à s’étendre de par l’univers…
On n’a encore rien vu. Tout reste à accomplir.
Qu’on en juge. « Un être qui sait » ne peut s’arrêter en si bon chemin.
Il peut se mettre illico à réfléchir sur le fait qu’il est aussi « un être qui sait qu’il ne sait pas » (ce qui fut le privilège de Socrate de l’avoir formulé en langue claire).
Il peut se mettre à se douter qu’il est aussi « un être qui ne sait pas qu’il ne sait pas », ignorance fatale, que l’on peut cependant quelque peu corriger en méditant sur l’essence de l’infinité des choses dont on sait qu’on les ignore, et plus encore sur l’infinité des choses dont on ignore absolument le fait même qu’on les ignore…
Mais comment expliquer que cette rupture décisive, ce saut de l’ange de l’Homme dans l’immense univers de la pensée et de la conscience ne se soit pas traduit également par une rupture analogue du point de vue morphologique ?
Quelque artifice génial de connexion et d’arrangements de neurones (que les bons professeurs de neurosciences décèleront un jour peut-être dans leurs imageries?) a-t-il permis de faire le pas crucial séparant le cerveau « réfléchissant » de l’homme de celui « non réfléchissant » du Chimpanzé ?
Il est fascinant que l’apparition d’une précieuse mutation neuronale, peut-être apparemment minimale, a permis une telle explosion macro-évolutive de la « pensée se pensant », de « la conscience consciente de soi ».
Il ne faut pas cesser de marteler le point.
Il y a seulement quelques centaines de milliers d’années, l’Homme est apparu soudainement au milieu des Pongidés, ces Primates hominoïdes aujourd’hui en voie de disparition terminale.
Cela fut un événement comparable à l’émergence, il y a deux ou trois milliards d’années, des premières molécules « vivantes » au milieu de la soupe primordiale des protéines « mortes », ou du moins inertes.
La conscience au carré, cette conscience de la conscience, n’est pas simplement un nouvel attribut permettant plus tard à Homo de se nommer (fort improprement) Sapiens.
Il s’agit de beaucoup plus que cela.
Dans le sein bouillonnant de la vie, est apparue une autre espèce de Vie.
Ce sera la gloire ineffaçable du Pliocène d’avoir vu naître cette nouvelle espèce de vie, la Vie de la Conscience.
On n’a pas fini de mesurer les implications de cette révolution, non copernicienne, mais sapientiale. L’Homme, inexplicablement, s’est ouvert la voie vers les étoiles, dont les plus brillantes brillent dans des cieux inaccessibles à la simple vision.
Avec l’Homme, a donc été révélé un nouvel élément fondamentale quant à la nature même de ce monde.
L’Homme n’est objectivement qu’une sorte de bref néant, face à l’amplitude de l’univers et à la radicalité des mystères.
Mais s’il peut, d’un seul coup, atteindre à la conscience même de son propre néant, sans renoncer à la puissance de son esprit, alors cela incite à penser que, statistiquement, de par le monde, de vastes esprits, sages comme mille Messies, moins provinciaux que les prophètes des âges passés, sont déjà à l’œuvre, ailleurs.
Comment s’en assurer ? Il faut faire confiance en la puissance future de la conscience pour s’en persuader effectivement, par la pensée ou par l’intuition, par le sentiment ou par la sensation.
L’Homme n’est sans doute qu’un pion minuscule dans l’échiquier d’infinies dimensions qu’est l’Évolution. Mais c’est un pion qui peut aller à dame.
Et pour prendre une autre métaphore, empruntée au jeu de go, plus démocratique par ses règles car toutes les pierres y sont égales entre elles, l’Homme est une pierre vivante, dans le grand jeu de l’Univers, et il peut le faire « vivre par ko » .
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iPierre Teilhard de Chardin. L’Apparition de l’Homme. « Les trois peurs de l’espèce humaine et leur remède ». Ed. du Seuil, Paris, 1956, p. 295
iiCf.P. Teilhard de Chardin. L’Apparition de l’Homme. « Les trois peurs de l’espèce humaine et leur remède ». Ed. du Seuil, Paris, 1956, p. 301
iiiP. Teilhard de Chardin. L’Apparition de l’Homme. « Les trois peurs de l’espèce humaine et leur remède ». Ed. du Seuil, Paris, 1956, p. 308
ivP. Teilhard de Chardin. L’Apparition de l’Homme. « Les trois peurs de l’espèce humaine et leur remède ». Ed. du Seuil, Paris, 1956, p. 314
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