Un coup de ciseau, le fil s’arrête. Déroulée sans fin la bobine ; mais toujours, un jour, la coupe. Le fil, si blanc soit-il, ne sait rien de la coupe.
Le fil sait seulement qu’il file, qu’il suit son fil. De coton ou de chitine, il file. Où ? Il ne sait.
Il file, et tant qu’il file, il n’est que fil.
Qu’est-ce qu’un fil de laine ou de soie peut comprendre au fil de l’acier, au fil de la lame ? A l’âme du couteau ? A l’esprit du rasoir?
Le fil est fil. Infiniment fil. La longueur est de son côté, croit-il. Qu’est-ce que le fil horizontal peut comprendre à la lame perpendiculaire ?
Même un long fil a une fin. Vient la coupe, le coup. La fin du continu, la condition de l’apparition.
La pensée suit son fil ; droite, sinueuse, zigzagante, elle suit ce fil, ou cet autre, elle tisse sa toile. Pense-t-elle la fin, la lame ? Faite de fil, comment penserait-elle ce qui n’est pas fait de fil ? Le fil peut-il penser l’épaisseur du tapis, sa surface, son motif, ou le chat qui s’y coule?
La pensée suivant son fil va assurée, de prémisses en inductions. Elle ne pense pas ce qui la dépasse, la coupe, ou le noeud.
La naissance de la coupure, par la fin du fil.
Et la coupure est d’un fil aussi, d’acier. Fil acéré, voué à couper, non à lier. Carotte, ou carotide, le fil coupe. Le fil de la lame coupe le fil de l’âme.
La Fileuse, Clotho, tisse le fil de la vie. Lachésis le déroule. Atropos le coupe. Ô destins fauchés !