Bhārata ( भारत ) est un mot sanskrit d‘origine védique. La racine de ce mot est bhar, « porter ».
Dans le Rig-Véda, il désigne le Dieu Agni, et le feu sacré. Pourquoi ? Parce que le feu du sacrifice « porte » les offrandes.
Bhārata est par ailleurs le nom de l’Inde en sanskrit. C’est également le nom d’un empereur et celui de l’auteur mythique de célèbres traités du Théâtre, le Nâtya-shâstra et le Gītālamkāra .
René Daumal, qui apprit le sanskrit, fit des efforts remarqués pour traduire des textes de Bharata, le dramaturge, en une langue belle, ainsi que d’autres perles.
On y trouve l’histoire de la naissance du Savoir, et celle de l’origine de la Saveur.
Rassemblez votre présence. Clarifiez vos pensées. Les Dieux, les rois, les peuples, les prophètes eux-mêmes, ignorent le Savoir, cette Saveur, mais ils montent les uns après les autres sur la scène du grand théâtre mondial. Et ils parlent sans savoir, et sans saveur.
L’art inné du langage ne leur est pas nature. Ils n’y excellent certes pas. Ils ne savent rien de la seule poésie véritable.
Où est l’essence de la vraie poésie ? Dans la Saveur de la vie. La Sapience du goût.
Peu avant de mourir, Daumal donna aux Cahiers du Sud des morceaux d’éclat védique:
« En d’aveugles ténèbres entrent
ceux qui se vouent au non-savoir ;
en des ténèbres encore plus noires
ceux qui du savoir se contentent. »i
Ni le souffle, ni la vue, ni l’ouïe, ni la pensée, ne sont d’aucun secours. Il faut s’en déprendre. Atteindre à l’antique, à l’origine. S’élever plus haut, remonter aux sources : Souffle du souffle, Vue de la vue, Ouïe de l’ouïe, Pensée de la pensée.
Le sage reconnaîtra ce qui est ici signifié. Les mots n’ont plus cours. Ils rendent faible la parole.
Daumal, cependant, s’est efforcé de nous tendre la main, par delà les lignes.
« Nous disons que connaître, c’est pouvoir et prévoir. Pour l’Hindou c’est devenir, et se transformer ».ii
Les mots, enseignait-il, ont un sens littéral, des sens dérivés, et plus important, des sens suggérés. C’est l’univers immense, délié et délicat, des « résonances » (dhvani), des « suggestions » (vyanjanâ) et des « gustations » (rasanâ).
La Saveur est une « joie consciente », même dans la douleur, elle est une connaissance qui brille de son évidence, elle est la sœur du sacré.
Daumal affirme que « celui qui est capable de la percevoir la goûte, non comme une chose séparée, mais comme sa propre essence. »iii
Ainsi le poème est analogue à l’homme. Sa Saveur est son « soi », son « essence », son « âme ».
La Saveur a trois fonctions : la suavité, qui « liquéfie l’esprit » ; l’ardeur, qui l’« embrase » et l’exalte ; et l’évidence, qui l’« illumine ».
Daumal assène même ceci : « Tous les poèmes récités et tous les chants sans exception, ce sont des portions de Vishnu, du Grand Être, revêtu d’une forme sonore »iv.
Le poème n’est rien que du vent, s’il ne met pas le monde entier et l’âme en branle, par sons, sens, résonances, allures et amures.
Rien de grec en ceci. Pas de lumière calme. Pas de mer au soleil, de nature complice. L’Inde est déjà bien ailleurs, au-delà de toute nature. Dans la liberté, pourrait-on dire, enfin.
« Moi, je me suis posé dans le cœur de chaque être.
Par Moi, viennent et s’en vont souvenirs et savoirs.
Le but de tous les savoirs, c’est Moi seul qui suis à savoir.
Je suis l’auteur de la fin du Savoir.
Je suis celui qui sait ce Savoir. »v
iLes Cahiers du Sud. N° spécial 1941 « Message actuel de l’Inde ». Extrait de Brihadâranyaka. IV. 4. 10-21. Trad. René Daumal.
iiBharata. René Daumal. Gallimard. 1970. Pour approcher l’art poétique hindou.
iiiIbid.
ivIbid.
vBhagavad Gîtâ, 15, 15 (trad. Ph. Quéau)