L’homme ne parle pas. C’est sa parole qui « parle ». L’homme n’en est pas le maître, il en est seulement l’instrument.
« Par qui est proférée la parole que l’on dit ? L’œil et l’oreille, quel Dieu les attelle ? Car il est l’oreille de l’oreille, le mental du mental, la parole de la parole et aussi le souffle du souffle, l’œil de l’œil. » – (Kena-Upanişad, 1, 1-2)
Lors du sacrifice védique, ce n’est pas le prêtre qui parle, malgré l’apparence, c’est le Dieu.
Le Dieu est l’esprit dans l’esprit, le souffle dans le souffle.
Dieu seul est vraiment « parole parlante ». Brahman seul habite les mots. Seul il demeure dans tous les cris, les chants, les psalmodies, tout au long du sacrifice.
L’idée du Dieu « Parole » n’est pas propre aux Védas. On la trouve dans d’autres traditions.
La Bible, apparue bien après les Védas, présente aussi un Dieu qui crée et fait exister par sa seule Parole.
Les Védas et la Bible ont une vision commune. Dieu est Parole, et de cette Parole émane une Parole créatrice. De cette Parole créatrice naît (entre autres) l’Homme, – créature parlante.
La tradition hébraïque proclame l’unicité absolue de Dieu. Mais elle reconnaît aussi une cause seconde : une Parole qui se détache de Dieu, qui vient de sa Bouche, et qui agit dans le monde par sa puissance propre.
En appui, le prophète Moïse et le psalmiste David i.
Moïse parle explicitement d’un Seigneur qui se dédouble, – ou de deux « Seigneurs » qui sont tous deux « YHVH », le premier envoyant le second châtier les hommes : « L’Éternel fit pleuvoir sur Sodome et sur Gomorrhe du soufre et du feu; d’auprès de l’Éternel, du haut des cieux. » (Gen. 19,24)
Le texte hébreu est le suivant :
כד וַיהוָה, הִמְטִיר עַל–סְדֹם וְעַל–עֲמֹרָה—גָּפְרִית וָאֵשׁ: מֵאֵת יְהוָה, מִן–הַשָּׁמָיִם.
On note la répétition du tétragramme YHVH comme agent initial de l’action ( וַיהוָה ), et comme partenaire actif (מֵאֵת יְהוָה ). On remarque aussi l’usage de l’expression מֵאֵת יְהוָה, « d’auprès de YHVH » qui indique une sorte de détachement, de mise en mouvement.
Littéralement : YHVH fait pleuvoir le feu et le souffre, et YHVH vient lui-même « d’auprès » de YHVH, qui est au « plus haut des cieux ».
On retrouve ce dédoublement divin ailleurs. Le roi David psalmodie :
« Le Seigneur (YHVH) a dit à mon Seigneur (Adonaï): Siège à ma droite » Ps. 110 (109) – 1
Comment comprendre que le Seigneur (Adonaï) siège à la droite du Seigneur (YHVH)?
YHVH n’est-il pas aussi Adonaï ? Que représente la figure du Seigneur (Adonaï) « assis à la droite » du Seigneur (YHVH) ? Quel est ce Seigneur (Adonaï), qui par ailleurs abat les rois, fait justice des nations, et qui est « prêtre à jamais selon l’ordre de Melchisedech » ?
David dit encore:
« Par la parole de YHVH les cieux ont été faits, par le souffle de sa bouche, toute leur armée. » Ps 33(32)-6
Que veut dire David en évoquant la bouche de Dieu, son souffle et sa parole ? Bouche, Parole et Souffle sont-ils « unis » dans l’unicité divine, ou bien sont-ils « distincts » ? Ou sont-ils à la fois unis et distincts ?
Quelle action spécifique Parole et Souffle ont-ils respectivement sur le monde, quels sens singulier ont-ils pour l’homme ?
David offre une première réponse. Il présente la Parole comme un « envoyé », guérissant ceux qui ont besoin de YHVH :
« Il a envoyé sa Parole, et il les a guéris. » Ps 106(107)-20.
La Parole guérit. Mais que fait le Souffle ?
C’est indubitable. La Parole divine, telle que présentée dans les Védas, possède une étonnante analogie structurelle avec la Parole divine dans la Bible.
Deux grandes traditions spirituelles, différentes à beaucoup d’autres égards, fort éloignées géographiquement et dans le temps, se rejoignent pour affirmer que Dieu parle, que sa Parole est divine, et qu’elle guérit et sauve les hommes.
iJe me suis appuyé sur Eusèbe de Césarée pour le choix des citations.