Œil d’aigle. Cœur de cible. Pénétrer l’intimité. Certaines images font mouche. D’autres, mots mous, tombent ou égarent. Puissance des métaphores fortes, flaccidité des mots émollients.
D’où vient la vigueur des images vivantes? Qu’est-ce qui vibre et résonne par des mots uniquement assemblés?
Dans un petit livre du 16ème siècle, Le palmier de Déborai, un passage sobre, étincelant, concis, propose une image crue du dévoilement de hauts mystères.
« La Torah, réalité subtile et matérielle, s’est habillée de narrations matérielles. Ses narrations recèlent une grande sagesse et qui les étudie a bon salaire. Cependant celui qui la dévêt de sa matérialité couche avec la fille du Roi et la pénètre selon son chemin (kédarka). Elle est mariée à lui. Il sait la défaire de ses robes, l’une après l’autre, vêtement sous vêtement, jusqu’à ce qu’il la pénètre dans son intimité. Heureux qui est entré et n’a pas dévié. »ii
Que nous enseigne l’image de cette pénétration droite ? Trois choses, me semble-t-il.
D’abord, le matériel n’est rien qu’un voile, voilant d’autres voiles.
Deuxièmement, quand on dévêt la Loi de son sens obvie, elle se révèle toujours plus profonde, toujours plus désirable. Comme une fille de Roi qui, lentement, consent à se laisser déshabiller.
Troisièmement, nue, la Loi reste encore « noire » (kédar), comme les tentes de Kédar, comme les pavillons de Salmaiii. Il faut entrer dans cette obscurité, dans cette intimité. Et là, il ne faut plus perdre la voie droite.
La règle d’or, de diamant, est qu’une (bonne) métaphore est un monde, à elle seule. Elle donne toujours plus de sens, plus de suc, au fur et à mesure qu’on la presse.
Et quand on a tout exprimé, il reste encore quelque chose à désirer savoir. Il ne suffit pas d’oser dire, comme à Safed, au 16ème siècle, que connaître la Loi c’est comme « connaître » la fille du Roi. Il faut laisser entendre, pudiquement, qu’il reste encore beaucoup à comprendre quand on l’a « connue ».
Il reste par exemple à comprendre comment le membre intelligent connaît l’intime obscur, comment il garde la voie droite, comment il procrée, donne chair et vie à la Loi même. Il reste aussi à en assumer les conséquences, face à la Loi, face au Roi.
L’écriture permet de multiplier les sens, de parler à plusieurs voix, à diverses intelligences. Parmi les métaphores, celles qui touchent au corps visent le mieux l’âme, parce que tout y est lié.
La métaphore de la « pénétration » mystique scandalise-t-elle ? Choisissons-en de plus mesurées.
Ramaq disait que Dieu est un « roi injurié », ajoutant que c’était là le sens du cri de Michée : « Qui est un Dieu comme toi ?».
Il disait encore : « Ce qui contient le tout c’est la mesure de l’humilité ».
Mesurons les mots à cette aune.
De la bouche : n’émettre que du bien.
Du visage : il doit rayonner.
Du nez : la colère n’y doit point monter.
Des yeux : ils ne regarderont rien d’abject.
Des oreilles : tendues sans cesse pour entendre le bien.
Du front : pur, sans dureté.
De la pensée : elle doit être comme une couronne secrète.
i R. M. Cordovero (1522-1570)
ii Chiour Qoma, 82a
iii Ct. 1,5