« Mais chez les humbles se trouve la sagesse »i.
Le mot « humble » vient d’un mot dérivé du verbe צָנַע, se cacher, s’humilier. Une traduction plus littérale est possible:
« Mais auprès de ceux qui se cachent est la sagesse».
Les humbles se cachent. La sagesse aussi.
L’idée de sagesse cachée est ancienne. On la trouve dans nombre de traditions religieuses, exotériques ou ésotériques.
« Je te parle, ô Nacitekas, Agni céleste, qui connais l’obtention des mondes sans fin et le séjour. Ô toi, sache-le, [cette sagesse] est déposée dans un lieu secret.»ii
Le secret est d’abord un lieu.
La sagesse aussi.
Ce lieu fait partie de la révélation. Pénétrer le secret, c’est pénétrer ce lieu divin, et plonger dans l’abîme. En y entrant, on perd tout équilibre, tout lien, on quitte tout pour aller au-delà de l’humain.
« Quand il a médité, en s’appliquant, sur l’union avec l’âme suprême, sur le Dieu difficile à percevoir, qui a pénétré dans le secret, qui s’est posé dans la cachette, qui réside dans le gouffre, – le sage laisse de côté la joie et la peine. »iii
Il n’est pas donné à tous d’imiter le sage. Le Saint des Saints est un lieu vide, réservé.
La révélation révèle que rien n’éclaire le mystère. Elle l’approfondit sans mesure, toujours davantage.
Les révélations abrahamique, mosaïque ou christique, se présentent parfois comme des dévoilements. Mais ces dévoilements sont autant de voiles nouveaux, autant de questions, jetant des perspectives inconcevables, effleurées.
Toute révélation est réellement dangereuse. Elle menace l’ordre, l’état des choses, les habitudes ; la vie. Combien de prophètes lapidés ou crucifiés pour avoir partagé leur vision? La mort est la compagne de leur vérité.
R. Isaac d’Acre commente : « Quand Moïse notre maître dit : « Montre-moi ta gloire » (Ex. 33,18), c’est la mort qu’il demandait, afin que son âme brise la lumière de son palais, qui la sépare de la lumière divine merveilleuse, qu’elle avait hâte de contempler ».
L’union avec le Divin présente un défi, la dissolution. Elle est comparable à une goutte d’eau dans la mer . « Comme de l’eau pure versée dans de l’eau pure devient pareille à elle, l’âme du sage plein de discernement devient comme le Brahman. »iv
On trouve la même image dans la Kabbale juive: « L’âme s’attachera à l’Intellect divin et il s’attachera à elle (…) Et elle et l’Intellect deviennent une même chose, comme lorsque l’on verse une cruche d’eau dans une source jaillissante. C’est donc là le secret du verset : « un feu qui dévore le feu » » (R. Isaac d’Acre).
Une goutte d’eau dans la source. Un feu dans le feu. La sagesse est bien cachée. Pourquoi fuit-elle la gloire ?
Un passage de Paul peut mettre sur la piste. « Il faut se glorifier ? Cela ne vaut rien pourtant. (…) Pour moi, je ne me glorifierai que de mes faiblesses. »
Un « ange de Satan » est chargé de souffleter Paul pour qu’il ne s’enorgueillisse pas. Si Paul demande à Dieu d’éloigner de lui cet ange satanique, Dieu répond : « Ma grâce te suffit ; car la puissance se déploie dans la faiblesse. »
Paul conclut : « C’est pourquoi je me complais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les détresses, dans les persécutions et les angoisses endurées pour le Christ : car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort ».v
La faiblesse, la détresse, la persécution, – une « force » ?
Comme cela est difficile à concevoir, pour ceux qui veulent survivre !
La force et la puissance voilent et assourdissent tout.
Mais dans la tempête bruyante, dans l’ouragan dévastateur, les humbles ont une faible chance d’entendre le zéphyr, qui leur succèdera, dans un murmure.
i Prov.11,2
ii Katha Upanisad 1,14
iii Katha Upanisad 2,12.
iv Katha Upanisad 4,15
v2 Cor. 12,1-10