
La Guerre des Juifs est le titre du livre bien connu de Flavius Josèphei, qui décrivit de façon très documentée les circonstances précédant la prise de Jérusalem, laquelle eut lieu le 28 septembre 70 de notre ère. Il releva avec précision les diverses responsabilités politiques et stratégiques impliquées dans la prise de Jérusalem, et dans la destruction du Temple, qui l’avait précédée de quelques jours. Flavius Josèphe décrit notamment le rôle déterminant de divers groupes de Juifs, que l’on qualifierait aujourd’hui d’extrême-droite, d’ultra-nationalistes et d’ultra-religieux, mais qui alors se dénommaient les « Sicaires », les « Zélotes » et les « Iduméens ». Ils s’en prenaient violemment à ceux de leurs concitoyens juifs qui voulaient la paix avec Rome, et qu’ils appelaient les « déserteurs ».
Josèphe raconte qu’avant que Titus ne lance l’assaut final, certains de ces « déserteurs » s’étaient regroupés et placés devant les lignes romaines. « Ils suppliaient les rebelles [les Juifs derrière les remparts de Jérusalem], avec des lamentations et des larmes, d’abord d’accueillir les Romains dans toute la ville et de sauver la patrie ; à défaut, de se retirer complètement du Temple et de sauver pour eux le Sanctuaire, car les Romains n’oseraient pas, à moins d’y être absolument obligés, mettre le feu aux Lieux saints. Ces demandes ne faisaient qu’accroître leur hostilité : ils répondirent aux « déserteurs » par des insultes qu’ils vociféraient et mirent en batterie au-dessus des portes du Temple catapultes, scorpions et balistes, de sorte que le pourtour du Temple jonché d’une foule de cadavres ressemblait à un charnier et le Temple lui-même à une forteresse. Ils se ruaient dans ces lieux saints et inviolables, les mains encore chaudes du sang de leurs compatriotes, et ils en arrivèrent à un tel degré d’abomination que l’indignation qui aurait été naturelle chez les Juifs si les Romains avaient commis de pareils crimes à leur égard, c’étaient les Romains qui l’éprouvaient alors à l’égard des Juifs, pour leur impiété envers leurs propres sanctuairesii. »
Lorsque les Romains repoussèrent les « rebelles » hors de la ville basse de Jérusalem, ceux-ci se retirèrent dans la ville haute, non sans avoir auparavant pillé la ville basse et commis nombre d’exactions. « Ils n’avaient aucun repentir de leurs crimes ; ils s’en vantaient au contraire comme de prouesses ; regardant avec des visages joyeux la ville en train de brûler, ils disaient attendre la fin d’un cœur content, puisque, le peuple ayant été massacré, le Sanctuaire brûlé, la ville en flammes, ils ne laisseraient rien aux ennemisiii. »
J’ai pensé à ces pages de la Guerre des Juifs en lisant hier un article du Haaretz. Cet article d’opinion de Noa Landau ouvre un nouvel angle de réflexion quant à une autre forme de ‘guerre’ qui sévit en Israël : la guerre intestine entre, d’une part, les partis d’extrême-droite, ultra-nationalistes et ultra-religieux, qui sont actuellement au pouvoir, et d’autre part, tous les Israéliens qu’ils appellent des « gauchistes », et qu’ils accusent d’être des « traîtres » et même d’avoir « aidé le Hamas de l’intérieur ». Je crois intéressant de traduire cet article pour le bénéfice des lecteurs de ce Blog.
« Combattre la guerre d’Israël dans la guerre »
par Noa Landau
15 octobre 2023
« Alors qu’Israël est en deuil, sous le choc et anxieux comme jamais auparavant, une activité répugnante se répand dans les profondeurs des médias sociaux, à un rythme inquiétant. Il s’agit notamment d’un déluge de théories conspirationnistes sur les « traîtres de gauche » qui sont responsables des échecs ayant conduit au massacre, ainsi que de l’allégation que des membres du personnel de sécurité auraient « aidé le Hamas de l’intérieur » ; de groupes enflammant les sentiments et amplifiant les appels à des actes privés de vengeance contre les Palestiniens et les citoyens arabes d’Israël, accusant les « médias » israéliens de trahison, et exprimant le type le plus exécrable de schadenfreude à l’égard des victimes de la catastrophe, qui ont été identifiées comme étant des partisans des protestations contre le gouvernement.
Il est émotionnellement difficile de répéter les citations précises, mais il est impératif de les connaître : Il y a actuellement plus d’un ou deux Israéliens qui espèrent publiquement la torture et le viol des « gauchistes » qui ont été enlevés, et qu’ils ont identifiées comme des activistes dans les manifestations contre le gouvernement, et pas seulement dans les limites d’Internet.
Certains ont même lancé leurs propres opérations de représailles en Cisjordanie. Et il y a ceux qui sont sortis pour maudire, accuser de trahison et agresser physiquement les manifestants qui réclament un accord d’échange de prisonniers – une manifestation que les agresseurs qualifient de « gauchiste ».
Nombre de ces expressions et organisations ont en commun de désigner les opposants au gouvernement comme des « ennemis de l’intérieur ». C’est le mode d’emploi de tout régime autoritaire et populiste : en cas d’urgence, qualifier l’opposition et la presse de « traîtres de l’intérieur », afin d’accroître le soutien à l’élargissement des pouvoirs d’une direction centralisée, de faire taire toute critique à son égard et de la décharger de toute responsabilité dans le désastre.
Nous ne devons pas rejeter le phénomène ou le considérer comme une note de bas de page hideuse, confinée à la lie des médias sociaux. Nous sommes déjà passés par là : Une feuille de messages qui commence dans les marges politiques devient la ligne officielle du parti. Et il n’y a même pas besoin de deviner : certains membres de la Knesset se font déjà l’écho de ces idées.
Ainsi, par exemple, la députée Tally Gotliv a tweeté cette semaine : « Channel 12 [News] est tout simplement une chaîne de traîtres ! Violant et piétinant une instruction claire de la loi, avec une peine pouvant aller jusqu’à 10 ans de prison : Diffuser en temps de guerre, et avec l’intention de semer la panique parmi le public, des informations susceptibles de décourager les troupes et les résidents d’Israël face à l’ennemi [Sec. 103 du code pénal, dans l’article sur les délits de trahison]. Le moment est venu de renforcer nos troupes ! »
Un compte tweeter de droite comptant 17 000 adeptes a tweeté : « Ce soir, nous avons été violés par Cushmaro et ses acolytes au cours d’une nuit incessante d’incitation incontrôlée contre le premier ministre… Ils ont menti, ils ont répandu la saleté, et ils ont pris en otage la moitié de la nation », faisant référence à la journaliste de Channel 12, Dany Cushmaro.
Tout cela à cause de critiques justifiées et de questions difficiles et justifiées que les journalistes de la chaîne ont osé poser au gouvernement et à son chef.
Et tout comme nous n’avons pas encore entendu le Premier ministre, ou la grande majorité de ses ministres, accepter ne serait-ce qu’un milligramme de responsabilité dans le plus grand échec de l’histoire du pays, nous ne les avons pas encore entendus appeler à mettre fin à la diffusion de théories du complot et de fausses nouvelles contre les civils et les journalistes.
De quoi s’occupent-ils ? A répandre une propagande politique selon laquelle ils ne savaient rien et que tout était de la faute des organes de défense. Le journaliste de Channel 11, Gili Cohen, a également révélé que les porte-parole du Likoud et de la famille Netanyahou sont personnellement impliqués dans l’évaluation de la situation au siège national de la Hasbara (diplomatie publique).
La dure vérité est que même après un désastre de cette ampleur, le gouvernement et ses partisans continuent de nous dire que la gauche est à blâmer, que les médias sont à blâmer, que tout le monde est un « traître » et qu’ils sont les seuls à n’être coupables de rien du tout. C’est une guerre dans la guerre : Nous devons dénoncer et condamner cette machine à empoisonner et à diffuser des fausses nouvelles. »
Ceux qui oublient l’histoire profonde et ses racines mêmes sont condamnés à la répéter sans fin. Ceux qui oublient que le Dieu qu’ils prétendent « aimer » et « adorer » est un Dieu de paix et de justice se condamnent à la guerre et à l’injustice.
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iFlavius Josèphe, fils de Matthias, né à Jérusalem, prêtre et descendant des rois d’Israël, reçut l’éducation d’un rabbin et fréquenta toutes les sectes qui se partageaient alors le judaïsme. Il était un Juif pieux. Mais au lieu de devenir docteur de la Loi, il fit partie d’une ambassade envoyée à Rome. Puis, quand la guerre éclata, il prit un commandement militaire en Galilée, mais fut vaincu et fait prisonnier. Il passa alors aux Romains. Il le fit pour des raisons qu’il explique en détail dans son livre, et qui se résument au fait qu’il fit tout ce qui était en son pouvoir pour préserver Jérusalem de la catastrophe à venir. Il fut un témoin oculaire direct des événements tragiques de la guerre de 66-73 jusqu’à la chute de la forteresse de Massada, que l’on ne connaît que par lui.
iiFlavius Josèphe. La Guerre des Juifs. VI, 2, 3. Traduit du grec par P. Savinel. Les Editions de Minuit. 1977, p.483
iiiFlavius Josèphe. La Guerre des Juifs. VI, 8, 7. Traduit du grec par P. Savinel. Les Editions de Minuit. 1977, p.506
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