The verb ירד,
yarada, is one of those paradoxical, surprising, mysterious
words in the literature of the Hekhalot (« the Palaces »),
which deals with celestial ascents and descents. Its first meaning is
« to descend », but there are several derived meanings: « to
fall, to forfeit, to perish, to be ruined », or to « to
slaughter, to humiliate, to precipitate ». It is mainly used to
describe the different « descents », « falls »,
« lapses » or « humiliations » related to the human
condition.
The paradox appears
when the same verb is also used to describe theophanies, which are
therefore somehow assimilated, by contiguity, to their exact
opposite: the fall.
A brief collection of uses of this word (yarada) will make the spectrum shine through.
« Moses came
down from the mountain » (Ex. 19:14 or Ex. 34:29).
« My beloved has
gone down into his garden » (Cant. 6,2).
« He will
descend like rain on the cut grass » (Ps. 72:6).
This verb is also
used metaphorically:
« Everyone
weeps » (Is 15:5). «
The day was falling »
(Jug. 19:11).
« Those who sail
by sea » (Ps. 107:23).
It applies to death:
« Like those who
go down to the grave » (Prov. 1:12).
« Let them go
down alive into the hell » (Ps. 55:16).
The word can take
the meaning of « forfeiture »:
« You will
always forfeit lower and lower » (Deut. 28:43).
Finally, there is
the application of this verb to theophanies, to forms of divine
apparitions.
« The Lord will
descend in the sight of the whole people on Mount Sinai » (Ex.
19:11).
« Sinai Mountain
was all smoking because the Lord had descended into it in the heart
of the flame » (Ex. 18:18).
« The column of
cloud descended, stopped at the entrance of the Tent, and God spoke
with Moses. » (Ex. 33,9).
« The Lord came
down to the earth to see the city and the tower » (Gen. 11:5).
« I will come
down and speak to you, and I will remove part of the spirit that is
on you and rest it on them » (Nb. 1:17).
« He tilts the
heavens and descends; under his feet, a thick mist » (2 S.
22:10). «
Ah! May you tear the
heavens apart and come down! » (Is 63:19).
« Thou wentest
down and the mountains staggered » (Is 64:2)
« The Lord
Zebaoth will come down to war on Mount Zion and its heights. »
(Is. 31:4)
In all cases where
God descends into the world, He keeps, let us note, a certain height,
or a certain distance. He goes down just low enough to be « in
sight of the people », but no lower. He goes down to the
mountain, but « within a flame ». He descends to the Tent,
but remains « in a cloud ». He descends from the heavens, but
« a thick fog » remains under His feet. He descends to Moses,
but only at the distance necessary to talk to him. He descends to
Mount Zion, but remains on the « heights ».
What does that show?
First, a verb
including the ideas of descent, fall, decay, ruin, humiliation, can,
as we see, be applied (metaphorically) to God. Each of the
theophanies can be interpreted, from the point of view not of man,
but of God, as a kind of « descent » and perhaps of « fall ».
It’s a strong idea.
Then, as noted, the
descents described in the texts cited always keep a certain distance,
a reserve. God descends, but only to a certain extent.
Finally, the idea of
God’s descent is never associated with the idea of his ascent. There
is of course the case of Jacob’s dream. But then it was « the
divine messengers » who « went up and down the ladder »
(Gen. 28:12). As for Him, « the Lord appeared at the top »
(Gen. 28:13), very far away then.
What can we conclude
from this?
God can « come
down », the texts say. The same texts never say that He « goes
up », after having gone down.
This is a strong
argument, it seems to me, to associate divine transcendence with a
persistent, paradoxical immanence.
En 1999, Peter Sloterdijk prononça une conférence intitulée « Règles pour le parc humain », qui se voulait une réponse à la fameuse Lettre sur l’humanisme, de Heideggeri. Il y annonce comme inévitable « la réforme des qualités de l’espèce humaine » et la fin de « l’ère de l’humanisme », suite aux progrès de la science génétique et des biotechnologies. Selon lui, l’avenir de l’humanité est menacé par les tendances actuelles, « qu’il s’agisse de brutalité guerrière ou de l’abêtissement quotidien de l’homme par les médias ».ii
Il
affirme que l’idéologie
humaniste est
obsolète.
C’est
d’ailleurs
Heidegger
qui a porté les premiers coups
contre elle:
« Il
caractérise
l’humanisme – qu’il soit antique, chrétien ou des Lumières –
comme l’agent de la non-pensée depuis deux mille ans. Heidegger
explique que l’humanisme n’a pas visé suffisamment haut. »iii
La
métaphysique européenne avait
défini
l’homme comme
animal rationale.
Mais,
selon Heidegger,
la
différence décisive entre
l’homme et l’animal n’est
pas la raison, c’est
le
langage,.
« Le
langage est
la
maison de l’Être en laquelle l’homme habite et de la sorte
‘ek-siste’… »
Il
en
ressort
que « ce
qui est essentiel, ce n’est pas l’homme, mais l’Être comme
dimension de l’extatique de l’ek-sistence. »
Le
devoir de
l’homme, c’est
d’habiter
le langage, afin d’ek-sister
et dans cette ek-stase,
trouver la vérité de
l’Être…
Mais
le
problème,
avertit
Sloterdijk,
c’est que
pour
cette
ek-stasesoit
possible,
«Heidegger
exige un homme plus domestiqué.(…)
En
définissant l’homme comme gardien et voisin de l’Être, il lui
impose
un
recueillement radical, et
une réflexion qui exige d’avantage de calme et de placidité que
l’éducation la plus complète ne pourrait le faire. »iv
Or
on sait maintenant
que
l’homme
‘humaniste’, ‘domestiqué’, a
été historiquement
le complice objectif de
toutes les horreurs commises pour le bien-être de l’humanité.
« L’humanisme
est le complice naturel de toute horreur commise sous le prétexte du
bien-être de l’humanité. Dans ce combat de titans tragique entre
le bolchévisme, le fascisme et l’américanisme au milieu du siècle
s’étaient affrontées – selon l’opinion de Heidegger – trois
variantes de la même violence anthropocentrique,
trois candidats pour un règne mondial enjolivé par des idéaux
humanitaires. Le fascisme s’est singularisé en démontrant plus
ouvertement son mépris des valeurs inhibantes que sont la paix et
l’éducation. »v
La
domestication renvoie à
la
très ancienne aventure
de l’hominisation par
laquelle
les hommes, dès
l’origine, se
rassemblent pour former
une société. Pendant
la
longue préhistoire humaine est apparue
une nouvelle espèce
de créatures « nées trop tôt »,
imparfaites,
mais perfectibles.
Le
fœtus humain
naît dans un état
d’immaturité et de
fragilité durable. Le
nouveau-né est à la merci de son environnement humain, pendant de
nombreuses années. Dès
la naissance, il
doit apprendre à ne pas
cesser d’apprendre,
à ne pas cesser de
‘dépasser sa nature’
en la ‘domestiquant’.
Il
n’est jamais
‘naturellement’ dans
un
‘environnement naturel’. Créature indéfinie,
il
échappe à toute
définition
naturelle, mais
il gagne en
revanche l’accès
à une culture, au
langage, au monde humain.
La
naissance humaine est une première
‘ek–stase’,
un
premier ‘dépassement’ de
la nature dans
le monde humain, que
Sloterdijk appelle
une « hyper-naissance
qui fait du nouveau-né un habitant du monde. »
L’homme
naît au
monde,
et lui
est ‘exposé’;
alors il
entre aussitôt dans
une
bulle de « domestication ».
Sloterdijk
s’élève contre cette
domestication, cet
apprivoisement, ce
domptage, ce
dressage, cette
éducation, et en général contre « l’humanisme ».
Il reprend
les thèses de Nietzsche,
en faveur d’un « super-humanisme » qui doit dépasser
l’humanisme
‘domestiqué’.
«
Nietzsche, qui a étudié Darwin et Paul avec la même attention,
perçoit, derrière l’horizon serein de la domestication scolaire
de l’homme, un second horizon, plus sombre.»
« Nietzsche
postule ici le conflit de base pour l’avenir : la lutte entre
petits et grands éleveurs de l’homme – que l’on pourrait
également définir comme la lutte entre humanistes et
super-humanistes, entre amis de l’homme et amis du surhomme.»
De
même que la
généralisation de l’alphabétisation
et de la
culture lettrée ont
créé
« entre
lettrés et illettrés un fossé si infranchissable qu’il en
faisait presque des espèces
différentes«
, de même le futur
‘super-humanisme’ fera de
même, à travers de
nouvelles formes de ‘domestication’.
L’avenir
de l’espèce humaine se
jouera
là, dans ce
« super-humanisme ».
«
Qu’il
soit bien clair que les prochaines longues périodes seront pour
l’humanité celles des décisions politiques concernant l’espèce.
Ce qui se décidera, c’est si l’humanité ou ses principales
parties seront capables d’introduire des procédures efficaces
d’auto-apprivoisement. (…)
Il faut savoir si le
développement va conduire à une réforme génétique de l’espèce
; si l’anthropo-technologie du futur ira jusqu’à une
planification explicite des caractères génétiques ; si l’humanité
dans son entier sera capable de passer du fatalisme de la naissance à
la naissance choisie et à la sélection pré-natale. »vi
Toutes
ces questions
sont radicales,
insurmontables,
impossibles à résoudre
par l’humanisme
classique, mais elles
restent inévitables pour
le futur « super-humanisme » qui devra
dépasser
l’« humanisme » obsolète.
Sloterdijk
pense déjà à
l’organisation politique de
la future
« super-humanité. »
Il s’agit de créer un
« zoo
humain »,
des « parcs humains », dans
le cadre d’un projet »
zoo-politique ».
Zoo, parc, camp, — ou goulag?
Il
est parfaitement
conscient
de l’énormité de
l’enjeu:
« Le lecteur moderne
qui tourne son regard tout à fois vers l’éducation humaniste de
l’époque bourgeoise, vers l’eugénisme fasciste, et vers
l’avenir biotechnologique, reconnaît inévitablement le caractère
explosif de ces réflexions ».
Mais
il n’est plus temps de reculer. L’homme
politique doit devenir
un « véritable
éleveur », dont
« l’action
consciente le rapproche davantage des Dieux que des créatures
confuses placées sous sa protection. » Le devoir de ce
seigneur « sur-humaniste »
sera « la planification des caractéristiques de l’élite,
que l’on devrait reproduire par respect pour le tout. »
Le
« sur-humanisme »
sera seul capable
d’apprivoiser le « parc humain ».
– prenant appui sur le potentiel des biotechnologies et
des manipulations
génétiques, et
nonobstant l’obsolescence
de l’humanisme chrétien
ou celui des
lumières.
On
sait que Heidegger
n’a plus bonne presse aujourd’hui. Mais reconnaissons au
moins que, à la différence de Sloterdijk, il
ne voulait
pas d’un
tel ‘sur-humanisme’
ou d’un
tel ‘trans-humanisme’,
il aspirait
à un
humanisme qui vise « suffisamment haut ».vii
Heidegger donnait cette
définition de l’humanisme: « L’humanisme
consiste en ceci: réfléchir et veiller à ce que l’homme soit
humain et non in-humain, « barbare », c’est-à-dire
hors de son essence. Or en quoi consiste l’humanité de l’homme ? »viii
A
cette question, Heidegger
répond de façon
quasi-mystique:
« L’essence
extatique de l’homme repose dans l’ek-sistence. »ix
Nouvelle
question: qu’est-ce que l’ek-sistence?
« Ek-sistence
signifie ek-stase
[Hinaus-stehen] en vue de la vérité de l’Être.»x
Mais
quelle
est
la
vérité de
l’Être?
Un jeu de mots, seul possible dans la
langue allemande, met
sur la piste.
Heidegger explique:
« Il
est dit dans Sein
und Zeit
‘il y a l’Être’ ; « es gibt » das Sein. Cet
‘il y a ‘ ne traduit pas exactement « es gibt ». Car
le « es » (ce) qui ici « gibt » (donne) est
l’Être lui-même. Le « gibt » (donne) désigne
toutefois l’essence de l’Être, essence qui donne, qui accorde sa
vérité. Le don de soi [das Sichgeben] dans l’ouvert au moyen de
cet ouvert est l’Être même. »xi
L’essence
de l’Être
est
de se
dépasser
en s’ouvrant,
en se
‘donnant’…
« L’Être
est essentiellement au-delà de tout étant.(…)
L’Être
se découvre en un dépassement (Uebersteigen)
et en tant que ce dépassement. »xii
Pour
découvrir l’Être,
l’homme doit
se
dépasser, ek-sister.
« L’homme
est, et il est homme, pour autant qu’il est l’ek-sistant.
Il se tient en extase
en direction de l’ouverture de l’Être, ouverture qui est l’Être
lui-même’.»xiii
Mais peut-être une autre voie est-elle encore possible, entre le zoo humain de Sloterdijk et l’ek-sistence de Heidegger?
iLettre sur l’humanisme, adressée par Heidegger à Jean Beauffret en 1946. Cette Lettre fut conçue aussi comme une réponse à l’ouvrage de Sartre, L’existentialisme est un humanisme (1946).
iiPeter Sloterdijk. Règles pour le parc humain, 1999. Trad.fr. Mille et une nuits, 2000.
vii« Les plus hautes déterminations humanistes de l’essence de l’homme n’expérimentent pas encore la dignité propre de l’homme. En ce sens, la pensée qui s’exprime dans Sein und Zeit est contre l’humanisme. Mais cette opposition ne signifie pas qu’une telle pensée s’oriente à l’opposé de l’humain, plaide pour l’inhumain, défende la barbarie et rabaisse la dignité de l’homme. Si l’on pense contre l’humanisme, c’est parce que l’humanisme ne situe pas assez haut l’humanitas de l’homme. » Martin Heidegger. Lettre sur l’humanisme. Trad. Roger Munier. Aubier, Paris, 1983, p. 75
viii
Martin Heidegger. Lettre sur l’humanisme. Trad. Roger
Munier. Aubier, Paris, 1983, p. 45
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