Paroles creuses, paroles crues


« Creux » ©Philippe Quéau (Art Κέω) 2025

S’Il est tout, qu’est-ce que le monde, sinon rien ? Si je ne suis rien dans un monde qui n’est rien, qu’est-ce que cette question signifie ? Rien ? Pour qui ce rien ne signifie-t-il rien ? Pour personne ? S’Il est tout et si tout est Lui, qu’est-ce qui peut être « autre » que Lui ? Rien, à nouveau ? Et, s’il est vraiment certain qu’il n’y a rien d’« autre », que signifient donc ces doutes, ces querelles, ces songes, ces cris, ces grincements de dents, à propos de ce qui est apparent, et de ce qui n’est vraiment pas ? Rien encore ? Et qui, à ce sujet, voudrait induire qui en « erreur », et pour quelle raison ? Quelle serait la nature de cette « erreur », partout et sans cesse répétée, et quelles seraient ses lointaines implications ? Quel serait le nombre de toutes les « autres » erreurs répandues de par le monde, depuis le commencement des temps ? Ce nombre serait-il lui-même une erreur ? Si le destin du monde est, à la fin des fins, la totale annihilation, qu’est-ce donc que toute cette agitation, depuis l’origine, en matière d’être, de non-être et de devenir ? Quelle en est l’utilité ? Si la véritable fin est le néant, pourquoi n’a-t-on pas tout commencé, tout de suite, par la fin, pour en finir d’emblée avec le néant, et avec sa sempiternelle opposition avec l’être ? Si l’être (en général) n’est qu’une ombre, et si notre être (propre) n’est qu’une semblance d’ombre, plus évanescente encore, pourquoi toutes les souffrances et toutes les douleurs ne sont-elles pas elles-mêmes seulement des ombres d’ombres, sans poids ni taille, sans raison ni durée ?

Si je ne suis pas même mon âme, si je ne suis pas même là où elle aime, qu’est-ce qui justifie encore son effort à être ce qu’en fait elle n’est pas, et à devenir ce qu’elle ne sera jamais ? Si toute âme doit être anéantie, avant d’avoir été ce qu’elle aurait pu devenir ou avant d’être ce qu’elle ne sera jamais, pourquoi ignore-t-elle autant qu’elle ne sera jamais que l’ombre d’un rien, et qu’elle ne connaîtra jamais non plus la profondeur des ombres qui l’obombrent ?

Après les avoir posées, que puis-je répondre à ces questions, sinon proposer de les reformuler à nouveau, avec d’autres paroles, plus creuses, plus sombres, ou plus crues ?