Le 3e Temple, la 3e Rome et le 2e Monde.


Gaza, 2024

La philosophie « commence » quand un monde s’écroule, quand la réalité devient insupportable, quand la corruption envahit la politique et l’économie, quand la morale est bafouée, quand le droit est nié dans ses principes comme dans ses conclusions, quand les religions montrent leurs visages les plus dégoûtants, celui de l’absolue hypocrisie, assumant l’apparence de « sépulcres blanchisi », et surtout celui de la haine irrémissible de l’homme pour l’homme, laquelle se trouve, surcroit d’ignominie, justifiée au nom du « Dieu saint », s’autorisant ainsi en toute conscience la multiplication des charniers, la perpétration de génocides et de crimes contre l’humanité.

Tout cela nous le vivons aujourd’hui, nul besoin de le répéter. Mais il est peut-être nécessaire de répéter que l’histoire se répète. La guerre du Péloponnèse a plongé la Grèce pendant des dizaines d’années (de 460 à 446 av. J.-C. et de 431 à 404 av. J.-C.), et l’a transformée en une terre misérable, décimée, corrompue jusqu’à la moelle, pour finalement, après des destructions fratricides, la mettre à la merci de la Perse. Or c’est précisément pendant cette période sombre et désespérée que quelques Grecs « commencèrent » à penser. Ils s’enfuirent dans un autre « monde », celui de la pensée philosophique, qui ne reconnaît qu’une seule puissance, celle de l’Esprit. Ce phénomène s’est ensuite « répété » lors des dernières années de la Rome impériale. « Ce n’est qu’à la décadence de l’Empire romain, si grand, si riche, si superbe, toutefois à l’intérieur déjà mort, que les anciennes philosophies grecques ont atteint leur plus haut degré de développement dans l’œuvre des néo-platoniciens ou des alexandrinsii. » Il y a là une leçon de portée générale, et même universelle, et qui s’applique tout particulièrement à notre temps. Quand le monde réel s’écroule, quand la vie publique montre, jour après jour, ses turpitudes, quand le citoyen ne peut plus prendre une part active à l’administration de l’État, quand les formations politiques affichent leur corruption, l’inanité et l’incohérence de leurs soi-disant « programmes », le vide sidérant de leurs « idéologies », alors les esprits les plus libres cherchent d’autres terrains pour exercer cette liberté (la liberté de penser qui leur est encore acquise), pour continuer le combat éternel de l’Esprit, avec leurs propres moyens, si dérisoires soient-ils face au chaos grandissant qui les entoure, et qui menace à terme de détruire le monde même.

Les empires qui dominent aujourd’hui le monde, malgré leur puissance apparente, qui est en effet réellement dévastatrice, sont pourtant déjà « morts » à l’intérieur. Ils font illusion, parce qu’il sont capables d’infliger des destructions massives — surtout en s’attaquant aux faibles. Les « forts », comme dans la jungle, cela est bien connu, s’épargnent réciproquement. La puissance de ces empires matériels est éclatante, mais ils sont déjà « morts » intellectuellement et spirituellement. « Make America Great Again ! » C’est donc que cette « Amérique »-là est tombée de son piédestal, et fort bas. En embuscade, d’autres empires en devenir attendent leur moment. L’Histoire est ainsi faite.

Mais aujourd’hui, comme hier, et comme demain, ce qui importe par-dessus tout, c’est la vie de l’Esprit. Car l’Esprit est l’essence même de l’Homme. La guerre du Péloponnèse n’occupe plus dans la mémoire collective qu’une place fort réduite, et sert désormais de métaphore pour illustrer, précisément, l’inanité du « politique », et la survivance éternelle de l’Esprit, tel qu’il fut alors incarné par quelques philosophes grecs, qui alors représentèrent l’honneur de l’Humanité tout entière, et continuent de nous en rappeler l’absolu destin.

Dans le monde qui s’effondre aujourd’hui — en Europe, en ses confins « proches », dans l’hémisphère dit « américain », mais aussi en Asie et en Afrique — il reste encore cette puissance : la possibilité de la philosophie. Une nouvelle philosophie, qui n’aura rien oublié de son passé le plus brillant, notamment bâti par les philosophes grecs, va devoir émerger, sur les décombres. Le Temple de Jérusalem a été détruit à deux reprises, comme on sait. Certains veulent aujourd’hui le reconstruire pour la troisième fois. La première Rome et la « seconde » (connue sous le nom de Byzance) ont, elles aussi, été détruites, l’une après l’autre. Quelques philosophes et idéologues russes ont fantasmé l’idée d’une « troisième Rome » qui serait, cette fois, sise à Moscou. L’Histoire se répète-t-elle, ou bien, devenue sénile, et souffrant de la maladie d’Alzheimer en phase terminale, finit-elle par « répéter », en bredouillant, ses incohérences ? Une 3e Jérusalem ? Une 3e Rome ? Peut-être. Mais ce qui est certain, c’est que nous n’avons qu’une seule Terre, et il n’y en aura pas une deuxième. En revanche s’ouvre à nouveau, pour la 2e fois, et sur des bases entièrement nouvelles, la nécessité absolue, vitale, de penser l’unique monde de l’Esprit.

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iSelon l’expression employée il y a deux mille ans par un obscur rabbin de Galilée :  «Vous ressemblez à des sépulcres blanchis, qui paraissent beaux au dehors, et qui, au dedans, sont pleins d’ossements de morts et de toute espèce d’impuretés. » (Matthieu 23:27) 

iiG.W.F. Hegel. Leçons sur l’histoire de la philosophie. Trad. J. Gibelin. Gallimard, 1954, p. 176-177

2 réflexions sur “Le 3e Temple, la 3e Rome et le 2e Monde.

  1. Merci pour ce billet.
    Outre l’émotion, le sentiment est Présence.
    Je crois profondément aux mondes, aux correspondances de notre être avec « les mondes » et je crois que la vie ne s’arrête pas à « ici », bien que l’état de présence, celui qui nous fait entrer en l’esprit, L’Esprit, nous donne une « autre vie »… je ne m’étendrai pas plus, mais je dirais, « Cela » se révèle en notre Corps-Arche…Nous sommes Jérusalem, le Royaume des Cieux est en nous et bien plus encore.

    Les crimes perpétrés, nous révèlent la réalité de ceux qui les perpétuent, rien de plus ! Dommage ! Quel dommage et quelle terrifiante découverte !

    Merci encore pour cette lecture.

    VINCIT OMNIA VERITAS !

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