La sagesse cachée des peuples


 

Il y a plus de sagesse dans les peuples que dans les puissances. Au sommet des mondes règne un froid glacial et sec, et la vie y a le souffle court. Il y a plus de chaleur humide au fond des marécages, où bouillonne une vie abondante et prolifique.

Ce ne sont que des métaphores, bien sûr. Laissons-nous guider par elles, leurs doubles ententes.

D’un point de vue systémique, la montagne et la vallée se complètent. L’une a vocation à dominer l’autre, pendant un certain temps, disons géologique. Puis vient un autre temps post-géologique. On prévoit alors l’arasement des montagnes, leur vocation à combler les vallées, à engendrer les plaines alluvionnaires et les bassins fluviaux.

La montagne c’est l’oligarchie. Les plaines et les bassins, c’est la démocratie. Le pouvoir sera-t-il nécessairement exercé dans les hauteurs, par les hauteurs, et pour l’intérêt des hauteurs ?

On peut raisonnablement en douter.

Le « politique » dans sa forme actuelle est moribond. Des pitres et des serfs, des professionnels de la double, de la triple langue, haranguent les peuples inéduqués, pour combien de temps encore ?

Le populisme, comme le fascisme hier, mène à la guerre. Qui veut la guerre ? A qui profite-t-elle ? Pourquoi les peuples n’apprennent-ils que lentement ? Pourquoi oublient-ils leur propre mémoire ?

La démocratie ne tombe pas du ciel. Il y règne un Jupiter sans partage. Il faut la construire au long des âges, à la façon de Sisyphe, toujours à nouveau, autrement. Cela prend de la peine.

Il est aisé de constater que la démocratie erre. Elle ne marche pas bien, claudique, se trompe de chemin. Elle a été détournée, corrompue, trahie.

Mais elle marche encore un peu, et l’histoire l’a prouvé, bien mieux que les tyrannies – la rouge ou la brune, la blanche ou la noire.

La démocratie n’a pas encore été capable de réguler un monde complexe, où l’argent est libre et sans frontières, et les gens sont asservis à leur destin local, livrés aux chausse-trapes des nations, des religions, des rois.

Prenons un exemple. Poutine a déclaré, après avoir ré-annexé un bout de l’ancien empire russe, que l’Europe se comporte « comme un Empire ». Il est vraiment fort curieux que l’électorat russe se contente d’idées aussi frustes, aussi élémentaires, au moment où l’Europe est au bord de l’explosion (en plein vol). Pourquoi le peuple russe, ce grand peuple, plein de passion et d’idéal, se laisse-t-il fourvoyer ainsi?

Pourquoi Poutine jouit-il d’une popularité exceptionnelle ? Comparez avec Hollande. Que peut-on en déduire ?

Que les peuples aiment l’idée impériale, plus que les 35 heures ? Qu’ils aiment la force même avec un rouble faible ?

La Russie vit avec son propre mythe, construit siècle après siècle, depuis Ivan le Terrible. La Russie se voit elle-même « comme un grand Empire », qui couvre la moitié de la terre, depuis les confins de l’Ukraine aux volcans du Kamtchatka. Aux yeux d’un marteau, tout est clou. Aux yeux des tsars russes, tout est knout.

L’empire états-unien est en tout point comparable au russe, sauf qu’il est plus sophistiqué, par ses armes, par ses lois, et qu’il est plus ambitieux.

Dans le passé, on distinguait les empires de la terre (Chine, Russie) et ceux de la mer (Grande Bretagne, États-Unis). Tous avaient une chose en commun : ils avaient besoin d’innombrables esclaves, à domicile et dans le monde.

Les empires aujourd’hui, bâtis sur l’économie financière, les technologies, les enfers fiscaux, ont eux aussi besoin d’esclaves, – mais en petit nombre. Le reste de l’humanité, tout le reste, leur est (pour une grande part) inutile et sans valeur.

Si rien ne change, il n’est pas difficile d’imaginer la catastrophe qui lentement se prépare, et qui va terrifier et décimer le monde.

La démocratie n’est peut-être pas encore adaptée à la gestion dangereuse et contradictoire des intérêts du monde mondialisé.

Mais les peuples comprennent vite, lorsqu’on veut les enchaîner, ou les anéantir.

Ils comprendront très vite, le moment venu, la menace imminente de mort. Il comprendront aussi, tout aussitôt, qu’il faut en finir avec les empires. La tâche sera rude.

Ils sont nombreux.

Il y a les empires géostratégiques et militaires.

A titre anecdotique, on peut noter que les États-Unis, puissance de la mer, veulent limiter par quelques gesticulations la puissance maritime de cet autre empire qu’est la Chine, un empire ancien de la terre, devenu depuis peu la première puissance économique mondiale (– au moment même où la crise mondiale s’installe pour de bon, ce qui ne semble pas un hasard).

Il y a les empires maffieux, les empires financiers, et les empires virtuels qui n’existent que dans l’obscurité organisée des « dark pools », ou bien dans les nano-fréquences et la circulation luminique des bourses mondiales.

La démocratie mondiale aura fort à faire pour en finir avec ces empires. Mais si elle ne veut pas subir une nouvelle mise en esclavage, d’ampleur métaphysique et morale, elle devra s’attaquer à ces empires, à ces Babylones, tous à la fois, ou l’un après l’autre.

On rira de ma naïveté peut-être. Depuis que le monde est monde, le peuple est toujours serf, dira-t-on ! Et qui donc s’attaquerait aux flottes de guerre américaines, aux armées chinoises, aux maffias roublardes et cancéreuses ? Qui ? Les peuples avachis devant les écrans du foot mondial ? Les djihadistes reconvertis ? Les « nuit debout » ?

 

La démocratie mondiale ne se constituera pas par une sorte d’enchantement spontané. Il va falloir une prise de conscience universelle. Il va falloir une nouvelle mutation psychique et intellectuelle des masses du monde.

Impossible ! Dira-t-on. Balivernes, utopies vides, creuses chimères…

Je crois que tout peut arriver, y compris l’impensable. Il suffit d’un déclic, d’une étincelle.

Le nouveau, le vraiment nouveau, est toujours invisible aux premiers jours. Et puis, les circonstances aidant, et la conscience y suppléant, le vraiment nouveau balaye le vieux monde comme un tsunami imprévisible.

Ce nouveau gît quelque part, encore caché, mystérieuxi, mais il est absolument nécessaire qu’il soit aux aguets.

Nul ne peut dire le jour ni l’heure. Mais le nouveau naîtra, c’est absolument certain. Et personne, personne, ne peut dire à l’avance ce qu’une idée vraiment nouvelle, balancée dans un marécage brûlant de dix milliards d’habitants, peut déclencher psychiquement et moralement.

Reconnaître l’arrivée du nouveau comme nécessaire, et comme imminente, c’est le premier pas pour aider à le faire advenir.

i« Ce dont nous parlons, c’est d’une sagesse mystérieuse, demeurée cachée. »1 Cor. 2,1-7

La démocratie mondiale ou l’esclavage


Quarante et unième jour

J’aime bien l’idée improbable qu’il y a plus de sagesse dans les peuples que dans les puissances. Au sommet des mondes règne un froid glacial, et la vie n’y tient qu’à un fil. La chaleur préfère les marécages, où la vie bouillonne. D’un point de vue systémique, la montagne et la plaine se complètent. Mais la « domination » de la montagne ne saurait être que métaphorique, poétique et non politique et économique. Pourquoi le pouvoir devrait-il être nécessairement exercé dans les hauteurs, par les hauteurs, et pour l’intérêt des hauteurs ?

Les vallées et les plaines sont plus basses, du point de vue altimétrique, mais elles produisent tout ce qui est nécessaire, et il y fait bon vivre. N’est-ce pas là un titre pour revendiquer un rôle mieux assuré dans la gouvernance démocratique des choses et des nations ?

Mais la démocratie ne tombe jamais du ciel, où les Jupiters règnent sans partage. Il faut la construire au long des âges. Cela prend du temps et de la peine. Il est aisé de constater que la démocratie, aujourd’hui, ne marche pas très bien. Elle est souvent détournée, corrompue, trahie. Elle marche cependant mieux, beaucoup mieux, que les tyrannies – la rouge ou la brune, la blanche et la noire. Mais pas encore assez bien pour réguler un monde sans frontières pour l’argent et truffé de chausse-trapes pour les pauvres gens.

Prenons un exemple simple. Poutine déclare que ce qui arrive au rouble est entièrement dû aux menées occidentales. L’Europe se comporte « comme un Empire », ajoute-t-il. Il est vraiment fort curieux que l’électorat russe se contente d’idées aussi frustes, aussi élémentaires. Pourquoi le peuple russe, ce grand peuple, plein de passion et d’idéal, se laisse-t-il guider par des tsars aussi limités, aussi primaires ? La Russie vit avec et de son propre mythe, construit siècle après siècle, depuis Ivan le Terrible. La Russie se voit elle-même « comme un grand Empire » qui couvre la moitié de la terre, depuis les confins de l’Ukraine aux volcans du Kamtchatka. Aux yeux d’un marteau, tout est clou. Aux yeux d’un tsar, tout est à soumettre au knout. Les empires du passé, des empires de terre et de mer, avaient besoin d’innombrables esclaves pour tenir. Les empires du présent ont eux aussi besoin d’esclaves, à mettre sous le knout.

La démocratie n’est peut-être pas très adaptée à la gestion dangereuse et contradictoire des intérêts mondiaux à long terme, mais on peut faire le pari qu’elle saura vite comprendre que l’on cherche à la remettre en esclavage, le moment venu, et qu’elle se révoltera alors, aux premières morsures des knouts.

Il faut changer de « paradigme », dirons-nous, avec un peu de cette prétention des mots savants à incarner des idées que les mots de tous les jours ne peuvent aisément expliquer. Il faut en finir avec le paradigme des empires, et il faut en finir avec les empires eux-mêmes. Il y en a de toutes sortes. Il faut les distinguer et les déconstruire. Les empires du passé, comme le russe, ne sont plus que des tigres en papier-rouble. Il y a d’autres empires nettement plus coriaces. La Chine est devenue la première puissance économique mondiale. D’où vient sa force ? De la générosité de son système démocratique ? Et il y a les empires maffieux, les empires financiers, et les empires virtuels qui n’existent que dans la circulation luminique des bourses mondiales, ou bien dans l’obscurité organisée des « dark pools ».

La démocratie mondiale devra s’attaquer à tout cela, ou bien elle subira elle aussi, une mise en esclavage mondiale.

Quel rapport a tout ceci avec mon sujet préféré ? Voici. La démocratie mondiale n’arrivera pas à se constituer par une sorte d’enchantement spontané. Il va falloir beaucoup travailler la théorie et la pratique. Il va surtout falloir une nouvelle mutation psychique et intellectuelle. Qui est encore cachée, mystérieuse, mais qui est absolument nécessaire. La reconnaître comme nécessaire, c’est déjà aider à la faire advenir.

« Je me suis présenté à vous faible, craintif et tout tremblant, et ma parole et mon message n’avaient rien des discours persuasifs de la sagesse . (…) Pourtant c’est bien de sagesse que nous parlons parmi les parfaits, mais non d’une sagesse de ce monde ni des princes de ce monde, voués à la destruction. Ce dont nous parlons au contraire, c’est d’une sagesse mystérieuse, demeurée cachée. »1

11 Cor. 2,1-7