
« La Voix » ©Philippe Quéau (Art Κέω) 2024
En sa douceur, l’Aube pâle appelle le chantre à élever la voix près du foyer. Le feu crépite, et l’Hymne élève le soleil, enlève à l’Aurore ses voiles. Ce Chant fait se mouvoir les cieux et renaître les dieux. Le rite védique « accroît la puissance des dieux, élargit leur domaine et les fait régneri. » Les poètes Aryâs avaient conscience de la fonction théurgique de leurs paroles. « Les poètes védiques déclarent qu’ils ont eux-mêmes créé les dieux : ‘Les ancêtres ont façonné les formes des dieux, comme l’ouvrier façonne le fer’ (Vāmadéva II,108), et que, sans l’Hymne, les divinités du ciel et de la terre ne seraient pasii. » L’Hymne est une « Parole sainte » (Vāciii) et sa grandeur s’élève même au-dessus du ciel. Un des hymnes du Ṛg-Veda porte ce nom, Vāk, et la Parole parle à la première personne : « Je porte le redoutable Soma […] Je suis reine et maîtresse des richesses ; je suis sage; je suis la première de celles qu’honore le Sacrifice […] Ami écoute-moi, je dis une chose digne de foi. Je dis une chose bonne pour les dieux et pour les enfants de Manu. Celui que j’aime, je le fais terrible, pieux, sage, éclairé […] Je parcours le ciel et la terre. J’enfante le Père [du sacrifice]. Ma demeure est sur sa tête même, au milieu des ondes […] J’existe dans tous les mondes et je m’étends jusqu’au ciel. Telle que le vent, je respire dans tous les mondes. Ma grandeur s’élève au-dessus de cette terre, au-dessus du ciel mêmeiv. » Émile Burnouf commente : « Ce n’est pas encore la théorie du Logos, mais cet hymne et ceux qui lui ressemblent peuvent être considérés comme le point de départ de la théorie du Logosv. » De la Vāk au Logos ! Du Véda au Verbe ! Saut plurimillénaire, interculturel, méta-philosophique ! La voix de la Vāk est donc apparue dans la conscience humaine plus de mille ans avant qu’Héraclite ait dit, dans une autre langue (elle aussi, indo-européenne) : « Le Logos, ce qui est, toujours les hommes sont incapables de le comprendre, aussi bien avant de l’entendre qu’après l’avoir entendu pour la première fois vi ». La Vāk védique était déjà vue « divine »,plus de mille cinq cents ans avant que Jean l’évangéliste énonce que le Logos était au commencementvii, et que cette Parole était avec Dieu et qu’elle était Dieu.
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iEmile Burnouf. Essai sur le Véda. Ed. Dezobry, Tandou et Cie, Paris, 1863. p.112
iiEmile Burnouf. Essai sur le Véda. Ed. Dezobry, Tandou et Cie, Paris, 1863. p.113
iiiVāc : Voix, parole, son ; verbe, langage, discours ; parole sainte. Vāk est la Parole personnifiée, épithète de Sarasvatī
ivṚig-Veda ou Livre des Hymnes, Section VIII. Lecture VII. Hymne VI « La Sainte parole (Vak) » Trad. Langlois, Ed. Firmin-Didot, 1851, Tome IV, p.415-416
vEmile Burnouf. Essai sur le Véda. Ed. Dezobry, Tandou et Cie, Paris, 1863. p.115
viHéraclite. Fragment 1. Cité par Sextus Empiricus. Contre les mathématiciens. VII, 132. Il a aussi dit : « Il appartient à l’âme un logos qui s’accroît de lui-même ». Fragment 2. In Stobée, Florilège III, 1, 180 a. Et encore : : « Bien que le Logos soit commun, la plupart vivent comme avec une pensée en propre. » Fragment 115, Cité par Sextus Empiricus. Contre les mathématiciens. VII, 133
viiJn 1, 1
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