Le secret de la rumination


« Cornes blanches » ©Philippe Quéau (Art Κέω) 2024

Un jour, mon ami Kabῑr m’a raconté cette histoire, que je vous rapporte, aussi fidèlement qu’il me semble nécessaire. Le seigneur de ces lieux nous avait donné une vache. Elle était très grasse, lourde, massive. Elle absorbait en permanence de l’eau par les neuf trous, mais toute cette eau n’étanchait pas sa soif. On l’a enfermée au milieu d’une étable munie de portes adamantines, et dans laquelle on a enterré profondément un pieu ; on l’y a attachée avec des cordes insécables, mais elle s’est échappée quand même. Cinq arbres, six branches, dix-sept feuilles : elle a tout mangé, et puis elle s’est enfuie toujours plus loin — quelle vache incorrigible ! Sept et sept encore, douze puis quinze, elle a tout mangé sur son chemin, elle s’est engraissée, mais elle n’était jamais rassasiée. Cette vache vit maintenant quelque part, je ne sais où, dans une ville peut-être, ou dans quelque forêt, et elle a des cornes blanches, la queue noire et le pis rouge. Elle-même n’a pas de couleur, à vrai dire, mais elle n’est pas incolore non plus. Elle mange tout ce qui est comestible comme ce qui ne l’est pas. Des dieux nombreux, des anges et une multitude d’hommes se sont mis à la chercher à leur tour, mais personne n’a pu la trouver, cette vache.

K. dit alors : Avez-vous compris cette histoire ? Avez-vous trouvé la vache? Si c’est le cas, vous irez certainement de l’avant, et vous trouverez le moyen de régler le problème qu’elle pose, d’une manière ou d’une autre.

Kyū, quant à lui, réfléchit de son côté et ajouta in petto : Sinon, vous devrez vous passer de cette vache-là, mais que cela ne vous empêche pas d’en chercher une autre. Puis lui vint cette autre pensée. Pourquoi cette vache ne se chercherait-elle pas elle-même, si d’aventure elle en éprouvait le besoin ? Il y a même une autre possibilité, rien moins que théorique, c’est que cette vache symbolise la recherche en soi. La recherche de quoi ? Celle de l’origine du lait ? De l’essence de la blancheur ? De celle de la corne? Non, plutôt la recherche du mystère insondable de l’herbe, ou plus important encore, la recherche du secret de la rumination.

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