
Tout cela, toute cette immanence – les mers, la terre, les rivières, les arbres, les sèves, les cieux, les aurores, les soirs, les déserts, les ergs, les campagnes, les cratères, les calanques, les nébuleuses, l’énergie sombre, les trous noirs – tout cela devient sans cesse esprit, à sa façon. Est-ce si inconcevable ? Dans toute son immanence, c’est l’évidence, l’esprit va où il veut et devient ce qu’il veut. Dans les milliards de terres et d’étoiles, dans tous les mondes, partout dans l’univers, l’esprit va et vient, comme la vie va et vient. La vie vit partout là où l’esprit va, elle l’accompagne comme une ombre fidèle, infinitésimale et animale, éphémère et éternelle, intellectuelle et spirituelle. La vie, vraiment, est forte comme la mort, toujours unique, singulière, jamais répétée. Chaque vivant voit la vie du point de vue de sa propre vie, de son unique vie. De toutes ces vues, de toutes ces vies, l’esprit vit et il voit. De même qu’une IA ne peut se nourrir que de ce qui existe déjà, le plus haut des Dieux, cette Divinité suprêmement suprême, Celle qui est au-delà de l’existence même, ce Très-Haut là se nourrit de la vie de toutes les vies, se désaltère de toute cette sève vivante. C’est là la raison de Sa création. C’est pourquoi, être et vivre sont un, comme être et penser d’ailleurs. C’est pourquoi tout ce qui est, vit, et toute vie est pensée, et esprit. C’est pourquoi l’Esprit vit sa vie en toute vie. L’E majuscule n’est pas ici métaphysique. C’est un moyen typographique. Cet E, qui n’est pas celui de Delphes, symbolise une totalité qui s’augmente sans cesse, se totalise davantage en son dépassement même. Tout ce qui existe vit et participe à cet immense effort de vivre. Tout être toujours se dépasse dans son être, et contribue ainsi au conatus universel. Le conatus, mot latin, signifie « effort ». Spinoza use de ce mot pour désigner la volonté de tout être à persévérer dans son être. Il a le sens de la puissance du désir de l’être de continuer à être, de continuer de faire vivre l’être et de penser l’être.
A l’extrême de la tension de l’effort spirituel, le conatus se traduit dans l’extase. Le conatus de l’esprit le mène à la sortie hors de soi. Si l’on se place, par les yeux de l’esprit, au sein de cette sortie, au centre de ce conatus, que voit-on ? Dans cette sortie, dans cet effort, dans cette extase, l’esprit est-il encore à l’intérieur du soi ? Arrive-t-il au fond de de lui-même ou s’en va-t-il en dehors de lui-même ? Est-ce l’esprit qui entre dans l’âme, ou bien est-ce l’esprit de l’âme qui sort d’elle-même ? Dans l’extase, l’esprit du monde vient-il dans la conscience, ou bien est-ce notre esprit qui prend conscience de l’esprit du monde ? Ou bien serait-ce les deux à la fois ? Quand on commence à prendre toute la mesure (mesure qui, d’ailleurs, est sans doute sans mesure) de l’esprit, d’où cette connaissance vient-elle ? De nous-même, ou d’ailleurs ? Introspection ou inspiration ? Y a-t-il un seul Esprit, ou bien des milliards de milliards d’esprits infiniment renouvelés en des formes infiniment changeantes ? Lorsqu’une vie nouvelle naît en ce monde, est-ce que l’Esprit total augmente ? Lorsqu’une vie meurt, est-ce que l’Esprit diminue ? Quel esprit boutiquier, alors. N’y a-t-il pas d’autres alternatives ? Il y en a. Par exemple, l’Esprit pourrait être à la fois sa propre totalité, transcendante, sans mesure et sans fin, et la multiplicité immanente de ses parties, innombrables. Toute naissance et toute mort sont à l’esprit comme un souffle, une inspiration et une expiration. Le souffle ne meurt pas, il fait vivre. L’air non plus ne meurt pas. L’oxygène transporte la condition de la vie. Mais le souffle n’est pas la vie elle-même, il n’en est que le signe, l’indice. Le souffle va lui aussi où il veut, et il vient d’on ne sait où. Ce que l’on sait seulement, c’est que le souffle est l’une des voies de la vie. Il en est d’autres. Et le souffle, en tant que tel, ne meurt pas, il vit jusqu’aux confins de tous les mondes, comme la vie.
L’esprit est toujours en route. Il est la route elle-même. Il est la Voie, dit Dogen, et d’autres bien avant lui. Il est le chemin à suivre pour atteindre ce qui est au-delà de tous les chemins et de tous les mondes. Vous demanderez : Comment peut-on affirmer cela ? Qu’est-ce qui nous prouve que… ? D’où parlez-vous ? Etc. Il n’y a pas de preuves. Mais il y a des indices, des traces, des signes. Du léger et du fin, pas du lourd. De l’infime, pas du massif. Il y a aussi, pour qui prend la peine de chercher, des faisceaux de correspondances, d’intuitions, d’inductions, multimillénaires, et une quantité appréciable de révélations, immémoriales, venant de multiples horizons, transculturels. Il y a aussi des témoins. Depuis mon ermitage, en mots et en images, je tente de faire passer ce message.
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