Un Dieu qui se repose ?


« Nuit » ©Philippe Quéau (Art Κέω) 2023

Vous savez que le vendredi des musulmans est une copie du sabbat biblique. Il s’en distingue néanmoins sur le point essentiel de l’institution biblique du sabbat. Celui-ci est destiné à rappeler continuellement l’œuvre divine de la création, comme achèvement de la création des six jours : c’est un jour de repos pour l’homme et aucun travail ne doit être accompli en ce jour-là, parce que l’œuvre de la création du monde fut achevée en ce jour. Mohammed, à la vérité, veut aussi maintenir parmi ses fidèles la foi « à l’œuvre de la création en six jours », mais son vendredi n’en est pas le jour commémoratif. Il n’est ni le jour de repos du sabbat, ni le jour de préparation à ce sabbat. C’est un «jour de réunion » pour la célébration hebdomadaire du culte; dès le début, il n’a pas été considéré comme jour de repos : « 0 croyants! dit Mohammed dans le Coran (62, 9, 10) lorsqu’on vous appelle à la prière du jour de l’assemblée, empressez-vous de vous occuper de Dieu et et abandonnez le négoce… Lorsque la prière est finie, allez où vous voudrez et recherchez les dons de la faveur divine. » Mobammed repousse absolument l’idée que Dieu s’est reposé de son œuvre de la création. Cette idée est tellement enracinée dans la conscience musulmane que de tout temps on a considéré comme une polémique directe dirigée contre le judaïsme ces paroles du Coran (50, 37) : « Nous avons créé le ciel et la terre et ce qui est entre eux en six jours, et la fatigue ne nous a pas atteint » (wa ma massanâ minlughûb). Je vous ai donné là un exemple de ce que j’appelle l’influence persane latente. D’après la doctrine des Parsis, l’univers a été créé en six périodesi. On institua des fêtes en souvenir de chacune de ces six périodes de la création, mais aucune en vue de célébrer l’achèvement de la création du monde ; ainsi aucune fête qui eût quelque ressemblance avec le sabbat des Juifs. Leurs théologiens combattaient la conception juive du sabbat et particulièrement l’idée que Dieu s’est reposé de l’œuvre de la création. Le document pâzend, que J. Darmesteterii a fait connaître et dans lequel la polémique des Parsis contre l’institution du sabbat est devenue l’expression d’un dogme (chikand gûmânik viyar), date à la vérité du IXe siècle ; mais probablement il n’est que le reflet de vieilles discussions théologiques. Cette opposition contre l’histoire biblique de la création ne semble pas avoir échappé à la connaissance de Mohammed. L’esprit du Prophète arabe était puissamment pénétré de l’idée de la toute-puissance de Dieu. C’était l’idée mère qui remplissait son âme. Aussi saisit-il avec empressement l’occasion, en s’emparant de l’institution du sabbat, de la différencier par une protestation énergique contre l’idée d’un dieu qui se reposeiii.

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iLe Zend-Avesta, trad. par James Darmesteter, I, p. 37 sq.

iiRevue des Études juives, XVIII, p. 9, n°102 : James Darmesteter. Textes pehlevis relatifs au judaïsme. « Toute cette création, ce ciel et cette terre, il les a créés et organisés en six jours et le septième jour il s’est reposé de son œuvre. Mais s’il a créé ce monde de rien autre que son commandement — Ainsi soit ! et ainsi fut-il ! — pourquoi alors ce délai de six jours ? Car s’il n’avait d’autre peine que de dire ainsi soit! ce délai de six jours devient bien invraisemblable et il n’a pas dû bien se fatiguer. Si l’on peut faire l’être du non-être, et si lui le peut, il doit pouvoir le faire sans délai de temps. Et s’il ne peut le faire en moins d’un jour, on ne peut plus dire qu’il a créé l’être du néant. Autre point. Pourquoi avait-il besoin de se reposer le septième jour? Si pour faire et créer le monde, il ne lui fallait d’autre temps ni d’autre peine que de dire sois ! comment expliquer qu’il lui faille ce jour de repos pour dissiper sa fatigue. Car si le mot sois ! n’a duré qu’un instant, il n’a dû être non plus fatigué qu’un instant et dû être remis tout aussitôt. »

iiiExtrait de l’article de Ignaz Goldziher. « Islamisme et Parsisme » in Revue de l’histoire des religions. Tome 43, Paris, 1901

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