Ontologie des « êtres intermédiaires »


« Nature intermédiaire » ©Philippe Quéau (Art Κέω) 2025



Les êtres « naturels » ont un principe interne de mouvement. Ainsi que l’explique Aristote, tous les autres êtres (tous ceux qui ne sont pas « naturels », comme les êtres « artificiels », les êtres de « hasard « ou de « raison ») tirent leur mouvement de causes extérieures, les quatre causes (matérielle et formelle, initiale et finale), ou encore de causes accidentelles : le hasard ou la fortune.

Les êtres de la nature se déplacent, croissent et décroissent, s’altèrent et se métamorphosent, essentiellement « par nature ». C’est la nature elle-même qui est, dans leur cas, le principe essentiel du mouvement et du changement. La distinction entre êtres naturels, êtres artificiels et êtres de hasard est aujourd’hui plus difficile à maintenir. Certains êtres paraissent d’ailleurs « intermédiaires » entre la nature, l’art et le hasard. Les nouveaux êtres mathématico-informatiques, comme les automates semi-récursifs, sont de tels êtres intermédiaires. Leur existence pose évidemment d’importantes questions sur les fondements mêmes de notre vision du monde. Mais avant d’en arriver à ces questions, il faut examiner la réalité de cette assertion, celle de la nature « intermédiaire » des êtres logico-mathématiques ou mathématico-informatiques.

Du fait de l’application incessante du principe de récurrence, les « êtres » auxquels nous faisons référence peuvent être dits « avoir en eux-mêmes un principe de mouvement », au moins dans un sens métaphorique, en tant qu’« êtres mathématiques », ou « êtres de raison ». Ils correspondent donc dans un certain sens à la définition aristotélicienne des êtres « naturels ». Par ailleurs, ils sont aussi « artificiels », puisqu’ils sont le produit de calculateurs numériques et symboliques. Enfin, ils relèvent du « hasard ». On peut en effet démontrer leur imprédictibilité foncière. Le seul moyen d’analyser leur comportement est de les « simuler », c’est-à-dire de les calculer intégralement. Mais là est le hic : cette simulation et ce calcul ne peuvent prendre fin, car l’existence de ces êtres ne cesse de se prolonger, à l’infini, puisque par définition ce sont des êtres calculés par récurrence. Leur calcul et leur analyse ne se fait qu’au prix d’une simulation, elle-même infinie, laquelle se confond donc avec leur existence même.
Par construction, l’existence actuelle de l’automate est toujours imparfaite. L’automate est toujours « en puissance ». Si l’on veut connaître sa nature ou son essence, il faut commencer par comprendre ses liens avec le principe de récurrence lui-même. C’est dans ce principe qu’il faut chercher sa vraie nature. Parler de la nature de l’automate ne nous semble pas une métaphore hardie ou impropre. En effet, toute nature possède bien en elle un « principe de mouvement et de changement », et si l’on reconnaît que le principe de récurrence est essentiellement un principe de mouvement, on peut conclure à l’isomorphisme entre récurrence et nature, entre automate récurrent et automate naturel. D’ailleurs, l’origine étymologique du mot automate (définie par Platon dans le Cratyle) nous le confirme : l’automate, c’est ce qui se meut soi-même, ce qui possède en soi son propre principe de mouvement. Qu’ils soient naturels ou artificiels, les automates se meuvent eux-mêmes : ils participent tous d’un principe « naturel » d’automouvement. Si l’on se trouve en désaccord avec cette conclusion, alors il faut remettre en question la définition aristotélicienne de la nature. Ou bien, ce qui revient au même, il faut réviser la définition platonicienne de l’automate. Dans les deux cas, la perspective d’un nouvelle ontologie se dessine, celle d’une ontologie des « êtres intermédiaires » – une metaxologie.

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